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lunes, 17 de julio de 2023

6. 30. Que les Royaumes ont esté quelques-fois conservez, pour avoir esté les jeunes Princes mis soubs la protection & tutelle de leurs ennemis.

Que les Royaumes ont esté quelques-fois conservez, pour avoir esté les jeunes Princes mis soubs la protection & tutelle de leurs ennemis.

CHAPITRE XXX.

Il n' y à rien plus à craindre en une Republique que quand elle tombe soubs la puissance d' un enfant, comme estant une ouverture à l' ambition des grands qui sont pres de luy, vray seminaire des guerres civiles, dont provient à la longue, ou la mutation de l' Estat, ou de la famille du Prince. Les anciens Romains estimoient qu' apres Dieu, le premier devoir de pieté en cette societé humaine, gisoit en la conjonction des peres, & de leurs enfans, le second en celle des tuteurs envers leurs pupilles. C' est pourquoy quand il est question de creer un tuteur, on fait une assemblee des plus proches parens & amis, par l' advis desquels on choisit ordinairement celuy que l' on pense le plus digne de cette charge, pour la proximité du lignage. Je ne sçay si cette maxime est bonne pour la conservation d' un Estat. Car donnant à un jeune Prince celuy qui luy est le plus proche parent, il luy est beaucoup plus aisé d' empieter le Royaume sur son pupille, pour les intelligences qu' il a dedans le pays, que non à un Prince estranger. Lequel quand il voudroit entreprendre quelque chose au prejudice de son mineur, par menees, si ne luy seroit-il si aisé, pour l' obstacle qui luy seroit faict par les Princes du Sang. Ainsi n' est-il pas peut-estre hors de propos que l' authorité & regence demeure par devers celuy qui ne peut nuire, & la force par devers ceux qui n' ont pas l' authorité. Ce que je dy semblera de premiere rencontre paradoxe, mais il a esté averé par deux exemples signalez.

L' un des plus grands ennemis qu' eust l' Empereur Arcade, fut Isdigerte Roy des Perses. Aussi y avoit-il une inimitié de toute ancienneté entre le Romain & le Persan, pour les souverainetez & limites. Arcade avoit par plusieurs grands exploits esprouvé la valeur de son ennemy, mais aussi avoit-il fait plusieurs preuves de sa preud'hommie, & mourant craignoit, s' il ne le reconcilioit à l' Empereur par quelque honneste demonstration d' amitié, qu' il donnast plusieurs algarades au jeune Valentinian son fils. Pour y remedier il prie par son testament Isdigerte de vouloir accepter la garde, & tutelle de son fils, ce qu' il eut pour agreable, & le prit à tel honneur, que mettant sous pieds toutes les querelles du passé, au lieu de guerroyer le Romain, il rendit l' Empire paisible à son pupille, le plus qu' il luy fut possible, en toutes les parties du Levant. Chose certes pleine de merveilles, que cet Empereur obtint apres sa mort par un papier de bien-vueillance, ce qu' il n' avoit peu faire durant sa vie par la fureur & colere des armes.

Pareil advis suivit l' Empereur Maximilian du temps de nos bisayeux, lequel mourant delaissé Charles d' Austriche son petit fils successeur de tous ses païs, mesmes de celuy de Flandres, sur lequel il voyoit les Roys de France jetter la veuë de tout temps, comme chose de leur ancien domaine: estimant qu' au bas âge de ce jeune Prince, se pouvoit rencontrer de faire nouveau dessein sur ce pays, il pensa de destourner cet orage par une nouvelle obligation: Qui fut de prier par son testament le Roy Louys XII. de vouloir accepter la tutelle de Charles: Tutelle que ce bon Roy accepta, & n' eut depuis rien tant en recommandation que la conservation de son mineur: Et parce qu' il n' y pouvoit fournir en personne, choisit le Seigneur de Chievres, l' un des plus attrempez personnages de son temps, pour la conduite de ce jeune Prince: lequel deslors fit profession de le nourrir aux affaires, combien que son bas âge semblast n' y estre encores disposé. A maniere qu' il vouloit que tous les pacquets fussent par luy ouverts, & rapportez à son conseil, a fin qu' il s' accoustumast de ne manier son Estat par Procureurs quand il seroit venu en aage plus meur. Et comme ainsi fust qu' un Seigneur de la France luy remonstrast qu' il chargeoit trop la jeunesse de ce jeune Prince, il luy respondit sagement, que pendant que luy mineur estoit sous sa tutelle, il luy vouloit enseigner de ne tomber sous la tutelle d' un autre quand il seroit fait majeur. Leçon dont Charles sçeut fort bien faire son profit aux despens de nostre France, depuis qu' il fut fait Empereur.

