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sábado, 8 de julio de 2023

6. 17. Sommaire de la vie de Pierre Abelard, & des amours de luy, & d' Heloïse.

Sommaire de la vie de Pierre Abelard, & des amours de luy, & d' Heloïse.

CHAPITRE XVII.

L' Université de Paris n' estoit encores formee, mais bien commençoit de poindre sous le regne de Louys le Jeune qui regna quarante trois ans depuis le decez du Roy Louys le Gros son pere. Ce temps là produisit plusieurs grands maistres qui en jetterent les premiers fondemens, & entre autres le Pierre Abelar (Abelard) auquel j' ay voüé ce chapitre. Jamais homme de sa qualité ne fut d' un esprit plus aigu & plus remuant aussi n' y eut-il jamais homme de sa qualité d' une fortune plus traversee, que luy. Jean de Mehun en fit un placard dedans son Roman de la Roze. Il est tombé entre mes mains un livre de ses Epistres manuscrit, & entre icelles y en a une, par laquelle il fait un discours general de sa vie à un sien amy, dont je vous veux faire part. Car il me semble que cette piece merite d' estre mise en œuvre, non seulement en consideration de luy, mais aussi parce que l' on peut recueillir en quel estat estoient lors les escoles de Paris.

Pierre Abelard nasquit au pays de Bretagne au village de Palais distant de Nantes de quatre lieuës, fils aisné de Beranger & Luce ses pere & mere, dont celuy-là apres avoir fait profession des armes se rendit Moine, & sa femme Nonnain voilee. Quelque temps apres leur fils par une autre devotion quitta à ses freres son droict d' ainesse pour s' adonner du tout aux lettres. Et sur ce propos vint à Paris, qui commençoit d' estre en credit pour les sciences. Il y avoit lors deux grands personnages qui enseignoient en la maison de l' Evesque, maistre Anseaume en la Theologie, & maistre Guillaume de Champenu, autrement Campelense en la Philosophie, qui avoit esté disciple de l'  autre. Je dis nommément en la maison de l' Evesque: Parce que comme j' ay deduit ailleurs elle fut l' un des premiers fondemens de nostre Université. Abelard arrivé à Paris voüa toutes ses pensees à Campelense: mais il ne l' eut pas long temps suivy, qu' il commença de le contredire en la pluspart de ses propositions. Acquerant par ce moyen grande reputation parmy les jeunes escoliers, mais mauvais nom en la bouche des anciens, qui blasonnoient en tous lieux son impudence. Au moyen dequoy il fut contraint de quitter la ville, & se venir camper à Corbeil, où il exerça quelque temps ses lectures, suivy d' une bonne troupe de jeunes garçons. Ce pendant Campelense se fait moine. Qui fut cause que Abelard retourne à Paris, où reprenant son ancienne route, il fait de rechef teste à son premier Maistre. Enquoy il gaigna tant de pied, que celuy auquel Campelense avoit resigné sa chaire, la luy ceda, & devint son auditeur. Chose qui appresta à ses ennemis nouveau sujet de l' affliger. De façon qu' il abandonna de rechef la ville, & se retira à Melun avecques une grande suitte de ses partissans. Campelense est esleu Evesque de Chaalons où il alla demeurer: retraitte qui donna occasion de retour à Abelard, mais ayant trouvé sa place prise par un autre, il se retira aux fauxbourgs, où il leut publiquement: & pour vous monstrer en quel estat la ville de Paris estoit