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miércoles, 16 de agosto de 2023

POUR PARLER DE LA LOY.

POUR PARLER DE LA LOY.

En ce Dialogue l' Autheur entend detester plusieurs esprits libertins, qui se donnent tous discours en bute, monstrant combien il est chatoüilleux de donner loy & permission à chacun de disputer de la Loy generale, sous laquelle il est appellé: Et en passant, descouvre la calamité d' un malheureux siecle, auquel le bon endure aussi bien que le mauvais, sous un pretexte mal emprunté de la Justice.


PREMIER FORÇAT. LE COMITE.

SECOND FORÇAT.


Seigneur Comite pour Dieu mercy, & ne vueille exercer en mon endroict toutes sortes d' indignitez, mais si en toy a (comme en toute personne vivante) quelque marque d' humanité, de grace que la qualité & estat de ma personne te flechisse. 

COMITE. Et qui est donc ce causeur qui publie ses qualitez?

I. FORÇAT. En premier lieu, Seigneur Comite, entens que je ne suis point né Barbare, mais extraict de cette florissante nation d' Italie, davantage que mon influence choisit pour lieu de ma nativité, cette brave ville de Rome, jadis chef de tout l' Univers, & ores Siege des SS. Peres. En toutes ces deux parties heureux certes & trop heureux, si, contant de ma premiere fortune, & guidé simplement par mes instructions maternelles, je n' eusse voulu penetrer és secrets de la Philosophie. Ainsi te peux tu bien vanter d' avoir icy à ta cadene, non seulement un Italien, mais un Romain, & encore un Romain Philosophe.

COMITE. Vray Dieu quel fantosme est-ce cy! comment se pourroit-il bien faire qu' entre tant de pendarts, j' eusse non seulement icy un Philosophe pendart? Car d' Italiens & Romains, ce ne m' est point nouveauté d' en avoir veu par leurs delicts, arriver à mesme condition que celle où tu és à present, mais oncques autre Philosophe que toy je ne vey estre exposé à la rame. Aussi avois-je tousjours entendu que cette Philosophie, laquelle je cognois seulement de nom, estoit un guidon de tout heur, sans lequel nous ne participions en rien de l' homme, fors de l' exterieur de la face. Tellement que maintesfois avec un regret du passé, je detestois ma fortune, & l' injustice de ceux qui eurent la premiere charge de moy: lesquels, comme jaloux & envieux de mon bien, me destournerent si tost des livres, à peine les ayant goustez.

I. FORÇAT. Je ne sçay pas si les livres t' eussent apporté ce bien que tu estimes: parce que tu ne fusses pas tant arrivé à ce point de Philosophie, dont tu parle par leur lecture, que par un assiduel pour-pensement & rapport en ton esprit de toutes choses, qui d' une suite & liaison se tirent de l' une à l' autre. Au reste je te prie que de cette heure, te faisant par mon malheur mieux advisé, tu n' impropere plus à tes parens l' opinion qu' ils eurent de t' entremettre à negotiation, peut estre de plus grand poids que ces vains & inutiles discours, desquels est seulement venu tout le motif de mon mal.

COMITE. Tu palieras les matieres en telle sorte que tu voudras, si ne me sçavroit-il passer devant les yeux, que de cette Philosophie, ains que plustost de ton forfaict ne soit advenu le malheur qu' il faut maintenant que tu boives.

I. FORÇAT. Seigneur Comite, tous tant de Forçats dont tu as icy le chastiment, ont delinqué chacun en leur endroit, sans aucun discours de raison, semonds seulement à mal faire d' une malignité d' esprit: mais s' il te plaist que je te file de point en point, & raconte par le menu l' occasion de mes Galeres, tu entendras que non point par un lasche cœur (ja ne plaise à celuy qui tient l' escrin de mes pensees que j' encoure jamais telle reproche) mais que par un certain jugement je suis tombé en l' erreur dont il faut que malheureusement à cette heure je souffre la punition.

COMITE. Et bien je suis tres-content, pendant qu' il ne fait temporal, & que nous sommes icy à l' anchre en ce lieu de seurté & repos, te donner audience pour quelque temps: mais premier que de t' avancer, pour quelle desconvenuë fus tu amené en ce lieu?

I. FORÇAT. Pour plusieurs occasions, qui sonnent mal envers vous, comme font meurtres, paillardises, larcins, & autres choses que selon vos loix ordinaires, vous appellez fautes & malversations.

COMITE. En bonne foy tu me payes icy en chansons, & faut bien dire que ta profession soit contrevenante à ta parole. Car qui fut oncques le Philosophe qui fit mestier & marchandise de telles denrees, fors que toy? Et si je suis bien recors, j' ay quelquesfois appris, que les plus sages, desquels tu te vantes emprunter le nom, s' esloignoient autant de femmes, argent, & autres telles piperies, qui esmeuvent nos passions, comme aujourd'huy nous y sommes enclins & subjets.

