Mostrando entradas con la etiqueta Alain Chartier. Mostrar todas las entradas
Mostrando entradas con la etiqueta Alain Chartier. Mostrar todas las entradas

sábado, 8 de julio de 2023

6. 16. Des mots dorez & belles sentences de maistre Alain Chartier.

Des mots dorez & belles sentences de maistre Alain Chartier

CHAPITRE XVI.

Il n' est pas dit que je vous doive seulement servir des faits memorables qui se sont passez par la France. Les mots & sentences dorees d' uns & autres ne sont de moindre instruction. Le suject donc de ce chapitre sera de maistre Alain Chartier, autheur non de petite marque, soit que nous considerions en luy la bonne liaison de paroles & mots exquis, soit que nous nous arrestions à la gravité des sentences: grand Poëte de son temps, & encores plus grand Orateur, comme l' on peut voir par son Curial & Quadrilogue, lesquels deux œuvres il nous laissa pour eternelle memoire de son esprit. Et florit sous le regne de Charles septiesme, duquel il escrivit la vie, commençant son histoire à l' annee mil quatre cens deux, qui fut l' an de sa nativité, auquel lieu le mesme Chartier dit que lors il estoit aagé de seize ans. Au moyen dequoy nous pouvons dire qu' il nasquit en l' an mil trois cens quatre vingts six. Depuis il fut Secretaire du Roy, ainsi qu' il appert par le commencement de son Quadrilogue, estant grandement favorisé de plusieurs grands seigneurs pour son bien dire. A cause dequoy mesmement on recite une chose memorable qui luy advint un jour entr'autres: car estant endormy en une salle, par laquelle Marguerite femme du Dauphin, qui depuis fut appellé le Roy Louys XI. passant avecques une grande suitte de Dames & grands Seigneurs, elle l' alla baiser en la bouche. Chose dont s' estans quelques uns esmerveillez, par ce que pour dire le vray, nature avoit enchassé en luy un bel esprit dans un corps laid & de mauvaise grace, cette Dame leur dist qu' ils ne se devoient estonner de ce mystere, d' autant qu' elle n' entendoit avoir baisé l' homme qui estoit laid & mal proportionné de ses membres, ains la bouche de laquelle estoient issus tant de mots dorez: En quoy certes elle ne s' abusoit nullement. Je vous en veux donques icy remarquer quelques uns que j' ay recueillis de ses œuvres. Dedans son Curial il dit que toutes choses retournent de leger à leur principe, & retiennent par naturelle inclination l' emprainte de la fin à quoy leur Createur les ordonne. Et en un autre endroict donnant advertissement aux Roys: Qui diroit (faict-il) que Seigneurie fust entreprise par la violence des plus forts sur les moindres? peu de merveille seroit voir subvertir ou muer chose fondee sur si petit & inique commencement. Et peu apres: Principauté n' est fors commission revocable au plaisir du conseil de là sus, pour ce transporte Dieu les Royaumes d' une main en autre: Ailleurs, A Prince sans Justice, peuple sans discipline. Et vingt ou trente fueillets apres. Si tu me demande quel est le sens des Roys, je responds, qu' il est plus en bien croire conseil, qu' en le donner: car bien conseiller est propre à toute personne privee, mais choisir le bon conseiller, & eslire du sens des autres conseil profitable, appartient à celuy qui doit ouyr chacun, & pour chacun exploicter. Au mesme lieu: Or est le cornard rauy en cette desve, qu' il cuide estre fait pour enseigner le monde, & luy semble que ses responses soient Loix Imperiales, & ses fantaisies sentences d' Evangile: Et quand il a tout fait, ses esperances sont comme feu d' estoupe, & son sens tourné à neant, comme songe d' homme qui a dormy: Adoncques apprend que mieux vaut chercher autruy conseil par humilité douteuse, qu' au sien s' arrester par arrogante outrecuidance. Parlant contre la Justice: Tres-doux Dieux, qui eust cuidé voir la justice si esbranlee, qui est le principal pilier & soustenement du commun? Or est-elle minee & ne tient plus qu' à petites estayes toutes pourries de corruption, pour faire de la publique pauverté, privees richesses. Contre les abus des Ecclesiastics: ils sont à present tirans d' argent, & negotiateurs de la terre. La saincte conversation du Clergé esmeut pieça les courages des Princes, & des conquereurs à leur donner, & la dissolution des Clercs enhardit maintenant chacun à leur tolir. Puis doncques, qu' ils n' honorent leur dignité, qui les honorera? En autre lieu, detestant les sacrileges, & ceux qui pillent le bien des Eglises. Trop ne pourrois-je detester cestuy horrible meffait, dont l' offense est à Dieu seulement, & à luy seul reservee la vengeance: Car Religion est de si grande excellence, que mesme des Temples de Payens forcer, Dieu a souffert avenir punitions publiques, & combien que les Idolatres attribuassent divinité à choses vaines, toutesfois n' a-il pas voulu que mespris ou force fust faite sans peine, en lieu dedié par eux en titre de Deïté, pour ce que les mescreans ne devoient sainement villenner ne mescraindre ce que par erreur ils adoroient comme Dieu tout puissant. Devisant de l' ignorance des Princes: On nourrit les jeunes Seigneurs és delices & fetardise dés qu' ils sont nez, c' est à dire dés qu' ils apprennent à parler ils sont à l' escole de goullardise & viles paroles. Les gens les couvrent és berceaux, & les duisent à mescognoistre eux mesmes & autruy. La sottise d' un petit homme ne nuit gueres qu' à luy seul, & peu d' autres se soubtilent à le decevoir: Mais Prince non sçachant, trouble l' Estat d' un chacun, & est la targe des mauvais, & la couverture des crimes. Doncques doit avoir sçavance de tout cognoistre, celuy qui tout a en garde. Accusant les communs vices des François. Vos conseils sont sans liberté & sans ordre, vos opinions par affection, vos conclusions sans arrest, & vos ordonnances sans exploict. Sur l' oysiveté des jeunes gens, moult est marastre & perilleux adversaire, molle paresse, & combien qu' elle soit à tous contraire, toutesfois est-elle formelle ennemie de jeunesse, & de l' adolescence, à qui le temps du labour & semaille appartient pour preparer les moissons à vieillesse. Autre part discourant amplement sur la creance des Payens, & sur le motif d' icelle. Il n' est si dure ne tant violente introduction, que traict de temps ne tourne à semblance de nature, ne si grand erreur à qui impression de parole continuelle ne donne face de verité. Les enfans suivoient leurs peres à l' abusion des faux Dieux, & où raison les admonestoit, la foy de leurs predecesseurs vainquoit par authorité de doctrine inviolable. Sur le franc vouloir de l' homme, quand il mit en son vouloir l' addressement & le choix de son pouvoir: les autres non ayans ame, ont leur pouvoir reglé en ce qu' ils peuvent par institution de servitude, mais le pouvoir de l' homme est reiglé en ce qu' il veut selon droit de franche seigneurie. Sur l' honneur que les creatures portent au souverain Seigneur: Tu les vois aux chants des oyseaux, qui jettent leurs voix & leurs cris vers les Cieux, & en leur endroict ensuivent les Planettes, & les herbes qui s' enclinent vers le Soleil, quelque part qu' il se tourne, & rendent par signe l' honneur à leur Createur, duquel nature nous a donné vocale loüange. Sur les prieres & oraisons que nous addressons au Seigneur. Dieu veut, & souffre estre prié d' homme selon l' affection temporelle & humaine, mais il veut exaucer selon sa raison eternelle & divine. Tu ne le peux prier, ainsi que tu sens: il ne veut exaucer sinon en ce qu' il doit: fragilité & defaut sont l' esmouvement de ta priere: & puissance, & perfection sont la source de ses dons. Dieu donne, non pas tout ce qui te defaut, mais ce qui te vaut, non pas ce que tu demandes, mais ce que deusses demander. Parlant de l' eternelle Essence de Dieu, pource l' appelles-tu iré, ou courroucé à la semblance des hommes, quand tu sens ses punitions, & dis qu' il est appaisé lors que son flael il cesse. Beaux amis ceste mutation n' est pas en luy. Deduisant comme est venuë à perfection la cognoissance de Dieu: Et combien qu' au premier celle gent demy brute qu' eust sa substentation de viure ains que la cognoissance de Dieu, comme l' estre des choses est enchainé, ils entrerent par la cognoissance des choses à eux necessaires au desir de cognoistre les parfaites. En regardant donc les choses profitables d' embas, & contemplant les choses merveillables d' en haut, ils cogneurent grossement que leur soustenement despendoit de plus haute puissance que celle d' homme. Peu apres voulant taisiblement arguer les grandes possessions que tient à present l' Eglise. Pour ce ne prindrent point les Prestres de la lignee Levy leur partie en la terre de promission, quand l' heritage fut departy aux lignees d' Israël, ains recevrent de l' universel peuple les dismes & offertes, & nulle partie ne leur fut assignee sur le tout, ne sur partie d' iceluy heritage: mais ils eurent leur tout sur les parts de chacun, entendant par ce dernier mot les dismes de leurs biens & fruicts de ceux qui ont aumosné aux Eglises. Ne je n' entends pas pourtant blasmer les preud'hommes seculiers, qui de devotion parfaite ont donné à l' Eglise les possessions: car ils se sont deschargez pour monter vers Dieu en esprit plus legerement & le Clergé en a pris si grand faix & si grosse charge sur ses espaules, qu' il le courbe tout vers la terre, & le destourbe à regarder aux Cieux. Autres plusieurs notables Sentences peut-on lire dans ses œuvres, comme quand il dit. Qui se fie autrement que par la divine esperance, marche sur la glace d' une nuictee & s' appuye au baston de rouzeau. Si ta beauté te delecte, c' est aujourd'huy herbe, demain foing. Telle fleur est plustost passee que venuë. La force faict un droict à part soy, & outrecuidance l' usurpe, & s' attribuë honneur sans desserte. Bien est deceuë la folle fiance de ceux qui cuident faire grand œuvre, quand ils offrent à l' Eglise en vieillesse ce qu' ils ont en leur jeune aage mal acquis. La monstre du sacrifice est és choses qui sont offertes, mais sacrifice est en la conscience. Et une infinité d' autres belles sentences, desquelles il est confit de ligne à autre que je ne le puis mieux comparer qu' à l' ancien Seneque Romain.

