lunes, 14 de agosto de 2023

10. 15. Vie du bon pere Colombain, & bannissement indigne contre luy procuré par la Royne Brunehaud.

Vie du bon pere Colombain, & bannissement indigne contre luy procuré par la Royne Brunehaud.

CHAPITRE XV.

L' an quatorziesme du regne de Theodoric (dit Fredegaire) la renommee du bon pere Colombain s' estoit grandement espanduë par toute la Gaule, & l' Allemagne, estant par la bouche de tous en reputation d' un grand preudhomme. Personnage d' une venerable presence: De maniere que le Roy Theodoric le venoit souvent voir à Luxeüil, le suppliant avecques toute humilité de luy vouloir faire part à ses prieres & oraisons envers Dieu. Et le frequentant de cette façon, cet homme de Dieu commença de se courroucer contre luy de ce qu' il aimoit mieux soüiller son ame en paillardises envers unes & autres femmes impudiques, que de se conjoindre par mariage avecques quelque honneste Princesse, dont il pourroit avoir lignee qui luy succederoit par honneur, & non se faire honteusement des successeurs qui proviendroient du bordeau. Et comme le Roy luy promit de vouloir suivre ses commandemens, & de quitter tous attouchemens illicites: Adonc Brunehaud poussee de ses vieilles & detestables tentations du diable, commença d' ourdir une nouvelle tresme contre le bon homme: voyant que le Roy s' estoit du tout disposé à le suivre. Advint donc un jour entre autres que le sainct homme estant venu visiter Brunehaud, elle luy presenta les enfans illegitimes du Roy son fils, pour leur vouloir bailler sa benediction. Ce qu' il refusa tout à plat: luy disant, ja à Dieu ne plaise que je donne ma benediction à ceux qui sont issus de for-mariage: M' asseurant que Dieu jamais ne permettra qu' ils arrivent à la Couronne. Paroles dont la Royne à demy forcenee s' en retourna tout court avecques ses enfans. D' un autre costé le bon homme s' en voulant retourner, à peine avoit-il passé la porte du Palais, qu' aussi tost se fit un petit tremblement de terre, qui en estonna plusieurs, mais non la Royne Brunehaud, laquelle deslors commença de dresser toutes sortes d' embusches contre le sainct homme. Deffendant à tous les Religieux circonvoisins de sortir de leurs Monasteres, & pareillement que nul ne fust si osé de recevoir aucun des Moines de Colombain, ny de luy prester assistance. Ce que voyant l' homme de Dieu, il s' achemine tout aussi tost en Cour, a fin de destourner le Roy, & la Royne de leur malheureuse opiniastreté. Et leur ayant esté rapporté que le sainct homme estant arrivé, ne s' estoit voulu loger dedans la maison du Roy. Si ainsi est (dit le Roy Theodoric) le meilleur sera d' honorer l' homme de Dieu de viures à propos, que si je n' en tenois compte d' encourir l' ire de Dieu. Pour cette cause il commanda qu' il fust servy magnifiquement & à la Royale. Et suivant ce commandement luy furent apportees viandes & vin d' eslite. Le sainct homme tout estonné, demande à quel jeu se faisoit ce grand appareil. Respondent les Gentils hommes servans, que tel estoit le vouloir du Roy; Mais luy abhorrant cette marchandise, comme chose desplaisante à Dieu. Il est escrit, dit-il, que Dieu abhorre les dons des meschans. Et se faut soigneusement donner garde, que les serviteurs soüillent leurs mains dedans les dons de celuy, qui non seulement deffend aux siens; ains à tous les autres de converser aux maisons de Dieu, & sur cette parole rompt & fracasse tous les vases, & jette par terre toutes les viandes & vins. Dont les Gentils hommes servans estonnez, & estans retournez vers le Roy, luy racontent comme le tout s' estoit passé, lequel estant tout effrayé le vint sur le point du jour visiter avecques son ayeule, le supplians de leur vouloir pardonner le passé, & qu' à l' advenir ils donneroient ordre à l' amendement de leurs fautes. Ce que le preudhomme ayant pris en payement, il s' en retourna fort content à son Monastere: mais ils n' entretindrent pas long temps leur promesse: Parce que le Roy peu apres reprend les arrhes de sa paillardise. Dont le beat pere ayant eu advis, il luy escrit lettres pleines d' aigreur, voire le menace d' une excommunication, s' il perseveroit en son peché. Ce dont Brunehaud plus que devant indignee, recherche tous les artifices pour exciter l' indignation du Roy contre luy: y apportant premierement tout ce qu' elle peut du sien, puis y employant les Princes & grands Seigneurs de la Cour, & finalement les Prelats, qui soustindrent que la reigle Monastique de Colombain estoit dyscole, & non admissible en nostre Eglise. Tellement que le Roy vaincu de toutes ces importunitez & persuasions, visite le bon homme en son Monastere, luy reprochant qu' il avoit introduit un nouvel ordre de Religion, non commun avecques tous ses autres comprovinciaux, ne permettant qu' aucun homme Lay eust entree dedans son Cloistre. A quoy le beat pere comme personnage sans crainte luy respondit fortement: qu' à la verité telles manieres de gens ne pouvoient entrer dedans son Cloistre. Mais qu' au lieu de ce il avoit logis hors son Monastere pour les recevoir. A quoy le Roy: Si vous desirez avoir part à mes bien-faicts, je souhaite qu' ouvriez la porte à tous, sans acception & exception de personnes. L' homme de Dieu luy respond. Si vostre opinion est d' enfraindre ce qui a esté jusques à huy observé par une discipline bien reiglee, je ne veux faire aucun estat de vos liberalitez, & si vous n' estes venu en ce lieu cy, qu' en deliberation de ruiner les Eglises & maisons de Dieu, sçachez que vostre Royaume tombera de fonds en comble avecques tous vos enfans. Prognostic qui fut depuis certain, & averé par l' evenement. Car dés l' instant mesme le Roy, par une trop hardie entreprise, contre la reigle du Convent estoit entré dedans le Cloistre, avecques sa suite, & neantmoins estonné de ce fascheux prognostic il en sortit tout aussi tost, & lors l' homme de Dieu reprend le Roy fort aigrement, lequel luy repartit en cette façon. 