I. FORÇAT. Tu t' abuses Seigneur Comite, & ne faut point en cecy faire une generalité, d' autant que si on veit quelquesfois un Xenocrate morne & pensif, avoir eu une femme à l' abandon sans luy toucher, je luy mettray en contrecarre, un Aristipe, non moindre que luy en renom, publiant entre ses plus notables rencontres, qu' il ressembloit le Soleil, lequel sans se soüiller, esplanissoit ses rayons dans les esgousts, & escluses: & luy du semblable sans alteration de son bon sens ou esprit, alloit & frequentoit les bordeaux. Semblablement si vous eustes un Diogene folastre, vilipendant les deniers, de son mesme temps en contr' eschange ce grand personnage Platon hantoit les Cours des grands Seigneurs, sous tel espoir de profit qu' il se proposoit en tirer: Et pour te dire en peu de paroles, tous les Philosophes anciens furent hommes, consequemment attrempans, ou pour mieux dire hypocrisans & desguisans leurs passions, selon qu' ils estoient plus discrets: mais qu' ils s' en trouvassent aucuns impassibles, ce sont certes illusions & abus, dont ils s' entretenoient en credit envers le simple populaire, sous l' escorce de leur beau parler. Au demeurant quand tous ceux-là dont tu parles eussent esté tels que tu dis, ne pense point Seigneur Comite, que jamais j' asservisse mon esprit dessous les preceptes d' autruy, ains tant qu' une liberté & franchise a peu voguer dedans moy, tant me suis-je consacré à une Philosophie. Que si par fois, par une taisible rencontre de jugemens & humeurs, je me suis trouvé simbolisant en opinion avecques autres, fais moy de grace ce bien de croire, que non par une vaine authorité de mes ancestres, je me sois mis de leur party à cause de leur primauté, mais seulement pour autant que tel ou tel fut mon advis, aidé de quelques raisons qu' un long discours m' avoit apportees: Et pour ce ne me mets point sur les rangs quels ayent esté mes ancestres. Suffise toy, puis qu' il te plaist en ma faveur desrober une heure à tes plus urgentes affaires, que dés que j' eus cognoissance des choses, je projettay de n' endurer jamais injure, de n' estre jamais souffreteux, & au surplus donner la vogue à mes plaisirs comme j' avois le vent en poupe. De là, si tu le veux sçavoir, est issuë toute la source de mon mal. Et a fin que tu l' entendes tout au long, sçaches seigneur Comite que discourant sur toute cette ronde machine apres un long divorce de toutes choses en mon esprit, je resolu à la parfin un fondement perpetuel, sur lequel depuis je basty toutes mes pensees. Le fondement dont je te parle c' estoit Nature: de cette Nature, disois-je, si nous croyons aux Legistes, sont provignees toutes leurs loix, de cette mesme les Medecins prindrent naissance, lesquels pour cette occasion furent anciennement, ce me semble, en la France appellez par mot Grec Physiciens, de ceste Nature, les arts, de cette Nature, les sciences: Parquoy à cette grande Nature, faut generalement raporter toutes nos œuvres & pensemens. 

Or que me causa tout ce discours? une telle confusion que remaschant tout cecy en mon cerveau, il m' entra en teste, non du premier jour, ains petit à petit, & par quelque traicte de temps, que ce mot de larrecin avoit esté inventé par tyrans, la vengeance ostee par covards, & la copulation charnelle modifiee par personnes de petit effet, & qui mesuroient le commun devoir selon le cours de leurs puissances particulieres. Premierement je voyois que au cours de nostre premiere Nature tout estoit tellement uny, que sans aucune distinction du Mien & Tien un chacun vivoit à sa guise, mettant en communauté tout ce que lors la terre gaye produisoit de son propre instinct: de son propre instinct (dy-je) par ce que depuis ennuyee du tort que nous luy faisons, ayant donné de son creu aux uns & aux autres particuliers ce qui appartenoit au commun, retira dans ses entrailles toute sa force, deliberee de ne nous communiquer ses thresors, si elle n' estoit sollicitee d' an en an, par assidues instances & semonces de nos charrues. Ainsi devisant à par moy: Toutes choses sunt (sont) donc communes, & cestuy-cy disgratié en toutes parties, & seulement une image taillee en homme fera son propre du commun: Et moy pauvret, que nature voulut assortir d' un cœur genereux & hautain, feray hommage à cette Idole reparee, qui n' aura yeux pour considerer mes merites: ny aureilles pour les convertir à mes prieres? Plustost plustost m' envoye le Ciel tout ce desastre que souffrir vie si penible. Et en cette resolution conduisant mes discours à effect, je me mis veritablement à desrober, mais quelles choses? celles que je pensois communes: estimant que puis qu' on semoit sur le fonds auquel j' avois droict par nature, je n' en pouvois devoir au fort que les façons. Et ainsi continuay de là en avant mes larcins, me chatoüillant en cest endroict, & flattant de la commune usance des autres, lesquels je voyois (encores que par mot desguisé) toutesfois sous le nom d' une trafique generale, estre d' un mesme mestier que moy: estant loisible à un chacun de decevoir son compagnon jusques à la moitié de juste prix.

