jueves, 6 de julio de 2023

6. 8. D' un Royal Apophthegme du Roy François premier de ce nom,

D' un Royal Apophthegme du Roy François premier de ce nom, & aussi d' une rencontre que luy fit un Moyne de Marcoucy.

CHAPITRE VIII.

L' on raconte que sainct Louys ayant accordé une remission à un mal-faicteur par les importunitez d' un sien favory, tombant sur un Verset du Psalmiste, par lequel il exhorte les Princes de rendre la Justice à leurs subjects, revoqua soudain son ordonnance, & voulut que punition fust faicte du delict. Le bon esprit du Roy François premier de ce nom luy apporta mille responses Royalles & dignes de sa grandeur, entre lesquelles, celle que je veux deduire est digne de grande celebration: car ayant esté Jean des Marests meurtry par le Seigneur de Talart, de haute & ancienne lignee, & Gentil-homme supporté de plusieurs grandes alliances, & nommément de Messire Jean du Bellay Cardinal qui en faisoit son propre faict, il sembloit que l' expedition de la Justice n' en fust si prompte comme la vangeance l' exigeoit. L' ayeule du pauvre deffunct ayant son seul recours au Prince, se jetta de genoux devant luy toute esploree, à Fontaine-bleau. Dequoy le Roy estonné luy demanda quelle chose elle vouloit de luy, Justice, Sire, (respondit-elle) s' il vous plaist: A laquelle parole il luy commanda de se lever promptement, & s' addressant vers toute la compagnie qui l' environnoit: Foy de Gentil-homme (dit-il) ce n' est pas raison que cette Damoiselle se prosterne devant moy, me demandant une chose que pour le deu de mon Estat je luy dois: mais c' est à faire à ceux qui m' importunent sur les remissions & abolitions, lesquelles je ne leur dois sinon de grace & puissance Royale. Parquoy apres l' avoir longuement entenduë sur le discours de sa requeste, qui tendoit seulement à fin de briefve Justice, & la luy ayant promise, il monstra que la parole d' un tel Roy se trouva en tout accomplie par l' evenement qui s' en ensuyvit. D' autant que ne pouvant estre fleschy par aucune priere de ceux qu' il favorisoit, ny mesme par Ambassadeurs estrangers, voulut la punition en estre faite, telle que la gravité du delict portoit. Comme de fait je vey decapiter Talart aux Halles de Paris, en l' an mil cinq cens quarante six.

Si l' Apophthegme de ce grand Roy est beau à l' endroit d' une pauvre Damoiselle, la rencontre d' un petit Moine envers un grand Roy n' est pas moins belle. Le mesme Roy passant par les Celestins de Marcoucy, s' informant de quelques Moines de leans, qui avoit fondé ce Monastere, luy fut par aucuns respondu que c' estoit Messire Jean de Montaigu grand Maistre de France, sous le regne de Charles sixiesme. Ce Seigneur avoit esté autres-fois pendu au gibet de Paris, à la solicitation du Duc de Bourgongne qui lors gourmandoit toute la France. Le Roy François, comme bon coustumier qu' il estoit de tenir tousjours quelque propos de merite, dit à la compagnie qu' il s' esmerveilloit grandement comme cestuy qui avoit longuement gouverné le Roy son Maistre, avoit esté condamné à mort, veu qu' apres quelque suite d' annees ses os furent ensevelis avec honneur en ce lieu, par ordonnance de Justice: & qu' il falloit bien conclure par cela que les Juges avoient mal jugé. A quoy il y eut un Moine qui respondit au Roy d' une parole assez brusque, qu' il s' abusoit aucunement, parce que le procez du sieur de Montaigu n' avoit esté fait par Juges, ains seulement par Commissaires, comme s' il eust voulu inferer en son lourdois que tels Commissaires deleguez à l' appetit d' un Seigneur qui pouvoit lors toutes choses, n' apportoient en leurs jugemens la conscience ordinaire des bons Juges. Soit que cette parole fust proferee par un Moine en son gros lourdois, ou par un artifice affeté, elle appresta à rire, combien qu' elle se deust tourner à edification: car à bien dire les Commissions, encores qu' elles ne soient practiquees, si sont-elles tousjours suspectes envers toutes personnes graves, & semble à plusieurs que tels Juges soient choisis à la poste de ceux qui les y font commettre pour en rapporter tel profit, ou telle vangeance qu' ils se sont projettez dessous le masque de Justice. Ce que mesmement recognu par le Parlement, pour obvier aux scandales & foules du peuple qui ordinairement en adviennent, en une Mercuriale qui fut faite de nostre temps, il fut par serment solemnel arresté qu' aucun Conseiller de la Cour n' entreroit en commission, si tous les Commissaires & deputez n' estoient tirez du mesme corps, & non mandiez d' unes & autres Cours souveraines. En quoy neantmoins ce n' est du tout apporter medecine à la maladie, ains quelque temperament seulement. Au demeurant si ce Religieux eust esté nourry en l' Histoire, il pouvoit dire qu' un seul des Essars Prevost de Paris, Juge lors voüé aux passions du Duc de Bourgongne, avoit condamné Montaigu à mort.

