jueves, 6 de julio de 2023

6. 11. Qu' il est quelquesfois dangereux de mesler les affaires d' Estat & du Palais ensemble,

Qu' il est quelquesfois dangereux de mesler les affaires d' Estat & du Palais ensemble, exemple icy representé, par le grand procés qui fut au Parlement de Paris, entre Madame la Regente Louyse de Savoye, mere du Roy François premier, & Charles Prince du sang, aisné de la maison de Bourbon, Connestable de France.

CHAPITRE XI.

Le Comte de Sainct Pol qui fut executé à mort l' an 1475. avoit ensevely avec luy la dignité de Connestable, jusques en l' an mil cinq cens quatorze, que le Roy François premier de ce nom sur le commencement de son regne la feit reviure en Charles Prince du sang, aisné de la maison de Bourbon. Ces deux Connestables esmeurent de grands troubles, mais comme le second estoit dans nostre France de plus grande estoffe, aussi porta-il plus de coup que le premier. Histoire dont j' ay le souvenir en horreur, laquelle merite d' estre enchassee dedans cest œuvre. Peut-estre servira-elle de quelque leçon à ceux qui sont prez des Roys. Et par ce que le commecement de cette grande tragedie fut joüé par gens de robbe longe, & le demourant par gens faisans profession des armes, je veux donner le present chapitre à la plume, & estre homme du Palais, & l' autre suyvant à l' espee, & me faire homme d Estat: Et d' une mesme main vous enfiler sommairement la genealogie des aisnez de la maison de Bourbon, & quelques actes que je pense appartenir au present discours, sans lesquels je ne pourrois vous faire bonnement entendre ce que je me suis projetté.

Du mariage de Robert (qui fut appennagé par le Roy Sainct Louys son pere du Comté de Clairmont en Beauvoisis) & de Beatrix, Dame de la Baronnie de Bourbon, nasquit Louys premier de ce nom: En cestuy on remarque deux choses: Une qu' il feit eriger la Baronnie de Bourbon en Duché & Pairrie, y annexant plusieurs villes & seigneuries pour le soustenement de cette grande dignité: L' autre que là où auparavant Robert son pere, & luy portoient le surnom de Clairmont, il prit celuy de Bourbon, pour luy & sa posterité, retenant toutesfois à soy les armes de France au baston de gueule, tesmoignage asseuré à ses survivans de son extraction Royalle: & de là en avant ce fut une loy en cette famille que le pere portoit le tiltre de Duc de Bourbon, & son fils aisné celuy de Comte de Clairmont. Ce Prince eut deux enfans, Pierre aisné, & Jacques puisné, qui est celuy auquel prit commencement l' illustre maison de Vendosme, dont nostre grand Roy Henry 4. prit sa source.

De Pierre Duc de Bourbonnois nasquit Loys second, & de luy Jean premier de ce nom, lequel en l' an 1400. espousa Marie fille unique de Jean Duc de Berry & d' Auvergne (oncle du Roy Charles 6.) lequel par le contract de mariage donna à sa fille (suivant la permission qu' il disoit avoir du Roy) le Duché d' Auvergne, faisant partie de son appennage, & encores le Comté de Montpensier qui estoit de son acquest. Et Louys donna aussi à Jean son fils le Duché de Bourbonnois, avecques les Comtez de Clairmont & Forest. L' une & l' autre donation faicte en faveur des enfans masles qui descendroient des futurs mariez. Et le jour mesme le Duc Louys feit une declaration, par laquelle il ordonna qu ' avenant que Jean son fils, & autres enfans masles nez ou à naistre, allassent de vie à trespas, sans hoirs masles, tellement que la ligne directe de masles vint à faillir, en ce cas les Duché de Bourbonnois, Comtez de Clairmont & Forest fussent unis à la Couronne. C' estoit à bien dire un troc, & au lieu du Duché d' Auvergne ancien domaine de France qui ne pouvoit tomber en quenoüille, ny par consequent és mains de la Princesse Marie, faire tomber en contreschange à la Couronne le Bourbonnois & Forest, ausquels elle n' eust eu aucune part defaillans les masles, sans cette nouvelle Ordonnance du Duc Louys deuxiesme de ce nom: Car quant au Comté de Clairmont, il n' en falloit aucune declaration, comme estant un appanage de France.