COMITE. Et viença gentil Philosophe, ne te devoit-il souvenir que par cette sotte opinion tu violois non seulement les loix humaines, mais aussi celles de Dieu, qui te commandent n' avoir rien de l' autruy?

I. FORÇAT. Je te diray, j' arrivay en fin sur ce poinct, & apres plusieurs tracassemens & destours, je m' advisay que cette mesme police de communauté se tenoit dans les Religions plus recluses & familieres de l' observance du vieux temps. Au moyen dequoy je concluois qu' il falloit par necessité que celuy seul fust larron, qui troublant l' ordre de nature voulut attribuer à son usage peculier, ce qui estoit commun à tous: Ce ne suis-je doncques point, disois je, qui doive estre appellé larron, ains celuy qui premier mist bornes aux champs, celuy qui encourtina de murs les bourgades, bref, celuy qui plein de doute & soupçon, fortifia de frontieres son pays à l' encontre de son voisin, & tous ceux generalement qui serrez dans mesme cordelle, establissent toutes leurs loix sur cette particularité d' heritages & possessions. Estant donc en cette opinion, & envelopé dans ce labyrinthe de folie, folie puis-je bien nommer, puis que l' evenement me l' apprend, de cette opinion je tournay mon pensement en un autre erreur d' aussi fascheuse digestion, peut-estre que le premier. Fortune qui sur l' entree acheminoit mes entreprises à mon souhait, pour ne manquer d' honneste pretexte, me voulut de larron faire devenir gendarme.

COMITE. Un gendarme donc Philosophe. Et vrayement tu m' en veux conter, comme s' il y avoit en France autres Philosophes que ces grands Regens, qui de tout temps se sont habituez és fameuses Universitez, comme est celle de Paris.

I. FORÇAT. La plus part de ceux dont tu parles sont maistres és Arts, & qui n' apprindrent onc autre chose que de parler congruement, avec quelques petites fleurettes & embellissemens d' histoires Grecques ou Latines, dont ils reparent leurs escrits: mais que jamais ils sonderent profondement les poincts qu' ils jugent infaillibles, je meure si tu en trouves un tout seul.

COMITE. Certainement tu me fais rire, & ne l' eusse jamais creu, mais pour ne t' esloigner de ton propos.

I. FORÇAT. Soudain que je me vey apoincté sous la charge d' un Capitaine (qui à la verité m' avoit en quelque reputation pour me veoir, contre l' ordinaire des siens, par fois sortir à mon honneur de quelque propos de merite) il m' entra en la fantaisie un certain esprit de vengeance, non point vrayement par legereté, comme tu peux apercevoir, en la plus part de ces nouveaux advanturiers, lesquels ne se voyent bransler l' espee à leur costé qu' ils n' accompagnent aussi tost leurs gestes d' un minois de mauvais garçon, avec une infinité de reniemens & blasphemes: mais conduisant toutes mes œuvres par discours, je ruminois que si par instigation de Nature nous devions bien vouloir à ceux qui nous moyennoient quelque bien, tout de la mesme raison devions nous mal vouloir aux autres qui nous pourchassoient nostre mal.

COMITE. Ouy, mais tu sçavois bien que nostre Religion t' enseignoit du tout le contraire: quand il est porté par expres de rendre le bien pour le mal. 

I. FORÇAT. Tu dis vray, mais je destournois ce passage en autre sorte que tu ne fais, le prenant à mon advantage pour article de conseil, & non de commandement. Pour cette cause conduisant ce mien propos jusques à mainmettre, je resolvois de souffrir plustost mille morts, que d' endurer une injure, opinion grandement louee entre nous autres Italiens, & davantage tant approuvee de toute memoire par la Noblesse de France, qu' il semble qu' anciennement celuy qui poursuivoit son injure ne fist tant acte de vengeance, que de deffence. A raison dequoy (si comme estranger je ne m' abuse en l' observation de vostre Langue) entre deffendre & revenger, vous autres Messieurs les François ne mettez point de difference. Tant y a que d' une mesme fonteine (fontaine), bien que les effects fussent divers, je tirois l' amitié d' un pere à un fils, l' honneur que l' on porte à la vieillesse, la compassion des desolez, la recognoissance des biens faicts, & finalement la vengeance, toutes lesquelles notions je reputois estre engravees en nous, par cette grande mere Nature par une taisible obligation: que successivement nous nous procurons l' un l' autre. Voire que si outre l' instinct de Nature on estimoit beaucoup les quatre premieres, pour l' occasion du public, cette derniere ne devoit moins estre estimee, a fin que celuy qui nous offençoit, apprit par son propre exemple à refrener ses injures, & ne faire tort à autruy: qui estoit un des premiers endoctrinemens de Justice. Que veux-tu plus? De larron je me fis brave homme, & soustenant le poinct d' honneur s' il en fut onc, sans toutesfois que pour l' exercice de l' un, je misse l' autre à nonchaloir. 