viernes, 26 de mayo de 2023

2.6. De l' establissement du grand Conseil, & promotion d' iceluy

De l' establissement du grand Conseil, & promotion d' iceluy:

Et de celuy qui depuis feut appellé Conseil privé. 

CHAPITRE VI. 

Ayant esté le Parlement arresté dans la ville capitale de la France, & le Roy desgarny (ce luy sembloit) de son ancien Conseil, pour en avoir voulu accommoder ses subjects, ceste nouvelle police donna acheminement à une autre. D' autant qu' il fut necessaire au Prince d' avoir gens autour de soy, pour luy administrer conseil aux affaires qui se presenteroient, pour l' utilité du Royaume. Ces personnages estoient pris tant du corps du Parlement sedentaire, que des Princes & grands Seigneurs de la France, selon les faveurs qu' ils avoient de leur maistre. Ce conseil, dans les vieux Registres, est tantost appellé Conseil secret, tantost Conseil estroict, tantost grand Conseil: Je trouve unes lettres de Charles VI. du 28. Avril. 1407. par lesquelles outre les sieurs de son lignage & les chefs d' office de son Royaume, tant au faict de la guerre, comme de Justice, & de son Hostel, il reduict son grand Conseil, estroict, & Privé à vingt & sept: Qui sont trois Epithetes dont il usa lors, toutesfois depuis ce mot de grand Conseil en fin gaigna le dessus des deux premiers: parce qu' il estoit dedié pour decider toutes les grandes affaires de la France. Voire que tout ainsi qu' auparavant on disoit que le Roy tenoit son Parlement, lors qu' à jours solemnels il faisoit convocation des Princes & Prelats, pour terminer quelques differents notables, aussi trouve l' on que depuis en cas semblable au lieu de Parlemens, on disoit que le Roy alloit tenir son grand Conseil en tels ou tels lieux, ainsi que bon luy sembloit. Maistre Alain Chartier en l' histoire de Charles septiesme, chapitre traitant de l' annee mil quatre cens cinquante neuf: En cedict mois (dit-il) vint le Roy à Vendosme, & tint son grand Conseil, qu' il avoit ordonné être à Montargis, où il ne vint point, à l' occasion de la grande mortalité qui estoit en la cité d' Orleans, audit Montargis, & és pays d' environ: Et là estans les grands Seigneurs, c' est à sçavoir ceux de son grand Conseil, les Pairs de France, & les sieurs de son Parlement, fut condamné le Duc d' Alençon de perdre & confisquer toute sa terre, & son corps demourer prisonnier à la volonté du Roy. Et fut mené prisonnier au chasteau de Loches en Touraine: Auquel lieu vous voyez ceste notable compagnie être appellee soubz le nom du grand Conseil, & non du Parlement, comme l' on avoit accoustumé de faire avant que le Parlement fut resseant dedans Paris. Non pas toutesfois, afin que le lecteur ne mespreigne en cecy, qu' il faille estimer que le grand Conseil ne fut ainsi dit, que lors que se faisoient telles notables assemblees. Car la verité est que le grand Conseil estoit ordinairement tenu à la suite du Roy: mais je veux dire que quand ces grandes convocations se faisoient environ la personne du Roy, le mot de Parlement estoit aboly, & en son lieu estoit lors pris & usurpé celuy de grand Conseil, comme vous voyez par ce passage de Chartier.

