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viernes, 28 de julio de 2023

7. 12. Que nostre langue est capable des vers mesurez, tels que les Grecs & Romains.

Que nostre langue est capable des vers mesurez, tels que les Grecs & Romains.

CHAPITRE XII.

Ovide en quelque endroict de ses Regrets, qu' il intitule De Tristibus, dit qu' estant banny en la Scythie, pour tromper son malheur, avoit appris de faire des vers à la Romaine, en ce langage goffe, & barbare. Je ne dispute point si la forme des vers Latins avecques pieds longs & courts est meilleure, que nos rimes. Ce que j' entends maintenant deduire est de sçavoir si nostre langue Françoise en est capable. Quant à cela il n' en faut point faire de doubte, mais je souhaite que quiconque l' entreprendra soit plus né à la Poësie, que celuy qui de nostre temps s' en voulut dire le maistre. Cela a esté autresfois attenté par les nostres, & peut estre non mal à propos. Le premier qui l' entreprit fut Estienne Jodelle en ce distique qu' il mist en l' an mil cinq cens cinquante trois, sur les œuvres Poëtiques d' Olivier de Maigny.

Phoebus, Amour, Cypris, veut sauver, nourrir, & orner, 

Ton vers, & chef, d' umbre, de flamme, de fleurs. 

Voila le premier coup d' essay qui fut fait en vers rapportez, lequel est vrayement un petit chef d' œuvre. Ces deux vers ayans couru par les bouches de plusieurs personnages d' honneur, le Comte d' Alcinois en l' an mil cinq cens cinquante cinq, voulut honorer la seconde impression de mon Monophile de quelques vers Hendecasyllabes, dont les cinq derniers couloient assez doucement.

Or quant est de l' amour amy de vertu,

Don celeste de Dieu, je t' estime heureux

Mon Pasquier, d' en avoir fidellement faict,

Par ton docte labeur, ce docte discours,

Discours tel que Platon ne peut refuser. 

Quelques annees apres devisant avecques Ramus, personnage de singuliere recommandation, mais aussi grandement desireux de nouveautez, il me somma d' en faire un autre essay de plus longue haleine que les deux precedens. Pour luy complaire je fis en l' an 1556. cette Elegie en vers Hexametres & Pentametres.

Rien ne me plaist sinon de te chanter, & servir & orner

Rien ne te plaist mon bien, rien ne te plaist que ma mort. 

Plus je requiers, & plus je me tiens seur d' estre refusé, 

Et ce refus pourtant point ne me semble refus. 

O trompeurs attraicts, desir ardent, prompte volonté,

Espoir, non espoir, ains miserable pipeur. 

Discours mensongers, trahistreux œil, aspre cruauté,

Qui me ruine le corps, qui me ruine le cœur. 

Pourquoy tant de faveurs t' ont les Cieux mis à l' abandon,

Ou pourquoy dans moy si violente fureur? 

Si vaine est ma fureur, si vain est tout ce que des cieux

Tu tiens, s' en toy gist cette cruelle rigueur: 

Dieux patrons de l' amour bannissez d' elle la beauté,

Ou bien l' accouplez d' une amiable pitié: 

Ou si dans le miel vous meslez un venimeux fiel,

Vueillez Dieux que l' amour r'entre dedans le Chaos: 

Commandez que le froid, l' eau, l' Esté, l' humide, l' ardeur:

Brief que ce tout par tout tende à l' abisme de tous, 

Pour finir ma douleur, pour finir cette cruauté,

Qui me ruine le corps, qui me ruine le cœur,  

Non helas que ce rond soit tout un sans se rechanger,

Mais que ma Sourde se change, ou de face, ou de façons: 

Mais que ma Sourde se change, & plus douce escoute les voix,

Voix que je seme criant, voix que je seme, riant. 

Et que le feu du froid desormais puisse triompher, 

Et que le froid au feu perde sa lente vigueur:

Ainsi s' assopira mon tourment, & la cruauté

Qui me ruine le corps, qui me ruine le cœur.

Je ne dy pas que ces vers soient de quelque valeur, aussi ne les mets-je icy sur la monstre en intention qu' on les trouve tels: mais bien estime-je qu' ils sont autant fluides que les Latins: & à tant veux-je que l' on pense nostre Vulgaire estre aucunement capable de ce subject.