COMITE. Tu me contes icy merveilles, d' autant que malaisément ces deux qualitez s' accouplent ensemble, comme ainsi soit que l' une procede de la part d' un homme genereux & magnanime, & l' autre d' un cœur lasche & chetif. Car quant au tiers poinct concernant le plaisir des femmes, lequel tu n' as encores deduit, je ne m' en scandalise beaucoup, comme estant un peché commun, & qui nous est dés nostre jeunesse affecté par une certaine & cachee suggestion de Nature.

I. FORÇAT. La verité est telle que tu dis. Aussi faisant le foye ses distributions naturelles en nous, il envoye aux vaissaux spermatiques le sang plus espuré, comme à chaque autre de nos membres ce qui luy est plus necessaire pour l' entretenement de ce corps.

COMITE. Quand en tout ce que tu deduis il y eust eu quelque apparence, comme toutesfois il n' y a, pour une infinité de raisons que l' usage & sens commun nous a apprises, si est-ce qu' encores te falloit-il mettre frein & moyen à tes pensees. De ma part bien que je n' eusse jamais le loisir de passer tant de resveries en mon esprit, si est-ce que selon mon gros sens, il me semble que tu estois beste, & que si tu eusses esté plus sage, tu te fusses contenté de viure selon la loy de ton pays.

I. FORÇAT. Tu me rameines en une grande difficulté. Car qui sçait si j' eusse peu gaigner ce poinct sur moy, estant né pour estre quelque jour exposé en cette misere où tu me vois, & qu' il falloit que pour quelque mien meffait je fusse mis à la chiorme? Quoy que ce soit, pendant que trop ententif je conduis toutes mes actions au cours de cette brusque Philosophie, je suis tombé en l' estat où tu me vois à present. D' une chose te veux-je prier, pour toute conclusion, c' est que si en toy se loge quelque estincelle d' humanité, ainsi que ta face & façons m' en donnent certain prognostic, tu vueilles espargner envers moy la puissance que tu as de meffaire, & me traicter non selon ma presente fortune, ains selon celle de laquelle j' estois plus digne.

II. FORÇAT. Seigneur Comite, entens, je te prie, ce que j' ay à te dire, sans t' arrester si longuement aux paroles de cet Italien.

COMITE. Et qui es tu?

II. FORÇAT. Qui je suis? à peine te le puis-je dire en ces abysmes d' opinions, esquelles nous sommes maintenant plongez, voyant ces Philosophes masquez tels que celuy que tu as icy accosté, revoquer toutes choses en doute, voire celles qui sont plus claires que le jour. Car que te puis-je asseurer si je suis homme ou beste, puis que la plus part de nous tous, dessous un faux visage d' homme, couvrons des opinions bestiales? Toutesfois si tu veux sçavoir mon estre, sçaches que je suis né natif du monde.

COMITE. Tu ne nous dis rien de nouveau.

II. FORÇAT. Trop plus nouveau que cela que t' a dit ce sot Italien, quand sur le commencement de ses propos pour se magnifier envers toy, il s' est vanté estre yssu non seulement de l' Italie, mais aussi de cette grande villasse ou villegaste de Rome. Et quant à moy, encores que ceux qui eurent de moy cognoissance, pendant ma plus heureuse fortune, me publiassent de cette genereuse & brave nation de France, si n' en fey-je jamais aucun compte, ains tousjours reputay en moy cette loüange estre mal acquise, que l' on pensoit tirer d' une vaine opinion de son pays. D' autant qu' oncques nation si barbare ne se trouva qui n' enfantast de bons cerveaux: Vray que les emploites & exercices d' iceux se sont trouvez estre divers, selon la diversité des contrees, chacun accommodant son sens aux mœurs des Regions, & au cours des necessitez qu' il voyoit avoir plus de lieu és pays où ils s' estoit destiné de passager cette vie. 

COMITE. Sur mon Dieu, selon ce que j' en puis juger tu n' es point du tout hors de propos.

