martes, 15 de agosto de 2023

10. 19. Procedures extraordinaires inexcusables, & faicts calomnieux, sur lesquels la Royne Brunehaud fut exposee à un impiteux supplice.

Procedures extraordinaires inexcusables, & faicts calomnieux, sur lesquels la Royne Brunehaud fut exposee à un impiteux supplice.

CHAPITRE XIX.

He vrayment! il ne faut trouver estrange, que la memoire de cette Princesse eust esté de cette façon deschiree, sur faits calomnieusement controuvez contr'elle apres sa mort, veu que dés son vivant elle ne se peut exempter d' autres calomnies, sur lesquelles elle fut condamnee à mort, & son corps cruellement mis en pieces. Histoire que je recueille de Fredegaire & Aimoïn, Autheurs souvent par moy cy-dessus alleguez, qui est le subject de ce present chapitre.

Le Roy Theodoric allant de vie à trespas delaissa quatre enfans qu' il avoit eus de quatre concubines, Sigebert, Childebert, Corbe, Meroüee, & avecques eux la Royne Brunehaud son ayeule. Apres le decez de luy, le Roy Clotaire s' estant emparé des Royaumes de Bourgongne, & d' Austrasie, & de la bisayeule, & de trois des arriere-petits enfans: le tout par la trahison de Garnier Maire du Palais de Bourgongne; lesquels luy ayans esté presentez, il fit soudain mettre à mort Sigebert & Corbe, devant les yeux de leur bisayeule, & au regard de Meroüee qu' il avoit tenu sur les fonts baptismaux, luy sauva la vie en consideration de cette filiation spirituelle, & le bailla en garde à un sien Secretaire, toutesfois depuis ce temps je ne voy ny voix, ny vent de luy dedans nos Histoires, non plus que de Childebert second fils, qui auparavant s' estoit garanty par la fuite sur un fort destrié. Non content de cette belle emploite il fit sommairement & de plain le procez extraordinaire à la Royne Brunehaud, sur dix chefs d' accusation qui furent contre elle proposez par ses ennemis. C' est à sçavoir qu' elle avoit fait mourir, quoy que soit esté cause de la mort de dix Roys: Entendans sous ce mot, non qu' ils fussent tous qualifiez Roys, mais bien les uns estans Roys, & les autres extraicts de sang Royal; C' est à sçavoir Sigebert son mary, Meroüee & Chilperic son pere, un autre Meroüee fils du Roy Clotaire, Theodebert, & son fils Clotaire, Theodoric, & ses trois enfans (ainsi sont ils, & de tel ordre denombrez par Fredegaire, car quant à Aimoïn, encore qu' en gros il face mention de dix Roys; toutesfois il ne les particularize, se contentant d' aigrir l' affaire par la Rhetorique claustrale, en quelques uns des Roys dont il parle.) Sur ces accusations le Roy du jour au lendemain la condamne en son Conseil, d' estre par trois jours tourmentee en sa personne à huis clos, puis conduite sur un chameau par tout le camp,  non tant a fin que son armee fust spectatrice de sa misere, que pour luy servir en sa misere d' opprobre, mocquerie & illusion. Et finalement qu' elle fust attachee par les bras & cheveux à la queuë d' un cheval fougueux, & trainee par les voiries, jusques à la fin de sa vie. Ainsi jugé, & aussi tost en tout & par tout executé: & cette Princesse ainsi liee, au premier coup d' esperon donné au cheval, elle eut la teste ecervelee, & de là sans conduite de frain, trainee par halliers, hayes, buissons, broussailles & rochers, son corps deschiré & mis en pieces de telle sorte, qu' à peine en resta-il la carcasse.

