miércoles, 9 de agosto de 2023

9. 20. Premier abus qui s' est trouvé en la promotion des Professeurs du Roy qui en produit plusieurs autres, au prejudice de l' Université.

Premier abus qui s' est trouvé en la promotion des Professeurs du Roy qui en produit plusieurs autres, au prejudice de l' Université.

CHAPITRE XX.

Advint en l' an 1566. que Dampetre Cozelle Sicilien, fut pourveu par la mort de Pasquier Hamel de la place de lecteur du Roy aux Mathematiques, homme qui entrant en la chaire se trouva si disgracié, qu' il ne sçavoit parler Latin ny François. De maniere qu' il fut deux & trois fois chiflé & baffoüé par tout l' auditoire, & par ce moyen contraint de quitter sa place, mais par une voye inacoustumée, & non jamais auparavant pratiquée la resigna à Charpentier, homme non aucunement nourry aux Mathematiques, mais qui d' ailleurs reluisoit en plusieurs bonnes parties, & par ses lectures s' estoit moyenné grand credit dedans l' Université.

Ramus qui en enseignant la jeunesse estoit un homme d' Estat, ne peut souffrir cette injure estre faite à l' Université. Au moyen dequoy il prend cette querelle en main, presente sa requeste à la Cour contre Charpentier, & tout d' une main obtient lettres du Roy, affin que pour obvier aux abus, nul ne fust à l' avenir admis en leur College, qu' il n' eust auparavant suby l' examen en l' art dont il vouloit faire profession. Grande cause, & deux braves champions, qui sans ministere d' Advocats entrerent au champ, en presence du Parlement, & d' une infinité de peuple. En quoy je puis dire, comme celuy qui veis demesler ce fuzeau, que ce fut à bien assailly bien defendu, & à un beau jeu beau retour.

Tous deux parlans Latin, furent ouïs par leurs bouches, avecques une admirable faculté, & facilité de bien dire. Ramus disoit que c' estoit un nouveau monstre qu' on introduisoit en leur compagnie, d' y proceder par resignation, & non par merite. Et chose encores plus monstrueuse, de voir un Sicilien gratifier de cette place un François à luy incognu. Accusant taisiblement qu' en la resignation il y avoit eu bource desliée. Qu' autre chaire n' estoit vacquante par la mort de Pasquier Hamel que celle de Mathematiques, & que le sens commun ne pouvoit porter, que Dampetre aucunement nourry en ce subject eust esté contraint de quiter la partie, par ce qu' il ne pouvoit descouvrir ses conceptions en langue Latine, & qu' il luy eust esté loisible de surroger en son lieu un homme du tout ignorant les Mathematiques, & qui sçavoit seulement parler: partant concluoit à ce que Charpentier ne fust receu, qu' il n' eust esté premierement examiné sur le fait des Mathematiques, & qu' en enterinant les lettres patentes du Roy, le semblable fust à l' avenir observé en la promotion de ceux qui voudroient estre Professeurs du Roy. Contre cecy Charpentier, qui sçavoit se joüer & de sa langue, & de son esprit, ne revoqua du commencement en doubte qu' il estoit peu versé aux Mathematiques, esquelles toutesfois (mettant en jeu la rencontre de Ciceron) si on luy eschauffoit la cervelle il se monstreroit grand Maistre & Docteur passé en trois jours, comme faisant peu de compte, & mettant sous pieds cette objection. Mais pour recompense il coucha principalement de sa personne, que dés & depuis vingt ans en là il avoit bien merité des bonnes lettres dedans l' Université, dont il pouvoit produire pour pieces justificatives, une infinité de tesmoins ses disciples, tous personnages d' honneur & de qualité; que par degrez il avoit acquis quelque nom. Premierement Regent grandement recognu, puis Procureur de sa nation, puis Recteur, & finalement entre ses compagnons avoit sans aucun contredit obtenu le premier lieu de licence en la Faculté de Medecine. Tellement que nul ne pouvoit, ou devoit luy envier ce nouveau grade de Professeur du Roy, & que s' il n' estoit capable pour enseigner les Mathematiques, il y avoit en luy une infinité d' autres subjects dont il pouvoit accommoder le public par ses lectures au contentement d' un chacun. Je vous ay reduit en petit volume les plaidoyez de l' un, & de l' autre, qui toutesfois occuperent l' audience toute une matinée. En fin la Cour, apres avoir veu ces deux champions vaillamment combatre, leur sonna un hola, par un appointé au Conseil, & ce pendant Charpentier ne laissa d' exercer sa charge. Combat qui engendra depuis deux grandes playes. Car Charpentier ayant avecques la resignation de l' Italien couvé dedans son ame une vengeance Italienne six ans entiers, fit ainsi que l' on dit, en l' execution de la journée sainct Barthelemy 1572. assassiner Ramus, par gens de sac & de corde, à ce par luy attitrez. Et depuis, comme nous sommes en un Royaume de consequence, ce qui s' estoit passé par connivence en la personne de Charpentier pour ses merites ouvrit la porte à d' autres, de telle façon que nous avons veu un Professeur du Roy s' estre demis de sa place en faveur du mariage de sa fille, & un enfant fort jeune avoir esté pourveu de la chaire de feu son pere, pour honorer sa memoire, comme si ce fust une chose patrimoniale & hereditaire. Non que je ne les estime avoir esté, & estre gens capables & suffisans aux professions qu' ils ont exercées & exercent; mais la façon ne m' en peut plaire, craignant qu' avecques le temps ces places n' aillent au mespris. Je voy le docte Cardinal du Perron mettre toute on estude au bastiment du College dont je vous ay cy dessus parlé. Dieu vueille que par cy apres ce ne soit un corps sans ame, & un magnifique College de pierres, au lieu de celuy qui fut premierement basty en hommes par le Roy François.