II. FORÇAT. Par là doncques tu peux cognoistre en cest Italien, dés l' entree de ses arraisonnemens, je ne sçay quoy de sa nation, c' est à dire d' un homme vanteur, & qui pour quelque heureux succez qui advint quelquesfois à ces vieux Romains, estime au regard de soy, le surplus de toutes nations barbare, non considerant toutesfois que tout ainsi que jadis cette Rome envahist la plus part de toute autre contree, chaque contree depuis a voulu avoir encontre elle sa revange: qui a tellement succedé, que de toute cette Italie ne luy reste que le nom. Bien est vray que pource qu' ils ouïrent dire que leurs ancestres sur toute chose eurent leur liberté en recommandation, tout ce demeurant depuis s' attachant sans plus à ce mot, imagina non pas une liberté telle que pratiquoient les Romains à la conduite de leur police, mais une certaine licence qu' eux tous rongent contre le public. De maniere que la plus part d' eux vivant sous une & autre domination, ne songe à autre chose qu' à quelques libertez mal basties, qui toutesfois luy sont bonnes, mais qu' elles tournent à son profit, quoy que peut estre elles se trouvent contrevenantes aux bonnes mœurs. De là sans chercher autre source, est venu toute l' ignorance de ce folastre Italien; de là est procedee l' imagination qu' il a de la communauté des choses. Imagination toutesfois non conceue pour autre raison, sinon pour autant que Nature dés la naissance de luy, ne fut en son endroit si prodigue de ses richesses, comme à plusieurs, d' autant que si dés son premier estre il eust rencontré la fortune plus favorable, maintenant eust-il presché tout d' autre sorte. Et tout de la mesme façon que ce gentil Philosophe a voulu approuver la communion des richesses, un autre aussi advisé, mais peut estre plus riche que luy, faisant un nez de cire à Nature, prouvera par elle mesme la separation des domaines, telle que la praticquons aujour-d'huy. Parquoy pour te dire en peu de paroles, Comite, ce n' est point Philosophie, ains plustost vraye folie, vouloir par un particulier jugement retifuer contre l' esperon de nos loix: ains me semble qu' en un seul mot tu luy as trop plus que Philosophiquement coupé la broche, quand d' un bon sens naturel sur la fin de ses propos, tu luy as dit que posé que tous ses discours fussent de quelque apparence, si les falloit-il abhorrer, pour autant que comme le bon soldat il ne vivoit point au commandement de son Capitaine. Car pour te dire le vray (outre ce que tous les poincts qu' il a eu grand peine à te faire trouver bons, sont du tout contrevenans à nostre Christianisme) certes des choses qui touchent à la loy, mais qu' elles nous soient donnees à entendre, la dispute nous en doit estre du tout retranchee: autrement si vous en levez les defenses, vous ferez d' une souche autant de branches, comme vous les avrez entees en une diversité de cerveaux, & s' entretiendra un chacun en cette loy selon le cours de ses humeurs, ou de ce qu' il verra luy estre le plus expedient & apoint, pour parvenir à son intention.

COMITE. Tu dis vray, mais viença quand je m' advise. Esclave, pour quel forfaict fus tu doncques confiné en ce lieu? Car je croy par cette foy si asseuree que tu as ton Prince, que qui ne t' y eust amené tu n' y fusses jamais venu de ton bon gré.

II. FORÇAT. En bonne foy, Comite, ce n' a esté mon delict, mais ma bonté qui m' a pourchassé cette peine.

COMITE. Seigneur Dieu voicy des merveilles.

II. FORÇAT. Patience, car s' il te plaist que tout au long je te raconte le temps passé de ma vie, croy m' en Comite, & t' en informes plus amplement si bon te semble, par ceux qui ont de moy cognoissance, oncques jour de ma vie je ne pensay de transgresser ma loy d' un seul poinct, de propos deliberé, ains tousjours me suis evertué de me conformer au cours d' icelle, & en ce faisant ne faire au prejudice d' autruy chose qui me tourneroit à desplaisir, estant attentee contre moy. Premierement tout mon dessein fut de mener une vie calme, bannie de cette grande Cour des Seigneurs, & semblablement des tumultes & chiquaneries des Cohues, non toutesfois qu' en ce projet je ne recogneusse fort bien n' estre point né pour moy seul. Au moyen dequoy je determinay aider aux necessiteux de mon bien, ou de mon conseil, selon l' exigence des cas: qui m' apporta telle faveur & applaudissement envers un simple populaire, que de ceux qui me cognoissent je fus reputé pour un Roy: Roy veritablement estois-je, par ce que sans passion je guidois toutes mes œuvres, & si je voyois quelques uns, comme zelateur du pien public s' aigrir encontre la justice, estimans par leur opinion particuliere qu' elle fust mal administree, ou murmurer contre la licence des grands, comme outrageusement entreprenans sur la liberté du commun, au contraire tousjours je pensois que tout se faisoit pour un bien, voire que les choses allans mal (ce que je ne me pouvois faire acroire) il falloit que d' un grand desordre s' engendrast à la fin finale un ordre, ainsi que de l' ancien Chaos & confusion s' escloyt la concorde universelle de toutes choses. Et au surplus je resolvois que c' estoit combatre son umbre, d' entrer en telles vanitez, desquelles le remede gisoit en la seule main du Seigneur: non de ce seigneur superficiel, qui n' est que comme une monstre de l' autre, mais de celuy qui luy seul tient le gouvernail de ce monde: partant que trop meilleur estoit sans se tourmenter vainement ny des honneurs, ny de l' heur ou malheur de nostre saison, penser qu' il n' y eut jamais homme qui se contentast de son temps. Ainsi vivois-je en ma maison reiglee pour te dire sans vanterie, comme une vraye Republique, distribuant les offices à un chacun de ma famille, & ce que chacun avoit à faire selon la grandeur & portee de son esprit: faisant à tous mes serviteurs faveur selon le poids de leurs merites: Chose trop longue à te deduire: suffise toy Seigneur Comite, qu' estant en cette tranquillité & repos de mon esprit cogneu des hommes vertueux, non toutesfois bien voulu de quelques favoris des Dieux, fortune jalouse de mon heur, ou peut estre me prenant pour un autre, me procura tout le desastre auquel tu vois que je suis.

COMITE. Et vrayement tu avois trop bonne ame pour estre envoyé aux galeres.