Cette Histoire a esté par succession de temps, & de main en main representee, non seulement par les nostres; ains reblandie, comme ayant esté pris un juste supplice de cette Dame: Et de moy je l' estime la plus honteuse, inhumaine, & detestable, qui fut jamais couchee sur le papier. Si Clotaire l' eust fait passer par le fil de l' espee, comme ses arriere-petits enfans, peut estre y avroit il excuse comme d' une mort d' Estat, je veux dire comme de celle par laquelle, selon le monde, il voulust asseurer de tout poinct l' Estat par luy de nouveau conquis: Mais de l' avoir voulu revestir d' un faux pretexte de Justice, je dis & soustiens que ce fut non seulement violer le droict de gens & des armes; ains tout droit divin & humain, de quelque façon qu' il vous plaise mesnager cette Histoire. Premierement à qui est fait le procez? A une Royne & Princesse souveraine: Doncques non justiciable de celuy entre le mains duquel elle estoit tombee. Partant devoit son malheur aboutir, ou à une rançon seulement, ou bien à une longue prison, & detention de sa personne, ou en tout evenement à une mort, mais non cruelle, & exemplaire, comme cette-cy. Par qui est fait ce procez? non seulement par celuy qui estoit le juge, ains la partie; car pour tel vous est-il figuré par Aimoïn, quand il en parle. Sur quoy estoit l' accusation fondee? sur dix morts de Roys. Paravanture furent tous les chefs de cette accusation averez? Rien moins: mais aussi tost proposez: aussi tost la Princesse exposee à mort. Et qui est chose pleine d' une compassion admirable, non seulement ils ne furent averez; ains au contraire la calomnie s' y voit à l' œil: car quant à ce qu' en premier lieu on luy objecta, qu' elle estoit cause de la mort du Roy Sigebert son mary, comme l' ayant induit à la guerre contre le Roy Chilperic son frere; qui avroit occasionné l' assassinat depuis advenu en sa personne, c' est un vray songe & fantosme. Parce qu' en toute l' Histoire de Gregoire vous ne trouverez estre parlé d' elle depuis son mariage, sinon lors qu' advertie de la mort du Roy son mary, elle fit sagement evader de Paris le jeune Roy Childebert son fils. Et au surplus, le mesme Autheur nous enseigne que Chilperic fut le premier boute-feu de leurs guerres. Jusques à ce qu' en fin ce grand guerrier Sigebert fut assassiné par les embusches de Fredegonde, comme nous avons plus amplement discouru ailleurs; Et neantmoins voila le premier mets de son accusation dont on nous repaist, pour rendre l' innocence de cette pauvre Princesse inexpiable, pour avoir fait mourir son mary. Vous pourrez par cela juger quel est le demeurant du service. On luy objecte en second lieu la mort de Meroüee fils aisné du Roy Chilperic. Je vous ay cy-dessus recogneu, & encore recognois franchement, que pour se vanger de la mort du Roy son mary, elle espousa le fils de son ennemy, esperant par son moyen trouver par luy sa vangeance contre le pere: & encore que son intention ne luy reüssist à souhait; toutesfois il n' y avoit en cecy matiere de luy faire son procez, non plus qu' à la Royne Fredegonde qui reellement & de fait avoit faict mourir Sigebert. Adjoustez qu' apres la rupture de ce mariage, Brunehaud ayant esté reintegree en sa ville de Mets, on ne pouvoit plus luy rien imputer. Comme aussi est-ce la verité recogneüe par le mesme Gregoire, qui m' est en ce sujet un autre Evangeliste, si ainsi me permettez de le dire, que Meroüee fut tué, non par le commandement de son pere; ains à son deceu, par les menees de Fredegonde sa belle mere. Car quant à la mort de Chilperic, jamais on n' en soupçonna Brunehaud. Recours à toute l' histoire du mesme Gregoire, voire à celle de Aimoïn, qui fait tomber ce meurtre sous le glaive de Fredegonde & Landry. Et de fait toute la querelle que Childebert avoit dedans Gregoire contre son oncle Gontran, estoit a fin qu' il permist la porte luy estre ouverte à se vanger contre

