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viernes, 28 de julio de 2023

7. 12. Que nostre langue est capable des vers mesurez, tels que les Grecs & Romains.

Que nostre langue est capable des vers mesurez, tels que les Grecs & Romains.

CHAPITRE XII.

Ovide en quelque endroict de ses Regrets, qu' il intitule De Tristibus, dit qu' estant banny en la Scythie, pour tromper son malheur, avoit appris de faire des vers à la Romaine, en ce langage goffe, & barbare. Je ne dispute point si la forme des vers Latins avecques pieds longs & courts est meilleure, que nos rimes. Ce que j' entends maintenant deduire est de sçavoir si nostre langue Françoise en est capable. Quant à cela il n' en faut point faire de doubte, mais je souhaite que quiconque l' entreprendra soit plus né à la Poësie, que celuy qui de nostre temps s' en voulut dire le maistre. Cela a esté autresfois attenté par les nostres, & peut estre non mal à propos. Le premier qui l' entreprit fut Estienne Jodelle en ce distique qu' il mist en l' an mil cinq cens cinquante trois, sur les œuvres Poëtiques d' Olivier de Maigny.

Phoebus, Amour, Cypris, veut sauver, nourrir, & orner, 

Ton vers, & chef, d' umbre, de flamme, de fleurs. 

Voila le premier coup d' essay qui fut fait en vers rapportez, lequel est vrayement un petit chef d' œuvre. Ces deux vers ayans couru par les bouches de plusieurs personnages d' honneur, le Comte d' Alcinois en l' an mil cinq cens cinquante cinq, voulut honorer la seconde impression de mon Monophile de quelques vers Hendecasyllabes, dont les cinq derniers couloient assez doucement.

Or quant est de l' amour amy de vertu,

Don celeste de Dieu, je t' estime heureux

Mon Pasquier, d' en avoir fidellement faict,

Par ton docte labeur, ce docte discours,

Discours tel que Platon ne peut refuser. 

Quelques annees apres devisant avecques Ramus, personnage de singuliere recommandation, mais aussi grandement desireux de nouveautez, il me somma d' en faire un autre essay de plus longue haleine que les deux precedens. Pour luy complaire je fis en l' an 1556. cette Elegie en vers Hexametres & Pentametres.

Rien ne me plaist sinon de te chanter, & servir & orner

Rien ne te plaist mon bien, rien ne te plaist que ma mort. 

Plus je requiers, & plus je me tiens seur d' estre refusé, 

Et ce refus pourtant point ne me semble refus. 

O trompeurs attraicts, desir ardent, prompte volonté,

Espoir, non espoir, ains miserable pipeur. 

Discours mensongers, trahistreux œil, aspre cruauté,

Qui me ruine le corps, qui me ruine le cœur. 

Pourquoy tant de faveurs t' ont les Cieux mis à l' abandon,

Ou pourquoy dans moy si violente fureur? 

Si vaine est ma fureur, si vain est tout ce que des cieux

Tu tiens, s' en toy gist cette cruelle rigueur: 

Dieux patrons de l' amour bannissez d' elle la beauté,

Ou bien l' accouplez d' une amiable pitié: 

Ou si dans le miel vous meslez un venimeux fiel,

Vueillez Dieux que l' amour r'entre dedans le Chaos: 

Commandez que le froid, l' eau, l' Esté, l' humide, l' ardeur:

Brief que ce tout par tout tende à l' abisme de tous, 

Pour finir ma douleur, pour finir cette cruauté,

Qui me ruine le corps, qui me ruine le cœur,  

Non helas que ce rond soit tout un sans se rechanger,

Mais que ma Sourde se change, ou de face, ou de façons: 

Mais que ma Sourde se change, & plus douce escoute les voix,

Voix que je seme criant, voix que je seme, riant. 

Et que le feu du froid desormais puisse triompher, 

Et que le froid au feu perde sa lente vigueur:

Ainsi s' assopira mon tourment, & la cruauté

Qui me ruine le corps, qui me ruine le cœur.