lors. Extra civitatem (dit-il) in monte Sanctae Genovesae, Scholarum nostrarum castra posui, quasi eum obsessurus, qui nostrum occupaverat locum. Campelense adverty, rebrousse chemin, pour luy faire lever le siege. Nouvelles escarmouches d' une part & d' autre, l' un combattant d' authorité & ancienneté de son aage, & l' autre de subtilité, & d' une gaye jeunesse. Toutesfois il fut en fin contraint de quitter la partie, & de choisir autre party. Il se fait escolier d' Anseaume qui lisoit en Theologie, mais avec un vœu & ferme propos de le controoller comme l' autre. Tout ainsi qu' il ne pouvoit estre oiseux, aussi estoit-il naturellement noiseux: apres l' avoir quelque temps ouy, il s' instale en la chaire de Theologie, en laquelle il n' espargna aucunement son precepteur, estimé en cela de plusieurs, mais aussi s' exposant à la mesdisance des autres. Luy qui flattoit ses opinions, les appelloit calomniateurs. Anseaume eut deux grands escoliers, Alberic né de la ville de Rheims, & Lutulfe de Lombardie, qui se vangerent puis apres à poinct nommé d' Abelard, ainsi que je discourray en son lieu. Or voyez je vous supplie comme Dieu se voulut mocquer de ce grand Philosophe, & Theologien. Il enseignoit la Theologie avecques un grand theatre, & applaudissement d' escoliers, dont il s' orgueillit de façon, qu' il ne pensoit avoir son pareil au monde: Ce que luy mesme recognoist franchement parlant de soy. Comme il lisoit en l' Evesché, un Chanoine nommé Foulbert, qui avoit chez soy une sienne niepce fort bien nourrie en la langue Latine, le prie de luy vouloir donner tous les jours une heure de leçon. Ce qu' il accepta volontiers: apres avoir quelque temps continué ce mestier, amour se mit de la partie entre eux. En quoy les choses arriverent à tel poinct qu' il engrossa Heloïse (tel estoit son nom) & l' ayant nuitamment enlevee de la maison de son oncle, il l' envoya en Bretagne chez une sienne sœur, où elle accoucha d' un fils qui fut nommé Astralabre. Abelard voyant l' oncle infiniment courroucé se presente, le suppliant de luy vouloir pardonner cette faute, laquelle il repareroit par un futur mariage, à la charge toutesfois qu' il ne viendroit a la cognoissance du peuple. Ce que le Chanoine prit en payement, luy promettant le mesme silence qu' il desiroit de luy. Suivant cet arresté fait entr'eux, Abelard va trouver la mieux aimee, en deliberation expresse de la ramener à Paris pour l' espouser, mais elle d' un esprit plus solide que luy, n' y vouloit aucunement entendre, pour une infinité de raisons fondees sur le danger qu' elle prevoyoit nonobstant quelque promesse de son oncle. Joinct que le mariage estant descouvert, ce seroit la closture, & de ses leçons, & de sa fortune. Je ne vous representeray toutes les raisons dont elle le voulut gaigner, bien vous diray-je que je ne leu jamais en Orateur tant de belles paroles & sentences persuasives pour parvenir à son intention que celles qu' elle y apporta: Nonobstant lesquelles Abelard se fit croire, & estant de retour à Paris l' espousa en la presence de l' oncle, & de quelques siens amis, sous la promesse qu' ils ne divulgueroient le mariage. Toutesfois il ne fut si tost consommé en face de saincte Eglise, qu' ils le trompeterent par la ville, pour couvrir