9. 19. De trois chaires publiques fondées en l' Université de Paris, sur le modelle des Royales, par trois personnages de privée condition.

De trois chaires publiques fondées en l' Université de Paris, sur le modelle des Royales, par trois personnages de privée condition.

CHAPITRE XIX.

Le Roy François premier de ce nom par son introduction nouvelle des Professeurs, fit un trait digne de soy, & apres nostre Roy Henry le grand. Maintenant vous en veux-je raconter un autre d' un simple escolier, que trouverez digne de Roy. Celuy dont j' enten parler est Pierre de la Ramée, qui en Latin voulut estre appellé Ramus, lequel par son testament du 8. Aoust 1568. d' un cœur Royal ordonna un lecteur és Mathematiques en nostre Université. Ce docte homme avoit par un long travail de quarante cinq ans tiré de son espargne cinq cens liures de rente à prendre sur l' Hostel de ville de Paris, dont il legua cent liures à un sien Oncle maternel, cent autres à un sien nepueu enfant de sa sœur uterine, & les cinq cens liures restans à celuy qui par son sçavoir se trouveroit le plus digne de la Chaire de Mathematiques. Vray que tout ainsi que pendant la vie il avoit entretenu ses Estudes par diverses contentions d' esprit, tantost contre Aristote par ses Animadversions Aristoteliques, tantost contre Ciceron, par ses questions Brutines, tantost contre Euclide, luy voulant enseigner une plus seure methode que celle qu' il avoit observée en ses œuvres, aussi fit il le semblable par son testament. Car il voulut que de trois en trois ans par nouvelles disputes qui seroient faites au College de Cambray, cette place fust adjugée à celuy qui se trouveroit emporter le dessus. Disputes (dy-je) qui seroient faites, Praesentibus, aut certe rogatis atque invitatis, Senatus Praeside primo, primoque Oratore regio, tum mercatoram praefecto, deinde professoribus Regijs, omnibusque omnino quibus interesse libuerit. 

Et peu apres. Ex omnibus examinatis, qui iudicio professorum Regiorum, omniumque Matheseon peritorum, aptißimus ad Mathematicam Profeßionem videbitur in triennium proximum, deligitor. 

Et au bout de tout cela il baille la charge de son execution testamentaire à Maistre Nicolas Bergeron & Anthoine Loisel, Discipulis quondam meis (porte le texte) modo advocatis in Senatu. Quibus quod ad quingentarum librarum vectigal attinet, decanum Regij Collegij adiungo, & mortuis substituo. Brave, grande, & magnifique ordonnance, qui merite d' estre gravée en lettres d' or au plus haut du temple d' Honneur. Toutesfois pour vous en dire librement ce que j' en pense, je crains qu' elle ne se tourne en friche. Et de ce en ay-je quelque appercevance. Car quelque diligence que Loisel y ait voulu apporter depuis le decez de son compagnon, & y apporte encores aujourd'huy, je voy les assemblees qui se sont faites à sa poursuite, reüssies presque à neant, tant sont les volontez refroidies en l' Estude des Mathematiques. 