Tu penses par tes propos m' induire à te faire mourir comme un Martyr, mais je ne suis pas si fol de faire cette meschanceté; ainçois par un plus sage conseil je feray ce que je pense plus expediant & utile, qui est que celuy qui ne peut endurer chez soy aucun homme Lay, ait à reprendre ses premieres brisees, & s' en retourner par où il estoit venu. Et sur ce tous les Courtizans d' une commune voix s' escrierent, qu' ils ne souloient avoir en leur quartier un homme, qui ne se rendist communicable à tous. Et lors le bon pere leur dit: Qu' il n' estoit resolu de quitter son Monastere, si on ne l' en chassoit par force. Sur ces propos le Roy s' en part, laissant un Seigneur nommé Baudulfe: lequel y estant demeuré, chasse du Monastere le S. homme, & le conduit à la ville de Vesonce, pour y passer le temps de son bannissement, jusques à ce qu' il pleust au Roy d' en ordonner autrement. Ces choses ainsi passees, ce bon homme se voyant n' estre en la garde d' aucun: parce que chacun voyoit les vertus de Dieu reluire en luy, & pour cette cause nul ne l' osoit offenser, ny ne vouloit participer au tort qui luy avoit esté fait. Parquoy un jour de Dimanche de bon matin il monte fort malaisément au plus haut de la montagne, car cette ville estoit bastie le long d' un mont, aux pieds duquel passoit une riviere, & le sommet un roch sans maisons, où le bon homme ayant sejourné jusques au midy pour recognoistre s' il n' y avoit nul homme en bas commis pour luy empescher son retour, & voyant qu' il n' y en avoit nul, il passa avec les siens au travers de la ville, & s' en retourne en son Monastere. Chose dont Brunehaud & Theodoric irritez, commandent au Comte Bertaire, & à Baudulfe de le tenir en une plus estroite garde, lesquels arrivez au Monastere le trouverent psalmodiant en l' Eglise avec ses Religieux, & le gouvernerent en cette façon. Nous vous supplions de n' obeïr tant aux commandemens du Roy qu' à nos prieres, & vouloir retourner és lieux dont sortites premierement pour vous adomestiquer aux nostres. Mais luy: Je ne pense (dit-il) qu' il plaise au Createur de ce monde que je retourne au pays dont je suis sorty pour son honneur, & advancement de son nom. Ces deux Seigneurs cognoissans qu' il n' estoit deliberé de les croire, s' en partirent, delaissez pres de luy quelques soldats. Mais eux au lieu de le forcer, le prierent tres-humblement vouloir avoir pitié d' eux: d' autant que par malheur on les avoit laissez en ce lieu, a fin de l' exterminer tout à fait, & ne le faisant ils couroient risque de leurs vies, & luy à eux. J' ay souvent (dit-il) protesté de ne deguerpir cette place, sinon contraint de toute force. A quoy ces pauvres gens tenans le loup par les oreilles, & assiegez d' une part & d' autre de crainte, les uns touchans devotement ses habits, les autres se prosternans à genoux devant luy, les larmes aux yeux le supplierent tres-humblement de leur vouloir pardonner leur faute: comme à ceux, qui n' executoient rien en cet endroit de leurs particulieres volontez; ains estoient forcez d' obeïr aux commandemens du Roy. Partant l' homme de Dieu voyant qu' il y avroit danger pour ces pauvres soldats, s' il s' opiniastroit davantage en sa premiere resolution, sortit du Monastere, estant suivy d' une infinité de pleurs d' un chacun. Accordant que ses gardes luy fissent compagnie, jusques à ce qu' il fust hors le Royaume de Bourgongne, entre lesquels estoit Ragumond qui l' accompagna jusques en la ville de Nantes, & ainsi banny du Royaume de Theodoric, il delibera de reprendre la route de son païs d' Hibernie: puis vint en Italie, où il bastit un Monastere, & en fin plein de saincteté & d' annees il rendit son ame à Dieu.

