miércoles, 16 de agosto de 2023

10. 25. Cheute de la seconde famille nos Roys. / Fin du Dixiesme Livre des Recherches.

Cheute de la seconde famille nos Roys.

CHAPITRE XXV.

Je laisse à nos autres Historiographes les conquestes, glorieuses victoires, & superbes arrois de cette seconde famille: car quant à moy j' ay maintenant pris pour mon partage ses ruines: Quoy faisant je ne pense rapporter peu de profit à nos Princes, & grands Seigneurs, quand de bon heur ils se feront sages par la folie d' autruy. Nous sommes les gettons des Roys, qu' ils font valoir plus ou moins, comme il leur plaist, & les Roys sont les gettons de Dieu: Jamais famille ne receut plus de faveur, & benediction du ciel, que celle des Martels en trois Princes consecutifs, Charles Martel, Pepin, & Charlemagne & jamais elle ne fut tant terrassee qu' en trois autres, qui les survesquirent, Louys le Debonnaire, Charles le Chauve, & Louys le Begue. Je nomme entre ces six Charles Martel, ores qu' il ne portast jamais titre de Roy entre les siens, mais ce fut luy qui par sa proüesse & sage conduite, fit voye aux siens à la Royauté. Joint qu' apres son decez, sa statuë fut honoree d' une Couronne Royale, en son tombeau, comme l' on peut voir en l' Eglise, & Abbaïe de S. Denis. Les trois premiers furent torrens de fortune, qui l' augmenterent: les trois derniers precipices qui la ravalerent: car quant aux autres qui leur succederent, ce ne furent que des avortons qui ne firent que contenance de regner sans regner. Et combien qu' en Charlemagne fust l' accomplissement de la grandeur de cette famille; toutesfois je dirois volontiers s' il m' estoit loisible, qu' il jetta les premiers fondemens de la ruine. Vous entendrez les raisons pourquoy.

Le Roy Pepin mourant laissa deux enfans, Charles & Carloman: Ausquels par partage fait entr'eux escheut tout ce qui estoit compris és Gaules dedans l' enceinte du Rhin, monts Pyrenees & Apennin: & à Carloman tout ce qui nous appartenoit au delà du Rhin. Cestuy-cy mourut trois ans apres le decez de son pere, delaissez de la Royne Berthe sa femme, deux enfans. Et adonc Charles, par un droict de bienseance s' empara de tous & chacuns leurs pays. Chose dont la veufve voulant avoir premierement sa raison, se retira avec ses enfans vers Tassilon Duc de Baviere, mais l' ayant trouvé trop foible, pour venir à chef de cette vengeance, elle prit sa route vers Didier Roy des Lombards, qu' elle pensoit avoir juste cause d' indignation contre luy. D' autant qu' ayant espousé en premieres nopces Theodore sa fille, il la luy avoit renvoyee dedans le premier an de leur mariage. Toutesfois le malheur voulut, que Didier ayant esté desconfit à la semonce du Pape Adrian par Charles, & despoüillé de son Royaume, fut avec sa Royauté enseveli le tort que Charles tenoit à ses nepueux. Cette histoire est aucunement touchee par nos Annalistes, & toutesfois mise au rang des pechez oubliez, comme si ce ne fust qu' une peccadille d' avoir mis à nud ses nepueux en la succession de leur pere. Peché neantmoins qui fut rudement vangé sur les siens par un juste jugement de Dieu.