Mais pour ne m' esgarer de mes brisees, ce grand Conseil estant ainsi composé, je ne puis mieux comparer ces deux ordres, j' entends du Parlement & de ce Conseil, qu' au Senat qui estoit dans Rome: & au Conseil qui estoit à la suitte des Empereurs. Car proprement le Parlement representoit quelque chose de la grandeur de ce Senat, & ce grand Conseil simbolizoit à la police qui fut instituee par Adrian, & depuis entretenuë par plusieurs grands Empereurs de Rome, lesquels avoient en leur Cour plusieurs hommes d' eslite, non seulement tirez du Senat, mais aussi quelques autres personnes de marque, ainsi qu' il leur plaisoit les choisir. Bien est vray qu' il y a eu quelque difference. Car le Conseil des Empereurs s' esteignoit avec la faveur de leurs maistres: & ne trouve l' on point qu' il se soit tourné en une necessité de police: Et de celuy de nostre France, nous en avons faict à la longue, un perpetuel. Toutesfois pour bien entendre cecy, ce grand Conseil du commencement n' estoit fondé en jurisdiction contentieuse: Car telles matieres estoient reservees pour la cognoissance de la Cour de Parlement, ains seulement cognoissoit de la police generale de France, concernant, ou le fait des guerres, ou l' institution des Edicts, dont la verification appartenoit au Parlement. Et dura longuement tel ordre, c' est à dire, jusques sur le commencement des factions qui intervindrent entre la maison d' Orleans, & celle de Bourgongne, auquel temps tout ainsi que toutes les choses de la France se trouverent grandement broüillees, & en tres-grand desarroy, aussi ceux qui avoient la force & puissance par devers eux pour gouverner toutes choses à leur appetit, faisoient evoquer les negoces qu' il leur plaisoit pardevers le Conseil du Roy, qui estoit composé, ou de Bourguignons, ou d' Orleannois, selon ce que les uns ou les autres des deux factions avoient le credit en la Cour du Roy Charles sixiesme, qui lors estoit mal dispofé de son bon sens. Et par ceste voye frustroient ceux de la Cour de Parlement des causes qui leurs estoient affectees. Ainsi ioüans ces grands Seigneurs à boute-hors, trouve-l'on és registres de la Cour, restitution d' offices ostees, & la cognoissance attribuee au grand Conseil, du dixhuictiesme Novembre, mil quatre cens douze: Et au mesme an, le vingt-septiesme jour Fevrier, la Cour procedant à l' élection du Procureur general, vint au Secretaire du Duc Jean de Bourgongne, dire, que Louys lors Dauphin de France, & Duc de Guyenne, vouloit que ceste élection se fit au grand Conseil: Pource qu' ils avoient envie d' en gratifier un jeune Advocat nommé Rapou, qui depuis fut President en icelle Cour. Et à peu dire, toutes & quant efois que les Seigneurs qui gouvernoient, avoient envie d' esgarer quelque matiere en faveur des uns ou des autres, ils en usoient en ceste maniere: Laquelle depuis fut tres-curieusement gardee par le Duc de Bethfort Regent en France, pendant que les Anglois occupoient une grande partie du Royaume. A cause dequoy trouve l' on és mesmes registres un different qui se presenta en l' an mil quatre cens vingt & deux, le dixiesme jour de Mars, entre le Chancelier & la Cour, sur ce que le Chancelier n' avoit voulu deliurer relief d' appel à quelques uns appellans de certaine sentence contre eux donnee par les Comissaires des conspirateurs de la paix, s' excusant le Chancelier, parce que le Duc de Bethfort vouloit que telles causes fussent vuidees & definies au grand Conseil, & non en icelle Cour. Et le vingt & quatriesme Mars, mil quatre cens vingt & sept, se trouve une evocation de tous les dons & provisions qu' avoit auparavant faict le Roy Henry, durant sa conqueste de Normandie. Et plusieurs autres telles causes qui empescherent au long aller de telle façon ce Conseil, que l' on fut contrainct, pour la multitude des procés, de faire nouveaux Conseillers, qui commencerent de prester le serment à leur reception, & au Roy, & à la Cour de Parlement, tout ainsi que s' ils eussent esté du corps de ceste Cour. Et estoient creez Conseillers du grand Conseil à mille liures de gages: De ceux-cy nous trouvons registres: L' un du quatriesme jour de Janvier, mil quatre cens & vingt, autre en l' an mil quatre cens vingt & un, & quelques autres du vingt & quatriesme Juillet, mille quatre cens vingt & trois, du dixhuictiesme Aoust, mil quatre cens vingt & cinq, dixhuictiesme Fevrier, mil quatre cens vingt-huict. Portant le registre, Que tel ou tel a esté receu Conseiller au grand Conseil à mille liures de gages, & a presté le serment au Parlement. Ce mesme ordre fut gardé par Charles septiesme, apres que les choses furent reduites & que le Parlement de Poictiers fut uny avec celuy de Paris : car en ceste diversité de differents qui se presentoient de la part de plusieurs qui vouloient être reintegrez en leurs terres, dont la possession & iouïssance leur avoit esté ostee par la venuë des Anglois, le Roy pour les assopir renvoyoit la plus grand partie de telles causes en son grand Conseil: lequel pour ceste occasion commença de s' enfler tellement en nombre effrené & excessif de procés, que les trois Estats qui furent tenus sur l' advenement du Roy Charles huictiesme à la couronne, requirent qu' il estoit besoin que le Roy eust avec soy un grand Conseil de la Justice, auquel presideroit le Chancelier, assisté de certain nombre de notables personnages de divers Estats & contrees, bien renommez & expers en l' administration de la Justice, lesquels Conseillers feroient les sermens à ce appartenans, & seroient raisonnablement stipendiez. Qui fut cause que Charles huictiesme s' advisa depuis de reduire ce grand Conseil en forme de Cour ordinaire. Pour laquelle cause le Chancelier, le seiziesme jour de Fevrier, mil quatre cens quatre vingts dixsept, vint faire les remonstrances à la Cour de Parlement pour cest effect: & sur icelles fut deslors par Edict general creé le grand Conseil en forme de Cour souveraine, avec creation de dixsept Conseillers ordinaires. Toutesfois pour autant que peu apres ce Roy fut prevenu de mort, l' execution de cest Edict estant demouree en surseance, le Roy Louys douziesme par son Edict du troisiesme Juillet, mil quatre cens nonante huict, voulut augmenter le nombre des Conseillers, de deux, & d' un Prelat, qui fut maistre Pierre de Sacierges, Evesque de Luçon. Ordonnant qu' ils fussent Semestres, qui estoit de dix Conseillers pour chaque Semestre outre le Chancelier, & le nombre des Maistres des Requestes de l' hostel du Roy: Pour ioüir de mesmes auctoritez & prerogatives que toutes les autres Cours souveraines: & voulut que nuls autres Conseillers de quelque qualité qu' ils fassent, n' y eussent entree, mesmes aux jugemens des procez, s' ils n' y estoient appellez par le Chancelier: Parquoy, pour bien dire, tout ainsi que le grand Conseil du temps de Philippe le Bel, avoit esté extraict du corps de ceux du Parlement, non pas pour juger les procez, ains pour traitter en la presence du Roy les affaires d' Estat, aussi estant par Louys douziesme reduit en ceste forme que j' ay dite, il estoit comme un nombre tiré du Conseil du Roy, pour terminer avec le Chancelier les affaires de Justice qui se presenteroient à la suitte du Roy. Ainsi pour le commencement presidoit le Chancelier en ce grand Conseil, & en son absence les Maistres des Requestes de l' hostel, selon leurs degrez d' ancienneté. Laquelle coustume dura jusques au regne de François premier, soubz lequel Messire Guillaume Poyet Chancelier, pour gratifier Maistre Guy Brellay son amy, & homme de grande