II. FORÇAT. Je prosperois & accroissois moyennement mon avoir, sans faire tort à autruy: mon bien pour te le faire court, a esté cause de mon mal.

I. FORÇAT. Et comment estois tu si sot, puis que comme homme de cerveau tu pouvois discerner aisément que l' origine de ton malheur provenoit de tes richesses, que tu ne les abandonnois premier que de tomber en tel accessoire?

II. FORÇAT. Il n' en a pas tenu à moy, & le Castor me donnoit enseignement de ton dire; mais il estoit necessaire, a fin qu' on ne faillist de pretexte, prendre le corps pour avoir confiscation de mes biens.

COMITE. Tu nous conte icy merveilles, comme si ceux qui tiennent la Justice en main se fussent de tant oubliez.

II. FORÇAT. Ceux dont tu parles jugent par l' examen & instruction de tesmoins, à cause dequoy est fort facile leur imposer, sans toutesfois que pourtant il leur faille rien improperer de leur office. Car leur estant la loy prefixe comment ils doivent proceder sur nostre vie ou nostre mort, que peuvent-ils faire de moins, que s' arrester en la preuve qu' ils ont tiree de l' asseurance & confrontation de quelques hommes, de la parole desquels depend le fil de nostre vie, en tel cas? Partant, ce n' est point à mes Juges à qui j' en porte maltalent, ny semblablement à celuy qui par une liberalité de mon Prince possede aujourd'huy tout mon bien, car paraventure par une mesgarde, & sous un faux donner à entendre s' est-il acheminé à la poursuite de ma ruine. Et à qui doncques? peut estre à mon Instigateur? certes nenny: pour autant que j' ay opinion que par permission divine cet homme ait esté suscité pour executer contre moy le jugement de Dieu, lequel à la longue s' il luy plaist sortira meilleur effect.

COMITE. Et je te jure mon Dieu qu' oncques telle patience je ne veis dessous cette cappe du ciel. Mais encore, as-tu point eu de regret apres la perte de tous tes biens, d' estre exposé aux bastonnades & anguillades de ces galeres?

II. FORÇAT. N' en fais doute, d' autant que je n' approuvay & n' esprouvay jamais l' indoleance tant preschee & solemnisee par quelques vieux radoteux & Philosophes de pierre, toutesfois ayant par une longue traicte recueilly en moy mes esprits, joint que c' estoit un faire le faut, duquel je ne me pouvois dispenser, je concluds de porter mon mal non sans grande douleur de mon corps, estant inacoustumé de recevoir telles caresses: mais avec telle patience que le discours des choses humaines me le pouvoit moyenner. Parquoy amassant toute cette masse de l' Univers ensemblement, je commençay à courir sur les Roys, Princes, & grands Seigneurs, puis sur les Magistrats & autre telle maniere de gens, qui tiennent le second rang entre nous, & ainsi de l' un à l' autre entretenant mes discours, je voyois que nous tous tirions unanimement à la rame, non vrayement manuellement, mais que chacun de nous estant ainsi qu' en une grande mer, agitez des flots & vagues, n' estions non plus que des pauvres galiots, jamais en repos, jusques à ce qu' eussions pris terre, receptacle de tous nos maux, quand apres avoir satisfaict au commun cours de nos miseres, en fin de jeu sommes contraincts luy sacrifier la derniere despouille de nous. Car si tu y prens garde de pres tu trouveras que combien que le populaire soit serf & vassal des grands Seigneurs, qu' eux mesmes en cette affluence de biens & faveur de toutes choses, se rendent les uns des autres esclaves, pour se maintenir en grandeur: Parce qu' un chacun plus veut il

estre grand & embrasser l' ambition, plus sent-il de fleaux & molestes dans son ame. Tellement qu' au plus grand contentement de ce monde, encores n' est-il pas content. Or est-ce une chose asseuree qu' oncques aucun de nous ne naquit, moyennant qu' il fust accompagné de quelque petit esprit, qu' il n' aspirast quant & quant à monter aux honneurs, & aux biens, sans trouver assouvissement. Ainsi sommes nous tous miserables: voire ceux qui par commune reputation des idots (idiots) sont icy tenus pour heureux. A bon droit donc Seigneur Comite, dois-je prendre consolation, puis qu' en ma grande adversité j' ay pour compagnie les grands Roys.

COMITE. Consolation peux-tu prendre en ce grand repos d' esprit, & à la mienne volonté cher amy (car ainsi te veux-je nommer) que tels Esclaves que toy gouvernassent nos Republiques, ou pour le moins que les Magistrats qui ne te ressembleroient de cerveau, tinssent le lieu que tu tiens icy. Et au surplus, tant s' en faut que j' esgale la condition de plusieurs tyrans à la felicité de la tienne, qu' au contraire je t' estime sans aucune comparaison plus heureux: attendu que sans aucune forfaicture en une tranquilité d' esprit, tu souffres quelque mal du corps, & eux en un aise du corps endurent une infinité de traverses d' esprit, & remords de conscience, avec une perpetuelle tare & infamie, qui leur demeure & leur demeurera de leurs extorsions tyranniques. Parquoy, te voyant de si bonne paste, je me delibere desormais jurer une eternelle alliance avec toy, à la charge que tu pourras faire estat de moy, comme de ta propre personne. 