la honte & pudeur de la fille. Mais elle par une amitié extreme qu' elle portoit à son espoux, voyant combien le titre de mariage desarroyeroit les affaires, le denyoit fort & ferme. Qui aigrit tellement son oncle, qu' il exerça plusieurs grandes rigueurs & indignitez contr'elle. Au moyen dequoy pour l' en garentir de tout point fut entr'eux pris un nouveau conseil. Il y avoit un Monastere de Nonnains au Bourg d' Argentueil, auquel Heloïse avoit pris sa premiere nourriture, il fut advisé qu' elle y retourneroit, & prendroit tous les habits de Religieuse, horsmis le voile. Quoy faisans ils se promettoient bannir d' eux toutes les opinions qui couroient de leur mariage, sous esperance toutesfois d' en reprendre les premiers arrhemens quand les occasions se presenteroient. Ainsi qu' ils le projetterent, fut-il executé. Mais le Chanoine estimant recevoir par ce nouveau conseil, nouvelle escorne delibera de s' en venger à outrance. Et pour y parvenir corrompt un valet d' Abelard, qui luy ouvre de nuict la porte de sa chambre, comme il dormoit, estant de cette façon entré luy fait couper la partie par laquelle il avoit peché. Cela fait il s' enfuit. Mais la justice non endormie en fit prompte punition, car le serviteur d' Abelard & celuy du Chanoine perdirent, & les yeux, & les genitoires. Abelard est vislté par une grande procession de gens, & par special de ses escoliers qui en firent les hauts cris. Mais luy plus combatu dedans son ame de la honte, que de sa playe exterieure, s' avisa d' un nouveau conseil. Il avoit auparavant fait prendre l' habit de Nonnain à sa femme, sans faire le vœu, en attendant, comme j' ay dit, que la commodité de ses affaires portast pleine ouverture de leur mariage: mais se voyant frustré de cette esperance, il estima qu' il falloit tout à fait franchir le pas. Et pour cette cause se rendit Moine profez en l' Abbaye de S. Denis, & Heloïse Religieuse voilee au Prioré d' Argentueil: où pour sa suffisance elle fut quelques ans apres esleuë Prieure. Mais sur tout la confusion de ce grand personnage merite d' estre icy inseree. In tam misera contritione positum confusio (fateor) pudoris potius, quàm devotio conversionis, ad monasticorum latibula claustrorum compulit. Ainsi en prend-il à plusieurs qui se rendent Moines, ou par despit, ou par desespoir. Nonobstant ce nouveau changement de vie il fut prié par quelques uns de ses disciples de vouloir continuer ses leçons. A quoy il condescendit, & se retirant en un arrierecoin du Monastere, lisoit tantost en Philosophie, tantost en Theologie, ayant un grand auditoire. Toutesfois par ce que de sa vie on peut recueillir des anciens instituts de nostre Université de Paris, voicy, qu' il dit sur cet article. Cum autem in divina scriptura non minorem mihi gratiam, quam in seculari, Dominus contulisse videretur, coeperunt admodum ex utraque lectione Scolae nostrae multiplicari, & caeterae omnes vehementer attenuari. Unde maxime Magistrorum invidiam atque odium mihi concitavi. Qui in omnibus quae poterant mihi derogantes, duo praecipue absenti mihi semper obijciebant. Quod scilicet proposito monachi valde sit contrarium, secularium librorum studio detineri. Et quod sine magistro ad magisterium divinae lectionis accedere praesumpsißem: ut sic inde omne mihi doctrinae scholaris exercitium interdiceretur. Passage dont vous pouvez voir que desja on commençoit à mettre distinction entre les lectures qui se faisoient par les Seculiers, & les Reguliers, & que pareillement avant que d' estre receu à lire en Theologie, il falloit avoir esté receu par un Superieur, & passé par quelque degré. Qui sont deux particularitez, que j' objectay aux Jesuites au plaidoyé que je fis contr' eux pour l' Université de Paris: de vouloir lire les lettres humaines, & la Philosophie à tous venans: & encores d' enseigner la Theologie, sans en avoir suby l' examen ainsi qu' on avoit accoustumé de faire. Que si j' eusse eu lors ce passage en main, il m' eust grandement servy. Je vous cotte icy ce passage encores que j' en face cy apres mon profit au premier chapitre du sixiesme livre.