Je veux à la suite de cette histoire y en attacher une autre, encores qu' elle soit precedente de temps. Jean V. Duc de Bretagne de ce nom, surnommé le Conquereur, avoit porté grande inimitié à Messire Olivier de Clisson Connestable de France. Toutes-fois en mourant il l' ordonna pour tuteur & curateur à ses enfans avec Philippes Duc de Bourgongne son proche parent. Soudain que Clisson receut ces nouvelles, il est visité par la Comtesse de Pontievre sa fille, laquelle luy remonstra que le temps estoit lors venu de pouvoir r'entrer dans le Duché à bon compte par le moyen de cette nouvelle tutelle. Ce bon & sage Seigneur entra en une telle colere, qu' il luy dit. Ah meschante & mal-heureuse, tu ruineras ta maison d' honneur, & de bien tout ensemble! Et d' une grande fureur se saisit d' un espieu, dont il l' eust frappé, si elle n' eust prevenu le coup d' une prompte fuite, & en fuyant se rompit une jambe dont elle fut depuis boiteuse: Et dés lors la prophetie de son pere commença de trouver effect. Or voyez quel fut le progrés de cette histoire. Jeanne de Navarre veufve du feu Duc, convole en secondes nopces avec Henry IV. de ce nom Roy d' Angleterre: Par le moyen de ce mariage y avoit grand danger de l' envahissement du Duché, pendant la minorité de ces jeunes Princes: Toutes-fois par la sagesse de Clisson toutes choses leur furent conservees, & fut le Duc marié avec l' une des filles de Charles VII. & mourant quelques annees apres, Marguerite de Clisson Comtesse de Pontievre, pensant estre au dessus du vent surprit par tromperie le Duc, & Richard l' un de ses freres, & les detenant prisonniers, elle est assiegee dans son chasteau de Chantoisseaux par tous les Seigneurs de la Bretagne, laquelle se voyant reduite en toute extremité, rend par capitulation le Duc & les autres prisonniers: promet d' ester à droit au Parlement pour subir telle condamnation qui seroit trouvee bonne. Et à cette fin donne pour ostage de sa comparution le dernier de ses enfans nommé Guillaume. La place renduë est demolie rez pieds, rez terre, sans mesmes pardonner aux Eglises. Le procez est fait & parfait par defaux & contumace à cette Dame, & à deux de ses enfans, qui avoient esté les premiers entremetteurs de cette conjuration, ils sont tous declarez crimineux de leze Majesté, & ordonné que leurs chasteaux seroient rasez. Arrest qui fut prononcé en la presence du petit Guillaume son fils, lequel deslors fut reduit en une obscure, & cruelle prison à Aulroy, où il demeura l' espace de vingt-sept ans, & y perdit la veuë. Les chasteaux de Guincamp, Lembale, la Rochederian, & autres Seigneuries du Comte de Pontievre demolies. Admirable certes fut la preud'hommie dont usa Clisson envers ses mineurs, & neantmoins fait aucunement à considerer qu' il pouvoit avoir pour controlleur de ses actions Philippes Duc de Bourgongne: Mais beaucoup plus est esmerveillable ou sa Prophetie, ou la malediction qu' il donna à sa fille quand elle luy conseilla d' occuper le Duché par le moyen de cette nouvelle tutelle.