doctrine, introduisit en faveur de luy un Estat de President au grand Conseil, duquel il l' en fist pourvoir. Mais à l' advenement du Roy Henry, en fut iceluy Brellay despourveu, & les choses reduittes en leur ancien train, & les Conseillers presidez par les Maistres des Requestes jusques à ce que le mesme Henry, reprenant les artes de son feu pere, y remist les Presidens: ce qui s' est continué jusques à huy. Au demeurant, du regne de François premier y eut Edict, par lequel il vouloit & entendoit que la Cour de Parlement & grand Conseil fraternisassent ensemble, & fussent reputez un seul corps, duquel despendoient toutes autres Cours souveraines: Et pour ceste cause ordonna que les Presidents & Conseillers du Conseil eussent lieu en icelle Cour selon l' ordre de leur reception, & le semblable avroient ceux des Parlemens au grand Conseil. Chose toutesfois que la Cour de Parlement de Paris n' a jamais voulu recevoir. Au moyen dequoy ceux du grand Conseil voyans la porte leur être fermee en ceste Cour, aussi ne luy donnent-ils entree en leur consistoire: combien qu' ils l' accordent à tous les autres Parlemens, parce qu' ils reçoivent la mesme courtoisie d' eux. Or combien que ceste jurisdiction soit grande, si est-ce que pour en dire la verité, elle ne recognoist sa grandeur que par l' indulgence des Chanceliers, lors qu' ils se desbordent quelquefois en lettres d' evocation. Car estans tous les territoires de France remplis de Parlements, destinez pour rendre le droict à chacun, tout ainsi que ce grand Conseil fut ambulatoire & sans arrest, aussi n' eust-il (s' il faut ainsi que je le die) certaine asseurance de subject. Mais a l' on ou augmenté ou retranché la jurisdiction de ceste compaignie, selon que les occasions se sont presentees. Aussi à la verité n' y est traictee chose aucune dont les parties ne puissent prendre reiglement de leurs Juges naturels & domiciliers, ou bien par les Parlemens. Car les evocations, differents qui procedent des contrarietez d' Arrests, indults de Cardinaux, Archeveschez, Eveschez, Abbayes, Maladeries, Hospitaux, & autres choses dont noz Roys ont voulu attribuer la cognoissance au grand Conseil, pouvoient être sans aucuns fraiz extraordinaires traitez sur les lieux mesmes des parties, n' eust esté que la volonté de nostre Prince, auquel devons toute obeïssance, a esté autre. Et au surplus je trouve que ceste jurisdiction s' est grandement enflee de causes, lors que la Cour de Parlement, pour quelques considerations secrettes, ne s' est peu bonnement induire à passer & emologuer quelque chose, sinon par plusieurs jussions de noz Roys. En ceste façon voyous nous que n' ayant voulu, qu' à toute difficulté, accorder le Concordat qui avoit esté passé entre le Pape Leon & le Roy François premier de ce nom, & encores que l' ayant accordé elle ne le pouvoit digerer qu' à longs traicts, le Roy, pour avoir telle depesche & expedition de sa volonté qu' il desiroit, luy interdit toute jurisdition de procez provenans à raison des Archeveschez, Eveschez, Abbayes, Priorez electifs & conventuels, & les evoca à sa personne le troisiesme Juillet, mil cinq cens vingt & trois: & le sixiesme Septembre ensuivant, en artribua toute cour & cognoissance au grand Conseil. Chose que nous avons veuë de fraische memoire être encore advenuë en cas non beaucoup dissemblable apres l' Edict de la pacification des Troubles, de l' an mil cinq cens soixante deux, pour plusieurs procez concernans le faict de la Religion, que les aucuns appellent nouvelle, & les autres reformee. Et certes noz Roys se sont trouvez assez empeschez à les occuper, & en ont quelquesfois trenché & coupé, leur donnans, puis leurs ostans, ainsi que bon leur sembloit: car le mesme Roy François leur donna la cognoissance des offices Royaux en debat. Laquelle depuis en l' an 1539. il restablit aux Maistres des Requestes de son hostel, comme estoit l' ancienne usance. Et de mesme façon le Roy Henry leur avoit attribué jurisdiction des decimes & soulde de cinquante mil hommes, qu' il a depuis transportee aux Generaux des Aydes, sur le faict de la Justice. Depuis la reduction du grand Conseil en tel ordre, nous appellons Conseil privé, celuy qui se tient environ la personne du Roy: Auquel Messire Guillaume Poyet Chancelier, qui avoit osté nourry dés le berceau à façonner les procez, apporta tant de chiquaneries, que combien qu' auparavant luy, on ne traictast en ce lieu que matieres d' Estat, si est-ce qu' il commença de prester l' aureille aux parties privees pour matieres mesmement qui se doivent decider dans un Chastelet de Paris, ou une cohuë de Rouën: Laquelle coustume depuis eut grand vogue soubz le Roy Henry II. Tellement que cela a introduict gens à la suitte de la Cour qui font acte de Procureurs & Advocats en ce Conseil, tout ainsi qu' aux simples jurisdictions subalternes. Voire & y ont esté quelquesfois taxez les despens par les Maistres des Requestes: Coustume veritablement indigne de ce grand Tribunal de la France. A cause dequoy Messire François Olivier (auquel pendant le regne de Henry on avoit subrogé un garde Seaux) ayant esté r' appellé à l' administration de son Estat de Chancelier sur l' advenement du Roy François II. à la Couronne, la premiere chose qu' il eut en recommandation, fut d' exterminer du Conseil privé toutes telles manieres de procés, r' envoyant chacun en sa chacune. Ce qui a esté depuis son decés tres religieusement observé par son successeur Messire Michel de l' Hospital: Si ne sçavroit-on si bien faire que l' on en espuise ce lieu tout à sec. Au demeurant les affaires du Conseil privé estoient dispofees en tel estat, lors que je dressay le premier project du present chapitre (qui estoit du vivant de François second) qu' outre ce Conseil, auquel s' assembloient plusieurs Princes & notables Seigneurs, il y avoit encores un Conseil des affaires: auquel trois ou quatre des principaux de la France avoient entree pour adviser sur le gouvernement general de ce Royaume. Toutesfois depuis ce temps-là, les affaires de France ont grandement changé de face pour les guerres civiles & intestines qui ont couru entre nous: lesquelles ont esté cause que ceux qui ont le principal gouvernement du Royaume, pour gratifier aux uns & aux autres, & par ce moyen donner ordre de tranquiliter toutes choses, ont baillé lieu & seance en ce Conseil à plusieurs personnages d' estofe, augmentans ce lieu de nombre presque superabondant & extraordinaire. Qui me faict prognostiquer (si toutes fois il m' est loisible d' asseoir mon jugement sur chose si haute & illustre) que tout ainsi que la necessité du temps a apporté ce grand nombre: aussi les choses estant petit à petit composees & reduittes en meilleur train, une autre necessité nous enseignera, qu' il n' est pas expedient qu' un conseil estroict d' un Royaume soit communiqué à tant de personnes. Or quant est des Conseillers du Conseil privé, du commencement ils n' avoient seance en la Cour de Parlement, depuis elle fut accordee à ceux qui avoient eu autresfois lieu & entree en ceste Cour: finalement apres l' assopissement des tumultes derniers, tout ainsi que les cinq Presidens de la Cour furent receuz Conseillers du Conseil privé, aussi fut-il arresté que delà en avant tous Conseillers du Conseil privé avroient voix deliberative en la Cour de Parlement. Quand j' escrivy premierement ce chapitre, l' ordre y estoit tel que dessus. Depuis souz Henry III. on le nomma Conseil d' Estat, auquel on a donné tant de façons, que j' en laisse le discours à ceux qui me surviuront.