Mais pour reprendre le fil de cette presente histoire, Abelard se voyant suivy de plusieurs escoliers, commença de semer une opinion tres-meschante & tres-erronee. Car il composa un livre de la Trinité, laquelle il vouloit prouver par raisons humaines, soustenant qu' on ne devoit croire une chose, dont on ne pouvoit rendre raison. Qui estoit en bon langage destruire le fondement general de nostre foy. Nihil posse credi, disoit il, nisi primitus intellectum, & ridiculosum esse aliquem praedicare alijs, quod nec ipse, nec illi quos doceret intellectu capere possent. Domino ipso arguente quod caeci eßent ductores caecorum. Comme ordinairement toutes nouveautez plaisent, aussi ne despleut ce livre aux ames foibles. Toutesfois il fut condamné par un Concil tenu en la ville de Soissons. Le tout à la poursuitte d' Alberic & Lutulfe disciples d' Anseaulme, & mesmes fut ordonné que le livre seroit publiquement jetté dans le feu par Abelard, & luy confiné en l' Abbaye de sainct Medard, comme en prison clause. Auquel luy nonobstant cette condamnation il fut receu d' un bon accueil, tant il avoit de grandes parties qui attrayoient à soy uns & autres. Il n' est pas que quelques Cardinaux & Evesques de Rome ne l' excusassent, dont nostre grand S. Bernard se plaignoit fort aigrement en ses 190. 191. & 194. Epistres. Les choses toutesfois se passerent de telle sorte qu' apres avoir faict quelque sejour à S. Medard, l' Evesque de Preneste Legat en France le renvoya en son monastere: où il ne fut pas si tost arrivé qu' il appresta sujet de nouvelle querelle, qui merite d' estre tout au long recitee, comme appartenant aucunement à l' ancienneté de nostre France. Nous tenons de main en main que le chef de S. Denis est le chef de Denis l' Areopagite. Et de fait de Luc dedans son recueil des arrests recite, que comme les Doyen, Chanoines, & Chapitre de Paris pretendissent que chez eux reposoit le chef de l' Areopagite, soustenu le contraire par les Religieux, Abbé, & convent, de S. Denis: Pour les accorder il fut dit par arrest du Parlement de Paris, que le chef de l' Areopagite reposoit en l' Eglise de S. Denis: & celuy du Corinthien, en l' Eglise de Paris. Advint qu' Abelard expliquant un passage de Beda sur les Actes des Apostres, où il soustient que S. Denis fut plustost Evesque de Corinthe que d' Athenes, les Religieux commencerent de luy en faire la guerre, comme introduisant une nouvelle heresie en leur Eglise: & que Beda soustenant cette opinion estoit un vray imposteur. Aimans mieux croire Huldouïn leur Abbé, qui de propos deliberé avoit voyagé jusques en la Grece, pour s' en esclaircir, & ayant trouvé le contraire en avoit fait un livre expres. Surquoy Abelard interrogé auquel des deux il vouloit adjouster plus de foy, respondit que c' estoit au venerable Beda, tant honoré par nostre Eglise. Adoncques les Religieux d' une commune voix s' escrient, qu' il estoit un heretique qui perdoit non seulement l' honneur de leur Abbaye, ains de toute la France, revoquant en doute que le chef de S. Denis l' Areopagite fust en leur Eglise. Abelard leur ayant repliqué que celuy estoit chose indifferente que ce fust l' Areopagite, ou le Corinthien, moyennant que S. Denis eust esté exposé au martyre pour le nom de nostre Sauveur Jesus Christ, les Religieux en firent plainte à leur Abbé. Lequel le fait appeller en plain Chapitre, où il le bafouë avec plusieurs paroles d' aigreur, & luy denonce qu' il en advertiroit le Roy, a fin qu' il fust chastié, non comme estoit l' ordinaire des autres Religieux malgisans, ains d' une punition exemplaire, comme perturbateur de l' honneur general de la France. Sur cette menace, Abelard craignant l' indignation du Roy, & de son Abbé tout ensemble, se retire vers Thibault Comte de Champagne, se mettant sous sa protection en un Prioré de Troyes. Et quelque peu apres fait prier son Abbé de luy vouloir pardonner sa faute, & permettre de se retirer en tout Monastere, autre que celuy de S. Denis, pour les rancunes & inimitiez que les Religieux avoient contre luy conceuës. Ce qu' il ne peut obtenir, au contraire luy commanda de retourner promptement sur peine d' excommunication. Sur ces entre-faites l' Abbé meurt, & apres son decez, l' Evesque de Meaux fait pareille requeste pour Abelard envers le nouveau successeur, mais il le trouva plus roide que l' autre. Au moyen dequoy il fut contraint d' avoir recours au Roy, qui luy permit de demeurer en tel lieu solitaire qu' il voudroit, à la charge de se recognoistre tousjours Religieux de S. Denis. 

