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lunes, 22 de mayo de 2023

CHAPITRE XII. Des Normans, nouveau peuple de la Germanie, qui occuperent quelque partie de nostre Gaule.

Des Normans, nouveau peuple de la Germanie, qui occuperent quelque partie de nostre Gaule. 

CHAPITRE XII. 

Il sembloit que l' Allemaigne deust demourer quoye dans ses fins, & limites: ayans au declin de l' Empire les Alains, Vandales, Bourguignons, Visegots, Ostrogots, François, Anglois, & Lombards (car je voy qu' indifferemment l' on confond ces pays soubs la Germanie, encores qu' il y en eust quelques uns qui en fussent seulement voysins) jetté leur feu & donné plusieurs tesmoignages de leur vaillantise, toutesfois restoient encor les Daciens ou Danois à faire monstre de leur vertu. Ceuxcy du temps de Theodebert Roy de Mets, feirent quelques courses contre les Thoringiens. Depuis ce temps leur nom ne fut grandement renommé en la France, jusques au regne de Charles le grand, auquel temps ils n' attenterent aucune chose contre la France. Bien est vray, qu' ils degasterent en la Germanie ou Allemagne (ces mots nous sont pour le jourd'huy indifferens) quelques pays de noz appartenances: mais craignans la fureur de nostre grand Roy, meirent bride à leurs entreprises, espians temps plus opportun, qui se trouva soubs le regne de Charles le Chauve, auquel ceste grande ardeur des Martels se trouvoit ja toute refroidie. Et encor d' avantage soubs Carloman, qui fut contrainct pour obtenir d' eux quelque relasche, par une paix ignominieuse leur promettre douze mille liures de tribut. Durant laquelle saison pour les partialitez qui voguoyent entre les Roys d' Angleterre, donnerent plusieurs affaires aux Anglois, le plus du temps rapportans d' eux plusieurs belles despoüilles & victoires, & quelquesfois s' enfuyans avecques leur courte honte, selon que le vent de guerre leur donnoit en pouppe, ou non. En quoy ils poursuivirent leurs desseins avecques telle, opiniastreté, qu' en fin de jeu, ils demeurerent maistres du tablier, c' est à dire paisibles du Royaume d' Angleterre, par l' espace de vingt & huict ans, soubs leur Roy Suenon & son fils Danut. Les heureux succés, qu' ils avoient en ceste coste d' Angleterre, occasionnerent quelques autres de leur nation à semblable ravage en la France. Partant soubs la conduite de Raoul s' achemina à ce degast une grande quantité de Danois appellez Normans pour autant qu' au pays de Dace, ils tenoient le quartier du Septentrion. C' estoit chose assez familiere aux Germains de se forger nouveaux noms, selon les bandes qui se liguoient ensemblemment pour entreprendre nouveaux voyages: comme j' ay discouru cy-dessus du François & de l' Alemant: qui est la cause, pour laquelle les anciens n' ont eu aucune cognoissance de ces Normans, non plus que des François & Allemans. Vray qu' Adon Evesque de Vienne, qui attoucha presque ce temps là, & qui a conclud son Histoire en la vie de Charles le Simple, faict mention souz Charlemaigne d' un Vvitigincg Prince Saxon, lequel, pour evader le courroux de ce grand Roy, s' enfuit avec quelque trouppe des siens, en Normandie: Et en la vie du Chauve il tesmoigne qu' il eut plusieurs grands affaires à demesler, avec les Danois & Normans. Qui me faict esbahir pourquoy Raphaël Volaterran (homme en toutes choses de grande leçon toutesfois) ne veut extraire de la Germanie, ou de Dace, les Normans, ains les dict être venus du païs mesmes de la Gaule, d' un peuple par les anciens appellé Romanduens: ayans comme il dict, faict de ce nom Romand, par corruption de langue, un Normand. Estant doncques les Normans (pour retourner au premier fil de mon propos) arrivez en ceste contree avecques leur Capitaine Raoul, si oncques la France se trouva faschee par le trouble de gens estrangers, certainement ce fut lors. Et encores la chose qui plus nous donnoit à penser estoit, que nous estions maniez par un Prince environné de toutes pars, d' affaires, mesmes contre les siens, d' ailleurs, un Prince, qui pour son peu de sens & conduitte, feut de nous appellé le Simple. Au moyen dequoy entre tant de divorces il ne feut mal-aisé aux Normans de nous donner mille traverses. Ils coururent toute la riviere de Loire: prindrent les villes de Nantes, Tours, & Angers, saccagerent toute la Guyenne, fourragerent une partie de la Bourgongne & des environs de Paris, meirent soubz leur obeïssance Rouen: tellement que le Roy estonné de tels degasts & ravages, feut contrainct par personnes interposees de leur demander la paix, en mariage faisant d' une sienne fille, nommee Gillette, avecques Raoul, qui moyennant ce, prendroit le sainct caractere de Baptesme: & à tant luy donnoit le Roy & à ses gens pour assiette le pays de Neustrie, lequel il recognoistroit tenir en foy & hommage de la Couronne de France. Les peuples de ceste Neustrie (afin qu' avant que m' esloigner plus loing, je discoure quelque peu sur ce nom) n' estoient par les anciens Romains appellez d' un seul mot, mais compris soubz plusieurs petites sortes de peuples, comme Lexobiens, Aulerciens, Eburociens, par le nom de chaque cité. Depuis les François arrivans en la Gaule, pour la grandeur de leur Royaume, voulurent designer leurs peuples soubz deux noms, dont les uns s' appellerent Ostriens, qui vouloit dire François Orientaux, & estoient ceux qui tenoient les parties du Rhin: & les autres Vvestriens (Westriens), c' estoient François Occidentaux qui resseoient en ceste Gaule: en la mesme façon que nous voyons que des Gots, les aucuns s' intitulerent Ostrogots, & les autres Vvisegots (Wisegots). 