Apres avoir repudié la fille du Roy Didier, il espousa consecutivement trois femmes, dont de la premiere il eut six enfans, Charles, Pepin, Louys, Bertrude, Berthe, & Gillette: de la seconde, Tetrude, & Hildude: & de la troisiesme, nuls. Charles mourut du vivant du pere, sans hoirs procreez de soy, Pepin son second fils Roy d' Italie mourut pareillement le pere vivant, delaissé son fils Bernard pour son successeur: De maniere qu' à Charles (depuis dit Charlemagne, pour la magnanimité de ses faits) ne restoit plus de masle que Louys pour son fils, & Bernard pour arriere-fils. Or est-ce la verité qu' apres le decez de sa quatriesme femme il se ferma en matiere de mariage. Mais comme il est mal aisé de tenir une bonne fortune en bride, aussi ce grand Prince ayant attaint au dessus de tous ses desirs, par les grandes victoires qu' il avoit rapportees de ses ennemis, commença de n' avoir dedans sa maison, autre plus grand ennemy que soy mesme. Se donnant à la veüe de tous diverses garces, desquelles il eut trois bastards, Dreux, Hugues, & Theodoric, sans faire estat des bastardes. Et à l' exemple de luy, ses propres filles ne manquerent de serviteurs, non plus que la plus part des autres Dames. De maniere que la Cour de ce grand Empereur, n' estoit qu' une banque de toute honte & pudeur. Qui le fit tomber en telle nonchalance de son devoir, que combien qu' en luy fut l' accomplissement de cette famille: toutes-fois la fin de sa vie fut le commencement de sa ruine.

François Petrarque fort renommé entre les Poëtes Italiens, discourant en une Epistre Latine son voyage de la France, & de l' Allemagne, nous raconte que passant par la ville d' Aix la Chappelle, il apprit de quelques Prestres une histoire prodigieuse, qu' ils tenoient de main en main pour tres-veritable. Qui estoit que Charles le Grand, apres avoir conquesté plusieurs païs, s' esperdit de telle façon en l' amour d' une simple femme, que mettant tout honneur & reputation sous pieds, il oublia non seulement les affaires de son Empire, mais aussi le soing de sa propre personne, au grand desplaisir de chacun. Estant seulement ententif à courtizer ceste Dame, laquelle par bon heur commença de s' alliter d' une fort grosse maladie qui luy apporta la mort. Dont les Princes & grands Seigneurs furent grandement resjoüis. Esperans que par cette mort Charles reprendroit comme devant, & ses esprits, & ses affaires en main. Toutesfois il se trouva tellement infatué de cet amour, qu' encores cherissoit il ce cadaver, l' embrassant, baisant, & accolant de la mesme façon que devant, & au lieu de prester l' aureille aux legations qui luy survenoient il l' entretenoit de mille bayes, comme s' il eust esté plein de vie. Ce corps commençoit desja, non seulement de mal sentir, mais aussi se tournoit en putrefaction, & neantmoins n' y avoit aucun de ses favoris qui luy en ozast parler; Dont advint que l' Archevesque Turpin mieux advisé que les autres, pourpensa que telle chose ne pouvoit estre advenuë, que par quelque sorcelerie. Au moyen dequoy espiant un jour l' heure, que l' Empereur s' estoit absenté de la chambre, commença de foüiller le corps de toutes parts: Finalement trouva dedans sa bouche au dessous de sa langue un anneau, qu' il luy osta le jour mesme. Charlemagne retournant sur ses premieres brisees, se trouva fort estonné de voir une carcasse ainsi puante. Parquoy, comme s' il se fust reveillé d' un profond somme, commanda que l' on l' ensevelit promptement. Ce qui fut fait, mais en contr'eschange de cette folie, il tourna tous ses pensemens vers l' Archevesque porteur de cet anneau, ne pouvant estre de là en avant sans luy, & le suivant en tous les endroits. Quoy voyant ce sage Prelat, & craignant que cet anneau ne tombast és mains de quelque autre, le jetta dedans un lac prochain de la ville. Depuis lequel temps l' on tenoit que l' Empereur s' estoit trouvé si espris de l' amitié du lieu, qu' il ne desempara la ville d' Aix, où il bastit un Palais, & un Monastere, en l' un desquels il parfit le reste de ses jours, & en l' autre voulut y estre ensevely: ordonnant par son testament que tous les Empereurs de Rome eussent à se faire sacrer premierement en ce lieu.