Fredegonde & Clotaire son fils, tant de la mort du Roy Sigebert son pere, que de celle du Roy Chilperic son oncle. Et pour monstrer que ce n' estoit feintise, soudain que Gontran eut les yeux clos, Childebert leva les armes contre eux. On accusa en quatriesme lieu cette Princesse, d' avoir fait mourir un autre Meroüee fils de Clotaire, je vous prie de considerer la sottie de cet impropere. Il y eut pres de la ville d' Estampes une bataille donnee entre les Roys Clotaire & Theodoric, l' armee de Clotaire estoit conduite par Landry Maire de son Palais, sous l' authorité de Meroüee son fils; celle de Theodoric sous sa banniere & authorité par Arnoul Maire de son Palais grand Capitaine, lequel y mourut, mais en mourant obtint la victoire au Roy son Maistre; & de l' autre costé fut pris Meroüee: Quelle fut depuis sa fin, l' Histoire n' en parle point, au moins on se fait accroire qu' on le fit mourir en prison, & y en a tres-grande apparence: Mais de l' attribuer à Brunehaud, il n' y en a nulle preuve; au contraire si en ces obscuritez la vray-semblance tient souvent lieu de la verité, il y a bien grande apparence que pour vanger la mort qui luy avoit procuré une si grande victoire, il s' estoit voulu vanger sur la vie de Meroüee. Aimoïn rudoyant par aigres paroles Brunehaud, objecte à Brunehaud que par ses frequentes & souvent reïterees importunitez, donnant à entendre à Theodoric que Theodebert n' estoit son frere, avoit semé la zizanie de division entr'eux, cause de la ruine fatale de Theodebert: induisant par cela que Theodoric estoit l' agresseur. Au contraire celuy qui fut promoteur des guerres d' entre les deux freres fut Theodebert (esquelles il rendit les abois) par le tesmoignage du mesme Aimoïn. Pour 5. chef de son accusation, on luy mit sus qu' elle avoit fait mourir le Roy Theodebert son petit fils. Si vous parlez à Fredegaire, il fut fait prisonnier par Theodoric, & confiné de Colongne en la ville de Chaalons sur Saone: Nulle mention de sa mort: Si à Aimoïn, il fut traistreusement meurtry par l' un des citoyens de Colongne, qui fit tout aussi tost present de sa teste à Theodoric. Les choses estans telles, comment y pouvez vous engager le fait de la Royne Brunehaud? Et neantmoins pour ne flatter sous faux gages son histoire, je veux croire que luy ayant esté envoyé elle luy fit prendre la tonsure de Clerc, & quelque temps apres tuer pour faire plaisir au Roy Theodoric, car ainsi l' apprens-je de Jonas en la vie de S. Colombain: Jonas dis-je qui florissoit de ce temps-là. Pour 7. chef on luy impute qu' elle avoit fait mourir Theodoric puis trois de ses enfans. Quant à Theodoric, à la verité telle est l' opinion d' Aimoïn, mais desmenty par Fredegaire son devancier qui le declare estre mort d' un flux de sang: & cestuy pareillement par Jonas qui dit que ce fut d' un coup de foudre. Et pour le regard de ses trois enfans, fut-il jamais histoire plus digne d' un Escolier, ou d' un Moine claustral que cette-cy?, qu' à la veüe de tous Clotaire en fit mourir deux, & le troisiesme sous main, feignant de le vouloir conserver, & neantmoins que ces trois cruautez soient rejettees sur cette malotruë Princesse? Joint que ce ne fut elle qui fit prendre les armes par le Roy Clotaire contre ses enfans; & de ce je n' en veux meilleur tesmoin qu' Aimoïn. Or combien que selon le droit commun du genre humain il ne fust en la puissance du Roy Clotaire de faire le procez extraordinaire à cette Dame, Royne & Princesse souveraine, & ores qu' en sa puissance il eust esté, toutes-fois que toutes ces imputations fussent fausses & calomnieuses, horsmis une, sans en faire aucune perquisition, sans avoir esgard, ny à son sexe, ny à la longueur de son aage, qui estoit de 73. ans, ny à sa qualité de fille, femme, mere, ayeule, & bisayeule de Roys, elle fut horriblement traictee de la façon que je vous ay cy-dessus discouru. Cruauté qui n' eut oncques sa pareille en son tout. Et qui est plus espouvantable, c' est qu' elle proceda de la part d' un Roy, non seulement debonnaire & clement; ains la mesme debonnaireté par dessus tous nos Roys de la premiere lignee. Qui a fait estimer à quelques uns, que cette histoire estoit fabuleuse. Discours que je reserve au chapitre prochain.

lunes, 14 de agosto de 2023

10. 18. Quel jugement nous pouvons faire de la vie de Brunehaud, par le livre de l' Abbé Jonas,

Quel jugement nous pouvons faire de la vie de Brunehaud, par le livre de l' Abbé Jonas, qui escrivit la vie de S. Colombain, observation non à rejetter.

CHAPITRE XVIII.