Vray que pour la proximité que l' N & l' V avoient ensemble, mesmement aux anciens caracteres des François, comme il est facile de voir aux plus vieilles Chartres de plusieurs Eglises, il fut aisé par succession de temps au lieu de deux Vv, n' y en mettre qu' un, & puis d' une Vestrie faire Neustrie. De ceste ancienne division vient que vous voyez si frequente mention dans nos autheurs, du Roiaume d' Austrasie: & mesmement quand le Roy Dagobert mourut, l' on recite qu' à son aisné Sigisbert escheut le Royaume d' Austrasie, & à son puisné Clovis celuy de France Occidentale. De laquelle division y avoit encor apparence, au moins pour le regard de Neustrie, du temps de nostre Debonnaire, quand par accord faict entre ses enfans, à Lothaire escheut Rome, avec l' Italie, Provence & une partie de Lorraine: à Louys, le Royaume d' Austrasie, c' est à dire toute la Germanie jusqu'au Rhin, & quelques autres de delà: à Charles, toute la Neustrie, qui fut le pays, qui depuis luy se continuant de main en main à ses successeurs, fut par nous appellé le Royaume de France. En quoy noz Historiographes faillent assez lourdement, pour autant que parlant en ce partage de la Neustrie, ils estiment que ce soit seulement le pays que nous appellons Normandie: & neantmoins ils sont d' accord que le Debonnaire ayant laissé à son puisné la Neustrie, ses deux autres fils faschez de cet advantage, apres le decés de leur pere, luy feirent une tres-cruelle guerre, en laquelle mourut en une journee toute l' ancienne fleur des François. Comme s' il fust à presumer que Lothaire & Louys, qui estoient si richement assortis, fussent entrez en jalousie pour une si petite piece de terre, comme est la Normandie: petite, dy-je, au regard d' une Italie, ou Germanie. Parquoy falloit necessairement que soubz le nom de Neustrie, feust lors entenduë la plus grande partie des pays que nous avons depuis le regne du Chauve tousjours compris souz la France. Bien est vray que par traicte de temps, comme toutes choses se changent, d' un nom de pays general, nous en feismes un particulier, qui est celuy qui par la venuë des Normans fut appellé Normandie: estant de là en avant reiglé par Ducs (Ducs toutefois, qui recognoissoient le Roy de France pour souverain) desquels le premier fut Raoul, qui au sainct Sacrement de Baptesme eschangea son nom en celuy de Robert, Prince de grande recommandation, soit que nous considerions ses memorables faicts d' armes, soit que nous ayons esgard au commun cours de justice qu' il establit en son pays: bref, tel qu' il falloit pour donner longue continuation à sa posterité & lignee. Auquel succeda Guillaume, secondant assez en vertus & bonnes complexions sou feu pere, mais comme voulut son malheur, il fut tué par les aguets & embusches d' Arnould Comte de Flandres: qui apporta depuis quelques mutations à la Normandie. Car Louys Roy de France prenant à son advantage que cestuy avoit laissé pour heritier un sien fils aagé seulement de deux ans, pretendoit le deposseder premierement par menees, puis par inimitiez ouvertes. Dont s' esmeurent apres grandes querelles, qui s' assopirent par les frequentes desconvenuës de Louys, & finalement par sa mort. Et comme ce Duc eut deux enfans, l' un masle nommé Richard, l' autre femelle appellee Emme: à son Duché succeda Richard, qui fut second de ce nom: & pour le regard d' Emme elle fut conjoincte par mariage avec un Roy d' Angleterre: affinité, qui accreut depuis grandement la puissance des Normans. Ce Richard eut pour successeur un autre Richard sien fils, qui fut troisiesme de ce nom. Lequel estant assez tost allé de vie à trespas, le Duché tomba par droict d' heritage és mains de son frere Robert. Cestuy fut pere naturel de Guillaume, qui pour ses grandes conquestes fut surnommé le Conquerant. Lequel, ayant subjugué