Du mariage de Jean de Bourbon & Marie de Berry vindrent deux enfans, Charles & Louys, & par partage fait entr'eux le 3. Fevrier 1417. Charles laissa a Louys son frere puisné le Comté de Montpensier, seigneurie de Combraille & autres qu' il n' est besoin icy de specifier.

Charles premier eut plusieurs enfans, mais entre autres trois, dont nous avons maintenant affaire. Jean second qui fut marié en l' an 1450. avec Jeanne de France, fille du Roy Charles 7. Pierre sire de Beaujeu qui espousa en l' an 1474. (son frere vivant encores) Anne de France, fille aisnee du Roy Louys unziesme. Et Marguerite qui fut conjointe par mariage avec Philippes Comte de Bresse, & depuis Duc de Savoye, dont issirent deux enfans, Philebert qui succeda à son pere au Duché, & Loïse de Savoye mere du Roy François I. de ce nom.

De Louys Comte de Montpensier nasquit Gilbert, qui eut cinq enfans, Louys, Charles, François, Loïse & Renee: Charles qui par la mort de Louys fut faict l' aisné de la maison de Montpensier, Loïse qui fut mariee à Louys Prince de la Roche-sur-yon, puisné de la maison de Vendosme, dont sont issus successivement Louys qui fit eriger le Comté de Montpensier en Duché, François son fils, & finalement Henry qui mourut en la ville de Paris en l' an mil six cens huict, sur la fin du mois de Fevrier, auquel est faillie la ligne masculine de Montpensier.

Je vous ay dict que le Roy Louys unziesme avoit baillé en mariage Anne de France sa fille aisnee à Pierre. Chose qui de premiere rencontre pourroit sembler estrange au Lecteur. Qu' un Roy de France eust voulu choisir pour son gendre un puisné de Bourbon, qui ne portoit qualité de Duc, Marquis, ou Comte, ains de simple sire de Beau-jeu, mesmes le Duc Jean son frere estant encores plain de vie: toutesfois quand vous entendrez la suitte de cette negociation, vous y verrez un Roy Louys unziesme tiré tout de son long au naturel. Il voyoit d' un costé Jean Duc de Bourbon, marié dix & neuf ans n' ayant enfans, & presque hors d' esperance d' en avoir: d' un autre costé un Pierre de Bourbon aucunement necessiteux: Parquoy comme il estoit Prince accort qui sçavoit aussi dextrement choisir ses advantages pour les mesnager sur du parchemin, que ses predecesseurs par les armes: Il estima ne devoir laisser envoler l' occasion qui se presentoit. Tellement que ce qui par un jugement commun le devoit destourner d' y entendre, au contraire par un particulier l' y porta: Le contract de mariage est fait & passé, auquel il ne voulut estre present, a fin qu' à l' advenir on ne dist que sa presence eust esté une contraincte cachee, mais pour suppleer ce defaut, quelques seigneurs de marque negotierent ce faict pour luy. Par le traicté de mariage entre autres conventions, le Roy donne pour les deniers dotaux de sa fille, cent mille escus, suivant la coustume de la maison de France (porte le contract) & en consideration de ce que Pierre espousa une fille de Roy, il consent & accorde entant qu' il le touchoit ou pourroit toucher (ce sont les propres paroles du mesme contract) que tous les Duchez, Comtez, & Vicomtez de la maison de Bourbon, advenant qu' il n' eust enfans masles de son mariage, appartinssent au Roy, & ses successeurs. C' estoit un Prince non grandement riche, qui recevoit manuellement cent mille escus, somme suffisante pour reparer aucunement les bresches de ses affaires, & exerçoit liberalité d' un bien auquel il n' avoit lors rien que par esperance. Qui ne fut pas un petit coup de rét jetté par Louys unziesme, vray que par la clause portant ces mots, En tant qu' il touchoit Pierre, ou le pouvoit toucher, apporta une obscurité, sçavoir s' il avoit entendu prejudicier à toute la famille de Bourbon, ou bien aux filles seulement qui descendroient de son mariage. Paroles qui appresterent matiere aux Advocats pour se joüer diversement de leurs langues au Parlement de Paris.