domingo, 14 de noviembre de 2021

La Belle Dame sans merci, Alain Chartier

https://fr.wikisource.org/wiki/La_Belle_Dame_sans_merci_(Recueil)/La_Belle_Dame_sans_merci
 

La Belle Dame sans merci, Keats


Naguères chevauchant pensoye,

Com’ homme triste et douloureux,

Au dueil où il faut que je soye

Le plus dolent des amoureux ;

Puisque par son dart rigoureux

La mort me tolli ma Maistresse,

Et me laissa seul langoureux

En la conduite de tristesse.

Si disoye : il faut que je cesse

De dicter et de rimoyer.

Et que j’abandonne et délaisse

Le rire pour le larmoyer.

Là me faut le temps employer,

Car plus n’ai sentement ne aise,

Soit d’escrire, soit d’envoyer

Chose qu’à moi n’a autrui plaise.


Qui voudroit mon vouloir contraindre

À joyeuses choses escrire,

Ma plume n’y sauroit attaindre,

Non feroit ma langue à les dire.

Je n’ai bouche qui puisse rire,

Que les yeux ne la desmentissent :

Car le cœur l’en voudroit desdire

Par les larmes qui des yeux issent.


Je laisse aux amoureux malades

Qui ont espoir d’allégement,

Faire chansons, ditz et balades,

Chacun en son entendement.

Car ma Dame en son testament

Prit, à la mort. Dieu en ait l’âme !

Et emporta mon sentement,

Qui git où elle sous la lame.


Désormais est temps de moi taire,

Car de dire je suis lassé.

Je vueil laisser aux autres faire

Leur temps, car le mien est passé ;

Fortune a le forgier cassé

Où j’espargnoye ma richesse,

Et le bien que j’ai amassé

Au meilleur temps de ma jeunesse.


Amour a gouverné mon sens,

Se faute y a, Dieu me pardonne !

Se j’ai bien fait, plus ne m’en sens.

Cela ne me toult ne me donne.

Car au trespas de la très bonne

Tout mon bien fait se trespassa.

La Mort m’assit illec la bourne

Qu’oncques puis mon cœur ne passa


En ce penser et en ce soin

Chevauchai toute matinée,

Tant que je ne fus guère loin

Du lieu où estoit la disnée.

Et quand j’eu ma voie finée,

Et que je cuidai heberger,

J’ouy par droite destinée

Menestrier dans un verger.


Si me retirai voulentiers

En un lieu tout coi et privé.

Quant deux mes bons amis entiers

Surent que je fus arrivé,

Y vinrent, tant ont estrivé

Moitié force, moitié requeste,

Que je n’ai oncques eschevé

Qu’ils ne me mènent à la feste.


À l’entrer fus bien recueilli

Des Dames et des Damoiselles,

Et de celles bien accueilli

Qui toutes sont bonnes et belles ;

Et de la courtoisie d’elles

Me tinrent illec tout ce jour

En plaisans parolles et belles,

Et en très gracieux séjour.


Disner fut prest, et tables mises.

Les Dames à table s’assirent,

Et quant elles furent assises

Les plus gracieux les servirent.

Tels y ont, qui à l’heure vinrent.

En la compaignie liens,

Leurs juges dont semblant ne firent

Qui les tenoient en leurs liens.


Un entre les autres y vy

Qui souvent alloit et venoit.

Et pensant com’homme ravy,

Et guères de bruit ne menoit.

Son semblant très fort contenoit,

Mais désir passoit la raison,

Qui souvent son regard menoit

Tels fois qu’il n’estoit pas saison.


De faire chiere s’efforçoit,

Et menoit une joie fainte,

Et à chanter son cœur forçoit

Non pas pour plaisir, mais pour crainte

Car toujours un relais de plainte

S’enlassoit au ton de sa voix,

Et revenoit à son attainte

Comme l’oisel au chant du bois.


Des autres y eut pleine salle,

Mais celui trop bien me sembloit

Ennuyé, maigre, blesme et palle,

Et la parolle lui trembloit.

Guères aux autres ne sembloit.

Le noir portoit et sans devise,

Et trop bien homme ressembloit

Qui n’a pas son cœur en franchise.


De toutes festoyer faignoit,

Bien le fit, et bien lui seoit.

Mais à la fin le contraingnoit

Amour, qui son cœur ardeoit

Pour sa Maistresse qu’il veoit,

Et je choisis lors clerement

A son regard qu’il asseoit

Sur elle si piteusement.


Assez sa face destournoit

Pour regarder en autres lieux,

Mais au travers l’œil retournoit

Au lieu qui lui plaisoit le mieux.

J’apperçu le trait de ses yeux

Tout empenné d’humbles requestes,

Et dis à part moi : se m’ait Dieux,

Au tel fus-je comme vous estes.


A la fois à part se tiroit

Pour reformer sa contenance,

Et très tendrement soupiroit

Par douloureuse souvenance ;

Puis reprenoit son ordonnance.

Et venoit pour servir les mets.

Mais à bien juger la semblance,

C’estoit un piteux entremets.


Après disner on s’avança

De danser chacun et chacune,

Et le triste amoureux dança

A dés à l’autre, à dés à l’une ;

A toutes fit chiere commune,

A chacune son tour alloit :

Mais toujours revenoit à une,

Dont sur toutes plus lui challoit.


Bien à mon gré fut avisé

Entre celles que je vis lors,

S’il eut au droit de cœur visé

Autant qu’à la beauté du corps.

Qui croit de legier les rapports

De ses yeux sans autre espérance,

Pourroit mourir de mille morts

Avant qu’ataindre à sa plaisance.


En la danse ne failloit riens

Ne plus avant ne plus arrière.

C’estoit garnison de tous biens

Pour faire au cœur d amant frontière

Jeune, gente, fresche et entière,

Maintien rassis et sans changier,

Douce parolle et grant manière

Dessous l’estandard de Dangier.


De ceste feste me lassai,

Car joie triste cœur traveille,

Et hors de la presse passai.

Si m’assis derrière une treille

Drue et feuillie à grant merveille.

Entrelacée de saulx vers,

Si que nul pour cep et pour fueille

Ne me pouvoit voir au travers.


L’amoureux sa Dame menoit

Dancer quant venoit à son tour,

Et puis seoir s’en revenoit

Sus un preau vert au retour.

Nuls autres n’avoit à l’entour

Assis, fors seulement eux deux,

Et n’y avoit autre destour

Fors la fueille entre moi et eux.


J’ouy l’amant qui soupiroit.

Car qui plus est près plus désire.

Et la grant douleur qu’il tiroit

Ne savoit taire et n’osoit dire.

Si languissoit auprès du mire.

Et nuisoit à sa guarison.

Cœur ars ne se pourroit plus nuire

Qu’approucher le feu du tison.


Le cœur en son corps lui croissoit

D’angoisse et de paour estraint,

Tant qu’à bien peu qu’il ne froissoit

Quant l’un et l’autre le contraint ;

Désir, bonté, crainte reffraint

L’un eslargit, l’autre resserre.

Si n’a pas peu de mal empraint

Qui porte en son cœur telle guerre.


De parler souvent s’efforça,

Se crainte ne l’eut destourné,

Mais en la fin son cœur força

Quant il eut assez séjourné.

Puis s’est vers sa Dame tourné,

Et dit bas en pleurant adoncques :

« Mal jour fut pour moi adjourné,

Ma Dame, quant je vous vis oncques,


Je souffre mal ardant et chault,

Dont je meurs pour vous bien vouloir.

Toutefois il ne vous en chault,

J’eusse bien cause de douloir ;

Mais je vois trop qu’en nonchaloir

Le mettez quant je vous le compte,

Et si n’en pouvez moins valoir

N’avoir moins honneur ne plus honte.


Hélas ! je vous grieve, ma Dame,

S’un franc cœur d’homme vous veut bien,

Et se par honneur et sans blasme

Je suis vostre et vostre me tien ?

De droit je n’y chalenge rien,

Car ma voulenté s’est soumise

A vostre gré, non pas au mien,

Pour plus asservir ma franchise.


Ja soit ce que pas ne desserve

Vostre grâce par mon servir,

Souffrez au moins que je vous serve

Sans vostre malgré desservir.

Je serviray sans desservir

En ma loyauté observant ;

Car, pour ce, me fit asservir

Amour d’estre vostre servant. »


Quant la Dame ouyt ce langage,

Elle respondit bassement,

Sans muer couleur ne courage.

Mais tout asseuréement :

« Beau sire, ce fol pensement

Ne vous laissera il jamais ?

Ne penserez-vous autrement

De donner à vostre cœur paix ?


L’Amant


Nully n’y pourroit la paix mettre,

Fors vous qui la guerre y meistes,

Quant vos yeux escrirent la lettre

Par quoi deffier me feistes ;

Et que doux regard transmeistes

Héraut de celle deffiance.