Je n' ay pas entrepris de vous representer icy une Brunehaud franche & quitte de tout vice, mais bien des execrables cruautés dont les nostres la tiennent pour attainte & convaincuë sur les tesmoignages de Fredegaire & Aimoïn: c' est pourquoy j' ay recogneu deux Autheurs pour en esclaircir le Lecteur, Gregoire Evesque de Tours, qui en a escrit l' Histoire dés & depuis l' an cinq cens soixante cinq, que cette Princesse fut conjointe par mariage avec Sigebert Roy d' Austrasie, jusques en l' an cinq cens quatre-vingts dix-sept que Gontran Roy de Bourgongne deceda: qui est la fin du dixiesme livre de cet Autheur, le demeurant estant voüé non pour nos Roys; ains pour les Evesques de Tours: Et apres cet Autheur j' employe Gregoire premier Pape de ce nom depuis l' annee cinq cens quatre-vingts dix-sept jusques en l' an six cens quatre, qu' il alla de vie à trespas: A sa suite depuis ce temps jusques en l' an six cens quinze que le bon pere Colombain fut tout à fait banny & exterminé du pays de Bourgongne, je recognois les censures de ce grand preudhomme sur la vie & mœurs de cette Princesse. Ces trois personnages sont par nostre Eglise colloquez au Catalogue des Saincts, lesquels diversement, & selon la diversité des temps observerent ce qui estoit de bon & de mauvais en Brunehaud. Ceux-cy ne chargerent aucunement cette Dame des cruautez, dont les Histoires de Fredegaire & Aimoïn sont parsemees, desquelles ceux qui depuis meirent la main à la plume, enrichirent les leur. Or non content de tout ce que dessus, encore fais-je grand estat de l' Abbé Jonas. Cet homme fut le premier, & plus ancien de tous les disciples, du bon Colombain, qui vint avecques luy du pays d' Hibernie en la Bourgongne sous le regne de Theodoric. Dont ayant esté ce preudhomme tout à fait chassé par les indeües importunitez de Brunehaud, Jonas luy succeda en son Abbaïe de Luxüeil (Luxeüil), comme nous apprenons de l' Abbé Triteme, & encore apres son decez escrivit sa vie, comme tesmoin oculaire de ce qui s' estoit passé contre son Maistre. Qui me fait y adjouster plus de foy qu' à ceux qui n' en parlerent que par oüir dire. C' est luy duquel Fredegaire emprunta la plus grande partie du chapitre parlant de Colombain, que je vous ay cy-dessus traduit en François. En quoy neantmoins (je diray cecy premier que de passer plus outre) mon opinion est que le Lecteur doit apporter quelque prudence en lisant les Histoires, esquelles l' Autheur habille souvent la verité à sa guise. Ainsi ay-je observé en l' Histoire de Rome, un Empereur Constantin avoir esté grandement vilipendé par Zozime, Historiographe entre les Payens non de peu de merite; au contraire infiniment haut loüé, & honoré du surnom de Grand, par Eusebe, Socrate, Theodoric, & Sozomene, Historiens Ecclesiastiques: En cas semblable ces trois derniers faire littiere de l' Empereur Julian; & neantmoins Marcelin qui fut l' un de ses Capitaines, nous le pleuvit comme un autre Jules Cesar de son temps. Dont vint je vous supplie cette contrarieté, en mesme rencontre d' Histoires? Constantin favoriza à huis ouvert la Religion Chrestienne, au desadvantage du Paganisme: Et c' est pourquoy les payens le detesterent, & les nostres le respecterent. A l' opposite Julian ennemy formel de nostre Christianisme, l' offensa plus par sa plume sans effusion de sang, que Neron & Diocletian par leurs glaives sanglans. Qui fut cause aussi que les nostres s' armerent sanglantement de leurs plumes contre luy, & celuy qui estoit de sa folle Religion, le reblandit de flatterie.

Je ne sçay comment en cela je puis dire ce que dit anciennement Hypocrat, lequel estant mandé par un Roy de le venir secourir d' une maladie dont il estoit dés pieça affligé, pria Democrite son intime amy, que pendant son absence, il voulust avoir l' œil sur sa femme, non qu' il ne la recogneust pour pudique, & tres-preude femme, ains seulement d' autant qu' elle estoit femme. Le semblable veux-je dire des Historiographes, qui escrivent les Histoires de leur temps, je les pense tous buter à la verité: Mais tant y a qu' ils sont hommes, & comme tels l' habillent le plus souvent à leur guise, & luy baillent plus ou moins de couleur ainsi qu' il leur plaist. A quel propos tout ce propos? Pour vous dire que si Jonas qui escrivit la vie de Colombain son Abbé & precepteur, donna quelques atteintes à Brunehaud, vrayes ou non je les luy pardonne: il estoit à ce instigué par une juste douleur du mauvais traitement que son Maistre avoit receu d' elle? Que s' il en parla sobrement, je repute cela pour une piece justificative de l' innocence de cette Dame. Voyons donc de quelle façon il l' a bien ou mal traictee.