Le Duc Jean mourut quelques annees apres sans hoirs procreez de son corps delaissant par ce moyen pour son heritier son frere Pierre, lequel n' eut qu' une seule fille de son mariage qui fut appellee Suzanne, laquelle devoit estre mal lotie apres la mort de son pere par le moyen de la clause cy dessus mentionnee. Cela fut cause que sur l' advenement du Roy Louys douziesme à la couronne, le Duc Pierre obtint en l' an mil quatre cens quatre vingts dix-huict, trois patentes diverses, de mesme datte & substance, l' une pour le Duché de Bourbonnois, l' autre pour celuy d' Auvergne, & la troisiesme pour le Comté de Clairmont, par lesquelles le Roy permettoit que sans avoir esgard à la declaration de Pierre portee par son contract de mariage, Suzanne sa fille, & les enfans masles ou femelles, qui descendroient d' elle, peussent jouyr des deux Duchez & du Comté. De ces lettres presentees à la Cour de Parlement de Paris les deux concernans l' Auvergne & Clairmont ne furent publiees, ains seulement celles qui concernoient le Bourbonnois, & à publication s' opposa Louys aisné de la maison de Montpensier, dont il eut acte, & pour le surplus fut dit qu' elles estoient leuës, publiees & verifiees entant que touchoit l' interest du Roy seulement. Sage arrest, pour ce que la Cour estima que le Bourbonnois estoit naturellement de l' ancien estoc & patrimoine des seigneurs de Bourbon, ausquels nos Roys ne pouvoient rien pretendre sans la cause contractuelle de Pierre, à laquelle le Roy pouvoit facilement renoncer, & faire retourner les choses en leur premiere nature: mais quant au Duché d' Auvergne, & Comté de Clairmont, qui originairement estoient du Domaine de la France, c' eust esté pecher contre les reigles fondamentales de nostre Estat de les faire tomber en quenoüille. Le Duc Pierre voyant ce refus fiança en l' an mil cinq cens, sa fille aagee seulement de huict à neuf ans, avecques Charles de Vallois Duc d' Alençon, esperant par l' union de deux familles, de Vallois & Bourbon, estayer de telle façon sa cause que par multiplicité de jussions, il obtiendroit enfin du Parlement, ce dont il avoit esté refusé. Il meurt en l' an mil cinq cens trois, delaissee Anne de France sa vefve, chargee de sa fille, & encores de Charles de Bourbon son nepueu, Comte de Montpensier, jeune Prince, qui lors n' estoit aagé que de quinze ans, lequel avoit esté nourry & eslevé dés son bas aage en la maison du Duc Pierre, sa grande jeunesse ne permettoit qu' il eust cognoissance de ses affaires, & quand il en eust esté esclaircy, l' obligation qu' il avoit en cette famille, luy ostoit la volonté de reprendre les arrhemens de l' opposition formee par feu Louys son frere aisné. Toutesfois Louys, Prince de la Roche-sur-yon son beau-frere, s' en remua pour luy, & supplia Anne Duchesse, Doüairiere, de ne vouloir trouver mauvais, si pour la conservation des droicts de la maison de Montpensier il obtenoit lettres Royaux en forme de complaincte, sous le nom de Charles son beau-frere, pour la faire assigner en qualité de tutrice & curatrice, naturelle & legitime de sa fille Suzanne en la Cour de Parlement, sur ce qu' il pretendoit que tous les grandes biens de la maison de Bourbon estoient fondus par la mort du Duc Pierre en la personne du Comte Charles de Montpensier, aisné de cette famille. Cette premiere desmarche estonna aucunement la Duchesse, & la fit tenir sur ses gardes, toutesfois priee & interpellee plusieurs fois d' en communiquer avecques son conseil, enfin elle luy lascha la bride, ce qu' elle ne pouvoit empescher: Les lettres sont obtenuës, signifiees, & assignation à elle baillee en la Cour de Parlement à la requeste de Charles Comte de Montpensier.