Que cela soit vray ou non je m' en rapporte, tout ainsi que le mesme Petrarque, à ce qui en est: si estoit-ce un commun bruit, qui lors couroit en la ville d' Aix, lieu ou reposerent les os de Charlemagne. De laquelle histoire ou fable Germantian a fort bien sceu faire son profit, pour averer & donner quelque authorité à l' opinion de ceux qui soustiennent les malins esprits se pouvoir enclorre dedans des anneaux. Or que Charlemagne fust grandement adonné aux Dames sur la fin de son aage, mesme que ses filles qui estoient à la suite fussent quelque peu entachees d' amourettes, Aimoïn le Moine, vivant du temps du Debonnaire, nous en est tesmoin authentique: qui dit qu' à l' advenement de ce Prince à la Couronne, la premiere chose qu' il eut en recommandation, fut de bannir de la Cour les grands troupeaux des filles de joye qui y estoient demeurez depuis le decez de Charlemagne son pere, & aussi de confiner en certains lieux ses sœurs, qui ne s' estoient peu garentir des mauvais bruits, pour la dissoluë frequentation qu' elles avoient euës avec plusieurs hommes. Quelque grandeur de souveraineté qui soit en un Roy, ores que comme homme, de fois à autres il s' eschape, si doit-il tousjours rapporter ses pensees à Dieu, & croire qu' il est le vray juge de nos actions, pour les punir quelquesfois en nous de nostre vivant, ou bien à nos enfans apres nos decez. Chose que trouverez averee en ce que je discourray cy-apres. N' attendez doncques de moy au recit de ce present suject, que des injustices, partialitez & divisions entre les peres & les enfans, guerres civiles de freres à freres, oncles qui malmenerent leurs nepueus, tromperies entremeslees de cruautez, le tout basty par juste jugement de Dieu. Et parce que des trois enfans masles de Charlemagne il ne restoit que Louys le Debonnaire son fils, & Bernard son petit fils, c' est en cestuy auquel je commenceray les discours de cette histoire tragique.


Fin du Dixiesme Livre des Recherches.

tombeau, Charlemagne, Carlomagno, Carolus Magnus, Carles Magne, Carolo Magno

10. 24. Qu' Aimoïn faisant mention de Brunehaud, en parle avec passion contre l' honneur d' elle.

Qu' Aimoïn faisant mention de Brunehaud, en parle avec passion contre l' honneur d' elle.

CHAPITRE XXIV.

Fredegaire qui pour sa premiere démarche nous sert dés l' entree de son livre d' une menterie, & apres luy Aimoïn, desgoisent comme ils ont voulu une infinité de mesdisances atroces, contre la memoire de Brunehaud. Mais sur tout j' observe Aimoïn avoir voulu gaigner le dessus de son devancier en ce beau mestier, autrement il eust estimé faire faute, & pecher (si ainsi me permettez de le dire) contre le S. Esprit. Apres que Gontran Roy d' Orleans, & de Bourgongne eut adopté Childebert Roy d' Austrasie son nepueu, & fait son heritier, avec les solemnitez telles que ce grand ouvrage requeroit, finalement il le prit à part, & descouvrit par maniere de leçon, à ce jeune Prince, les Seigneurs de sa Cour ausquels il se devoit fier, & ceux dont il se devoit deffier, & pour conclusion adjousta comme nous apprenons de Gregoire: Ne ad matrem accederet, ne forte aliquis daretur aditus, qualiter ad Gondobaldum scriberet, aut ab eo scripta reciperet. Ce Gondebaud estoit un nouveau Roy imaginaire, lequel arrivé de Constantinople en France, par ses longs cheveux, & quelques autres conjectures, soustenoit estre le cinquiesme enfant du Roy Clotaire I. de ce nom: & partant qu' il devoit quintoyer au Royaume avec les 4. autres enfans. Et sur ce donner à entendre attira plusieurs grands Seigneurs à sa cordelle: Qui excita un estrange gargoüille par toute la France. Que si Brunehaud fut de sa partie (comme toutesfois il est mal-aisé de croire, pour l' affection maternelle qu' elle portoit naturellement à son fils) mais accordons qu' elle eust esté de la partie, paraventure y avroit-il sujet de ne luy imputer à crime, ains de le remettre sur une conscience timoree qui estoit en elle, estimant qu' on faisoit tort à Gondebaud de ne le vouloir recognoistre. Au moyen dequoy elle ne douta d' adherer à ce nouveau Prince, voire ao desadvantage de son propre enfant: au contraire Gontran soustenoit qu' il estoit un imposteur, & sous cette opinion jamais ne cessa qu' il ne l' eust fait mettre à mort. Or soit que Brunehaud favorisast la cause de Gondebaud ou non, vous voyez que Gontran conseilla à son nepueu Childebert de se deffier de la Royne Brunehaud sa mere. Parce que cela importoit à son Estat, comme nous apprenons du 7. livre de Gregoire chap. 33. Voyons maintenant de combien Aimoïn le voulut renvier, lequel apres avoir tout au long emprunté de luy l' ordre que l' on tenoit en l' adoption, & comme le tout s' estoit passé entre l' oncle & le nepueu, poursuit ainsi son discours livre 3. chap. 68. Denique instruens eum, quos fidelium de rebus agendis consuli, quosve à consilio oporteret amoveri, seu quibus corporis curam committi, Aegidij Episcopi fraudulentias, ac periuria, matris Brunechildis versutias cavendas praemonuit. Gregoire s' estoit bien gardé d' user de ces mots, Aimoïn ne pouvoit faire ce discours sans s' en prevaloir.