Cette maniere de vers ne prit lors cours, ains apres en avoir faict part à Ramus, je me contentay de les mettre entre les autres joyaux de mon estude, & les monstrer de fois à autres à mes amis. Neuf ou dix ans apres, Jean Antoine de Baïf marry que les Amours qu' il avoit premierement composez en faveur de sa Meline, puis de Francine, ne luy succedoient envers le peuple de telle façon qu' il desiroit, fit vœu de ne faire de là en avant que des vers mesurez, (ainsi appellons nous ceux ausquels nous voulons representer les Grecs & Latins) toutesfois en ce subject si mauvais parrain que non seulement il ne fut suivy d' aucun: mais au contraire descouragea un chacun de s' y employer. D' autant que tout ce qu' il en fit estoit tant despourveu de cette naïfveté, qui doit accompagner nos œuvres, qu' aussi tost que cette sienne Poësie veit la lumiere, elle mourut comme un avorton.

Or ces vers par moy cy dessus recitez, representent en nostre langue les vers Grecs & Latins, esquels on considere la proportion des pieds longs & briefs seulement: toutesfois je ne sçay comment la douceur de la rime s' est tellement insinuee dedans nos esprits, que quelques uns estimerent que pour telle maniere de vers agreable, il y falloit encores adjouster par supplément la rime au bout des mots: Le premier qui nous en monstra le chemin fut Claude Butet dedans ses œuvres Poëtiques, mais avec un assez malheureux succés.

Prince des Muses, Joviale race,

Vien de ton beau mont, subit de grace, 

Monstre moy les jeux de la Lire tienne 

Dans Mitilenne, 

Le demeurant de cette Ode contient sept couplets que je ne vous veux icy representer, par ce que je ne la trouve pas bonne. Et de fait en ce premier couplet vous y trouvez deux fautes notables. L' une qu' il fait l' E feminin long par la rencontre de deux consonantes qui le suivent: en quoy il s' abusoit: par ce que cest E n' est qu' un demy son que l' on ne peut aucunement rendre long: l' autre que quand cest E tombe en la fin du vers, il n' est point compté pour une syllabe, comme il a voulu faire. 

Il me suffit seulement de vous dire qu' il fut le premier autheur de nos vers mesurez rimez. Bien vous diray-je qu' il choisit sagement les vers Saphiques. Car si nous avions à transplanter en nostre vulgaire quelques vers Latins, il faudroit que ce fussent principalement ceux qui sont d' unze syllabes, que nous appellons tantost Phaleuces, tantost Saphiques. Il n' y a rien de si mignard que tels vers. Chose que l' Italien recognoissant a formé toute sa Poësie sur eux. Vray que ç'a esté sans consideration des syllabes briefves, ou longues: Car cela luy eust trop cousté, se contentant seulement de la rime au bout des unze syllabes. Ce que Ronsard a voulu representer en une Ode qui se commence, 

Belle, dont les yeux doucement m' ont tué 

Par un doux regard qu' au cœur ils m' ont rué, 

Et m' ont en un roc insensible mué 

En mon poil grison. 

Et en une autre, dont le premier couplet est tel:

N' y l' aage, ny sang ne sont plus en vigueur, 

Les ardents pensers ne m' eschauffent le cœur, 

Plus mon chef grison ne se veut enfermer 

Sous le joug d' aimer. 

En ces deux pieces que l' on poura lire tout au long dans le 5. de ses Odes la rime est tres-riche sans pieds, & neantmoins vous voyez qu' ils ne sont pas sans quelque grace: En l' Ode de Butet la faute visible qui s' y trouve est que tous ses vers clochent du pied. Et c' est pourquoy en l' an mil cinq cens septante huict, dedans mes œuvres Poëtiques, qui estoient adjoustees au bout de mon Monophile, je voulus faire ces Hendecasyllabes en vers rimez, & mesurez.

Tout soudain que je vis Belonne voz yeux, 

Ains vos rais imitans cet astre des Cieux, 

Vostre port grave-doux, ce gracieux ris, 

Tout soudain je me vis Belonne surpris, 

Tout soudain je quitay ma franche raison, 

Et peu caut je la mis à vostre prison:

Mais soudain que je vis Felonne tes yeux, 

Ains tes deux Baselics etincelans feux, 

Ton port plein de venin, ce traistre soubris, 

Tout soudain je cogneu de m' estre mespris, 

Tout soudain je repris ma serve raison, 

Et plus caut la remis dedans sa maison:

Et si comme ton œil premier me lança 

Un feu, aussi ton œil second me glaça. 