6. 7. De quelques tromperies de Princes par mots à double entente.

De quelques tromperies de Princes par mots à double entente

CHAPITRE VII.

Voulant deduire quelques tromperies gentilles tirees de mots de deux sens entre les François, il m' est tombé en la memoire une Histoire de mesme sujet d' Aurelian Empereur de Rome, lequel ayant mis le siege devant la ville de Thiane, pour donner cœur à ses soldats, protesta publiquement que si cette ville estoit prise, il ne pardonneroit à un seul chien: De laquelle parole les soldats faisans leur profit (car ils pensoient qu' un chacun passeroit au fil de l' espee) s' encouragerent de telle sorte qu' ils forcerent la place. Toutes-fois ce sage Empereur cognoissant de combien il empireroit sa renommee, & aussi quel tort il feroit à sa conscience de perdre tant d' ames tout d' un coup, soudain fit proclamer à son de trompe de ne tuer aucun homme ny femme: Et comme quelque Capitaine s' advantura de luy dire que ce n' estoit pas la promesse qu' il leur avoit faite avant qu' ils liurassent l' assaut. L' Empereur luy respondit que suivant sa promesse il donnoit puissance de mettre tous les chiens à mort sans aucune exception. Presque de cette mesme façon se trouva escorné Louys Duc d' Anjou, qui avoit esté adopté par Jeanne Roine de Sicile, & Comtesse de Provence: Ce Prince desirant se mettre en possession du Royaume de Sicile, qui luy avoit esté delaissé, tira vers cette coste là avec grande armee contre Charles, qui avoit espousé la niepce de la feuë Royne Jeanne, lequel seul comme plus proche habile à succeder, luy donnoit empeschement. Or s' estoit-il emparé de toutes les places plus fortes, & gardoit cette reigle de ne faire aucune saillie, combien qu' il fut souvent sommé par Louys de venir en champ de bataille, a fin que par la decision d' une journee l' on peust cognoistre auquel des deux appartenoit à juste tiltre le Royaume, d' autant que son armee mourant de faim & longues maladies, alloit tous les jours à veuë  d' œil en empirant & diminuant. Quoy voyant Charles cauteleux, qui vouloit donner la baye à son ennemy, importuné de plus en plus de donner bataille, manda un jour par un Roy d' armes de Louys, qui estoit venu pour cet effect, que puis que son Maistre avoit si grande envie de choquer, qu' il asseurast de sa part qu' à certain jour qu' il luy nomma, il le verroit armé en blanc, & en tel equippage qu' il n' y avroit que redire, laquelle response fut fort agreable à Louys, qui pour cette cause fit tous ses preparatifs, & le jour venu ordonna ses gens en bataille rangee, attendant le semblable de son ennemy: Mais luy pour satisfaire à une partie de sa promesse, toutes-fois d' un autre sens que ne prenoit le Duc d' Anjou, monta sur un bon coursier, & armé de haut appareil vint voltiger en la face du Duc, luy mandant qu' il luy avoit tenu parole. De ce pas r'entra par un autre lieu dans la ville, dont Louys confus & despit, voyant son armee estre plus minee & defaicte par l' injure du temps, que par l' effort de son ennemy, delibera de reprendre l' adresse de France, & à son retour mourut. D' une telle tromperie furent deceus plusieurs François par les Anglois, mais avec plus grande compassion: Car Henry Roy d' Angleterre apres avoir espousé Catherine de France, fille de Charles VI. luy estant solement accordé le Royaume, en faveur de son mariage, voulut reduire sous sa puissance toutes les villes, desquelles  Charles Dauphin de France s' estoit emparé. Dedans la ville de Melun au nom du Dauphin s' estoit mis le gentil Capitaine Barbezan, accompagné de plusieurs braves Seigneurs, qui soustindrent de telle furie le siege du Roy Henry, que ny par assauts, ny par mines, ne peut jamais la ville estre forcee. Au moyen dequoy l' Anglois tourna toutes ses pensees à les affamer. En quoy il besongna de sorte qu' au long aller ils furent contraints un mois entier faire abstinence de pain, vivans seulement de la chair de leurs chevaux, lesquels encores au lieu de foin & avoine ils nourrissoient des pailles de leurs licts coupees menu: Et neantmoins en cette disette de viures, lors que leurs ennemis sonnoient quelque allegresse ou fanfare dedans leur camp: ceux-cy ausquels manquoient clairons & trompettes pour estre bien entendus, leur respondoient hautement au carillon de leurs cloches. Qui rendoit l' ennemy esbahy à merveille de la magnanimité des tenans. D' autant que par plusieurs pauvres gens, qui par necessité de maladie avoient esté contraincts vuider la ville, ils avoient eu certains advertissemens de la defaillance des viures. En fin estans reduits en toute extremité, force leur fut de venir à quelque honneste composition, & à tant furent deleguez quelques-uns d' entr'eux pour parlementer avecques les Anglois, qui leur permettoit s' en aller le baston au poing: mais jamais les autres n' y voulurent condescendre, aymans trop mieux choisir la mort que tel party. Parquoy le Roy Henry finalement leur accorda qu' ils sortiroient leurs vies & bagues sauves. Ce que les pauvres Gentils-hommes François entendans sainement, luy envoyerent les clefs: Toutes-fois luy estant entré dans la ville, leur dist qu' il ne fausseroit sa foy, & qu' ils s' en iroient leurs vies & bagues sauves, mais en perpetuelles prisons, ausquelles il les confina dedans Paris. Exemple certes barbaresque & indigne d' un gentil Prince: car la magnanimité d' eux, employee au service de leur souverain Seigneur, les devoit garentir d' un tel tour: & à dire le vray cet acte estoit aussi peu honorable, que de celuy qui avoit promis surseance d' armes de quinze jours, durant lesquels il fourrageoit toutes les nuicts les terres de son ennemy, disant que dans sa capitulation il n' avoit esté faicte aucune mention des nuicts.