Par lequel vous me promeistes

En deffiant bonne fiance.


La Dame


Il a grant faim de vivre en dueil

Et fait de son cœur lasche garde,

Qui contre un tout seul regard d’œil

Sa paix et sa joie ne garde.

Se moi ou autre vous regarde,

Les yeux sont fais pour regarder.

Je n’y prens point autrement garde.

Qui mal y sait s’en doit garder.


L’Amant


S’aucun blesse autrui d’aventure

Par coulpe de celui qui blesse,

Quoiqu’il n’en peut mais, par droiture,

Si en a il dueil et tristesse.

Et puisque fortune et rudesse

Ne m’ont mie fait ce meshaing,

Mais vostre très belle jeunesse,

Pourquoi l’avez-vous en desdaing ?


La Dame


Oncques desdaing, chose certaine,

Contre vous ne voulus avoir,

Ne trop grant amour, ne trop haine,

Ne vostre priveté savoir.

Ce cuyder vous fait parce voir

Que peu de chose peut trop plaire.

Et vous vous voulez décevoir ;

Ce ne vueil je pas pourtant faire.


L’Amant


Qui que m’ait le mal pourchassé,

Cuider si ne m’a point déçu.

Mais amour m’a si bien chassé,

Que je suis dedans vos lacs chu.

Et puisqu’ainsi m’est il eschu

D’estre à merci entre vos mains

Il m’est bien au cheoir meschu.

Qui plus tost meurt en languit moins.


La Dame


Si amoureuse maladie

Ne met guères de gens à mort,

Mais il sied bien que l’on le die

Pour plus tost attraire confort.

Tel se plaint et tourmente fort

Qui n’a pas le plus aspre deulx

Et s’amour grieve tant, au fort

Mieux en vaut un dolent que deux.


L’Amant


Hélas ! ma Dame, il vaut trop mieux

Pour courtoisie et bonté faire,

D’un dolent faire deux joyeux,

Que le dolent du tout deffaire.

Je n’ai désir ne autre affaire,

Fors que mon service vous plaise,

Pour eschanger sans rien meffaire

Doux plaisir en lieu de mesaise.


La Dame


D’amour ne quiers-je congnoissance

Ne grant espoir, ne grant désir,

Et si n’ai de vos maux plaisance,

Ne regret à vostre plaisir.

Choisisse qui voudra choisir,

Je suis franche, et franche vueil estre,

Sans moi de mon cœur dessaisir

Pour en faire un autre le maistre.


L’Amant


Amour qui joie et dueil départ

Mit les Dames hors de servage,

Et leur octroya pour leur part

Maistrise et franc seigneuriage.

Les servans n’y ont d’avantage

Fors tant seulement leur pourchas :

Et qui fait une fois hommage.

Bien chier en coustent les rachas.


La Dame


Dames ne sont mie si lourdes,

Si mal entendans, ne si folles,

Que pour un peu de plaisans bourdes

Confites en belles parolles,

Dont vous autres tenez escolles

Pour leur faire accroire merveilles,

El’ changent si souvent leurs colles.

A beau parler closes oreilles.


L’Amant


Il n’y a jangleur tant y meist

De sens, d’estudie et de peine

Qui si triste plainte vous feist

Comme celui qui le mal maine.

Car qui se plaint de teste saine

A peine sa fantasie cœuvre,

Mais pensée de douleur plaine

Preuve ses parolles par œuvre.


La Dame


Amour est cruel losangier,

Aspre en fait, et doux à mentir,

Et se sait bien de ceux vengier

Qui cuident ses secrets sentir ;

Il les fait à soi consentir

Par une entrée de chierté.

Mais quant vient jusqu’au repentir

Lors il découvre sa fierté.


L’Amant


De tant plus que Dieu et nature

Ont fait plaisir d’amour plus haut.

Tant plus aspre en est la poincture,

Et plus déplaisant le deffaut.

Qui n’a froid n’a cure de chaut,

L’un contraire est pour l’autre quis.

Se ne sait nul que plaisir vaut

S’il ne l’a par douleur conquis.


La Dame


Plaisir n’est mie par tout un,

Ce vous est doux qui m’est amer.

Si ne pouvez-vous, ou aucun,

vostre gré me faire aimer.

Nul ne se doit ami clamer

Si non par cœur ains que par livre ;

Car force ne peut entamer

La voulenté franche et delivre.


L’Amant


Ha ! ma Dame, j’à Dieu ne plaise

Qu’autre droit y vueille quérir,

Fors de vous montrer ma mesaise

Et vostre merci requérir.

Se vostre honneur veux surquerir,

Dieu et fortune me confonde,

Et ne me doint ja acquérir

Une seule joie en ce monde !


La Dame


Vous, et autres qui ainsi jurent.

Et se condamnent et maudient.

Ne cuident que leurs sermens durent

Fors tant comme les mots se dient,

Et que Dieu et les Saints s’en rient.

Car en tels sermens n’a rien ferme,

Et les chetives qui s’y fient

En pleurent après mainte lerme.


L’Amant


Celui n’a pas courage d’homme,

Qui quiert son plaisir en reprouche,

Et n’est pas digne qu’on le nomme

Ne que ciel ne terre lui touche.

Loyal cœur, et voir disant bouche

Sont le chastel d’homme parfait :

Et qui si legier sa foi couche

Son honneur pour l’autrui deffait.


La Dame


Villain cœur et bouche courtoise

Ne sont mie bien d’une sorte,

Mais faintise tous les accoise,

Qui par malice les assorte ;

La mesure Faux-Semblant porte.

Son honneur en sa langue fainte,

Mais honneur est en leur cœur morte

Sans estre pleurée ne plainte.


L’Amant


Qui pense bien tout bien lui vienne,

Dieu doint à chacun sa desserte.

Mais, pour Dieu, de moi vous souvienne.

De la douleur que j’ai soufferte !

Car de ma mort, ne de ma perte

N’a pas vostre douceur envie.

Se vostre grâce m’est ouverte

Vous estes garant de ma vie.


La Dame


Legier cœur et plaisant folie,

Qui est meilleur tant plus est brieve,

Vous font ceste melencolie.

Mais c’est un mal dont on relieve.

Faites à vos pensées trieve,

Car de plus beau jeu on se lasse.

Je ne vous aide ne vous grieve :

Qui ne m’en croira, je m’en passe.


L’Amant


Qui a faucon, chien et oiseau

Qui le suit, aime, craint et doubte,

Et le tient chier, et garde beau.

Et ne le chasse ne déboute.

Et je, qui ai entente toute

En vous sans faintise et sans change,

Suis débouté plus bas que soute

Et moins prisé que tout estrange.


La Dame


Se je fais bonne chiere à tous

Par honneur et de franc courage,

Je ne le vueil pas faire à vous

Pour eschever vostre dommage.

Car amans est si petit sage,

Et de créance si legiere

Qu’il prent tout à son avantage,

Chose qui ne lui sert de guiere.


L’Amant


Se pour amour et feaulté

Je pers l’accueil qu’estrangers ont,

Dont me vaudroit ma loyaulté

Moins qu’à ceux qui viennent et vont,

Et qui de rien vostres ne sont ;

Et sembleroit en vous perie

Courtoisie, qui vous semont

Qu’amour soit par vous remerie.


La Dame


Courtoisie est tant aliée

D’honneur qui l’aime et la tient chiere,

Qu’el’ne veut estre à rien liée

Ne pour amour, ne pour prière ;

Mais départ de sa bonne chiere

Où il lui plaist et bon lui semble.

Guerredon, prière et renchiere

Et elle ne vont point ensemble.