l' Angleterre, apprit à ses successeurs le chemin & moyen de tenir une nation mutine en bride, combien que quelque Latineur de nostre temps, qui a redigé les vies des Roys d' Angleterre par escrit, luy vueille tourner ceste grande rudesse à blasme, ne cognoissant le naturel du pays, duquel il entreprenoit l' Histoire. A la verité, encores qu' il semble que nous autres François (picquez des anciennes querelles que eusmes avecques les Normans) leurs voulions naturellement mal, & qu' en commun propos mesmement nous detestions ceux qui leur ont succedé, si faut-il que je recognoisse franchement, qu' entre toutes les nations du Ponant, depuis que les autres demeurerent calmes & tranquilles, ceste cy principalement s' adonna d' un cœur gay & magnanime, à nouvelles conquestes. En quoy fortune la favorisa tellement que de ce tige, quasi comme d' un grand sep, se provignerent deux Royaumes: en l' un desquels, qui est l' Angleterre, leur posterité dure encor: & en l' autre, qui est la Pouille & la Calabre, se continua longuement. Et qui plus est, ne tint qu' à Robert Duc de Normandie au premier voyage d' outremer, que les Roys de Hierusalem ne prinssent leur commencement de luy. Quant au Royaume d' Angleterre, la conqueste qu' en feit Guillaume, & l' Escosse qu' il reduisit soubz son vasselage, nous en rendent assez asseurez. Et posé le cas qu' en Henry son fils defaillit sa lignee aux hoirs masles, si reprit-elle racine en Mathilde fille de Henry, de laquelle sortit un autre Henry, qui tant de la succession de ses pere & mere, que du costé de sa femme, se veit en un temps Roy d' Angleterre, Duc de Normandie, & de l' Aquitaine, Comte d' Anjou, Poictou, Maine, & Touraine: qui causa depuis grands travaux à nostre France, jusqu' à la venuë de nostre Philippe Auguste, que Dieu, ce semble, envoya expressemment pour faire retrouver aux François les forces, qui sembloient être à demy esgarees par la defaillance de cœur de la plus part de noz Roys. A ce Guillaume le Bastard, combien que le Duché n' appartint, ains aux plus proches lignagers issuz de loyal mariage: ce neantmoins pour autant que Robert son pere, allant veoir le sainct Sepulchre, l' avoit recommandé à Henry Roy de France, la chose fut conduite de façon, que Robert estant decedé avant son retour, Guillaume par l' entremise de Henry succeda à tous les honneurs de son pere. Qui fut cause (voyez comme un mal-heur nous engendre quelquefois un heur) que Guischard, qui estoit selon le branchage, vray & legitime heritier, fasché du tort qu' on luy tenoit, s' achemina avec quelques compagnies Françoises & Normandes vers la Calabre & Sicile. Ces pays, comme plusieurs autres, estoient lors grandement degastez par les Sarrasins, lesquels (depuis que l' Empereur Romain eut par force osté des mains de Constantin son pupille l' Empire de Constantinople) s' estoient mis en possession de toute ceste marche: feignans de vouloir aider à Rhomain, de la subjection duquel s' estoient soubstraits les Siciliens. A cause dequoy Guischard, soubz umbre de porter faveur à nostre Chrestienté, s' acconduit à ceste entreprise avec un vent si propice, qu' au grand plaisir de tout le monde il recovrut de la main des Sarrazins toute la Pouille & Sicile. En luy prindrent commencement par une nouvelle police, les Rois de Naples & de Sicile: laquelle forme s' est perpetuee jusques à nous. Peu apres le decés de Guischard, fut à Clairmont arrestee la grande & premiere Croisade à l' instigation du Pape Urbain second. Parquoy Robert fils de Guillaume le Bastard, esmeu d' un juste devoir, engagea son Duché de Normandie à Guillaume le Roux son frere, pour entreprendre avec Godefroy de Boüillon & autres Princes Chrestiens, le voyage. Auquel il se porta si vaillamment, qu' apres la conqueste de la terre saincte il feut creé premier Roy de Hierusalem. 