J' avois achevé ce Chapitre, & mis entre mes memoriaux, en attendant de le faire voir au peuple, lors qu' en reimprimant mes Recherches, je les augmenterois de ce neufiesme livre, quand voicy deux nouveaux guerriers qui se sont mis sur les rangs, en bonne devotion de terrasser nos adversaires, Maistre Claude Pelgé cy devant Conseiller du Roy, & Maistre en sa Chambre des Comptes de Paris, & Maistre Jean de Rouan à present proviseur du College du Thresorier de nostre Dame de Rouen. Celuy là qui apres avoir fait plusieurs longs services à nos Roys, s' estant demis de son estat, & espousé une vie, sinon solitaire pour le moins esloignée de l' ambition & avarice en cette honneste retraite, voyant, ainsi que luy mesme m' a dit, que plusieurs se detraquoyent du vray chemin de nostre foy & Religion, par faute d' entendre la saincte escriture, pour remedier à ce mal a voulu fonder une lecture en Theologie, aux Escoles exterieures du College de Sorbonne, pour y lire le vieux & nouveau testament, selon l' exposition des Peres & saincts Docteurs de l' Eglise, Hebrieux, Grecs, & Latins: à cette fin a donné six cens liures de rente au denier seize, les cinq cens pour celuy qui seroit appellé à cette charge, & les cent liures restans pour le College de Sorbonne, à condition qu' il seroit tenu d' eslire un Docteur de la maison, capable de faire cette leçon, par contract fait le 26. Septembre 1606. & par autre du 14. Aoust. 1612. Et neantmoins cette fondation n' a lieu qu' apres le decés du fondateur. Vray que dés à present il a choisi du consentement de Messieurs de Sorbonne, Maistre Jean Dautruy, lors Bachelier de la premiere Licence, & maintenant Docteur en Theologie, pour commencer cette lecture, moyennant certaine moderee pension. Docteur en Theologie, vous dis-je, jeune de reception, mais ancien d' erudition, comme l' on peut recueillir, tant des leçons par luy faictes en sa nouvelle profession és Escoles de Sorbonne, que par ses predications aux Eglises. Car à Maistre Jean de Rouan, apres avoir regenté & enseigné la jeunesse en divers Colleges, l' espace de quarante ans, que plus, que moins: & specialement les quatre dernieres annees à Harcour, avecques un applaudissement de trois ou quatre cens Escoliers, en fin creé proviseur du College du Thresorier, il l' a voulu renvier, & pousser de sa reste sur les deux premiers. Dautant que par contract passé pardevant sainct Wast & Fardeau, Notaires au Chastelet de Paris le 20. Octobre 1612. entre Messieurs de la Sorbonne & luy, il instituë tout ainsi que Pelgé, un Docteur de leur societé (je vous insereray icy mot pour mot les mots substantiaux du contract) qui soit tenu d' enseigner en leurs Escoles les cas de conscience, & non autre partie de la Theologie, mais d' une liberalité admirable eu esgard à sa qualité, leur paye & deliure content la somme de mille six cens liures, dont ils seroient tenus de faire six cens livres de rente au denier seize, suivant l' Edict; a sçavoir cinq cens liures en faveur du professeur, qui disent par chacun quartier cent vingt cinq liures, & les cent liures restans, appliquables au profit de la societé, & congregation de Sorbonne, laquelle recognoist avoir receu de luy manuellement sur le champ aux especes plus amplement specifiees, cette somme de neuf mille six cens liures. Et moyennant ce promet payer la rente de cinq cens liures aux termes accoustumez à ceux qui par cy apres seront appellez à cette chaire. Lequel de Rouan cognoissant l' experience qu' avoit Maistre Pierre le Clerc, Docteur en Theologie de la dite societé de Sorbonne, pour avoir depuis plusieurs annees continué la lecture des cas de conscience, le dit fondateur l' a nommé pour Lecteur & Regent de la profession par luy fondée, pour lire chacun an les dits cas de conscience, & non autre partie de la Theologie. Veut & entend que mesme lecture facent ceux qui succederont apres le dit sieur le Clerc à la profession & regence du dit sieur de Rouan. Et le cas advenant que le dit sieur le Clerc vienne à deceder, ou se desister de sa dite profession, le dit sieur fondateur ordonne, qu' il soit pourveu par le Prieur, Senieur, & autres de la societé de la dite maison & College de Sorbonne, d' un autre Docteur pris de la dicte maison & non d' ailleurs, qu' ils jugeront suffisant & capable en leurs consciences, sans faveur ny brigue aucune: qu' à la dite election apres le decés du dit fondateur, soit appellé le proviseur du College du dit Thresorier, qui sera lors en charge. Et finalement que cette profession & regence soit par la posterité appellée la chaire ou profession du sieur du Rouan fondateur, & que ces termes soyent portez par les elections qu' on fera à la pluralité de voix sans brigue ny faveur, d' un docte & sçavant Theologien entre les Docteurs de la dite maison & societé de Sorbonne. Car ainsi a esté convenu entre les parties.