Le Roy Theodoric acquiesçant aux sainctes exhortations du pere Colombain, luy avoit promis de quitter toutes ses putains, & de se reduire sous le sainct lien de mariage avec quelque honneste Princesse. Cette promesse (dit Jonas) estonna Brunehaud son ayeule, une seconde Jezabel, & le vieux serpent se logeant en son ame, la transforma toute en gloire. Marrie que le Roy Theodoric obeïst aux sainctes exhortations de l' homme de Dieu; car elle craignoit que s' il abandonnoit ses paillardes, il prendroit une Princesse à espouse qui avroit toute superiorité & intendance d' honneur & de dignité dessus elle. Par ce mot de Jezabel vous voyez que Jonas estoit ulceré en son ame, & qu' il ne faut estimer qu' il espargna la reputation de cette Princesse quand l' occasion s' y presenta dedans son Histoire, laquelle j' ay voulu exactement fueilleter, & ay trouvé trois fautes seulement qu' il luy impute. La premiere, que Brunehaud jalouze de sa grandeur, & craignant qu' une nouvelle Royne n' empieta quelque authorité sur elle, empescha par tous moyens à elle possibles, que Theodoric ne se mariast. Les deux Autheurs mesdisans enrichissent cette faute d' une autre beaucoup moins supportable, que Theodoric ayant suivant ces sainctes exhortations espousé Hermemberge fille du Roy d' Espagne, il fut empesché charnellement par les charmes & sorceleries de son ayeule, Jonas sur ce subject de continuation de paillardises l' avoit appellé Jezabel. Se peut-il faire que si ce fait eust esté veritable, il eust esté si pauvre de sens d' oublier cette signalee particularité? En second lieu il luy impropere les furieuses sollicitations qu' elle fit envers Theodoric pour bannir ce sainct homme Colombain, non seulement de son Abbaïe; ains du Royaume de Bourgongne, dont elle vint à chef. Grand creue-coeur à Jonas: cette Princesse avoit du commencement fait bannir Didier de son Evesché de Vienne, & depuis fait lapider apres son r'appel de ban, si en croyez Fredegaire (car Aimoïn n' en parle point) le tout ainsi que ceux qui depuis ont voulu commenter ce chapitre, en haine de ce qu' avecques une trop grande liberté, il l' avoit voulu reprendre de ses fautes. Si jamais piece merita d' estre enchassee avecques une autre, c' est ceste cy, avecques le bannissement de Colombain, pour faire paroistre combien cette Dame estoit obstinee en son peché. Ce qui n' a pas esté fait par Jonas: & à tant je l' estime piece depuis de nouveau trouvee dedans l' estude de Fredegaire l' Escolier: Mais voicy la consommation de l' œuvre, Fredegaire parlant de la ruine de Theodebert Roy d' Austrasie, fait un hola en sa prison. Disant qu' apres que Theodoric l' eut pris il l' envoya à Chaalons sur Saone, & en cela se ferme sans passer outre. Aimoïn le fait assassiné par ses sujets de Colongne. Jonas seul nous enseigne qu' estant envoyé à Chaalons Brunehaud le fit mourir de sang froid quelque temps apres qu' elle l' eut fait estre Prestre ou Moine; car ainsi veux-je expliquer ce passage. Persequutus est Theodoricus Theodebertum, & suorum proditione captum, ad aviam Brunechildem remisit; quae cum faveret partibus Theodorici, furibunda Theodebertum Clericum fieri voluit, & post dies non multos, cum iam esset Clericus, nimis impie perimendum curavit. Passage qui me semble grandement contenter mon opinion. Car vous voyez quelle anatomie il fait de la reputation de cette Princesse en ce parricide. Ne pouvoit il point en passant pour luy donner plus de lustre, faire estat des autres s' il y en eust eu; a fin que chacun cogneust de plus en plus son impieté? Toutesfois cestuy est le seul qui luy impropere. Adjoustez que si elle eust esté du commencement si honteusement chassee de la Cour du Roy Theodebert son fils, comme les deux plumes mesdisantes nous font entendre, en consequence de cette indignité, rongee de longuemain dedans son ame contre luy; c' estoit lors qu' il en falloit faire estat, quand Brunehaud le fit mourir, veu qu' en consequence de cette injure, elle l' avoit depuis pleuvy fils d' un jardinier seulement. Icy nulle parole de cela; ains seulement qu' elle le fit mourir: d' autant qu' elle favorisoit le party de Theodoric. Qui me fait croire que ce fut depuis une invention de la nouvelle impression, trouvee dedans l' estude de quelque escolier. Toutes ces particularitez que je recueille des 2. Gregoires, & des deportemens de Colombain, & de Jonas son Historiographe, me font croire que l' opinion de Boccace, Paule Aemile, du Tillet Evesque, de Massonius, & de Mariana est veritable: Vray que j' ay cy apres un plus fascheux chemin à exploiter, sur la mort de dix Roys, dont elle fut accusee, estant exposee au supplice.