Or Adieu sot Amour, Adieu je m' en voy, 

Si le froid, & le chaud tu couvres en toy,

En vain veux-je du feu d' Amour me chauffer,

En vain vieil de l' Amour je veux trionfer, 

En vain veux-je mener l' Amour à douceur, 

En vain fais-je voyage avecques luy seur, 

Et constant en amour me veux-je ronger. 

S' il est jeune, cruel, aveugle, leger.

De tout cet Epigramme je ne demanderay pardon au lecteur sinon du mot Leger, dont j' ay faict la premiere syllabe longue, combien que je la pense briefve: faute toutesfois excusable, & en laquelle j' ay plustost choisi de tomber, que de perdre la pointe du dernier vers, qui se rapporte aux quatre precedens. Depuis Jean Passerat, homme duquel on ne sçavroit assez honorer les vers, soient Latins, ou François, quand il en a voulu faire, fit une Ode en vers Saphiques, qui est telle.

On demande en vain que la serve raison 

Rompe pour sortir l' amoureuse prison,

Plus je veux briser le lien de Cypris, 

Plus je me voy pris. 

L' esprit insensé ne se paist que d' ennuis, 

Plaintes, & sanglots, ne repose les nuits

Pour guerir ces maux que l' aveugle vainqueur 

Sorte de mon cœur. 

Pren pitié des tiens, tire hors de mon flanc

Tant de traits lancez, enyurez de mon sang, 

Moindre soit l' ardeur de ton aspre flambeau 

Archerot oiseau. 

Ou si mon tourment renouvelle tousjours, 

Il me faut trencher le filet de mes jours, 

Sur ce traistre enfant je seray le plus fort,

Quand je seray mort.

Le mesme Passerat fit une autre Ode telle qu' est celle d' Horace, qui se commence, Miserarum est neque amori dare ludum.

Ce petit Dieu colere, Archer, leger Oiseau, 

A la parfin ne me lairra que le tombeau, 

Si du grand feu que je nourry ne s' amortit la vive ardeur. 

Un Esté froid, un Hyver chaud, me gele, & fond, 

Mine mes nerfs, glace mon sang, ride mon front,

Je me meurs vif ne mourant point, je me seiche au temps de ma verdeur.

Sote trop tard à repentir tu te viendras, 

De m' avoir faict ce mal à tort tu te plaindras, 

Tu attens donc à me cercher remede un jour que je mourray.

D' un amour tel meritoit moins la loyauté, 

Que de gouster du premier fruict de ta beauté, 

Je le veux bien, tu ne veux pas, tu le voudras, je ne pourray. 

Nicolas Rapin Lieutenant Criminel de robbe courte dans Paris, homme qui sçait aussi bien s' ayder de la plume en vers Latins, & François, que de l' espee, quand la necessité de son estat le requiert, entre autres Epitaphes faits en l' honneur de Pierre de Ronsard, le voulut honorer de cestuy que je veux icy inserer tout de son long: Car c' est une piece qui me semble le meriter, tant en l' honneur de celuy qui l' a faite, que pour celuy qu' elle fut faicte.

ODE SAPHIQUE RIMEE.

Vous qui les ruisseaux d' Helicon frequentez,

Vous qui les Jardins solitaires hantez,

Et le fonds des bois, curieux de choisir

L' ombre & le loisir.

Qui vivant bien loing de la fange & du bruit,

Et de ces grandeurs que le peuple poursuit,

Estimez les vers que la Muse apres vous,

Trempe de miel doux. 

Eslevez vos chants, redoublez vostr' ardeur, 

Soustenez vos voix d' une brusque verdeur, 

Dont l' accord montant d' icy jusques aux Cieux,

Irrite les Dieux. 

Nostre grand Ronsard, de ce monde sorty, 

Les efforts derniers de la Parque a senty: 

Ses faveurs n' ont peu le garentir en fin

Contre le destin: 

Luy qui put des ans, & de l' aage vaincus 

Susciter Clovis, Pharamond, & Francus, 

Qu' un pareil cercueil receloit, & leur los

Moindre que leurs os: 

Luy qui put des morts ralumer le flambeau, 

Et le nom des Roys retirer du tombeau, 

Imprimant ses vers par un art maternel,

D' un style eternel.