A tant Fredegaire. Or fut le dernier acte de cette tragedie joüee l' an 615. & adjoustent quelques Historiographes que ce grand sainct homme passant par la ville d' Auxerre, pendant un disner declara haut & clair à ses gardes, que dedans trois ans pour le plus tard on verroit Theodoric, ses enfans, & Brunehaud perdre leurs vies, & leur Royaume. Prophetie qui depuis sortit son plein & entier effect.

10. 14. Autres, tant cruautez que amourettes, imputees à Brunehaud sur sa vieillesse.

Autres, tant cruautez que amourettes, imputees à Brunehaud sur sa vieillesse.

CHAPITRE XIV.

On adjouste à tout ce que dessus que cette Princesse fit tuer Brafile Patrice, de sens froid, & non pour autre cause, que pour s' accommoder de ses biens par forme de confiscation. En passant plus outre on dit, que Didier Evesque de Vienne, Prelat de saincte conversation, apres avoir esté envoyé en exil par elle, & depuis revoqué; toutesfois elle donna ordre qu' il fust furieusement lapidé apres son retour. Au moyen dequoy apres sa mort, comme Martyr, on le colloqua au Catalogue des Saincts. Et depuis ces detestables cruautez, on saute sur ses nouvelles amours.

Grande pitié certes! que cette Dame, qui pendant ses Prime-vere, Esté, & Automne, avoit mené une vie devote, ou bien hypocrisé une longue devotion, eust dedans son Hyver logé une paillardise chez soy, s' estant donné pour mignon de couche Protade Gentil-homme Romain, qu' elle avança aux honneurs, voire le fit pourvoir de la Mairie du Palais, apres la mort du grand Capitaine Bertoulde. Protade dis-je vrayment industrieux, mais qui se rendoit infiniment odieux pour deux vices: L' un en inventant plusieurs nouvelles daces, par le moyen desquelles faisant contenance de favoriser les affaires du Roy son Maistre, il s' enrichissoit grandement de la despoüille du pauvre peuple: L' autre, que s' estant faict grand & puissant, par la faveur de la Royne, il vilipendoit, & faisoit litiere de la Noblesse Bourguignonne. Vices qui luy causerent sa mort à la maniere qu' entendrez. Theodoric par un nouveau dessein, ou bien desir de s' agrandir contre son frere, s' estant armé, & Protade par une flatterie de Cour, inclinant à cette opinion, contre l' advis general des autres Seigneurs, il fut par eux advisé qu' il valoit beaucoup mieux amortir ce feu par la mort d' un seul homme, que d' exposer les vies de tant de gens de bien au hazard d' une bataille. Quoy faisant c' estoit en plein champ joüer, comme sur une table à un coup de dé, la grandeur dee (sic) l' un & l' autre freres. Suivant cette resolution plusieurs gens d' armes & soldats se presentent devant la tente du Roy, dedans laquelle Protade joüoit aux dames, en bonne deliberation de le tüer. Chose dont le Roy estonné commanda tout aussi tost à Unselen l' un des premiers Seigneurs de Bourgongne, de leur faire inhibitions & deffences de sa part de passer outre, sur peine de la hard. Mais luy qui estoit de la partie, leur dit qu' il avoit charge du Roy de leur commander de mettre Protade à mort. Aussi tost dit, aussi tost fait & executé. Mort qui depuis luy fut cher venduë; car par sentence renduë, à la poursuite de Brunehaud, comme l' on dit, il fut rendu impuissant de ses mains, & pieds, & tous & un chacun ses biens declarez acquis & confisquez au Roy: Et Volfe qui l' avoit secondé en cette entreprise