Clause derniere en laquelle je trouverois je ne sçay quoy de vanité, n' estoit que cette ambition est fondée sur une noble institution, à laquelle selon mon jugement peu d' autres de l' Université se peuvent apparier, qu' un simple Escolier (car ainsi veux-je appeller celuy qui n' eut jamais plus ample qualité, que de proviseur d' un petit College) se soit pendant sa vie, suum defraudans genium, despoüillé du peu d' espargne qu' il avoit faite par ses longues vielles & lectures. Et vrayement cest honneste homme en se deterrant s' est basty non un tombeau, ains un Colosse, par lequel il se voit dés son vivant jouïr du fruit de la gloire immortelle, dont la posterité l' honorera apres son decez. Et qui est une observation par moy faite qui ne doit estre escoulée sous silence, c' est que le premier College de l' Université est celuy de Sorbonne esclos l' an 1253. & le second celuy du Thresorier fondé l' an 1269. Or est-ce la verité qu' entre les traits dont Maistre Robert de Sorbonne nous fit part, le plus celebre fut celuy où il discourt les cas de nos consciences, duquel je vous ay representé un eschantillon au Chapitre du College de Sorbonne. Et maintenant apres plusieurs revolutions d' années par une sainte fatalité, le proviseur du second College a institué un Docteur particulier, pour nous en elaguer les chemins. En honorant ce troisiesme je n' entens en rien deroger à l' honneur ny du premier ny du second. Chacun d' eux merite son laurier: mais par ce que la pleine execution du second contract demeure en suspens jusques apres le decez de Pelgé, je parleray seulement du premier & du dernier.

On ne sçavroit assez trompeter la memoire de Ramus, qui par une hardiesse royalle ouvrit le premier la porte aux particuliers, pour les semondre & inviter à creer des Professeurs publics, mesme ait choisi la profession des Mathematiques: toutesfois si j' en suis creu, le dernier s' estant mis en bute la Theologie, se peut vanter d' avoir un advantage sur luy, de tant que le ciel est par dessus la terre. Ramus par son testament ordonna la chaire des Mathematiques pour jouïr de cinq cens liures de rente apres son decez: qui est selon le jugement des Sagemondains, disposer du bien de ses hoirs, non du sien. Et ce dernier a mis dés son vivant sa liberalité à effect. Le premier assigna la pension annuelle de son Professeur sur les rentes courantes de l' Hostel de Ville de Paris. Qui peuvent à la longue selon la calamité des temps faire faillite, ainsi que nous en avons senti quelque espreuve, par le moyen de nos derniers troubles. Or le dernier a assigné sa liberalité sur le fonds du College de Sorbonne, laquelle partant ne peut prendre fin que par la fin du mesme College. Et finalement cettuy-cy veut que son Professeur soit esleu par la Societé de Sorbonne, & jouïsse du benefice de leur election tout le demeurant de sa vie. Qui n' est pas un petit secret pour bannir les brigues tumultuaires. Et au regard de Ramus, il voulut, que de trois en trois ans on procedast à l' election d' un Mathematicien, n' apportant moins de zele que le dernier, en la police par luy ordonnee. Mais de malheur je ne voy qu' en la sienne il y ait Juges competans pour juger des coups. Et qui est l' accomplissement du mal, c' est qu' apres le trespas de ses deux executeurs testamentaires, il leur surroge le Doyen des Professeurs du Roy; Doyenné qui ne s' acquiert, ny par le merite des lettres, ny de la preudhommie, ains par l' ancienneté de promotion. Place que je voy non seulement tomber en decadence, ains celles mesmes des Professeurs du Roy, lesquelles sur leur commencement se bailloient à personnages de choix, qui par leurs livres, ou longues leçons, avoient acquis reputation, & depuis par le malheur du temps c' a esté un autre discours. Et dont est ce desarroy procedé, je le vous discourray en peu de paroles par le Chapitre suivant. 

9. 18. Introduction des Professeurs du Roy, autre plant des Escoles de l' Université de Paris.

Introduction des Professeurs du Roy, autre plant des Escoles de l' Université de Paris.