Bien qu' il eust neuf sœurs qui souloient le garder, 

Il ne put les trois de là bas retarder, 

Qu' il ne fust forcé de la fiere Clothon,

Hoste de Pluton: 

Maintenant bien prés de la troupe des grands 

Fondateurs, guerriers de la gloire des Francs, 

On le voit pensif paravant qu' aborder

Son Luth accorder:

Mais si tost qu' on l' oit reciter de ses vers,

Virgile au combat cede les Lauriers verds, 

Orphee, & Linus, & Homere font lieu,

Ainsi qu' à un Dieu.

Il va leur contant comme lors de son tans

Nos civils discords alumez de vingt ans,

Par tout ont remply le voyaume d' erreur,

D' armes & d' horreur.

Il va leur chantant le peril, & danger

Du Troyen Francus, valeureux estranger,

Qui devoit aux bords de la Seine à bon port

Eslever un fort. 

Ja le Rhin forchu se couvroit de vaisseaux,

Et le Loir enfloir le canal de ses eaux, 

Sous ce grand guerrier, qui d' Hiante avoit pris 

L' ardeur à mespris. 

Ja Paris monstroit le sommet de ses tours,

Quand le sort rompit le milieu de son cours,

Il ne pleut aux Dieux que d' un homme fust fait

Oeuvre si parfait: 

Ainsi d' Apelles de la Parque surpris 

Fut jadis laissé le tableau de Cypris,

Nul depuis n' osant sa besongne attenter,

Pour la remonter.

Quel de nous pourra renoüer ce tissu, 

Concevant l' ardeur que son ame a conceu:

Quel de nous pourra de ce docte pourtraict

Contrefaire un traict?

Grand Daimon François, digne chantre des Dieux, 

Qui premier passas la loüange des vieux,

Sans second, sans pair, de la Grece vainqueur,

Prince du sainct choeur. 

Vandomois harpeur, qui mourant ne mourras, 

Mais de loing nos pleurs à ton aise verras, 

Oy ce sainct concert, & retiens avec toy

L' ombre de ton Roy. 

Puisse ton tombeau leger estre à tes os, 

Et pour immortel monument de ton los, 

Les Oeillets, les Lys, le Lierre à maint tour,

Croißent à l' entour.

Et certes si ces deux beaux esprits, j' entens Rapin, & Passerat, eussent entrepris cette querelle, tout ainsi comme fit Baïf, ils en fussent venus à chef. Il n' y a rien en tout cela que beau, que doux, que poly, & qui charme malgré nous nos ames. Paravanture arrivera-il un temps, que sur le moule de ce que dessus, quelques uns s' estudieront de former leur Poësie. Vray qu' il y a un point qui m' en fait desesperer, c' est que la douceur de nostre langue despend tant de l' E masculin que feminin: Or pour rendre cette Poësie accomplie, il faut du tout bannir de la fin des vers, l' E feminin, autrement il sera trop long ou trop court. 

jueves, 27 de julio de 2023

7. 8. Quelques observations sur la Poësie Françoise.

Quelques observations sur la Poësie Françoise. 

CHAPITRE VIII.

Je vous ay dit, & dis derechef, que la difference qu' il y a de la Poësie des Grecs & Romains avec la nostre, est que celle là mesure ses vers par certains nombres de pieds composez tant de longues que briefves syllabes sans rime. Nous au contraire faisons entrer dedans nos vers toutes sortes de syllabes, soient longues ou briefves sans aucun triage, ains suffit qu' ils aboutissent en parolles de pareille terminaison, que nous appellons Rimes. Quant à moy je me donneray bien garde de soustenir que les vers Grecs & Latins soient de plus mauvaise trempe que les nostres. J' admire en eux, non la façon, ains l' estoffe. Je veux dire les braves conceptions qui ont esté par eux exprimées, par uns, Homere, Hesiode, Pindare, Euripide, Catulle, Virgile, Horace, Ovide, Tibulle, Properce. Mais quand je considere qu' il n' y a eu que deux nations, la Gregeoise, & la Romaine, qui ayent donné cours aux vers mesurez, sans rime: au contraire qu' il n' y a nation en tout l' univers, qui se mesle de Poëtizer, laquelle n' use en son vulgaire, de mesmes rimes que nous au nostre, & que cela s' est naturellement insinué aux aureilles de tous les peuples dés & depuis sept & huict cens ans en çà, voire mesme dedans Rome, & dans toute l' Italie, je me fay aisément acroire, qu' il y a plus de contentement pour l' aureille en nostre Poësie qu' en celle des Grecs & Romains. Leurs vers, si ainsi me permettez de le dire, marchent & vont avec leurs pieds, & les nostres glissent & coulent doucement sans pieds, voire quand bien il n' y avroit point de rime, en laquelle toutesfois gist l' accomplissement de nos vers. Chose que Ronsard nous voulut representer par cette Ode, qui est la douziesme du troisiesme livre des Odes, sur la naissance de François, premier fils du Roy Henry deuxiesme.