condamné à mort, laissant à celuy là qui avoit plus forfait une miserable & penible vie, pour porter une plus longue penitence de sa forfaicture; & à l' autre une plus courte par sa mort. En tout cecy il n' y a rien de cruauté: car ce furent deux punitions exemplaires qu' on prenoit de deux Seigneurs pour leurs demerites. Deslors comme j' ay dit au chapitre precedant, se rompit l' armee, & depuis ne fut propos d' aucune guerre entre les deux freres, jusques au temps par moy cy-dessus touché. Qui monstre (je diray cecy en passant, joinct ce que j' ay deduit cy-dessus) que quand depuis ils combattirent, il n' estoit plus question de la fable du fils de jardinier. Pareillement je ne voy dedans les histoires mesdisantes, nouvelles amours estre entrees au cœur de cette Princesse. Mais faut noter qu' elle tolera que Theodoric son fils se plongea toute sa jeunesse dedans la paillardise; ayant eu quatre enfans bastards, Sigebert, Childebert, Corbe, & Meroüee, de quatre diverses concubines, tant le change luy estoit agreable. Il y a plus: car du depuis le Roy par un taisible remords de sa conscience, ayant espousé l' Infante Hermemberge, fille de Berrich Roy d' Espagne, Brunehaud ne pouvant endurer une corrivale de sa grandeur par un nouveau mariage, besongna de telle façon par charmes & sorcelleries, qu' elle empescha la cohabitation maritale de luy avecques sa femme: Au moyen dequoy il la renvoya vers son pere dedans l' an de la benediction nuptiale: qui estoit un grand preparatif de guerres, si le pere n' eust esté prevenu de mort. Trompetez les meschancetez de Brunehaud tout ainsi qu' il vous plaira, quant à moy je pense cette-cy estre l' outrepasse des autres. Car Theodoric retourna sur ses premiers arrhemens de folie, perdant, & ame, & corps, & reputation tout ensemble envers tout le monde. Cela estoit veu & consideré d' un chacun, & specialement par le bon pere Colombain, qui dedans sa vie solitaire nourrissoit une singuliere liberté d' esprit. C' est pourquoy il se transporta deux fois devers eux, & d' une admirable liberté, leur remonstra que le Roy perdant son ame de cette façon, perdroit par un mesme moyen son Royaume. Et combien que ces sainctes remonstrances se deussent tourner en edification; toutesfois Brunehaud endurcie en son peché, les revoquant en injures, ne cessa de là en avant, jusques à ce que ce sainct homme eust esté tout à fait banny & exterminé du Royaume de Bourgongne. Mais parce que cette histoire est d' une plus longue haleine, & qu' en voulant accuser cette Dame du tort que contre Dieu & raison elle pourchassa à ce grand S. homme, j' entens tout d' une main l' excuser de plusieurs autres crimes que on luy impropere. Je remettray la decision de ce differant à l' autre chapitre que je ne veux attribuer à ma plume; ains à celle de Fredegaire, pour avoir pris de luy le trente-sixiesme chapitre de son livre, & rendu François, tant pour l' estoffe de la bonne vie de Colombain sainct homme, que pour la consequence que j' en veux tirer en faveur de Brunehaud.

10. 13. l' on impute à Brunehaud, que pour se vanger elle fit entendre à Theodoric, que Theodebert estoit fils d' un jardinier

Sur ce que l' on impute à Brunehaud, que pour se vanger elle fit entendre à Theodoric, que Theodebert estoit fils d' un jardinier: Qui fut le seminaire des divisions des deux freres.