De cette permission vint la premiere fondation de l' Abbaye du Paraclit de Nogent sur Seine. Car luy ayans esté pres de ce lieu quelques terres aumosnees, il y bastit du commencement un petit Oratoire (si ainsi voulez que je le die) de bouë & crachard: en deliberation d' y mener une vie solitaire, avec un petit clergeau, qui l' aidoit à faire le service divin: pour s' affranchir par ce moyen des rancunes & inimitiez que les anciens luy portoient. Toutesfois ses escoliers advertis de sa nouvelle demeure, quitterent les leur, pour se venir habituer pres de luy, & deslors sur le modelle de son Oratoire, s' accommoderent de petites cellules, & à son imitation, pro delicatis cibis (porte le texte de l' Epistre dont j' ay extraict ceste histoire) herbis agrestibus, & pane cibario victitare, & pro mollibus stratis, culmum & stramen comparare, & pro mensis glebas erigere coeperunt, ut vere priores Philosophos imitari crederes. Admirable devotion de jeunesse envers son Maistre & precepteur. Vray que le nombre croissant peu à peu, aussi commencerent-ils d' accroistre, & l' Oratoire, & leurs Cellules, & le bastir de meilleurs estoffes, & par mesme moyen de changer l' austerité de leur vie en une plus douce. Administrant viures & vestemens à celuy qui leur faisoit leçon tous les jours. En tout cela il n' y alloit rien que de la pieté de sa part. Mais comme il ne pouvoit desmordre ses opinions, aussi se ressouvenant de son livre de la Trinité, qui avoit esté condamné à Soissons, il en voulut renouveller la memoire par son Oratoire, qu' il fit appeler Trinité, paraventure non tant par devotion, que vengeance contre ses Juges. Mais depuis recognoissant que ce lieu avoit esté le premier respit de sa consolation il le fit nommer Paraclet: c' est ce qu' il dit dans sa lettre. Quia ibi profugus, ac iam desperatus, divinae gratia consolationis aliquantulum respirassem, in memoriam huius beneficij, ipsum Paracletum nominavi. Nom particulierement attribué en nostre Eglise au benoist S. Esprit. L' ignorance du commun peuple le nomma Paraclit. Comme aussi ay-je veu qu' en mes jeunes ans dedans les Eglises, on appelloit le S. Esprit, Spiritum Paraclytum, non Paracletum, deux mots du tout contraires, car l' un signifie flateur, & l' autre consolateur. Mesmes peu apres que je vins au Palais, un Maistre Jean Sabelat Chanoine de Chartre, homme nourry aux bonnes lettres, prononçant en la celebration de sa Messe, le Paraclet, & non Paraclit, il en fut suspendu à divinis, par l' Evesque, dont il en appella comme d' abus, & pour le soustenement de sa cause fit un tres-docte manifeste, que j' eus en ma possession quelque temps: & depuis fut la cause accordee entr'eux par quelques amis de l' Evesque, a fin qu' il ne servist de risee au peuple. Je dy cecy en passant pour monstrer quelle tyrannie exerce sur nous le commun usage.