En quel bois le plus separé

Du populaire, & en quel antre,

Prens tu plaisir de me guider,

O Muse, ma douce folie,

A fin qu' ardent de ta fureur,

Et du tout hors de moy je chante

L' honneur de ce Royal enfant:

J' escriray des vers non sonnez

Du Grec, ny du Latin Poëte,

Plus hautement, que sur le Mont

Le Prestre Thracien n' entonne

Le cor à Bacchus dedié,

Ayant la poictrine remplie

D' une trop vineuse fureur.

Je vous laisse le demeurant, pour vous dire que cette Ode contient une longue texture & trainee de vers qui n' ont point de pieds, comme les Grecs & Romains, & sont pareillement sans rimes, esquelles gist la principale grace des nostres: Ce neantmoins vous les voyez nous succer l' aureille par leur douceur, autant & plus que tous les Exametres & Pentametres des autres, desquels pour cette cause il ne faut mandier les vers mesurez: car de combien se rend nostre Poësie plus douce, quand elle est accomplie de la rime, en laquelle, comme j' ay dit, reside sa principale beauté? Vous ayant mis devant les yeux ce premier fondement, je ne douteray de vous discourir les particularitez, que l' on trouve en nostre Poësie Françoise, laquelle, comme vous sçavez, gist en vers, le vers est fait par les dictions: la diction par les syllabes; Je commenceray doncques par les syllabes, & vous diray que nostre vers peut estre composé de deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, dix & douze syllables. Toutes ces especes de vers nous sont frequentes & familieres, horsmis celles de deux syllabes, dont toutesfois nous trouvons trois exemples dedans Marot en ses 24. & 25. Chansons, & en l' un de ses Epigrammes commençant par ce mot Linote: Je vous representeray icy seulement sa vintquatriesme Chanson.

Quand vous voudrez faire une amie,

Prenez-la de belle grandeur:

En son esprit non endormie,

En son tetin bonne rondeur:

Douceur

En cœur,

Langage

Bien sage,

Dansant, chantant par bons accords,

Et ferme de cœur & de corps.

Et quant aux vers de douze syllabes, que nous appellons Alexandrins, combien qu' ils proviennent d' une longue ancienneté, toutesfois nous en avions perdu l' usage. Car lors que Marot en insere quelques uns dedans ses Epigrammes ou Tombeaux, c' est avec cette suscription, Vers Alexandrins, comme si c' eust esté chose nouvelle & inaccoustumee d' en user, pource qu' à toutes les autres, il ne baille point cette touche. Le premier des nostres qui les remeit en credit, fut Baïf en ses Amours de Francine, suivy depuis par du Bellay au livre de ses Regrets, & par Ronsard en ses Hymnes: & finalement, par du Bartas, qui semble l' avoir voulu renvier sur tous les autres en ses deux Sepmaines, auquel toutesfois je trouve beaucoup, non de Virgile, ains de Lucain.

Et est une chose qu' il nous faut grandement noter, que jamais l' aureille Françoise ne peut porter des vers de neuf syllabes, dont la derniere finit en rime masculine, comme qui diroit. 

Je respecte sur tous mon Ronsard,

Car je le trouve plein de grand art.

Y ayant en cecy je ne sçay quelle discordance de voix qui ne peut estre mesnagee par nous. Sur l' avenement du Roy Charles neufiesme, y eut un certain homme que l' on nommoit en François du Poeiz, & en Latin Podius, qui se frottoit aux robbes de nos meilleurs Poëtes, lequel ne pouvant attaindre à leur parangon, voulut par un esprit particulier escrire en cette enjance de vers, mais il y perdit son François. Le semblable est-il entre nous des vers d' unze syllabes. Car combien que la beauté de la Poësie Italienne gise en ces vers, empruntez des Hendecasyllabes Latins, esquels Catulle s' est fait appeller le Maistre: Mesmes que l' Italien les employe ordinairement en ses œuvres Heroïques, comme nous voyons Arioste l' avoir fait en son Roland le furieux, & Tasso en sa Hierusalem recousse: Toutesfois nous n' en avons jamais peu faire nostre profit en

France. Bien sçay-je que d' un vers dont le masculin est de huict syllabes, vous en pouvez faire un feminin de neuf, pour exemple.