CHAPITRE XVIII.

Je vous ay cy-dessus discouru deux diverses manieres de leçons qui se firent en l' Université de Paris: L' une qui gisoit és grandes Escoles, & lors les Escoliers estoient espandus par la ville, avecques permission de vaguer où il leur plaisoit: L' autre aux Colleges, dans lesquels la jeunesse fut depuis enfermee pour y estudier. Et n' est pas certes une question petite, de sçavoir laquelle des deux est meilleure. La premiere a pour ses garends les Estudes d' Athenes, esquelles on voyoit les Escoles publiques des Academiciens, Peripateticiens, Stoïques, Epicuriens, & plusieurs autres, sous la conduite de ceux qui par une abondance, ou presomption de leurs sens, se faisoient chefs de part en leurs Sectes. Que cela mesme fut soigneusement observé, lors que les bonnes lettres quittans leur sejour d' Athenes, se vindrent loger dedans Rome: specialement sous les Empereurs, & entr'eux sous l' Empire d' Alexandre Severe, lequel ordonna Auditoires publics, non seulement à ceux qui enseignoient les Arts Liberaux, ains aux Mechaniques mesmes, quand ils se trouvoient exceller en leurs manufactures: Et à peu dire, les anciennes villes, esquelles les sciences furent en vogue, n' eurent jamais cognoissance des Colleges, tels que nous avons dedans Paris, desquels on pourroit dire ce que disoit le Demea de Terence, que le tout bien calculé, l' aage, le temps, & l' usage, nous faisoit souvent trouver mauvaises les choses qu' avions auparavant embrassees, & bonnes celles que vilipendions. Que cecy se verifie au cas qui s' offre: qu' en l' institution de la jeunesse, il n' est pas seulement question des lettres, ains des mœurs. Que celuy qui est logé en chambre par la ville, peut plus aisément lascher la bride à sa desbauche: Partant que le Conseil des peres & meres fut plus sage, d' enfermer leurs enfans dedans les Colleges, qui par ce moyen seroient contraincts de s' accoustumer à l' estude, & tout d' une main imprimer l' image des bonnes mœurs en leurs ames. Mais à quel propos tout cecy? Non pour autre, sinon pour me condamner, & vous dire que ce sont de beaux propos dressez mal à propos: car comme les affaires de nostre Université sont composees, nous y exerçons l' une & l' autre police. Enfermans les enfans de bas aage dedans les Colleges pour y estudier, & s' estans par quelques annees accreus d' aage, & de sçavoir, nous les envoyons aux leçons publiques des Professeurs du Roy: qui est le sujet du present chapitre, dans lequel & autres suivans je me delibere discourir de fonds en comble comme les choses se sont pour cet esgard passees & conduites jusques à huy. Nous eusmes sur nos jeunes ans un Roy François I. de ce nom, zelateur des bonnes lettres, lequel le renvia non seulement sur tous ses ancestres, ains en rapporta le laurier. Le malheur du temps avoit voulu qu' ores que l' Université de Paris fust en honneur par dessus toutes les autres de l' Europe, toutesfois on n' y cognoissoit la langue Hebraïque que de nom: Et quant à la Grecque, bien que l' on en fist quelque estat, c' estoit plus par contenance, que d' effect. Car mesmes lors qu' il estoit question de l' expliquer; ceste parole couroit en la bouche de plusieurs ignorans, Graecum est, non legitur: Et au regard de la Latine (exercice ordinaire des Regens) c' estoit un langage goffe & grossier. Ce Roy estoit, comme j' ay dit naturellement adonné aux lettres, dont dés sa jeunesse (portant le seul titre de Duc d' Angoulesme) il avoit fait si belles preuves, que le gentil Baltazard de Chastillon en son Courtizan, se promettoit de luy, qu' estant Roy il restabliroit les bonnes lettres dedans son Royaume. Esperance dont il ne fut trompé; car quelques annees apres que ce Prince fut arrivé à la Couronne, il pourpensa d' eriger un nouveau College de doctes hommes, par lesquels les langues Grecque, & Latine, ensemble les sciences seroient diversement enseignees.