Je ne dy pas que ces vers soient de quelque valeur, aussi ne les mets-je icy sur la monstre en intention qu' on les trouve tels: mais bien estime-je qu' ils sont autant fluides que les Latins: & à tant veux-je que l' on pense nostre Vulgaire estre aucunement capable de ce subject.

Cette maniere de vers ne prit lors cours, ains apres en avoir faict part à Ramus, je me contentay de les mettre entre les autres joyaux de mon estude, & les monstrer de fois à autres à mes amis. Neuf ou dix ans apres, Jean Antoine de Baïf marry que les Amours qu' il avoit premierement composez en faveur de sa Meline, puis de Francine, ne luy succedoient envers le peuple de telle façon qu' il desiroit, fit vœu de ne faire de là en avant que des vers mesurez, (ainsi appellons nous ceux ausquels nous voulons representer les Grecs & Latins) toutesfois en ce subject si mauvais parrain que non seulement il ne fut suivy d' aucun: mais au contraire descouragea un chacun de s' y employer. D' autant que tout ce qu' il en fit estoit tant despourveu de cette naïfveté, qui doit accompagner nos œuvres, qu' aussi tost que cette sienne Poësie veit la lumiere, elle mourut comme un avorton.

Or ces vers par moy cy dessus recitez, representent en nostre langue les vers Grecs & Latins, esquels on considere la proportion des pieds longs & briefs seulement: toutesfois je ne sçay comment la douceur de la rime s' est tellement insinuee dedans nos esprits, que quelques uns estimerent que pour telle maniere de vers agreable, il y falloit encores adjouster par supplément la rime au bout des mots: Le premier qui nous en monstra le chemin fut Claude Butet dedans ses œuvres Poëtiques, mais avec un assez malheureux succés.

Prince des Muses, Joviale race,

Vien de ton beau mont, subit de grace, 

Monstre moy les jeux de la Lire tienne 

Dans Mitilenne, 

Le demeurant de cette Ode contient sept couplets que je ne vous veux icy representer, par ce que je ne la trouve pas bonne. Et de fait en ce premier couplet vous y trouvez deux fautes notables. L' une qu' il fait l' E feminin long par la rencontre de deux consonantes qui le suivent: en quoy il s' abusoit: par ce que cest E n' est qu' un demy son que l' on ne peut aucunement rendre long: l' autre que quand cest E tombe en la fin du vers, il n' est point compté pour une syllabe, comme il a voulu faire. 

Il me suffit seulement de vous dire qu' il fut le premier autheur de nos vers mesurez rimez. Bien vous diray-je qu' il choisit sagement les vers Saphiques. Car si nous avions à transplanter en nostre vulgaire quelques vers Latins, il faudroit que ce fussent principalement ceux qui sont d' unze syllabes, que nous appellons tantost Phaleuces, tantost Saphiques. Il n' y a rien de si mignard que tels vers. Chose que l' Italien recognoissant a formé toute sa Poësie sur eux. Vray que ç'a esté sans consideration des syllabes briefves, ou longues: Car cela luy eust trop cousté, se contentant seulement de la rime au bout des unze syllabes. Ce que Ronsard a voulu representer en une Ode qui se commence, 

Belle, dont les yeux doucement m' ont tué 

Par un doux regard qu' au cœur ils m' ont rué, 

Et m' ont en un roc insensible mué 

En mon poil grison. 

Et en une autre, dont le premier couplet est tel:

N' y l' aage, ny sang ne sont plus en vigueur, 

Les ardents pensers ne m' eschauffent le cœur, 

Plus mon chef grison ne se veut enfermer 

Sous le joug d' aimer. 

En ces deux pieces que l' on poura lire tout au long dans le 5. de ses Odes la rime est tres-riche sans pieds, & neantmoins vous voyez qu' ils ne sont pas sans quelque grace: En l' Ode de Butet la faute visible qui s' y trouve est que tous ses vers clochent du pied. Et c' est pourquoy en l' an mil cinq cens septante huict, dedans mes œuvres Poëtiques, qui estoient adjoustees au bout de mon Monophile, je voulus faire ces Hendecasyllabes en vers rimez, & mesurez.