CHAPITRE XIII.

Les deux Historiographes mesdisans nous ont servy de ce placard; a fin que ce leur fust une fueille pour authoriser leur mensonge du different d' entre Brunehaud & Theodebert. Et neantmoins ce fait estant de la façon qu' il estoit posé, semble porter son dementir quant & soy. A la verité si soudain apres avoir receu l' injure Brunehaud se fust armee d' une vangeance, il y avroit sujet de le croire: car nul ne sçait combien douce est la vangeance que celuy qui a receu l' injure. Mais d' avoir si longuement patienté, comme nous tesmoignent Fredegaire & Aimoïn, sans s' en estre voulu ressentir, cela est bon pour le persuader à des Moines, ausquels la patience est enjointe par le vœu de leur obeïssance: mais non à ceux qui vivent au milieu, & de la Cour des Roys, & moins encore aux Roys & grands Seigneurs, quand ils pensent avoir esté offensez. De maniere que tant s' en faut que cela contredise à mon opinion, qu' au contraire cela me fait estimer que c' est un conte fait à plaisir comme le premier. Davantage je voy les Historiographes varier en cet endroit: car l' Abbé Rheginon dit que Brunehaud pour faire prendre les armes à Theodoric, luy fit entendre que Theodebert estoit enfant illegitime du Roy Childebert, & les deux autres, qu' il n' estoit son frere. Deux opinions grandement contraires; & toutesfois l' une & l' autre sans jugement. Parce qu' entant que touche la premiere il est certain, que sous la premiere lignee, les bastards enfans de Roy, n' avoient pas moins de part au gasteau que les legitimes. Tesmoin Theodoric fils aisné & bastard du Roy Clovis, qui fut pour son partage loty du Royaume d' Austrasie, qu' il transmit à deux generations successives des siens. Et quant à la seconde opinion, encore y avoit-il moins d' apparence en sens commun, de vouloir faire accroire qu' un Childebert Roy estimé tres-advisé entre les siens, eust voulu advoüer un enfant de jardinier pour sien: Luy (dis-je) auquel & la nature, & la loy en avoit donné un autre. Comme aussi ne falloit-il que sous ce faux pretexte, qui estoit sans pretexte, l' ayeule fust instigatrice de nouveaux troubles: Parce qu' ils se semoient lors fort aisément d' eux mesmes entre les enfans de nos Roys: ce qui provenoit de l' egalité de leurs partages. Estant adoncques beaucoup plus aisé aux freres de vouloir enjamber les uns sur les autres, que si le Royaume fust tombé entre les mains de l' aisné, & les puisnez eussent esté assortis d' apannages, comme depuis on a usé sous la troisiesme lignee. Tant y a que sous la premiere, sans autres instigateurs, que de leurs ambitions particulieres, on voit les enfans de Clovis se malmener l' un l' autre: & pareillement ceux de Clotaire premier avoir fait le semblable, apres le decez du Roy Charibert leur frere: Et à peu dire l' histoire de Gregoire de Tours est pleine des doleances, que les Roys faisoient, les uns aux autres, des injustes enjambemens qu' ils pretendoient estre faits sur leurs marches. Et cela mesme advint puis apres entre Theodoric & Theodebert freres, non que la Royne Brunehaud en fust promotrice; ainsi que quelques Docteurs contemplatifs font entendre, ny que Theodoric se mist le premier aux champs contre son frere: mais bien Theodebert contre luy, ainsi que je verifieray cy-apres en son lieu. Mais pour n' enjamber sur les temps, & par ce moyen entrer en une confusion de discours je reprendray mon histoire selon la suite des ans cottee par les deux Historiographes mesdisans. Seulement vous diray-je icy que depuis l' an six cens deux, jusques en l' an six cens seize les deux freres vesquirent en paix, sans faire demonstration exterieure de maltalent l' un contre l' autre, horsmis l' an six cens dix que Protade Maire du Palais mit en la teste du Roy Theodoric son Maistre, de prendre les armes contre le Roy Theodebert son frere. Qui ne fut qu' une levee de bouclier: car aussi tost qu' il eust esté mis à mort par la Noblesse Bourguignonne; aussi tost fut l' armee rompuë, s' en retournant chacun à sa chacune: Et depuis nulle mention de guerres entre les deux freres jusques en l' an 616. ainsi qu' entendrez plus amplement par le chapitre prochain.