L’Amant


Je ne quier point de guerredon,

Car le desservir m’est trop haut,

Je demande grâce et pardon,

Puisque mort ou merci me faut.

Donner le bien où il deffaut

C’est courtoisie raisonnable ;

Mais aux siens encore plus vaut

Qu’estre aux estranges amiable.


La Dame


Ne sais que vous appellez bien,

Mal emprunte bien autre non ;

Mais il est trop large du sien

Qui par donner pert son renon.

On ne doit octroyer, sinon

Quant la requeste est advenant.

Car se l’honneur ne retenon

Trop petit vaut le remanant.


L’Amant


Onc homme mortel ne naqui,

Ne pourroit naistre sous les cieux

Et n’est autre, fors vous, à qui

Vostre honneur touche plus ou mieux

Qu’à moi qui n’attens, jeune ou vieux,

Le mien fors par vostre service,

Et n’ai cœur, sens, bouche, ne yeux

Qui soit donné à autre office.


La Dame


D’assez grant charge se chevit

Qui son honneur garde et maintient ;

Mais à dangier travaille et vit

Qui, en autrui main, l’entretient.

Cil à qui l’honneur appartient

Ne s’en doit à autrui attendre ;

Car tant moins du sien en retient

Qui trop veut à l’autrui entendre.


L’Amant


Vos yeux ont si enripraint leur merche

En mon cœur que, quoiqu’il advienne,

Se j’ai honneur où je le cherche,

Il convient que de vous me vienne.

Fortune a voulu que je tienne

Ma vie en vostre merci close ;

Si est bien droit qu’il me souvienne

De vostre honneur sur toute chose.


La Dame


A vostre honneur seul entendez,

Pour vostre temps mieux employer.

Du mien à moi vous attendez

Sans prendre peine à foloyer.

Bon il fait craindre et supployer

Un cœur trop follement déçu,

Car rompre vaut pis que ployer

Et estre esbranlé mieux que chu.


L’Amant


Pensez, ma Dame, que depuis

Qu’amour mon cœur vous délivra,

Il ne pourroit, car je ne puis,

Estre autrement tant qu’il vivra.

Tout quitte et franc le vous livra.

Ce don ne se peut abolir.

J’attens ce qui s’en ensuivra.

Je n’y puis mettre ne tollir.


La Dame


Je ne tien mie pour donné

Ce qu’on offre à qui ne le prent ;

Car le don est habandonné

Se le donneur ne le reprent.

Trop a de cœur, qui entreprent

D’en donner à qui le reffuse.

Mais il est sage, qui apprent

A s’en retraire, qui n’y muse.


L’Amant


Il ne doit pas cuider muser

Qui sert Dame de si haut pris.

Se j’y dois tout mon temps user,

Au moins n’y puis-je estre repris

De cœur failli ne de mespris,

Quant envers vous fais ceste queste

Par qui amour a entrepris

De tant de bons cœurs le conqueste.


La Dame


Se mon conseil voulez ouyr,

Querez ailleurs plus belle et gente

Qui d’amour se vueille esjouyr

Et mieux sortisse à vostre entente.

Trop loin de confort se tourmente

Qui, à part soi, pour deux se trouble ;

Et celui pert le jeu d’attente

Qui ne sait faire son point double.


L’Amant


Le conseil que vous me donnez

Se peut mieux dire qu’exploitier ;

De non croire me pardonnez.

Car j’ai cœur tel et si entier

Qu’il ne se pourroit affectier

A chose où loyauté n’accorde.

D’autre conseil je n’ai mestier

Fors pitié et misericorde.


La Dame


Sage est qui folie encommence,

Quant departir s’en sait et veut.

Mais il a faute de science

Qui la veut conduire et ne peut.

Qui par conseil ne se desmeut

Desespoir le met en sa suite

Et tout le bien qu’il en requeut

Est de mourir en la poursuite.


L’Amant


Je poursuivrai tant que pourrai

Et que vie me durera.

Et lorsqu’en loyauté mourrai

Celle mort ne me grèvera.

Quant vostre durté me fera

Mourir loyal et douloureux

Encore moins grief me sera

Que de vivre faux amoureux.


La Dame


De rien a moi ne vous prenez,

Je ne vous suis aspre ne dure,

Et n’est droit que vous me tenez

Envers vous ne douce ne sure.

Qui se quiert le mal si l’endure,

Autre confort donner ne say,

Ne de l’apprendre n’ai-je cure.

Qui en veut en fasse l’essay,


L’Amant


Une fois le faut essayer

A tous les bons en leur endroit,

Et le devoir d’amour payer

Qui franc cœur a, prisé et droit.

Car franc vouloir maintient et croit

Que c’est durté et mesprison,

Tenir un haut cœur si estroit

Qu’il n’ait qu’un seul corps pour prison.


La Dame


J’en sais tant de cas merveilleux

Qu’il me doit assez souvenir

Que l’entrer en est périlleux,

Et encor plus le revenir.

A tard en peut bien advenir ;

Pour ce, n’ai vouloir de chercher

Un mal plaisir au mieux venir.

Dont l’essai peut couster si cher.


L’Amant


Vous n’avez cause de doubler

Ne soupeçon qui vous esmeuve,

A m’eslongner ne rebouter :

Car vostre bonté voit et treuve

Que j’ai fait l’essai et l’espreuve

Par quoi ma loyauté appert.

La longue attente et forte espreuve

Ne se peut celler, il y pert.


La Dame


Il se peut loyal appeller

Et ce nom lui duit et affiert

Qui sait desservir et celler,

Et garder le bien, s’il acquiert.

Qui encor poursuit et requiert

N’a pas loyauté esprouvée :

Car tel pourchasse grace et quiert

Qui la pert puisqu’il l’a trouvée.


L’Amant


Se ma loyauté s’esvertue

D’aimer ce qui ne m’aime mie,

Et tenir cher ce qui me tue,

El’ m’est amoureuse ennemie.

Quant pitié, qui est endormie,

Mettroit en mes maux fin et terme,

Ce gracieux confort d’amie

Feroit ma loyauté plus ferme.


La Dame


Un douloureux pense tousdis

Des plus joyeux le droit revers,

Et le penser des maladis

Est entre les sains tout divers.

Assez est-il de cœurs travers

Qu’avoit fait bientost empirer,

Et loyauté mettre à l’envers,

Dont ils souloient tant soupirer.


L’Amant


De tous soit celui deguerpis,

D’honneur desgarni et deffait,

Qui descongnoist et tourne en pis

Le don de grâce et le bienfait

De sa Dame qui l’a reffait,

Et ramené de mort à vie.

Qui se souille de tel meffait

A plus d’une mort desservie.


La Dame


Sur tel meffait n’a court ne juge

A qui l’on puisse recourir.

L’un les maudit, l’autre les juge.

Mais je n en ai vu nul mourir.

On leur laisse leurs cours courir.

Et commencer pis derechief,

Et tristes Dames encourir

D’autrui coulpe, peine et meschief.


L’Amant


Combien qu’on n’arde ne ne pende

Celui qui en tel crime enchiet,

Je suis certain^ quoiqu’il attende,

Qu’à la fin il lui en meschiet,

Et qu’honneur et bien lui dechiet.

Car fausseté est si maudite

Que jamais haut honneur ne chiet

Dessus celui où elle habite.


La Dame


De cela n’ont mie grant paeur

Ceux qui dient et qui maintiennent

Que loyauté n’est pas eur

A ceux qui longuement la tiennent.

Leurs cœurs s’en vont et puis reviennent

Car ils les ont bien réclamés,

Et si bien appris qu’ils retiennent

A changer dès qu’ils sont aimés.