Tout soudain que je vis Belonne voz yeux, 

Ains vos rais imitans cet astre des Cieux, 

Vostre port grave-doux, ce gracieux ris, 

Tout soudain je me vis Belonne surpris, 

Tout soudain je quitay ma franche raison, 

Et peu caut je la mis à vostre prison:

Mais soudain que je vis Felonne tes yeux, 

Ains tes deux Baselics etincelans feux, 

Ton port plein de venin, ce traistre soubris, 

Tout soudain je cogneu de m' estre mespris, 

Tout soudain je repris ma serve raison, 

Et plus caut la remis dedans sa maison:

Et si comme ton œil premier me lança 

Un feu, aussi ton œil second me glaça. 

Or Adieu sot Amour, Adieu je m' en voy, 

Si le froid, & le chaud tu couvres en toy,

En vain veux-je du feu d' Amour me chauffer,

En vain vieil de l' Amour je veux trionfer, 

En vain veux-je mener l' Amour à douceur, 

En vain fais-je voyage avecques luy seur, 

Et constant en amour me veux-je ronger. 

S' il est jeune, cruel, aveugle, leger.

De tout cet Epigramme je ne demanderay pardon au lecteur sinon du mot Leger, dont j' ay faict la premiere syllabe longue, combien que je la pense briefve: faute toutesfois excusable, & en laquelle j' ay plustost choisi de tomber, que de perdre la pointe du dernier vers, qui se rapporte aux quatre precedens. Depuis Jean Passerat, homme duquel on ne sçavroit assez honorer les vers, soient Latins, ou François, quand il en a voulu faire, fit une Ode en vers Saphiques, qui est telle.

On demande en vain que la serve raison 

Rompe pour sortir l' amoureuse prison,

Plus je veux briser le lien de Cypris, 

Plus je me voy pris. 

L' esprit insensé ne se paist que d' ennuis, 

Plaintes, & sanglots, ne repose les nuits

Pour guerir ces maux que l' aveugle vainqueur 

Sorte de mon cœur. 

Pren pitié des tiens, tire hors de mon flanc

Tant de traits lancez, enyurez de mon sang, 

Moindre soit l' ardeur de ton aspre flambeau 

Archerot oiseau. 

Ou si mon tourment renouvelle tousjours, 

Il me faut trencher le filet de mes jours, 

Sur ce traistre enfant je seray le plus fort,

Quand je seray mort.

Le mesme Passerat fit une autre Ode telle qu' est celle d' Horace, qui se commence, Miserarum est neque amori dare ludum.

Ce petit Dieu colere, Archer, leger Oiseau, 

A la parfin ne me lairra que le tombeau, 

Si du grand feu que je nourry ne s' amortit la vive ardeur. 

Un Esté froid, un Hyver chaud, me gele, & fond, 

Mine mes nerfs, glace mon sang, ride mon front,

Je me meurs vif ne mourant point, je me seiche au temps de ma verdeur.

Sote trop tard à repentir tu te viendras, 

De m' avoir faict ce mal à tort tu te plaindras, 

Tu attens donc à me cercher remede un jour que je mourray.

D' un amour tel meritoit moins la loyauté, 

Que de gouster du premier fruict de ta beauté, 

Je le veux bien, tu ne veux pas, tu le voudras, je ne pourray. 

Nicolas Rapin Lieutenant Criminel de robbe courte dans Paris, homme qui sçait aussi bien s' ayder de la plume en vers Latins, & François, que de l' espee, quand la necessité de son estat le requiert, entre autres Epitaphes faits en l' honneur de Pierre de Ronsard, le voulut honorer de cestuy que je veux icy inserer tout de son long: Car c' est une piece qui me semble le meriter, tant en l' honneur de celuy qui l' a faite, que pour celuy qu' elle fut faicte.

ODE SAPHIQUE RIMEE.