Aimoïn voulant reciter l' assassinat commis en la personne du Roy Chilperic, par le pourchas de la Royne Fredegonde sa femme. Erat autem, dit-il, praefata Fredegundis, forma egregia, consilio callida, dolis, (excepta Brunechilde) parem non agnoscens. Il ne peut faire ce discours sans donner quelque atteinte à Brunehaud, ores qu' il n' en fust question, tant estoit sa plume, voüee à la mesdisance d' elle. 

Passons plus outre, & voyons de quelle façon il s' est comporté avec Fredegaire qui luy avoit mis plusieurs pieces de ses mesdisances és mains. Fredegaire chap. 38. parle en cette façon de l' execution de la victoire, que Theodoric Roy de Bourgongne eut contre son frere Theodebert Roy d' Austrasie vers Tolbiac. Dirigensque Theodoricus ultra Rhenum, post tergum Theodeberti, Bertharium cubicularium. Qui diligenter insequens, cum iam cùm paucis fugeret, Theodebertum captum, Coloniam, in conspectum Theodorici praesentat. Exibi tum vestes regales, Theodebertus expoliatus, equusque eius cum statura Regis, hoc totumque Berthario à Theodorico conceditur; Theodebertus vinctus, Cabillonem destinatus, filius eius, nomine Merouei, parvulus, iussu Theodorici apprehensus à quodam, per pedem, ad petram percutitur, cerebroque eius capitis erupto, emisit spiritum. 