II. FORÇAT. Seigneur Comite, j' accepte ta bonne volonté, en attendant qu' avec plus heureuse fortune je te puisse donner à cognoistre combien j' ay ton amitié agreable. Et toutesfois puis qu' en cette mienne adversité tu me veux faire tant de bien de me choisir des tiens, encores ne me puis je abstenir que je ne recommande cest Italien, lequel je te prie avoir en mesme degré que moy, parce qu' il n' en est indigne, & y a quelque cas en luy duquel tu dois faire compte.

COMITE. Je ne t' esconduiray pour ce coup, & ores que je sçache bien que nous autres & luy soyons grandement differens de mœurs & complexions, pour la diversité des pays, que la Nature mesme voulut separer d' un grand entreject de montagnes, pour n' avoir rien que sourdre ou partager les uns avec les autres, si le veux-je bien à ta semonce adjouster à nostre compagnie en tiers-pied, a fin que d' oresnavant par ton moyen & le sien nous puissions tromper la marine, par quelques propos d' eslite, pendant que ces autres forçats, pour toute consolation, s' amuseront de s' entretromper de bayes, & donner la mocque l' un à l' autre.

Fin du Pour-parler de la Loy.

miércoles, 28 de junio de 2023

4. 19. Vers quel temps un tas de gens vagabonds, que les aucuns nomment Aegyptiens, les autres Bohemiens, commencerent de roder cette France.

Vers quel temps un tas de gens vagabonds, que les aucuns nomment Aegyptiens, les autres Bohemiens, commencerent de roder cette France. 

CHAPITRE XIX.

Il est tombé un vieux Livre entre mes mains en forme de papier journal, par lequel un Theologien de Paris, soigneux de recueillir les choses qu' il voyoit, nous redigea diligemment par escrit tout ce qui advint de son temps, specialement en la ville de Paris, de l' authorité duquel je me suis aidé en quelques endroits de cet œuvre: Mais je veux à present inserer tout au long, & transcrire de luy mot à mot certain passage, par lequel on peut aisément voir de quel temps ces Egyptiens que nous voyons encore vaguer par la France, commencerent à y entrer, & quelle fueille ils donnerent à leur pelerinage. Le Dimanche d' apres la my-Aoust (dit-il) qui fut le dix-septiesme jour d' Aoust mil quatre cens vingt-sept, vindrent à Paris douze Penanciers, comme ils disoient, c' est à sçavoir un Duc, & un Comte, & dix hommes tous à cheval, & lesquels se disoient tresbons Chrestiens: & estoient de la basse Egypte, & encore disoient que n' avoit pas grand temps que les Chrestiens les avoient subjuguez, & tout leur pays, & tous faits Chrestienner, ou mourir ceux qui ne vouloient estre. Ceux qui furent baptisez, furent Seigneurs du pays, comme devant, & promirent d' estre bons, & loyaux, & garder foy à Jesus-Christ jusques à la mort, & avoient Roy, & Royne en leur pays, qui demeuroient en leurs Seigneuries. Item vray est, comme ils disoient, qu' apres aucun temps qu' ils orent pris la foy Chrestienne, les Sarrazins les vindrent assaillir. Quand ils se veirent comme pou fermes en nostre foy, à trespou d' achoison sans endurer gueres les guerre, & sans faire le devoir de leur pays deffendre que trespou, se rendirent à leurs ennemis, & devindrent Sarrazins comme devant, & renoncerent à Jesus-Christ. Item il advint apres que les Chrestiens, comme l' Empereur d' Allemagne, le Roy de Poulaine & autres Sieurs, quand ils sçorent qu' ils orent ainsi faussement laissé nostre foy, & qu' ils estoient devenus si tost Sarrazins, & Idolatres,  leur coururent sus, & les vainquirent tantost comme cils qui cuidoient qu' on les laissast en leur pays, comme à l' autre fois pour devenir Chrestiens: Mais l' Empereur, & les autres Seigneurs par grande deliberation de conseil, dirent que jamais ne tenroient terre en leur pays, si le Pape ne le consentoit, & qu' il convenoit que là allassent au S. Pere à Rome: & là allerent tous petits & grands à moult grand peine pour les enfans. Quand là furent, ils confesserent en general leurs pechez. Quand le Pape ont oüye leur confession, par grande deliberation de conseil, leur ordonna en penitence d' aller sept ans ensuyvant parmy le monde, sans coucher en lit, & pour avoir aucun confort pour leur despense, ordonna, comme on disoit, que tout Evesque, & Abbé portant crosse, leur donneroit pour une fois dix liures tournois, & leur bailla lettres faisans mention de ce aux Prelats de l' Eglise, & leur donna sa benisson, puis se departirent, & furent avant cinq ans par le monde, qu' ils vinssent à Paris. Et vindrent le dix-septiesme jour d' Aoust l' an mil quatre cens vingt-sept, les douze devant dits, & le jour sainct Jean Decolace vint le commun. Lequel on ne laissa point entrer dans Paris, mais par Justice furent logez à la Chappelle sainct Denys, & n' estoient point plus en tout d' hommes, de femmes & d' enfans, de cent ou six vingts, ou environ. Et quand ils se partirent de leurs pays, ils estoient mille ou douze cens: Mais le remenant estoit mort en la voye, & leur Roy, & leur Royne, & ceux qui estoient en vie, avoient encore esperance d' avoir des biens mondains: car le S. Pere leur avoit promis qu' il leur donneroit païs pour habiter, bon & fertile: mais qu' ils de bon cœur achevassent leur penitence. Item quand ils furent à la Chappelle, on ne veit oncques plus grande allee de gens à la benisson du Lendit, que là alloit de Paris, de sainct Denys, & d' entour Paris pour les voir. Et vray est que le plus, & presque tous avoient les oreilles percees, & en chacune oreille un annel d' argent, ou deux en chacune: & disoient que c' estoit gentillesse en leur pays. Item les hommes estoient tres-noirs, les cheveux crespez, les plus laides femmes que l' on peut voir, & les plus noires, toutes avoient le visage deplayé, cheveux noirs comme la queuë d' un cheval, pour toutes robbes, une vieille flossoye tres-grosse, d' un lien de drap, ou de corde, liee sur l' espaule, & dessus un pauvre roquet, ou chemise pour paremens: Bref c' estoient les plus pauvres creatures que l' on veit oncques venir en France, d' aage d' homme, & neantmoins leur pauverté, en la compagnie avoit sorcieres qui regardoient és mains des gens, & disoient ce qu' advenu leur estoit, ou à l' advenir, & meirent contens en plusieurs mariages. Car elles disoient, Ta femme t' a fait coup: Et qui pis estoit, en parlant aux creatures par art Magique, ou autrement par l' ennemy d' Enfer, ou par entreject d' habilité faisoient vuider les bourses aux gens, & les mettoient en leurs bourses, comme on disoit. Et vrayement j' y feuz trois ou quatre fois pour parler à eux, mais oncques ne m' apperçeu d' un denier de perte, ne les vey regarder en main. Mais ainsi le disoit le peuple par tout. Tant que la nouvelle en vint à l' Evesque de Paris, lequel y alla, & mena avec luy un frere Prescheur nommé le petit Jacobin, lequel par le commandement de l' Evesque feit là une belle predication, en excommuniant tous ceux, & celles qui se faisoient, & qui avoient creu, & monstré leurs mains, & convint qu' ils s' en allassent, & se partirent le jour de nostre Dame en Septembre, & s' en allerent vers Pontoise. A tant l' Autheur.