L’Amant


Quant on a son cœur bien assis

En bonne et loyale partie,

On doit estre entier et rassis

A toujours mais sans départie.

Si tost qu’amour est impartie

Tout le haut plaisir en est hors.

Si ne sera pas moi partie

Tant que l’âme me bâte au corps.


La Dame


D’aimer bien ce qu’aimer devez

Ne pourriez-vous en ce mesprendre ?

Mais sous cuider vous decevez

Par legierement entreprendre.

Vous mesme vous pouvez reprendre

Et avoir à raison recours,

Plutost qu’en fol plaisir attendre

Un tres desespéré secours.


L’Amant


Raison, avis, conseil et sens

Sont sous l’arrest d’amour scellés

A tel arrest je me consens,

Car point ne se sont rebellés ;

Ils sont parmi desir meslés

Et si fort enlacés, hélas !

Que ja n’en seront desmeslés

Se pitié n’en brise les las.


La Dame


Qui n’a à soi nulle amitié,

De toute amour est deffiez ;

Et se de vous n’avez pitié

D’autrui pitié ne vous fiez.

Mais soyez tout certifiez

Que je suis telle que je fus.

D’avoir mieux ne vous affiez

Et prenez en gré le reffus.


L’Amant


J’ai mon esperance fermée

Qu’en tel Dame ne peut faillir

Pitié, mais elle est enfermée

Et laisse dangier m’assaillir.

Et s’el’ voit ma vertu faillir

Pour bien aimer, el’ s’en sauldra

Hors sa demeure, et tard saillir.

Et mon bien souffrir me vaudra.


La Dame


Ostez-vous hors de ce propos,

Car tant plus vous vous y tiendrez

Moins vous aurez joie et repos

Et jamais à bout n’en viendrez.

Quant à espoir vous attendrez,

Vous en trouverez abestis,

Et en la fin vous apprendrez

Qu’espérance paist les chetifs.


L’Amant


Vous direz ce que vous voudrez,

Et du pouvoir avez assez !

Mais ja espoir ne m’en touldrez,

Par qui j’ai tant de maux passez.

Car quant nature a enchassez

En vous des biens à tel effors

El’ ne les a pas amassez

Pour en mettre pitié dehors.


La Dame


Pitié doit estre raisonnable,

Et à nul desavantageuse,

Au besongneux très prouffitable,

Et aux piteux non dommageuse.

Se Dame est à autrui piteuse

Pour estre à soi mesme cruelle,

Sa pitié devient despiteuse

Et son amour haine mortelle


L’Amant


Conforter les desconfortés

N’est pas cruauté, mais est loz.

Mais vous qui si dur cœur portez

En si beau corps, se dire l’oz,

Gaignez le blasme et le desloz

De cruauté qui mal y siet :

Se pitié, qui départ les loz,

En vostre haut cœur ne s’assiet.


La Dame


Qui me dit que je suis aimée

Se bien croire je l’en vouloye

Me doit-il tenir pour blasmée

S’a son vouloir je ne foloye ?

Se de tels confors me mesloye,

Ce seroit pitié, sans manière :

Et depuis se je m’en douloye

C’en seroit la soulde derniere.


L’Amant


Ha ! cœur plus dur que le noir marbre,

En qui merci ne peut entrer,

Plus fort à ployer qu’un gros arbre,

Que vous vaut tel rigueur montrer ?

Vous plaist-il mieux me voir oultrer

Mort devant vous pour vostre esbat.

Que pour un confort demonstrer

Respirer la mort qui m’abat ?


La Dame


De vos maux guérir vous pourrez,

Car des miens ne vous requerray,

Ne pour mon plaisir ne mourrez.

Ne pour vous guérir ne guerray.

Mon cœur pour autres ne cherray,

Crient, pleurent, rient ou chantent.

Mais, se je puis, je pourverray

Que vous ne autres ne s’en vantent.


L’Amant


Je ne suis mie bon chanteur,

Aussi me duit mieux le pleurer.

Mais je ne fus oncques vanteur,

J’aime plus chier coi demeurer.

Nul ne se doit énamourer

S’il n’a cœur de celler Temprise,

Car vanteur n’est à honnorer

Puisque sa langue le desprise,


La Dame


Maie Bouche tient bien grant court,

Chacun a mesdire estudie.

Faux amoureux, au temps qui court,

Servent tous de golliardie.

Le plus secret veut bien qu’on die

Qu’il est de quelqu’une mescru.

Et pour rien qu’homme à Dame die,

Il ne doit plus en estre cru.


L’Amant


D’uns et d’autres est et sera,

La terre n’est pas toute unie.

Des bons le bien se montrera,

Et des mauvais la vilennie.

Est-ce droit, s’aucuns ont honnie

Leur langue où mesdit a hantée

Que refîus en excommunie

Les bons avecques leur bonté ?


La Dame


Quant meschants meschant parler eussent.

Ce meschief seroit pardonnez.

Mais tous ceux qui bien faire dussent,

Et que noblesse a ordonnez

D’estre bien conditionnez,

Sont les plus avant en la fange,

Et ont leurs cœurs habandonnez

A courte foi et longue langue.


L’Amant


Or congnois-je bien or endroit

Que pour bien faire on est honnis,

Puisque pitié, justice et droit

Sont de cœur de Dame bannis.

Faut-il donc faire tous unis

Les humbles servans et les faux,

Et que les bons soient punis

Pour les péchés des desloyaux ?


La Dame


Je n’ai le pouvoir de grever

Ne de punir autre ne vous.

Mais pour les mauvais eschever

Il se fait bon garder de tous.

Faux Semblant fait l’humble et le doux

Pour prendre Dames, en aguet :

Et pour ce, chacune de nous

Y doit bien l’escoute et le guet.


L’Amant


Puisque de grâce un tout seul mot

De vostre rigoureux cœur n’ist,

J’appelle devant Dieu, qui m’ot,

De la durté qui me honnist !

Et me plain qu’il ne parfournist

Pitié qu’en vous il oublia ;

Ou que ma vie ne finist,

Qui si tost mis en oublia…


La Dame


Mon cœur et moi rien ne vous feismes

Oncques de quoi plaindre doyez.

Rien ne vous mit là fors vous-mesmes,

De vous mesmes juge soyez.

Une fois pour toutes, croyez

Que vous demeurez esconduit.

De tant redire m’ennoyez,

Car je vous en ai assez dit. »


L’Auteur


Adonc, le dolent se leva

Et part de la feste pleurant,

A peu que son cœur ne creva,

Com’à homme qui va mourant.

Et dit : Mort, viens à moi courant,

Ains que mon sens se descongnoisse.

Et m’abrège le demeurant

De ma vie plaine d’angoisse !…


Depuis je ne sus qu’il devint

Ne quel part il se transporta.

Mais à sa Dame n’en souvint

Qui aux Dames se déporta.

Et depuis, on me rapporta

Qu’il avoit ses cheveux descoux,

Et que tant se desconforta

Qu’il en estoit mort de courroux.


Si vous prie, amoureux, fuyez

Ces vanteurs et ces mesdisans,

Et comme infames les huyez,

Car ils sont à vos faiz nuisans ;

Pour non les faire voir disans,

Reffus a ses chasteaux bastis.

Car ils ont trop mis, puis dix ans,

Le pays d’amour à pastis.


Et vous, Dames et Damoiselles,

En qui honneur naist et s’assemble,

Ne soyez mie si cruelles

Chacunes et toutes ensemble.

Que ja nulle de vous ressemble

Celle que m’oyez nommer ci,

Qu’on peut appeller, ce me semble,

La Belle Dame sans Merci.