Cruauté vrayment barbaresque, & neantmoins Theodebert n' a icy qu' un petit enfant. Oyons maintenant Aimoïn discourir sur mesme subject, chap. 99. du 3. liv. Theodoricus ubi factum est indicium Theodebertum evasisse, incentivum accelerandi itineris acceßit, ut conficiendi belli compendium putaret, si Dux & populus bello promptior interciperetur. Adveniens itaque cum suis in Ripuariorum fines sese immisit, occurrentia quaeque devastans, vel exurens. Cuius incolae ad eum venerunt rogatum, ne ob unius culpam, dißidium pararet eis, quos suos fore sciret iure victoriae. Quibus ille: non (inquit) vobis, sed Theodeberto, interitus paratur, cuius caput, si meam promereri vultis gratiam, vos necesse est auferre, aut ipsum vivum, victumque ad me perducere. Illi Regiam Coloniae introgreßi, Theodeberto taliter loquuti sunt. Sic (inquiunt) mandat Theodoricus frater tuus. Si (ait) recipere meruero thesauros paternos, quos Theodebertus adhuc iniuste retinet, pervasos, proprias festinus repedabo domos. Ideo hortamur te, Domine Rex, ut portione quae debetur reddita, nostra eum non sinas infestare domicilia. His Theodebertus dictis credulus, pro vero prolata arbitratus, locum, quo regalis continebatur gaza, pariter cum ipsis ingressus. Eo igitur perscrutante, quid fratri opportunius, sine sui damno, posset restituere, unus è circumstantibus, evaginatum gladium, cervici illius illidens, caput abstulit, ac per muros Coloniae circumtulit. Quod cernens Theodoricus, ipse confestim urbe potitus, Regias invasit opes, & primates civitatis, in sua sibi verba, iurare compellit. Vous voyez en cette histoire double leçon: parce que Fredegaire fait Theodebert prisonnier de guerre envoyé lié & garoté à Chaalons sur Saone, siegere du Royaume de Bourgongne de Theodoric: Et Aimoïn le rend occis dedans la ville de Colongne, par ses sujets. Accordez je vous prie ces deux histoires: mais n' estant le but où je vise, je passeray plus outre. Compositis (dit Aimoïn) ex sententia rebus, inde cum multis spoliis progressus, secum adduxit filios fratris sui, cum filia, quae specie nitebat decora. Dum Metas advenisset reperit aviam suam Brunechildem inibi obviam venisse. Quae arreptis Theodeberti filijs eos sine mora neci tradidit, & minorem quidem natu, Merouei nomine, in albis adhuc positum, lapidi illisum, coegit exhalare spiritum. Regnavit itaque Theodebertus annis 17. Quidam vero Authores scripserunt Theodebertum, post illam Theodorici victoriam, suamque aerumnam, Rhenum transivisse, & Theodoricum cap-* Colonia, Bertharium cubicularium suum ad comprehendendum eum misisse, à quo comprehensus, & ad Theodoricum perductus, indumentisque suis Regijs exutus, Cabilonas dicitur esse in exilium relegatus, ob compensationem autem tam praeclari operis Bertharius equum eius, cum structura regia fertur à Theodorico percepisse.

Cette seconde opinion estoit celle de Fredegaire; à laquelle Aimoïn devoit adjouster que l' enfant Meroüee avoit esté meurdry par le commandement de Theodoric son oncle: ce qu' il s' est bien donné garde de faire, tant il estoit aheurté à la mesdisance contre Brunehaud. Mais voyez de combien plus il faict valoir ce mestier sur l' autre: qui n' avoit donné qu' un Meroüee enfant à Theodebert, car icy ce Moine luy en donne plusieurs, qui tous sont occis par le commandement de Brunehaud leur bisayeule, & Meroüee de la façon piteuse que dessus. Mesme qu' il semble que cette Princesse se fut transportee de propos deliberé à Mets, pour faire ces magnifiques exploits contre son propre sang: & signamment contre le petit enfant Meroüee qu' elle fit ecerveler, n' estant encore baptizé. Car ainsi explique Nicolas Gilles, & autres apres luy ces mots, qu' il estoit encore in Albis.