Ne verray je point que ma France,

Comme en cas semblable d' un vers masculin de dix syllabes, vous le faites feminin de unze, comme par exemple.

Tu m' as rendu la force & le courage.

Mais c' est pour autant que ces deux vers finissent par l' E feminin, auquel les deux dernieres syllabes sont tenuës seulement pour une, parce que cest E mis en la closture d' un vers ne represente qu' un demy son. Il n' y a voyele en nostre vulgaire qui nous soit si familiere que l' E, dont nous faisons l' un masculin, qui se prononce tout de son plain, comme René, Aimé, Honoré: & l' autre que nous appellons feminin, lequel par un racourcissement de langage ne se prononce qu' à demy, comme femme, Rome, homme, orme. Mais laissant à part l' E masculin, la proposition est tres-vraye & tres-certaine en nostre Poësie Françoise, que tous mots qui ne tombent point soubs la terminaison derniere de l' E feminin, sont appellez masculins de quelque genre, & partie d' oraison qu' ils soient. Ce dont il nous faut souvenir pour les raisons que pourrez cy apres entendre. Or entre tous ces vers il y en a quelques uns où l' on observe la cesure. Nous appellons cesure une petite pause que l' on fait sur le milieu des vers. Et faut noter qu' il n' y en a que deux especes ausquelles elle soit necessaire. C' est à sçavoir aux quatre premieres syllabes du vers de dix syllabes, que Ronsard en son art Poëtic a appellé vers Heroïque, & aux six premieres des Alexandrins. Par exemple, pour vers Heroïque.

Entre les traicts de sa jumelle flame 

Je vey Amour, qui son arc desbandoit. 

Pour l' Alexandrin.

Puisque Dieu qui les cœurs des grands Roys illumine, 

Sire, vous a fait voir des vostres la ruine.

Si vous ostez la cesure, je veux dire l' hemistich & demy vers qui se trouve en ces deux manieres de vers, non seulement vous en ostez la grace, mais qui plus est ne sçavriez recognoistre le vers, ainsi que le pourrez voir par ces deux lignes. 

Je me veux ramentevoir à vous deux, 

Cestuy est de dix syllabes.

Je vous ayme par dessus toutes les beautez.

Cestuy est de douze syllabes, & neantmoins de l' un & de l' autre vous ne pouvez recueillir que deux lignes, & non deux vers. Bien sçay-je que Baïf en l' une de ses Chansons, voulut faire des vers de dix syllabes sans observer cette regle.

Oyez amans, oyez le plus nouvel ennuy

Que jamais ayez ouy,

De moy lors que me plain n' ayant dequoy:

Le ciel n' a rien laissé de ses riches thresors 

Pour m' orner esprit & corps 

Qui ont assujecti à mon mal malheur 

Tant d' hommes de valeur.

Ainsi va le demeurant de la Chanson, dans laquelle en chaque couplet, le troisiesme vers qui est de dix syllabes, est sans l' observation de la cesure au demy vers. Je voy bien que ce fut d' un propos par luy deliberé, toutesfois sans propos si j' en suis creu: Car en cela je ne voy aucune forme de vers. En tous les autres, horsmis de ces deux especes, la cesure n' est point necessaire.

Quelques uns ont estimé que ces Hemistiches, ou demy vers estoient de pareille nature que la fin du vers, & que quand ils se terminoient par l' E feminin, il ne falloit point craindre de les faire suivre d' une consonante, comme si cest E se fust mangé de soy-mesme tout ainsi qu' en la fin du vers. Posons par exemple au vers Heroïque.

Si de mon ame quelque pitié avez.

Ou en l' Alexandrin.

Si mon ame jalouze vers tous les vents se tourne.

Qui est un vice. Car il faut pour rendre le vers accomply, que l' E feminin soit embrassé par une voyelle suivante. Parquoy je diray.

Si de mon ame avez quelque pitié

Si mon ame jalouze à tous les vents se tourne.