10. 17. Que sans calomnie on ne peut remarquer en Brunehaud qu' elle fut cause de la ruine des Roys Theodebert & Theodoric

Que sans calomnie on ne peut remarquer en Brunehaud qu' elle fut cause de la ruine des Roys Theodebert & Theodoric ses petits enfans: ainsi que la commune de nos Historiographes soustient.

CHAPITRE XVII.

Ceux qui de guet à pens ont voüé leurs plumes pour assassiner la reputation de Brunehaud, sur le fait des assassinats, luy imputent entr' autres choses, voire peut estre principalement, qu' elle fit entendre à Theodoric, que Theodebert n' estoit son frere; ains fils d' un simple jardinier, dont sourdirent les divisions qui furent entre les deux freres, & d' elles la ruine totale de leur famille. On dict que celuy qui fait profession de mentir doit estre accompagné de memoire, a fin qu' il ne se trouve disconvenable en ses propos. Je veux assassiner ces menteurs par leurs propos mesmes. Repassez sur Fredegaire & Aimoïn, vous trouverez que depuis la mort du Roy Childebert pere, qui fut l' an six cens, Theodebert & Theodoric ses enfans vesquirent en perpetuelle paix jusques en l' an six cens dix, que Theodoric leva les armes contre Theodebert, sur le faux donner à entendre de Brunehaud, qu' il estoit fils d' un jardinier: car ainsi l' apprens-je d' Aimoïn. De la levee d' armes je la croy, mais que ce fust sur ce sujet je le nie, par les raisons par moy cy dessus deduites, & pour l' evenement que je vous representeray maintenant. Tant y a que cette levee d' armes fut un feu de paille, aussi tost esteint, qu' allumé. Car par la mort de Protade Maire de son Palais, l' armee fut aussi tost licenciee, & ne trouverez que depuis Theodoric se soit souvenu de la mettre aux champs sous le pretexte de cette fausse imputation. Au contraire Theodebert fut le premier promoteur de leurs partialitez en l' an six cens quinze, dont depuis il paya le premier la folle enchere: Et de ce je ne veux plus asseuré tesmoin qu' Aimoïn. Voyons donc ce que nous apprenons, & ce qu' il en avoit apris de Fredegaire: car, l' un & l' autre symbolizent en cette particularité.

Anno decimo quinto regni sui (dit le Moine chapitre nonante cinq, livre troisiesme) Theodebertus aliqua sibi de fratris Theodorici posseßionibus adiungere parans, eum in se excitanvit. Veruntamen provido prudentium consilio virorum, electus est locus, cui Saloyssa cognomen, ut fratres ad destinatum locum cum paucis, sed Franciae primoribus, convenientes, quae pacis essent eligerent. Ibi Theodoricus cum decem millibus virorum solum; Theodebertus vero cum magna Austrasiorum affuit manu: bello etiam si frater petitis annueret, turbare pacem volens. Theodoricus tantae multitudinis contemplatione perturbatus, quae ille cupiebat conceßit. Conventus Fratrum huiusmodi fuit, ut Alesatio, & Sugitensi, Turonensi quoque, ac Campanensi cederet Comitatu Theodoricus, & ad Theodebertum ius omnium horum transiret. Inde cum gratia, sed simulata, discessum est, ac se invicem salutantes, uterque ad sua regna sunt regreßi.

Passage que je rendray François au moins mal qu' il me sera possible, a fin que chacun y ait part.

Theodebert le 15. an de son regne se voulant accommoder de quelques terres de Theodoric son frere, le reveilla contre soy; toutesfois par l' advis de quelques preudhommes, fut choisi un certain lieu appellé Saloïsse, ou les deux freres se trouveroient avec peu de suite (& singulierement qu' il y eust des François) où les 2. freres s' aboucheroient ensemblément pour vuider leurs differens à l' amiable. 