Fredegaire parlant de la mort de Theodoric. Theodoricus (dit-il chap. 39.) Metis profluvio ventris moritur. Entendez maintenant quel commentaire a fait Aimoïn sur ceste mort. liv. 3. chap. 100. car chacun a interest de la sçavoir. Interea dum Metis moraretur Theodoricus amore filiae fratris Theodeberti (quam Coloniae captitaverat) deperire coepit. Quin cum sibi copulare vellet, ab avia ne hoc faceret prohibebatur. Cui ille: Et quid (ait) incurram offensionis, si illam uxorem duxero? Ad haec Brunechildis. Non (inquit) fas est fratris progenitam habere te coniugem. Ad haec Theodoricus, ut audivit, felle commotus, tali ei respondit modo. Nonne tu Deo odibilis, cunctisque invisa bonis, mihi dixeras eum fratrem non esse meum, ut quid imposuisti mihi tam grave onus fratricidij? Et evaginato ense, voluit eam percutere: quae à circunstantibus erepta, ac manibus damno elapsa, mortis quidem evasit discrimen, sed nepoti dolos paravit temeritate foeminea. Nam egredienti è balneo, per manus ministrorum pecunia corruptorum, veneni porrexit poculum. Quo hausto, ut poenitens scelerum quae gesserat, vitae sortitus est terminum, quam criminibus foedaverat. Tradunt vero memorati scriptores, eum ad Metensem urbem, dum contra Clotarium expeditionem agere meditaretur, disenteriae morbo interiisse 18. regni sui anno. Celuy dont Aimoïn entend parler tant par les 99. que 100. chap. du 3. liv. de Fredegaire. Je demanderois volontiers pourquoy sans le nommer il l' a voulu dementir en ces 2. dernieres particularitez, luy qui d' ailleurs emprunte la plus part de son mesdire, de Fredegaire, sinon qu' en ces deux dementirs il se pensoit advantager de reputation sur luy: d' autant qu' il mesdisoit davantage de Brunehaud: Et neantmoins au bout de ces comptes fascheux il est contraint de dire, apres que cette pauvre Princesse eut esté cruellement traitee en sa mort, au livre 4. chap. I. Non tamen ex toto vecors extitit, quin Dei, ac sanctorum eius, memorias à praedecessoribus structas, venerabiliter excoleret, ipsaque novas fabricando devote multiplicaret. Nam in suburbano Laudunensi, basilicam in honorem S. Vincentij constituit, & apud Augustodunum, aliam sancto inaedificari Martino iußit, usa sanctis ad id opus ministerijs, venerabilis viri Siagrij praedictae urbis  Episcopi. Multis quidem & alijs in locis sub nomine S. Martini magnificas fundavit Ecclesias, illum sibi prae caeteris adjutorem sibi confidens, & confidendo exposcens. Aedificia sane ab ipsa constituta, usque in hoc tempus durantia, ostenduntur, tam innumera, ut incredibile videatur, ab una muliere, & in Austria tantummodo, & Burgundia regnante, tanta, in tam diversis Franciae partibus, construi potuiße. Quelqu'un pourra par ce passage inferer que tout ce qu' Aimoïn avoit auparavant mesdit d' elle ne doit estre creu, veu qu' il n' a oublié sur la fin de luy donner un eloge si magnifique. Quant à moy je recueille de ce placard, que tous ceux qui ont diversement rapetassé le livre d' Aimoïn, se sont abusez representans Brunehaud cruelle, de la façon comme ils font: car toutes ces Eglises ne peuvent estre basties que par une ame devote envers Dieu, & ses SS. Et combien que dedans telles ames la paillardise n' ait accoustumé se loger, si advient il quelquesfois le contraire par l' instigation du Diable; car combien que ce peché soit formellement contre Dieu, toutesfois il ne l' est contre la nature, j' entens contre nostre nature depravee & corrompuë. Mais la cruauté en soy est contre Dieu, & cette nostre nature tout ensemble. Et à tant il se peut faire que Brunehaud s' estant eschappee à soy mesme, s' amouracha d' un Protade, qui apporta scandale à l' Estat. Mais qu' elle se fust desbordee en toutes les cruautez plus que brutales, qui se trouvent dedans Fredegaire & Aimoïn, je ne le puis croire. Dedans Fredegaire (dis-je) non seulement pour le peu de nom qui est en luy, mais aussi que dés l' entree de son livre, je le voy broncher en l' Histoire. Dedans Aimoïn non seulement par trois fautes, que je voy en luy de mesme parure, mais aussi pour avoir esté eschantillonné de tant de pieces, qui me sont toutes suspectes, si elles ne se rapportent au sens commun; & signamment je ne me puis rapporter à leurs opinions, en ce que je les voy discorder à Gregoire Evesque de Tours, au grand Gregoire I. Pape de ce nom, & des remonstrances du bon Colombain, tous trois beatifiez & mis au Kalendrier des saincts, qui parlerent tous trois de ce qu' ils veirent, ou peurent voir. Et combien que n' ayans rien escrit de la main de Colombain, toutesfois je ne vous ay rien dit de luy, que je ne l' aye coppié de Fredegaire, & Aimoïn, je veux dire les Remonstrances que ce bon & sainct homme fit à Brunehaud, dedans lesquelles nulle mention de sa cruauté, qu' il n' eust oubliee si elle se fust trouvëe en elle, telle que nos Annalistes la qualifient.