Je voy quelques uns discourans par advis de pays sur cette affaire, attribuer ce nouveau mesnage, les aucuns au docte Guillaume Budé seulement, les autres à Messire Jean du Bellay Cardinal, & Jean Lascary, & que par leur advis le Roy fut induit à ce faire. Non, il n' eut en cecy autre instigateur que soy mesme. Il estoit (comme j' ay dit) naturellement adonné aux lettres, aussi fut-il naturellement de soy-mesme inspiré à cette noble devotion. Bien recognoistray-je que depuis Budé servit de fidele instrument au public pour l' y maintenir. Et a fin que l' on ne pense que je parle maintenant par cœur, ains par livre, Christofle de Longueil, l' autre Ciceron de son temps, ayant sommé Budé par lettres, de luy mander comme il gouvernoit ses estudes. Elles sont (luy respondit-il) en friche; J' ay quitté ma maison de Marly (qui estoit leur sejour ordinaire) pour m' habituer à la Cour & suite de mon Roy: Que si je voulois maintenant reprendre la route de ma maison, l' on diroit que par une fetardise de moy, je serois deserteur de mon devoir envers ma patrie. Sçavoir pourquoy? Depuis que j' ay eu cet honneur d' haleiner le Roy, il luy est souvent advenu de declarer publiquement, non par hazard, ains de bon sens & propos deliberé qu' il vouloit bastir dedans Paris, les villes de Rome, & d' Athenes, pour y planter à bon escient la langue Latine, & la Grecque, & tout d' une main immortalizer sa memoire dedans la posterité. Voyant cette belle opinion nee en luy, je n' ay depuis doubté en le gouvernant, de la luy ramantevoir, non une, ains plusieurs fois, selon que les occasions s' offroient. Chacun se repaist de cette belle promesse, elle court par la bouche de tous, & chacun par un vœu & souhait commun me promet la conduite & direction de cet ouvrage, se faisant accroire que j' en estois le premier autheur. Au moyen dequoy si maintenant je m' absentois tant soit peu de la Cour sans le congé de mon Maistre, on m' imputeroit cela à une faute inexcusable: d' autant qu' il pourroit advenir que cependant l' ardeur Royale & Divine du Roy se tiediroit tout à fait. Quoy faisant on diroit que j' avois sous faux gages gaigné la faveur d' un Prince, lequel ayant de son propre mouvement & instinct embrassé ceste sainte institution, je me devois du tout dedier à l' entretenement & augmentation d' icelle. Ce que n' ayant fait, je tomberois en la malebouche de tous, si tant estoit (ce que ja à Dieu ne plaise) que ce beau projet reüssist à neant.

A tant Budé. Je me suis estudié d' habiller à la Françoise, & rendre, non mot pour mot, ains à ma guise, le sens de ce passage que j' ay extraict de la premiere du troisiesme livre de ses lettres Latines. Et parce qu' elle porte seulement la date du mois & du jour, non de l' annee, cette faute est suppleee par une autre subsequente du mois de Decembre 1520. qu' il adressa à Jacques Tusan, depuis Professeur du Roy en la langue Grecque, de laquelle le commencement est tel. Je croy facilement ce que m' escrivez, que la promesse faite par le Roy d' eriger un nouveau College, dont je vous ay donné advis par mes lettres, a resveillé en vous, & vos semblables un desir indicible d' estude. Et combien que depuis on n' en ait rien fait ny parlé, toutesfois je ne fais aucune doute que ce nouveau project sortira son effect tel que je souhaiterois, sinon qu' il advienne quelque desastre generalement à la France, & à moy particulierement, & à ceux qui avec moy ont embrassé cette affaire.

De ces deux missives je recueille, premierement que le Roy fut induit à cette noble entreprise de son propre instinct, puis entretenu en icelle par Budé & quelques autres Seigneurs; & finalement que ce College n' estoit encore creé en l' annee mil cinq cens vingt. Les coadjuteurs de Budé furent ainsi qu' est la commune voix, Messire Jean du Bellay Cardinal, & Jean de Lascary de la famille des derniers Empereurs de Constantinople.

La fuitte du Connestable de Bourbon, l' expedition en Italie pour le recouvrement du Milannois, la prise du Roy François premier, sa prison en Espagne, Ostages de Messieurs ses enfans, allees & venuës pour la negociation de sa rançon, tout cela dis-je, fut cause de mettre en surseance ce beau dessein, jusques à ce que les affaires de France s' estans par un Traicté de paix assez fascheux, aucunement r'affermies de mal en bien, & de bien en mieux; le Roy en fin se trouvant deliuré de corps & d' esprit, revenant à son premier penser, ouvrit la porte à ce College, non toutes-fois tout d' un coup, ains selon & à mesure que Budé (sur lequel il se reposoit) trouvoit gens sortables pour luy presenter, sur la nomination duquel ils obtenoient leurs lettres de provision, chacun aux gages de deux cens escus, valans quarante cinq sols pour piece. Son premier dessein n' estoit pour le fait dés langues, que de la Grecque, 

& Latine, comme vous voyez par le passage de Budé, toutesfois mettant la main à l' œuvre il y adjousta l' Hebraïque. Chose dont Vulteius, qui lors avoit acquis quelque nom de Poëte, congratuloit à la France au second livre de ses Epigrammes, escrivant à Estienne Dolet

Nunc ubi gymnasium, Schola nunc ubi, quaeso, trilinguis

Gallia nunc habet hoc nobile Regis opus.