Et de cecy la raison est, d' autant que l' E feminin fermé dedans le corps du vers, suivy d' une consonnante fait une syllabe entiere. Nous appellons cette cesure qui tombe en l' E feminin, la Couppe feminine, en laquelle Marot par la seconde impression de ses œuvres recognut avoir failly par la premiere, & que de ce il avoit esté adverty par Jean le Maire de Belges en cest hemistiche: O Melibée, de la version du Titirus de Virgile. Et pour cette cause corrigeant cette faute en la seconde impression, mist. 

O Melibée amy doux & parfait,

Et en un autre suivant.

O Melibe' je vey ce jeune enfant.

Ostant par une apostrophe l' E feminin, pour ne retomber en cette premiere faute.

Tout ce que j' ay cy dessus deduit regarde particulierement les syllabes dont nos vers prennent leur naissance, je veux maintenant parler de l' Economie generale qui se trouve en nostre rime. Laquelle est double, l' une qu' on appelle rime plate, l' autre croisee. La plate est quand sans aucun entrelas de rimes nous faisons deux vers d' une mesme consonance, puis deux de suitte d' une autre, & ainsi de tout le demeurant de l' œuvre: rime dont sont composez les Poëmes de longue haleine, comme la Franciade de Ronsard, ses Hymnes, les deux sepmaines du Bartas, les deux premiers livres de la Metamorphose d' Ovide de la traduction de Marot, les quatre & sixiesme de Virgile translatez par du Bellay. Et y a encores certaines autres pieces non de si longue tire, esquelles cette espece de rime est employee, comme aux Epistres, Elegies, Eglogues, Panegyrics, Complaintes, Dialogues, Comedies, Tragedies, voire de fois à autres, aux Epigrammes, tombeaux, & Odes par un droit de passe-partout dont elle est privilegiee, fors toutesfois aux Sonnets.

Quant à la rime croisee, c' est celle en laquelle nous entrelassons nos rimes les unes dedans les autres, laquelle est proprement destinée pour les Poëmes qui se font par couplets: Mot qui est de nostre ancien estoc, & dont il me plaist plustost user que de celuy de Stance, que par nouvelle curiosité nous mandions sans propos de l' Italien. Tels sont nos Quatrains, Sixains, Huictains, Dixains: Tels les autres couplets de cinq, sept, neuf, unze, douze, & quatorze vers, dont nous diversifions nos Odes, Chansons, & Sonnets, & anciennement nos Chants Royaux, Balades, & Rondeaux.

Icy je vous prie de peser qu' en ces deux manieres de rimes, nos Poëtes anciens ne faisoient aucun triage du masculin & feminin. Car quelquesfois en la rime plate ils mettoient une longue suite de masculins, sans l' E feminin, puis plusieurs E feminins ensemble sans masculins, ainsi qu' il leur tomboit en la plume, voire aux chansons mesmes. La plus belle chanson que fit Melin de Sainct Gelais, est celle qui se commence: Laissez la verte couleur, ô Princesse Cytherée. En laquelle vous ne trouverez aucun ordre des masculins & feminins, ains y sont mis pesle-mesle ensemblement: Qui est une grande faute aux Chansons, qui doivent passer par la mesure d' une mesme musique. Cela mesme fut pratiqué par du Bellay non seulement en sa traduction des deux livres de l' Eneide, mais aussi en son Olive, & encores en ses premiers vers Lyriques. Ce dont il se voulut excuser en une Epistre liminaire. Mais je ne puis recevoir cette excuse en payement de la part de celuy, que l' on disoit estre venu pour apporter nouvelle reformation à la Poësie ancienne. Joint que luy mesme non seulement ne s' en excuse, mais impute à superstition le contraire en son deuxiesme livre de la Defense, & illustration de la langue Françoise.