Abelard ayant donné à son Oratoire tiltre & qualité du Paraclet, aussi tost encourut-il la mal-veillance de nos Evesques & Prelats, lesquels luy improperoient que c' estoit une nouveauté qu' il introduisoit en nostre Religion. Car combien disoient-ils que toutes Eglises sous les noms d' uns & autres Saincts & Sainctes, fussent generalement basties en l' honneur de Dieu, toutes-fois on n' en voyoit une seule qui portast particulierement le nom de Dieu le pere, Dieu le Fils, & S. Esprit: On le presche, on le deschire en toutes les chaires, de telle façon qu' il desplaisoit à tous Seigneurs tant Ecclesiastics que Seculiers. Chose qui le fit entrer en telle desplaisance de soy, qu' il luy prit envie d' aller demeurer en Turquie, où il se promettoit qu' en payant tribut, il luy seroit loisible d' exercer sa Religion en liberté de conscience. Quos tanto magis (dit-il) propitios me habituros credebam, quanto me minus Christianum ex imposito mihi crimine suspicarentur, & ob hoc facilius me ad Sectam suam inclinari crederent. C' estoit une mal-heureuse ressource d' une ame desesperee.

Estant en ces termes de desespoir, une Abbaye de la basse Bretagne sous le nom de S. Gildaise vient à vacquer, où il fut du consentement du Comte de Bretagne (ainsi le qualifie-il) esleu Abbé. Voila le commencement d' une autre fortune qui sembloit luy vouloir rire. Mais comme il estoit né sous une planette traversiere, encores en sentit-il lors les effects. Car comme il trouva les Moines fort desbordez en mœurs, & le revenu occupé par un Gentil-homme voisin: ce nouvel Abbé voulant remettre les choses en leur ancien train, ne voyoit que cousteaux pancher sur sa teste de tous les costez: & commença de regretter son ancienne vie.

Comme ces choses se manioient de cette façon en la Bretagne, Sugger Abbé de sainct Denis chasse toutes les Nonnains d' Argentueil pour leur desbauche, & y transporte une nouvelle peuplade de Moines de son Abbaye. Heloïse en estoit Prieure, ce mal-heur luy fut cause d' un tres-grand heur. Car Abelard de ce adverty (qui nourrissoit tousjours en son ame l' amitié qu' il luy avoit voüée) retourne à son Oratoire du Paraclit, (ainsi sera-il par moy appellé selon la commune parole du peuple, ores qu' il le convint nommer Paraclet) duquel il luy fait present, & aux Religieuses qui estoient à sa suite. Donation qu' il fit emologuer par l' Evesque de Troyes, & encores en Cour de Rome par le Pape Innocent. Et deslors par son opiniastreté il gaigna le dessus de tous. D' autant que le nom du Paraclit demeura à cette Eglise, qui s' est perpetué sans scandale jusques à huy, & y fut establie une Abbaye de Nonnains, dont Heloïse fut la premiere Abbesse, laquelle y vesquit avec telle austerité, que les Evesques la tenoient pour leur fille, les Abbez pour leur sœur, & les hommes laiz pour leur mere. N' estant veuë ny visitee d' aucuns, qui la rendit tant recommandee qu' en moins de cinq ou six ans ce Monastere creut en grands biens, par les aumosnes qui luy furent faites par les gens de bien. Abelard mourant, par son testament ordonna d' estre inhumé dans ce Monastere dont il estoit fondateur, où pareillement les cendres d' Heloïse reposent, & lors il s' estoit faict par un nouveau privilege Religieux de Clugny. Son Epitaphe est de dix vers, duquel je vous feray part seulement de deux.

Ille sciens quicquid fuit ulli scibile, vicit

Artifices, artes, absque docente, docens.

L' Autheur de cet Epitaphe vouloit dire qu' Abelard avoit le rond & accomplissement de toutes sciences, mesmes qu' en tout ce où il reluisoit, il avoit esté son precepteur & disciple ensemble. Mais luy qui n' avoit que trop bonne opinion de soy, se vantoit qu' il n' y avoit passage si obscur, qu' il ne peust fort aisément deschifrer. Dont Accurse se mocquant en la Loy Quinque. Finium regund. C. disoit. Petrus Abellardus qui se iactavit quod ex qualibet, quantumcunque difficili littera traheret aliquem intellectum, hic dixit, Nescio. Remarque qu' il m' a semblé ne devoir estre oubliee.