Et en quelque Epigramme suivante, qu' il adresse au Roy.

Barbaries, Latij quicquid sermonis habebant, 

Abstulerat Gallis rusticitate sua. 

Iussisti renovare artes, & crescere linguas,

Te duce ius retinet lingua Latina suum. 

Ausonias, Graecas, resonat gens Gallica voces,

Hebraeasque tuo munere docta colit. 

Hoc miratur opus terrarum maximus orbis, 

Et loquitur mores Barbara terra tuos. 

Caesaris Augusti cecinit miracula Marcus,

Augusto nobis Caesare maior eris. 

Iamque Minerva suos te praeside iactát honores, 

Exultat Pytho nomine clara tuo.

Barbaries contempta gemit, te Principe victus

Exulat impostor, monstráque cuncta jacent. 

Vive diu foelix Francisce, hoc nomine Regem

Quem primum nostro fata dedere bono.

Vive iterum, atque iterum foelix Francisce, Minerva

Ut vivas foelix, & moriare, cupit. 

Epigramme que je vous estale tout de son long, non que j' y trouve aucun nez, ains seulement d' autant que vous y trouvez l' establissement des trois langues en ce college, par celuy qui escrivoit en ce temps-là: car ses Epigrammes furent imprimees à Lyon l' an 1537.

Au demeurant il n' y eut sous le regne de François I. qu' unze places destinees à ce noble & Royal exercice, & la 12. erigee à la postulation & requeste de Charles Cardinal de Lorraine par le Roy Henry second, en faveur de Pierre Ramus, sous le titre de Professeur du Roy en l' Oratoire & Philosophie. Et le premier de tous fut Pierre Danes, depuis Evesque de la Vaur, & Ambassadeur pour le Roy, au Concil de Trente, lequel fut enterré l' an 1577. en l' Eglise sainct Germain des Prez aux Faux-bourgs de Paris, combien que son Epitaphe le qualifie premier Lecteur Royal és lettres Grecques: Ce qui pourroit apporter quelque obscurité sur le fait de cette primauté, pour dire qu' il fut seulement le premier au faict de cette profession, non des autres. Toutesfois la verité est qu' il fut le premier de tous les autres Professeurs, pourveu par le Roy François. Et voicy comment: Budé directeur de ceste compagnie, faisoit singuliere profession de la langue Grecque, comme vous peuvent tesmoigner les 5. livres de ses Epistres Latines, qu' il parseme ordinairement, non d' une simple parole Gregeoise, ainsi que faisoit anciennement Ciceron escrivant à son bon amy Atticus, ains de 12. & 15. lignes, & quelquesfois d' une page entiere: chose fort familierement par luy exquise & affectee; Mesme composa un livre de depesche en Grec, & finalement nous fit part de ses Commentaires de la langue Grecque. C' est pourquoy il meit premierement cette profession en avant, & par mesme moyen en fit pourvoir Danes de la premiere place de Lecteur. Quoy que soit nous ne luy revoquasmes jamais en doute cette primauté sur tous les autres pendant nostre jeunesse, ny mesme Monentueil Professeur du Roy, ancien és Mathematiques l' an 1594. apres la reduction de Paris en la harangue qu' il fit en l' honneur des Professeurs du Roy, à la premiere ouverture de les leçons: Et pour ne m' esloigner du temps de leurs creations, encore en trouverez vous quelque remarque dedans le mesme Vulteius, par moy cy-dessus allegué au premier livre de ses Epigrammes: où ayant dressé une Epigramme à Budé comme port'enseigne de cette compagnie, il en adresse tout soudain apres un autre à Danes, puis à Tusan, puis à Vatable, Oroncefinee, Stragelle, & Sylvius: Et y a bien grande apparence qu' il les honora tous selon l' ordre de leurs receptions. Cette notable compagnie sur son advenement & depuis, produisit diversement plusieurs personnages d' honneur: En la langue Grecque uns Danes, Tusan, Stragelle, Cheradame, Dorat, Lambin, Helias: En l' Hebraïque Vatable, Mercerus à nous plus cogneu sous ce nom, que sous celuy de Mercier: Genebrard: Es Mathematiques Oronce, Maignan Pemia Forcadel: En la Medecine Sylvius, Goupille, Duret; Es lettres Humaines & Philosophie Gallandius, Tournebus, Regius, Aquercu, Charpentier, Passerat: Et entre ceux-cy principalement Tournebus & Ramus. Celuy-là admirable tant en la langue Grecque & Latine, qu' en la cognoissance de toute l' ancienneté, comme nous rendent certain tesmoignage les livres par luy intitulez Adversaria. Cestuy-cy d' un esprit universel, comme on recueille par ses œuvres, concernans tant les lettres Humaines que Philosophie. J' ay autres-fois appris de trois Allemans, gens d' honneur, qu' en plusieurs Universitez d' Allemagne, lors que ceux qui sont en chaire alleguent Tournebusb & Cujas, aussi tost mettent ils la main au bonnet, pour le respect & honneur qu' ils portent à leurs memoires. Et qu' és Universitez qui sont sous la domination du Lanthgrave de Hain, ils ont banny la Philosophie d' Aristote, pour embrasser celle de Ramus. Se donnans ceux qui estudient en Dialectique le nom & titre de Ramistes. Entre les Professeurs du Roy que je vous ay icy touchez, je ne nomme point les vivans: qui trouveront dedans la posterité leurs trompettes s' ils s' en rendent dignes.