6. 6. De deux traits de liberalitez remarquables.

De deux traits de liberalitez remarquables.

CHAPITRE VI.

Il n' est pas dit que tousjours il faille estre agité des flots de la mer, quand on a esté traversé d' une tempeste. A l' issuë des Troubles par moy cy-dessus discourus (vray miroüer des malheurs qui de nostre temps ont vogué par la France) il ne sera hors de propos de nous rafraischir maintenant, ainsi qu' à un port, en ces deux exemples que je me suis proposez par ce present Chapitre. On dit qu' il n' y a plus beau moyen pour representer la grandeur de Dieu qu' exerçant une liberalité envers les pauvres. De cette vertu Henry frere aisné de celuy Thibaut, qui depuis fut gendre de Sainct Louys, s' aida si bravement, que pour sa grande largesse il fut surnommé par le commun peuple, le Large. De luy se fait un conte sur ce sujet fort memorable. Il y avoit un Bourgeois riche & opulent sur tous les autres dans la ville de Troyes, nommé Artaut, qui par les bien-faits de son Maistre avoit fait bastir un Chasteau de singuliere beauté, qui fut appellé Nogent, & du nom de son Maistre vulgairement Nogent l' Artaut. Advint qu' un jour de Pentecoste, le Comte allant ouyr la Messe à sainct Estienne de Troyes, se presenta devant luy à genoux un pauvre Gentil-homme qui luy requit au nom de Dieu l' aumosne pour marier deux siennes filles, lesquelles il luy presenta, surquoy Artaut qui estoit derriere son Maistre, sans attendre aucune responce du Comte, s' ingera de respondre au Gentil-homme, qu' il avoit tort de demander argent au Comte, qui pour ses liberalitez excessives estoit tant à l' estroit d' argent, qu' il ne luy estoit presque demeuré aucuns deniers dans ses coffres: Toutesfois le Comte courroucé d' une responce faite ce luy sembloit si mal à propos, par laquelle ce mignon esperoit retrancher sa liberalité, se tourna devers luy: Maistre vilain (luy dit-il) vous mentez faussement de dire que je n' ay plus que donner, si ay dea, car j' ay encores vous mesmes à donner. C' est pourquoy je vous donne presentement à ce pauvre Gentil-homme que je voy prosterné devant mes pieds. Et à l' instant mesme se saisit de luy, disant: Gentil-homme mon amy tenez, je le vous donne, & le vous garentiray. A laquelle parole le Gentil-homme se leve, & apres avoir faict une honorable reverence, & remercié tres-humblement le Comte prit Artaut, lequel fut contraint de payer sa rançon pour marier les deux Damoiselles. Il est bien seant à ceux qui ont l' oreille d' un Prince de mesnager le bien de luy: mais non aux despens de sa reputation: & neantmoins encore aymerois-je mieux le conseil d' Artaut, que d' un tas de sangsuës qui n' apprennent à un Roy que la prodigalité: car pendant que par cet excez ils espuisent toute son Espargne, il faut qu' il ait recours de ses fautes sur son pauvre peuple, & est certain que l' augmentation des tailles est la diminution de la bonne volonté des sujets envers leur souverain Seigneur.