Là se trouva Theodoric suivy de dix mil hommes seulement: Mais Theodebert d' une forte & puissante armee, en bonne deliberation de troubler la paix, quand bien son frere luy passeroit condamnation de toutes ses demandes. Chose dont Theodoric estonné fut contrainct de caller la voile, & d' acquiescer à toutes les pretensions de Theodebert, quoy faisant luy furent adjugez les Comtez d' Azas, Sagitense, Touraine & Champagne, & par ce moyen se partirent contens l' un de l' autre: mais d' un contentement simulé.

Quels estoient ces Comtez là, & en quoy ils gisoient, j' en laisse la decision à quelques plus curieux que moy. Suffise vous qu' on voit par cela que Theodoric ne fut le premier demandeur ou complaignant en cette querelle, ains Theodebert. Et à tant que c' est une vraye ignorance, ou imposture de l' improperer à Brunehaud. Mais considerons quel progres elle eut, & en quoy nous pouvons nous aheurter contre cette Princesse. Le mesme Aimoïn recite tout au long comme les choses depuis se passerent entre les deux freres au chap. suivant qui est le 96. & parce qu' il est trop long je penserois icy abuser de vostre loisir, & du mien de le vous copier comme l' autre; ains me contenteray de vous dire que j' apprens de cet Autheur, que peu apres Theodebert fit mourir sans aucune cause Brunechilde sa femme, pour espouser Thendephilde. Et que Theodoric se voulant ressentir de l' affront & supercherie qui luy avoient esté faits, s' arma à bon escient contre luy. Cruelle bataille entr'eux pres la ville de Thou, par laquelle Theodebert fut mis à vauderoute. Quelque temps apres autre plus cruelle pres de Tolbiac, où Theodebert fut tout à fait vaincu sans esperance de ressource. En toutes lesquelles procedures je ne voy rien engagé de la reputation de Brunehaud. Mais voicy maintenant le grand coup auquel je demeure moy mesme engagé: Quelle fut la mort de Theodebert, quelle celle de son fils, ou de ses enfans. Si vous en parlez à Fredegaire il le fait prisonnier de Bertaire Chambellan du Roy Theodoric qui en fit present à son Maistre, lequel l' envoya aussi tost lié & garotté à Chaalons sur Saone; & pour tous enfans ne luy en donne qu' un bien petit, auquel il fit escraser la teste en la ville de Mets: & là se ferme cet Autheur en cet endroit. Mais Aimoïn fait tué traistreusement Theodebert dedans la ville de Colongne, par l' un de ses sujets qui fit present de sa teste à Theodoric, & luy donne plusieurs enfans masles, dont le plus petit enfançon fut meurtry par sa bisayeule, la teste contre une muraille, une fille belle en perfection conservee: des autres enfans masles, il n' est plus faite memoire: Qui monstre que c' est un coup de plume traversier d' un Moine. Mais en bonne foy, auquel des deux adjousterons nous plus de creance, ou a Fredegaire qui atoucha de plus pres le temps dont il parloit, ou à Aimoïn qui en fut beaucoup plus esloigné, que vous voyez estre contrepointez l' un à l' autre? Ainsi perit la famille de Theodebert, & ainsi s' impatroniza Theodoric de son Estat d' Austrasie.

Voyons maintenant quel jugement nous ferons de sa fin. Fredegaire le fait mourir d' une caquesangue. Aimoïn le fait mourir par le poison qu' industrieusement luy brassa son ayeule. De moy je ne demanderay jamais pardon, si j' adjouste plus de foy à l' ancien Autheur qu' au moderne. Singulierement eu esgard que je voy Aimoïn par les deux chapitres de luy que j' ay cy-dessus alleguez, n' avoir ignoré les deux opinions de Fredegaire, dont il fait mention sans le nommer. Toutesfois pour ne forligner de sa bonne coustume, il choisit les deux pires au prejudice de cette Princesse. Et neantmoins puis qu' il avoit à desdire celuy duquel il emprunte en cet endroict la plus part de ses mesdisances, il me semble qu' il devoit cotter quelque Autheur de marque, sur lequel il asseurast son desmentir, sans le vouloir authoriser de soy mesme, puis qu' il contrevenoit par sa confession mesme à l' ancienneté.