10. 23. Quelle creance on doit avoir en Aimoïn parlant du temps de Fredegonde & de Brunehaud.

Quelle creance on doit avoir en Aimoïn parlant du temps de Fredegonde & de Brunehaud.

CHAPITRE XXIII.

Premierement je ne puis passer condamnation que Fredegonde & Landry eussent pourchassé la mort à Chilperic, comme Aimoïn en fait un ample chapitre. Et neantmoins Gregoire n' en fait aucune mention: luy qui estoit du mesme temps, & ne pardonne à la Royne Fredegonde quand l' occasion se presente. Secondement au cas qui s' offre, Gregoire au sixiesme livre de son Histoire sur la fin parlant du Roy Chilperic, & de quelle ineptie il composoit quelquesfois des vers Latins. Confecit (dit-il) duos libros (quasi Sedulium imitatus) quorum versiculi nullis pedibus subsistere possunt, in quibus dum non intelligebat, pro longis syllabis breveis posuit, pro brevibus longas statuebat. Aimoïn au seiziesme chapitre de son troisiesme livre, recitant quelque miracle fait par sainct Germain apres son decez, il continue son fil de cette façon. Ingrediente postmodum Chilperico Rege, urbem Parisiorum, sequenti die postquam Rex ingressus est civitatem, paralyticus, qui in porticu sancti Vincentij residebat, dirigitur, mane autem facto, spectante populo, beato Antistiti gratias referebat. Quod *cum Regi nunciatum fuisset, magna cum devotione illuc adveniens, & tanto gavisus miraculo eius Epitaphium his distichis rithmis composuit.

Ecclesiae speculum, patriae vigor, ara reorum, 

Et pater, & medicus, pastor, amorque gregis, 

Germanus, virtute, fide, corde, ore, beatus,

Carne tenet tumulum, mentis amore, polum.

Vir cui dura nihil nocuerunt fata sepulchri,

Vivit enim, nam mors quem tulit ipsa timet. 

Crevit adhuc potius iustus post funera; nam qui 

Fictile vas fuerat, gemma superba micat. 

Huius ope & merito, mentis data verba, loquuntur,

Redditus & caecis praedicat ore dies. 

Nunc vir Apostolicus rapiens de carne tropheum,

Iure triumphali considet arce throni.

Par vostre foy y eut il jamais plus de risee qu' au cas qui s' offre? la prose du chapitre dit que Chilperic fit l' Epitaphe de sainct Germain en vers rimez, & tout soudain il nous sert de ces douze: Ne sont-ce pas vers notoirement adjoustez, comme n' ayans rien de commun avecques les rimez qui estoient en usage de ce temps-là, joint qu' on les disoit avoir esté composez par Chilperic, lequel d' ailleurs Gregoire vous avoit representé pour un Poëte tres-impertinent, qui faisoit pour son ignorance un pesle-mesle des syllabes longues & brefves dedans ses vers? Je n' entre en cognoissance de cause si le chapitre total est du nombre de ceux qui furent adjoustez par quelques Moines & Religieux de sainct Germain: Mais tant y a que l' on ne peut dire que cet Epitaphe ne soit une addition manifeste, mais tres-inepte.