Le premier qui y mist la main fut Ronsard, lequel premierement en sa Cassandre, & autres livres d' Amours, puis en ses Odes garda cette police de faire suivre les masculins & feminins sans aucune meslange d' iceux. Et sur tout dedans ses Odes, sur le reglement du masculin & feminin, par luy pris au premier couplet, tous les autres qui suivent vont d' un mesme fil. Quelquesfois vous en trouverez de tous feminins, quelquesfois de tous masculins: chose toutesfois fort rare, mais tant y a que sur le modelle du premier couplet, sont composez tous les autres. Et au regard de la rime plate, il observa tousjours cette ordonnance, que s' il commençoit par deux feminins, ils estoient suivis par deux masculins, & la suite tout d' une mesme teneur comme vous voyez en sa Franciade. Si par deux masculins, ils estoient suivis par deux feminins sans entreveschure. Ordre depuis religieusement observé par du Bellay, Baïf, Belleau, & specialement par des Portes, Bertas, Pibrac. Et cette difference de l' ancienne Poësie d' avecques la nouvelle, vous la pourrez plus amplement remarquer en deux diverses traductions d' un mesme autheur. Hugues Salel, soubz le regne de François premier traduisit de Grec en François unze livres de l' Iliade d' Homere: Traduction qui fut du commencement caressee d' un tres-favorable accueil. Et toutesfois la mesme confusion du masculin & feminin y estoit, comme en celle de Marot des deux livres de la Metamorphose d' Ovide, Amadis Jamin ayant repris les arrhemens de Salel, & translata le demeurant de l' Iliade, avecques toute l' Odyssée: vous n' y trouvez rien de cette meslange ancienne, ains avoir en tout & par tout observé la nouvelle ordonnance de Ronsard sur la suite du masculin & feminin.

Je ne veux interposer icy mon jugement, pour sçavoir si cette nouvelle diligence est de plus grand merite & recommandation que la nonchallance de nos vieux Poëtes. Celuy qui sera pour le nouveau party comparera nostre Poësie à ces beaux parterres qui se font par allignemens en nos maisons de parade. Et l' autre qui favorisera l' ancien, dira que nostre Poësie estoit lors semblable aux prez verds qui sont pesle mesle diversifiez de plusieurs fleurettes, dont la naïfveté de nature ne se rend moins agreable, que l' artifice des hommes qui se trouve dans nos jardins. De moy je seray pour la nouvelle reformation, puisque tel en est aujourd'huy l' usage.

Mais je ne passeray soubs silence ce que j' ay observé en Clement Marot. Car aux Poëmes qu' il estimoit ne devoir estre chantez, comme Epistres, Elegies, Dialogues, Pastorales, Tombeaux, Epigrames, Complaintes, Traduction des deux premiers livres de la Metamorphose, il ne garda jamais l' ordre de la rime masculine & feminine. Mais en ceux qu' il estimoit devoir, ou pouvoir tomber soubs la musique, comme estoient ses Chansons, & les cinquante Pseaumes de David par luy mis en François, il se donna bien garde d' en user de mesme façon, ains sur l' ordre par luy pris au premier couplet, tous les autres furent de mesme cadence, voire que le premier couplet estant, ou tout masculin, ou tout feminin, tous les autres sont aussi de mesmes. Suivant cette leçon, Estienne Jodelle, en la maniere des anciens Poetes, en sa Comedie d' Eugene, & Tragedies de Cleopatre, & Didon, de fois à autres, mais rarement a observé la nouvelle coustume, mais en tous les Choeurs qu' il estimoit devoir estre chantez par les jeunes gars ou filles, il a faict ainsi que Marot en ses Chansons. Et vrayement je ne m' esmerveille point qu' entre une infinité de livres François, je n' en voy un tout seul qui ait esté autant de fois imprimé comme le Marot. Car combien qu' il n' eust le sçavoir correspondant à Ronsard, si avoit-il une facilité d' esprit admirable, qui l' a fait tellement honorer par les nostres, que s' il se presente quelque Epigramme, ou autre trait de gentille invention, dont on ne sçache le nom de l' auteur, on ne doute de le luy attribuer, & l' inserer dedans ses œuvres, comme sien.

C' est un heur qui luy est peculier entre les François, comme à Ausone entre les Latins. Il fut le premier Poete de son temps, Ronsard est celuy que je mets devant tous les autres, sans aucune exception & reserve. Car ou jamais nostre Poesie n' arriva, & n' arrivera à sa profection, ou si elle y est arrivee c' est en nostre Ronsard qu' il la faut telle recognoistre. Et toutesfois pour vous monstrer quel estat on doit faire de Marot, il feit un Panegyric sur la victoire obtenuë par François de Bourbon Seigneur d' Anguen à Carignan. Victoire pareillement depuis trompetee par Ronsard en la septiesme du premier livre de ses Odes. Je souhaitte que le lecteur se donne patience de les lire tous deux, pour juger puis apres des coups. Car encores que le style de Ronsard soit beaucoup plus relevé, que celuy de Marot, si trouvera-il subject loüant l' un de ne mettre en nonchaloir l' autre.