Or à la suitte de l' exemple du Comte Henry, il me plaist d' en enfiler une autre de Messire Georges d' Amboise Cardinal, l' un des principaux Conseillers du bon Roy Louys douziesme. Ce preud'homme joüissoit du lieu de Gaillon, dependant de son Archevesché de Roüen, qu' il augmentoit, & accommodoit de tout son possible comme maison de plaisance, relasche de ses plus serieuses occupations. Il y avoit un Gentil-homme sien voisin grandement affairé, lequel pour se mettre au large, parla à l' un des domestiques du Cardinal, à ce qu' il voulust moyenner envers son Maistre qu' il acheptast une sienne terre qui estoit grandement à la bien-seance de Gaillon. Or comme la nature de tous Courtisans est prompte en telles negotiations, cestuy en advertit soudain son Maistre, l' advisant qu' il pourroit avoir à bon conte cette terre, dont il luy portoit parole: A quoy le Cardinal d' une face gaye, & riante, luy respondit qu' il ne demandoit pas mieux que de communiquer cette affaire avec le Gentil-homme vendeur, & que partant on le conviast à disner: Commandement qui fut incontinent mis en œuvre par le Courtisan: & de fait quelques jours apres le Gentil-homme ayant pris sa refection avec ce bon Seigneur, les tables levees, & un chacun retiré pour les laisser deviser à leur aise, sur ce qu' ils avoient à faire, le Cardinal commença de luy tenir propos de cette terre, l' admonnestant, comme voisin & amy de ne se vouloir defaire de ce lieu qui estoit de son ancien estoc, l' autre au contraire insistant, alleguoit pour ses raisons, qu' il esperoit rapporter de cette vente trois profits, l' un en gaignant par ce moyen sa bonne grace, l' autre parce que d' une partie de l' argent il marieroit une sienne fille, & la derniere qu' il employeroit le reste de ses deniers en rentes courantes, qui luy profiteroient tout autant comme le revenu de sa terre entiere, & pource Monseigneur (adjoustoit-il) qu' elle vous est trop plus seante qu' à nul autre, je me suis adressé à vous, pour vous en faire tel marché que souhaiterez. Voire-mais mon voisin (respondit le Cardinal) si vous aviez argent d' emprunt pour loger vostre fille en bon lieu, n' auriez vous pas beaucoup plus cher que la terre vous demeurast? A quoy luy ayant le Gentil-homme fait responce que ce luy seroit une autre difficulté de rendre à jour nommé l' argent qu' il avroit emprunté. Mais si on vous attermoyoit à tel temps (poursuivit le Seigneur) que sans vous mal-aiser peussiex acquitter vostre debte, que diriez vous? Ha Monseigneur (repliqua l' autre) vous dictes bien, mais où sont maintenant ces presteurs? Et ainsi estans tombez en une taisible altercation de la vente & du prest, en fin ce bon Legat s' escria: Et vrayement ce seray-je, & non autre qui vous feray ce party. Ce qu' il fit: car il luy presta argent convenable, avecques terme si long, que comblant, comme l' on dit, de la terre ce fossé, ce Gentil-homme maria sa fille à son desir, sans se despoüiller de sa place: & comme sont toutes gens de Cour soucieux d' advantager leurs Maistres par un droict de bien-seance au prejudice des autres, sortans de ce conseil estroit, survint celuy qui estoit l' entremetteur, lequel en particulier demande à son Maistre s' il avoit convenu de prix: Ouy, luy respondit ce preud' homme, & y pense avoir trop plus gaigné que vous n' estimez: Car au lieu de la Seigneurie dont vous m' aviez parlé, j' ay faict acquisition d' un amy, aimant trop mieux un bon voisin, que toutes les terres du monde. Qui rendit mon pauvre Courtisan si confus, que de là en avant ne luy souvint de s' esmoyer de telles voyes, pour penser gratifier à ce bon Seigneur. O exemple digne d' un Aristides, ou Caton, lequel à la mienne volonté tous Seigneurs eussent enchassé dans leurs testes: & toutes-fois en mourant il regrettoit avec pleurs & larmes le temps qu' il avoit employé plus à la suite de la Cour d' un Roy, que d' endoctriner ses brebis.