Les Troubles de nostre temps, advenus sous le nom de la Ligue & saincte Union l' avoient effarouché de nostre Université tous les Escoliers vrays François: mais le feu Roy Henry le Grand quatriesme du nom, y ayant esté reintegré en l' an 1594. aussi commença elle à se repeupler: Et l' an d' apres Monentueil Professeur és Mathematiques, ouvrant le pas à ses leçons fit une harangue, comme j' ay dit cy-dessus en l' honneur de tous les Professeurs du Roy, qui avoient tousjours esté diversement espars par la ville: Ayans d' un commun concours choisi le College de Cambray, nombril de l' Université, pour y faire gratuitement leurs leçons publiques: College caduque & antique: cela fut cause que cet honneste homme en sa harangue, souhaita que nos Rois voulussent honorer cette compagnie d' un nouveau College. Souhait qui depuis a sorty effect. Parce que le docte Cardinal du Perron moyenna cet ouvrage envers nostre Henry quatriesme, duquel il estoit grand Aumosnier. Et par son Conseil fut arresté que des deux Colleges de Cambray & Triquier, qui s' attouchoient, en seroit fait un. Lequel sous la conduite de luy, a esté encommencé d' un si superbe arroy, qu' estants parachevé il ne trouvera son pareil en toute l' Europe.

Il y avoit au College de Sorbonne d' une bien longue ancienneté deux Bacheliers en Theologie, qui enseignoient sans gages la Theologie. Ramus dedans les Remonstrances qu' il fit au Roy Charles neufiesme, quelque peu auparavant nos Troubles de l' an mil cinq cens soixante & un, le supplia tres-humblement qu' il luy pleust appointer de bons gages, non des simples Bacheliers, ains deux Docteurs qui seroient tirez des plus Doctes Theologiens, dont l' un enseigneroit les sainctes lettres en Hebrieu, & l' autre en Grec. Cette Requeste fut un souhait pendu au croc, jusques à ce que Henry le Grand estant r'entré dedans Paris, le mesme Cardinal du Perron, estant lors seulement Evesque d' Evreux, obtint de luy que pour cet effect il y avroit deux chaires en la Sorbonne, aux gages de trois cens escus: Et qu' en celle de la matinée seroit faite une leçon de la Theologie contemplative, & en celle de l' apresdisnée, de la Morale. Et sur la nomination faite par ce docte Prelat, fut donnee la matinée à du Val, & l' apresdisnée à Gamasche. Tous deux superlatifs en ce suject, & voulut qu' avenant la mort de l' un d' eux, il fust procedé par le commandement de l' Evesque de Paris, à nouvelle eslection, sans brigues, appellez tous les Docteurs de la Sorbonne, & les deux plus anciens du College de Navarre. Lettres en forme de Chartres du mois de Juin 1597. verifiées au Parlement le 8. d' Aoust, & en la Chambre des Comptes, le 15. Septembre ensuivans.