Autre erreur que je vous monstreray au doigt & à l' œil. Car apres le meurtre commis en la personne du Roy Chilperic, le Roy Gontran son frere estant arrivé à Paris à la priere & instance de Fredegonde, a fin qu' il luy pleust prendre la protection du fils, de la mere, & du Royaume: Priores de regno Chilperici (dit Gregoire livre 7. chapitre 7.) ut erat Ausoaldus, & reliqui, ad filium eius, qui erat, ut superius diximus, quatuor mensium se collegerunt, quem Clotarium vocitaverunt, exigentes sacramenta per civitates, quae ad Chilpericum prius aspexerant, ut scilicet debeant fideles esse Guntrano ac nepoti suo. Oyons maintenant parler Aimoïn: Principes sane Chilperici, è quibus Ausoaldus primus erat, acceptum eius filium Clotarium, per civitates Regni circumduxerunt, & sacramenta nomine ipsius, atque Guntrani susceperunt. Gregoire avoit seulement dict qu' Ausoalde & autres des principaux de la Cour du Roy Chilperic avoient couru par les païs qui luy obeïssoient lors qu' il vivoit, a fin qu' ils recogneussent aussi l' enfant Clotaire leur vray Roy, soubs l' obeïssance de Gontran son oncle: Ce qu' ils avoient fait. Aimoïn adjouste par maniere de remplissage, qu' ils porterent quant & eux ce petit Prince aagé seulement de 4. mois. Et certes il est impossible de croire, qu' une mere qui n' avoit asseurance de sa grandeur, & de son repos qu' en cet enfançon, l' eust voulu esloigner de son sein, ny qu' elle eust ozé commettre un si foible aage à la mercy de l' air, du vent, & d' un si long chemin. Car en ce faisant asseurer son Estat, c' estoit perdre & le Roy, & le Royaume tout ensemble. Qui me fait presque estimer que ce soit une addition de quelque petit Moine ignorant, ou que si se fut Aimoïn, il manquoit en ce passage de sens commun, voulant par ce nouveau voyage dementir Gregoire, qui avoit parlé des choses par luy veües.

Autre erreur d' Aimoïn, en ce que je vous reciteray presentement. Depuis que le Roy Childebert fut arrivé à quelque aage de cognoissance, il ne respiroit rien tant en son ame, que la vengeance de l' assassinat, commis en la personne du Roy Sigebert son pere, qu' il sçavoit avoir esté fait au pourchas de Fredegonde; toutesfois tant & si longuement que le Roy Gontran son oncle & pere adoptif vesquit, il en détourna sagement le coup. Mais soudain qu' il fut allé de vie a trespas, Childebert n' ayant plus cet obstacle devant ses yeux, & outre estant par la mort de Gontran, fait Roy de Bourgongne. Nouveau Royaume annexé à celuy d' Austrasie, qui estoit de son ancien estoc; adonc il mit sur les champs une puissante armee, en bonne deliberation d' avoir l' accomplissement de ses desirs. Mais il trouva chaussure à son pied en Fredegonde, assistee de Landry Maire du Palais, & avant qu' en venir aux mains, voicy ce que dit Aimoïn: car quant à Gregoire il ferme son œuvre apres le baptesme du Roy Clotaire second. Cum interim Fredegundis (dit Aimoin livre 3. chap. 82.) evocatis qui sibi parebant Francis, ascito etiam Landerico, (qui tutor à Guntrano, ut supra meminimus, Clotario filio suo datus fuerat) facta concione, sic universos alloquitur, & prae se puerum gestans, rogat ne infantiam relinquant, meminerintque se non contemptum pueritiae promisisse, sed venerationem maiestatis Regiae; foverent porro honorem, quem conferendum in cunis adhuc posito aestimavissent, ne in matura aetate, vacuus potestatis, plenus ignominiae, Rex remaneret. Se certe quibus posset modis remunerationis pro filio non defuturam, quae spectatrix cunctorum ac testis uniuscuiusque, vel ignaviae, vel virtutis in eminentiori constituta loco, desuper pugnam spectaret. Je vous laisse quelques autres lignes suivantes apres lesquelles Aimoïn adjouste. Placuit cunctis quod dixerat Regina, Regem adhuc matris sugentem ubera ferrata sequuntur agmina. Par cela vous voyez une Royne qui allaitoit encores son enfant: Qui est un autre mensonge palpable: car quand Gontran fut son parrain il avoit pour le moins neuf ans, comme nous apprenons du 10. livre de Gregoire, & lors Gontran estoit decedé. Hé! vrayment je voudrois volontiers sçavoir quelle creance on doit apporter à cet Autheur mensonger; mensonge neantmoins qui nous est plausible, & dont la France a esté tres-aise de se repaistre, pour la nouveauté d' un si magnanime exploit.