Ce qu' il ne voulut accepter, pour l' esperance qu' il avoit de rentrer & en son Duché & au Royaume d' Angleterre, qui luy appartenoit de droict fil: tellement qu' à son refus Boüillon emporta seulement ce tiltre. Qui ne sont pas traicts de petite loüange, pour les Normans. Afin que ce pendant je ne passe soubz silence, que Richard, duquel Guillaume estoit trisayeul, au voyage de Hierusalem conquesta le Royaume de Chipre, dont il investit les Roys de Hierusalem, lors que leur authorité & puissance se trouva du tout anichilee, par le moyen de Saladin. En maniere qu' en un peuple Normand se trouvent presque quatre couronnes Royales, desquelles il a esté par sa vaillance possesseur: tant eut de vertu & puissance ce sang Normand, conjoinct avec l' illustre sang de France.

domingo, 21 de mayo de 2023

CHAPITRE VI. Des François extraicts de la Germanie, & de leur ancienne demeure.

Des François extraicts de la Germanie, & de leur ancienne demeure.

CHAPITRE VI.

Il semble que tous nos historiens ne sçavent ou ils en sont, traictans ceste presente question: chose qui est, à mon jugement, procedee de l' incertitude qu' ont eu tous les anciens autheurs de ceste grande region de Germanie. Premierement, si vous vous arrestez aux Grecs, plusieurs estiment qu' ils en parlerent à la traverse. Et les Romains, quoy que pour la continuelle frequentation des guerres en deussent plus être informez, si est-ce qu' en ce qu' ils nous ont laissé par escrit, encor n' y a-il asseurance. Et qu' ainsi ne soit, où sont en Jules Cesar, parlant de la Germanie, les Cattiens, Quadiens, Frisiens, Marcomanes, & autres peuples à plain recitez par les autres? Certes vous trouverez que Cesar fait mention des Ubiens, qui tenoient quelques environs du Rhin: & des Sueves, lesquels il pense sur tous exhausser lors qu' il dit qu' ils tenoient en leur puissance cent petites Republiques ou Citez: & neantmoins Tacite attribuë seulement ces cent villes aux Senes, faisans une partie sans plus des Sueves: sans en ce comprendre les Lombards, Rendimes, Anglois, Vatiniens, Eudosses, & autres peuples compris sous ce grand nom de Sueves. Tellement que desia on les voit vaciller en une diversité d' opinions causees de quelque ignorance. Comme semblablement vous voyez Ptolomee ne faire que trois peuples de Sueves, qu' il appelle Lombards, Anglois & Senes: oubliant tous les autres qui sont adjoustez par Tacite. De maniere qu' il faut que les uns ou autres pechent au trop ou moins mettre. Or si ceste varieté entre les autheurs de la premiere demy douzaine, a apporté une confusion & incertitude en la teste de ceux qui leur ont succedé : encor y a-il plus d' occasion d' être empesché pour le regard des François, desquels vous ne voyez aucune mention en Cesar, Pline, Tacite, Ptolomee, ou Strabon. Car d' estimer que Ciceron s' en soit souvenu, comme nostre Paule AEmile dit, c' est se moquer. Et a esté le desastre tel, que toute l' ancienneté, escrivant de la Germanie, oublia les deux nations qui estoient comprises sous elle, desquelles toutesfois les deux plus grandes contrees du Ponant empruntent aujourd'huy les noms. Car & des Lombards & Anglois, vous en voyez quelque mention dedans Ptolomee & Tacite. Et pose qu' aucun d' eux ne face mention des Bourguignons, si est-ce que Pline y a suppleé: ainsi qu' a fait du semblable Strabon pour le regard des Sicambriens. Mais en quel endroict d' eux tous trouverez vous estre fait recit de l' Alleman, dont toutesfois aujourd'huy toute la Germanie porte le nom? ny semblablement du François, du nom duquel les Gaules ont esté depuis unze cens ans appellees? tellement qu' il semble que ce fussent du commencement *mots de faction forgez à plaisir par gens de guerre, lesquels depuis selon leurs heureux succez, apres avoir pris terre ferme, les avroient tournez en noms de nation & contree. Et que les François se baptiserent en ceste façon pour une liberté & franchise qu' ils progettoient en leur esprit: car ainsi diton que le mot de François signifie en langage Alleman Libre: Et que les Allemans s' apellerent aussi de ce nom, parce que sur leur premiere venuë, ils estoient ramassez de toutes sortes de gens: car Man en langue Germanique (comme disent ceux qui en font profession) veut dire Homme, & Al, tout: qui seroit, pour se conformer à l' opinion d' Agathie, qui les disoit être rapiecez de toutes sortes de gens. Bien vous diray-je que sur le declin de l' Empire, on celebroit grandement ces deux peuples. Marcellin au 22. liu. dit, que l' Empereur Julian exhortant ses soldats, avoit accoustumé de leur dire: Audite me quem Franci & Allemani audierunt. Au demourant c' est une ancienneté qui merite bien d' être remarquee, qu' entre tous les peuples de la Germanie le François fut en telle estime, qu' Agathie use fort souvent du mot de Germain pour François: Et S. Hierosme en la vie d' Hylarion dit que ce qui avoit autres fois esté appellé Germanie, estoit de son temps appellé la France. Comme si le François eust espandu son nom & valeur par toute la Germanie, toutesfois par longue succession de temps la chance se tourna, & fut la Germanie appellee Allemagne, comme nous la nommons aujourd'huy, & la Gaule, France, mot qui estoit ainsi usurpé dés le temps de Childebert Roy de France, fils de Clovis, comme nous voyons dedans S. Gregoire au quatriesme de ses Epistres, escrivant à l' Empereur Maurice. Mais pour ne m' esloigner de ma route, & discovrir vers quel temps nos François vindrent se loger en la Gaule, nous sommes si peu clair-voyans en ce fait, que par maniere de dire, nous en iugeons comme aueugles de couleurs: Toutesfois la commune resolution est que les François extraicts premierement des Troyens, depuis appellez Sicambriens, ayans fondé vers le fleuve de Tanaïs, ioignant les paluz Meotides, & sur la coste de la Scithie, une ville nommee de leur nom, Sicambrie: depuis, ayans en faveur de Valentinian premier Empereur de ce nom, desconfit les Alains rebellans contre la couronne de l' Empire, furent par l' Empereur du nom Grec (disent nos histoires) appellez François: qui vaut autant à dire comme preux, vaillans, & hardis, & tout d' un mesme moyen afranchis de toutes tailles, subsides, & tributs pour dix ans: pendant lesquels ils donnerent vers le Rhin. Auquel lieu (les dix ans expirez) ne voulans payer le tribut annuel, furent par Valentinian desfaits avec une playe memorable, qui leur saigna depuis long temps. Telle est l' opinion de Gaguin, & Gilles, qu' ils ont tiree de Sigisbert, laquelle je souhaiterois toutesfois être plus curieusement remachee. En premier lieu, que nos premiers François soient descendus des Troyens, quel autheur ancien de nom avons nous, qui nous y puisse servir ou de guide ou de garand? D' avantage qui ne sçait que long temps auparavant le declin des Empereurs de Rome, les Sicambriens habitoient desia sur le Rhin, ainsi que recite Strabon, pour laquelle cause il soustient qu' ils furent les premiers boutefeux, & suscitateurs des guerres de la contree de Germanie encontre l' Empire Romain? Et de dire qu' ils fussent surnommez François par Valentinian, cela est si fort estoigné du vray, que tant s' en faut que l' on doive faire estat de ceux qui meirent ceste opinion en avant, qu' au contraire il semble qu' ils n' ayent jamais gousté en aucune maniere, l' ancienneté. Et qu' ainsi ne soit, Vopisque sous Aurelian fait mention de plusieurs François, qui desia voguoient dans les Gaules, lesquels furent par luy deffaicts. Eutrope au neusiesme livre atteste que du temps de Diocletian & Maximian, les François rodoient toute la coste de la mer Belgique: & au deuxiesme, que Constantin subjugua quelques Roys de France. 