Vous qui les ruisseaux d' Helicon frequentez,

Vous qui les Jardins solitaires hantez,

Et le fonds des bois, curieux de choisir

L' ombre & le loisir.

Qui vivant bien loing de la fange & du bruit,

Et de ces grandeurs que le peuple poursuit,

Estimez les vers que la Muse apres vous,

Trempe de miel doux. 

Eslevez vos chants, redoublez vostr' ardeur, 

Soustenez vos voix d' une brusque verdeur, 

Dont l' accord montant d' icy jusques aux Cieux,

Irrite les Dieux. 

Nostre grand Ronsard, de ce monde sorty, 

Les efforts derniers de la Parque a senty: 

Ses faveurs n' ont peu le garentir en fin

Contre le destin: 

Luy qui put des ans, & de l' aage vaincus 

Susciter Clovis, Pharamond, & Francus, 

Qu' un pareil cercueil receloit, & leur los

Moindre que leurs os: 

Luy qui put des morts ralumer le flambeau, 

Et le nom des Roys retirer du tombeau, 

Imprimant ses vers par un art maternel,

D' un style eternel.

Bien qu' il eust neuf sœurs qui souloient le garder, 

Il ne put les trois de là bas retarder, 

Qu' il ne fust forcé de la fiere Clothon,

Hoste de Pluton: 

Maintenant bien prés de la troupe des grands 

Fondateurs, guerriers de la gloire des Francs, 

On le voit pensif paravant qu' aborder

Son Luth accorder:

Mais si tost qu' on l' oit reciter de ses vers,

Virgile au combat cede les Lauriers verds, 

Orphee, & Linus, & Homere font lieu,

Ainsi qu' à un Dieu.

Il va leur contant comme lors de son tans

Nos civils discords alumez de vingt ans,

Par tout ont remply le voyaume d' erreur,

D' armes & d' horreur.

Il va leur chantant le peril, & danger

Du Troyen Francus, valeureux estranger,

Qui devoit aux bords de la Seine à bon port

Eslever un fort. 

Ja le Rhin forchu se couvroit de vaisseaux,

Et le Loir enfloir le canal de ses eaux, 

Sous ce grand guerrier, qui d' Hiante avoit pris 

L' ardeur à mespris. 

Ja Paris monstroit le sommet de ses tours,

Quand le sort rompit le milieu de son cours,

Il ne pleut aux Dieux que d' un homme fust fait

Oeuvre si parfait: 

Ainsi d' Apelles de la Parque surpris 

Fut jadis laissé le tableau de Cypris,

Nul depuis n' osant sa besongne attenter,

Pour la remonter.

Quel de nous pourra renoüer ce tissu, 

Concevant l' ardeur que son ame a conceu:

Quel de nous pourra de ce docte pourtraict

Contrefaire un traict?

Grand Daimon François, digne chantre des Dieux, 

Qui premier passas la loüange des vieux,

Sans second, sans pair, de la Grece vainqueur,

Prince du sainct choeur. 

Vandomois harpeur, qui mourant ne mourras, 

Mais de loing nos pleurs à ton aise verras, 

Oy ce sainct concert, & retiens avec toy

L' ombre de ton Roy. 

Puisse ton tombeau leger estre à tes os, 

Et pour immortel monument de ton los, 

Les Oeillets, les Lys, le Lierre à maint tour,

Croißent à l' entour.

Et certes si ces deux beaux esprits, j' entens Rapin, & Passerat, eussent entrepris cette querelle, tout ainsi comme fit Baïf, ils en fussent venus à chef. Il n' y a rien en tout cela que beau, que doux, que poly, & qui charme malgré nous nos ames. Paravanture arrivera-il un temps, que sur le moule de ce que dessus, quelques uns s' estudieront de former leur Poësie. Vray qu' il y a un point qui m' en fait desesperer, c' est que la douceur de nostre langue despend tant de l' E masculin que feminin: Or pour rendre cette Poësie accomplie, il faut du tout bannir de la fin des vers, l' E feminin, autrement il sera trop long ou trop court.