Duquel passage nous pouvons aisément tirer qu' auparavant ce voyage les Parisiens n' avoient esté repeuz de telle maniere de gens, lesquels jusques à nous ont continué successivement, & de main en main leurs voyages, sous umbre de leur penitence à mon jugement fabuleuse, mais toutesfois telle que de la mesme façon que cet Autheur en fait recit: Aussi de nostre temps Monster en sa Cosmographie en a faict une mention non beaucoup esloignee de cette-cy: Et est une chose estrange, que ces miserables voyageurs, sans asseurance de feu & lieu font une perpetuelle profession de mendicité, de larcin, & d' oisiveté, & encore plus estrange qu' au veu & sceu de nos Magistrats, ils ont rodé en cette France par l' espace de cent, ou six vingts ans & plus, sans avoir autre adveu de leur penitence, sinon celuy que par une sotte renommee, ils avoient imprimé depuis ce temps-là dans nos testes. Disans que les sept ans de penitence qui furent ordonnez aux premiers alloient de succession en succession: Toutesfois de nostre temps par l' Edict des Estats tenus à Orleans, & publié le 3. Septembre 1561. il fut pourveu à cet abus: Pour autant que par l' article cent troisiesme de cet Edict, il fut enjoinct à tous Baillifs, Seneschaux, ou leurs Lieutenans, & autres Officiers du Roy, chacun en son destroict, faire commandement à tous tels imposteurs qui empruntoient le nom de Bohemiens, ou Egyptiens, leurs femmes, enfans, & autres de leur suitte de vuider dedans deux mois de ce Royaume à peine des Galeres, & de punition corporelle: Au reste je ne veux obmettre que Raphaël Volaterran, au douziesme de sa Geographie, dict que cette sorte de gens estoit extraicte des Uxiens, peuples assis, & situez dans la Perside, induit à ce croire de l' authorité de Syllax, qui a escrit l' Histoire des Empereurs de Constantinople, lequel recite que Michel Traule Empereur avoit appris d' eux, que la Couronne de l' Empire devoit tomber entre ses mains. Qui estoit une Secte, laquelle esparse par la Mesie, disoit à chacun sa bonne, ou mauvaise advanture: Quos aliena iuvant, proprijs habitare molestum.


Vers quel temps un tas de gens vagabonds, que les aucuns nomment Aegyptiens, les autres Bohemiens, commencerent de roder cette France.