Et dans Marcellin la pluspart des affaires qu' avoit Julian l' Apostat au pays de Germanie, c' estoit encontre les François. Toutes lesquelles choses se sont passees auparavant le temps de Valentinian. Qui sont argumens suffisans pour mostrer que les François n' eurent Valentinian pour parrain. Aussi de mettre en avant que cest Empereur fit telle desconfiture de nous les dix ans passez, vrayement je ne trouve autheur ancien qui le die, ains au contraire trouverez au vingt & septiesme livre de Marcellin, que nouvelles vindrent à Valentinian estant lors en Italie, que la grand Bretagne estoit grandement degastee par les Pictes & Escossois, & semblablement qu' en la Gaule se desbordoit de toutes parts une grand quantité de François & Saxons: toutesfois de desconfiture, nulle mention. Ce qu' à mon jugement n' eust obmis ce gentil historiographe, ententif sur toutes choses à nous descouvrir les guerres de son temps entre les Germains & l' Empire, esquelles il assista, & qui mesmement florissoit du temps de ce Valentinian premier. Parquoy sans aller rechercher d' une longue trainee, ny les Troyens, ny les Sicambriens dedans 

(N. E. a la izquierda : C' estoit le pays où sont maintenant les *Erisons) 

les paluz Meotides (dont nous ne sçavrions avoir autheur certain ny asseuré, fors quelques Moines) les François furent peuples assis en pays marescageux, comme dit Vopisque, costoyans d' un costé le Rhin, la part où ce grand fleuve commence à perdre son nom dedans la mer Oceane, ainsi que recitent & Procope & Agathie: & d' un autre costé (suyvant Marcellin) attenans aux Saxons premierement nommez Senois, compris sous l' ancienne division de Sueves. A cause dequoy ils retenoient quelques cas des vieilles façons des Sueves, mesmement lors qu' ils aborderent és Gaules. Car tout ainsi que Tacite tesmoigne que les Sueves avoient pour coustume sacree & generale, de porter les cheveux longs, par lesquels les plus grands estoient separez & recognus d' avec leurs serfs, esclaves, & autres gens de basse condition: aussi, comme raconte Agathie, les Roys de France, & ceux qui estoient de leur sang, portoient une longue chevelure, non pas retorce comme estoit l' ancienne usance des Sueves, mais, comme toute façon se change, esparpillee sur les espaules en signe de Majesté. En laquelle mesme maniere les Princes des Sueves avoient apris de porter leur perruque du temps d' Arcade & Honore Empereurs, comme l' on peut descouvrir par quelques vers que Claudian escrivoit à Stilicon. Semblablement ny plus ny moins que les Sueves, ainsi que recite Cesar, par une profession annuelle, c' est à dire qu' ils faisoient d' an en an, estoient coustumiers d' envoyer nouveaux gens-d'armes çà & là pour guerroyer leurs voisins, pour laquelle cause vous voyez long temps apres la mort de Cesar les Lombards avoir occupé une partie de l' Italie, & les Anglois la grand Bretagne, toutes deux nations de Sueves: aussi les François, pour la proximité & voisinage qu' ils avoient avec eux, firent un perpetuel vœu de conqueste & contre les Gaulois, & contre toutes autres nations, jusques à ce que finalement ils atteindrent au dessus de la Gaule. Qui est la cause pour laquelle Jornande Evesque, & autheur d' assez grande efficace, adjouste à l' ancienne division des Sueves, les François & Thoringiens. Aussi voyez-vous en quelques endroicts de Marcellin & Eutrope par diverses fois les François accompagnez des Saxons (qui sont les anciens Senois) avoir entrepris plusieurs courses encontre la nation Gauloise, pour le voisinage des lieux qu' ils avoient ensemblemment. Ausquelles entreprises les François s' abandonnoient plus hardiment, pour deux causes: estans comme dit est, d' un costé favorisez du Rhin: de l' autre, de la mer Oceane: d' ailleurs en la plus-part de leurs pays environnez de grands marescages & bois. Qui estoit cause qu' aisemment ils assailloient, & en cas de mauvais succés, en leurs retraictes estoient mal-aisemment assaillis par les nations estrangeres, à l' occasion des eaux & difficultez des passages. En ceste façon (comme nous apprenons d' un Panegiric addressé à Maximian Empereur) voyons nous que par telles commoditez sous l' Empire de Probe Empereur ils coururent