Or tout ainsi que la fortune de ce personnage se rendit admirable pour les diverses secousses qu' il receut se trouvant tantost au dessus du vent, tantost au dessous, aussi suis-je bien empesché de sçavoir quel jugement de bien ou de mal je dois faire sur son Heloïse. Car combien qu' elle se fust grandement oubliee de son honneur avecques luy, toutes-fois je me fais presque accroire que ce ne fut point tant par une passion desreiglee, que pour les bonnes & signalees parties d' esprit qui estoient en Abelard. Et qui me fait entrer en ce jugement, c' est quand elle quitta son espoux, pour espouser une autre vie, aux yeux de toute la France, auparavant l' infortune de luy. J' ay veu une lettre qu' elle luy escrivit en Latin, apres qu' il se fut fait Moine, c' est à dire lors qu' elle se voyoit du tout forbannie de l' esperance de leurs attouchemens mutuels, & neantmoins vous la verrez autant passionnee comme au plus chaud de leurs amours. Le dessus de la lettre est tel. Domino suo, imò patri, coniugi suo, imo fratri, ancilla sua, imò filia, ipsius uxor, imò soror, Abelardo, Heloysa. Là elle dit avoir leu tout au long la lettre par luy escrite à un sien amy, dans laquelle il faisoit un ample discours de toute sa vie & de ses malheurs. Pour à quoy respondre, elle proteste que tout ce qu' elle avoit fait avecques luy n' estoit pour contenter sa volonté, ou volupté, ains celle seulement d' Abelard: Et que combien que le nom d' espouse fust sans comparaison plus digne, toutes-fois pour ne faire bresche à la dignité de luy: Cultius mihi fuit amicae vocabulum, aut, si non indignere, concubinae, vel scorti: A fin que plus je m' humiliois devant toy, plus je te fusse agreable. Et finalement elle adjouste que quand l' Empereur Auguste reviendroit au monde pour la vouloir espouser, elle aimeroit mieux estre reputee la garce de ce grand Abelard, qu' Imperatrice de ce grand Univers: & conclud en ces mots, qui me semblent tres-beaux: Non rei effectus, sed efficientis affectus in crimine est: nec quae fiunt, sed quo animo fiunt, aequitas pensat. Voila une resolution d' amour paradoxe. Car lors qu' elle escrivit cette lettre, les Monasteres où l' un & l' autre s' estoient voüez, & l' infortune d' Abelard cognuë à tous, la garantissoient de toute opinion d' impudicité, toutes-fois passant par dessus toutes les hypocrisies que les femmes ont accoustumé d' apporter en telles affaires, elle recognoist franchement n' avoir autre Idee en soy, que celle qui despendoit de celuy qu' elle avoit tant aimé, & honoré.

Pour conclusion philosophant sur les deportemens de l' un & de l' autre, je cognois Abelard avoir esté d' un esprit fort universel, & pour cette cause l' un des premiers de son siecle en toutes sortes de bonnes lettres: Mais au milieu de son sçavoir, je le trouve avoir fait un traict de folie admirable, quand il suborna d' amour Heloïse son escoliere, abisme de la fortune en laquelle il estoit esleué: Et au contraire Heloïse dedans sa folie avoit esté extremement sage, quand mettant sous pied le nom de mariage (voile de sa lubricité) elle se rangea avecques les Religieues voilees avecques le froc, sans le vœu, premiere ressource de son honneur, dont à la longue sourdit le comble de son bon-heur: Ayant esté non seulement premiere Abbesse du Paraclit, mais Abbesse d' une saincte & religieuse vie.