la Grece, Asie, Libye, & à leur retour prindrent & pillerent la ville de Siracuse: &, ainsi que dit * Na are en un autre Panegiric à Constantin, estendirent mesmement leurs forces jusques au pays des Espagnes, en sorte qu' ils tenoient toute la mer Oceane en leur subjection. Au moyen dequoy ils furent sur toutes nations de la Germanie redoutez par les Romains, & à la moindre victoire qu' ils obtenoient encontre eux, les Orateurs de ce temps-là applaudissans aux Empereurs, entre autres choses leur congratuloient qu' ils avoient rendu les mers quoyes & asseurees, ayans repoussé les François, comme si par leur seul moyen, tout l' Ocean fust troublé. Qui est argument assez pertinent, outre les authoritez cy dessus mentionnees, pour monstrer qu' ils ioignirent à la mer Oceane. Et au regard de la proximité du Rhin, nous en sommes acertenez par un passage d' Agathie au livre premier, où il dit en termes formels, qu' ils habitoient ioignant le Rhin pour leur premiere demeure, & que depuis ils occuperent une grande partie des Gaules. Dequoy mesmement Marcellin nous en baille asseurance, quand il dit en la vie de Julian, que luy se siant tant en son bon-heur, qu' en la vaillantise des siens, ayant passé le Rhin, occupa dés l' instant mesmes, l' une descontrees des François, qui se nommoient Antuariens. Lesquels par luy surpris, furent facilement vaincus, pour-autant qu' ils se confioient en l' assiette de leur pays, & que de leur memoire oncques Prince estranger n' y avoit mis le pié, pour la difficulté des advenuës & chemins. Duquel lieu nous pouvons presque rapporter qu' ils ioignirent au Rhin. Et combien que ceste difficulté de passages soit dite en termes generaux, si la faut-il rapporter aux forests & lieux marescageux, desquels ils estoient environnez, comme nous pouvons tirer de Sulpice Alexandrin par le rapport de Gregoire de Tours, & d' autres autheurs dignes de foy. Ainsi ayans & la commodité du Rhin à passer, & estans (si ainsi faut que je le die) fossoyez de toutes parts, & remparez de la commodité de leurs eaux, baillerent mille secousses au Romain, & specialement vers les parties de la Gaule. Ce qui ne fut pas de tous les autres peuples de Germanie: car les aucuns curent la commodité du Rhin, mais leur defailloient les retraittes, & les autres, combien qu' ils eussent les marests à propos, ne furent proches voisins de ce fleuve, par l' entreject duquel est separee la Gaule de la Germanie. Car (comme dit Paul le Diacre) les Saxons estoient aussi bien que les François, en terre marescageuse: toutesfois n' estans attenans du Rhin ne se peurent si facilement adomestiquer de la Gaule, comme firent ces braves François: mais prenans avecques les Anglois la route de la mer Oceane, descendirent de fois à autres en la grand Bretagne, de laquelle ils se firent à la parfin maistres: & les Lombards par les Pannonies usurperent aussi l' Italie. Voila comment, & par quelles voyes les François furent redoutez des Romains en la tuition de leur Gaule, leur faisans continuellement guerre au moyen de leur assiette. Enquoy ils prospererent petit à petit si heureusement, que les Romains, non point sous Valentinian pour combattre les Allains, comme recitent nos Annales, mais auparavant & apres, s' aiderent de leurs armes. Car & Procule, qui usurpa l' Empire au pays de Gaule, se disoit extraict de la nation Françoise: & par la gendarmerie des François, qui estoient à la soulde de l' Empereur Constance, Silvain se fit proclamer Empereur en la ville de Coloigne. Semblablement Gratian par le moyen de Mellobaudes Roy des François, tua Macrian Roy des Allemans, & aussi desconfit une infinité des Lants. Qui nous donne enseignement en quel bruit & reputation estoient lors les François envers les Romains, puis que les Empereurs cherchoient si soigneusement leur alliance. Laquelle toutesfois n' estoit de telle duree, que pour aucuns qui se soubmettoient à l' Empire, car ils estoient divisez en plusieurs peuples, comme Saliens & Antuariens, les autres ne passassent souvent le Rhin, pour endommager les Romains, ainsi qu' ils firent sous meilleurs gages, quand ils s' emparerent des Gaules, & de tout le pays que possedoit le Romain en la basse Allemaigne.