Cette nouvelle escarmouche tint aucunement la Cour du Roy en rumeur. Au moyen dequoy le Roy Louys douziesme, Prince debonnaire s' il en fut oncques un en France, ne voulant que ce nouveau trouble qui pourroit apporter plus grands troubles, passast plus outre, fit assembler plusieurs seigneurs, tant de l' espee que de la plume pour examiner ce qui pouvoit estre de leurs droicts. Lesquels apres avoir eu communication des titres & enseignemens, furent par un sage conseil d' advis que sans approfondir plus amplement les droits des parties il falloit faire le mariage des deux jeunes, Prince & Princesse. Quoy faisant, en reünissant les deux branches c' estoit bannir toute l' obscurité qui pouvoit estre entre les deux familles, issuës d' un mesme tige. Conseil qui ne despleut au Roy, & moins à la Duchesse mere, & peut estre ce mesme project estoit entré en sa teste, quand elle permit d' obtenir les lettres. Cognoissant ce jeune Prince, qui estoit sa nourriture, estre de mœurs tres-agreables, & promettre beaucoup de luy: Les articles du mariage furent dressez au mois de Janvier 1504. du consentement du Duc d' Alençon, en presence du Cardinal George d' Amboise Archevesque de Roüen, Legat en France, des Evesques de Clairmont & de Rodés, des Ducs de Vendosme, & Longue-ville, Comte de Neuers & autres grands Seigneurs: Et selon mon petit jugement, jamais plus de prudence ne fut apportee en contract qu' en cestuy-cy. Car combien que dans iceluy on attribuast seulement à Charles la qualité de Comte de Montpensier, & à Suzanne, celle de Duchesse de Bourbonnois, comme si elle en fust Dame, toutes fois doüaire de dix mille liures par an luy est assigné sur les Duché d' Auvergne & Comté de Clairmont, & Anne de France mere fut assignee par le futur espoux de ses deniers dotaux sur le Duché de Bourbonnois. Tellement que par ce sage entrelas ils laisserent à l' arbitrage du Lecteur de juger qui l' on devoit estimer estre seigneur ou Dame de toutes les Duchez & Comtez. Chacun d' eux l' estant & ne l' estant point sans se faire tort l' un à l' autre, & au surplus les deux futurs espoux, par l' advis expres de tous ces seigneurs, à ce expressément commis & deleguez par le Roy, se firent donation mutuelle de tous & chacuns leurs biens presens & advenir, au survivant l' un de l' autre, comme pareillement feit la mere de tous ses biens, dont lors de son decés elle n' avoit disposé: le Roy n' y estoit present, parce qu' il estoit grandement affligé de ses gouttes, mais les articles luy estans apportez il les soubsigna, & au mois de May ensuivant, mil cinq cens cinq, fut le mariage consommé. La mere, la fille, & le gendre, faisans une demeure ensemble. La mere pretendant estre usufruitiere de Bourbonnois, Auvergne & Clairmont par les trois lettres patentes de l' an mil quatre cens quatre vingts dix-huict. En l' annee 1519. Suzanne se voyant aucunement mal disposee de son corps fit son testament, par lequel elle institua son mary son heritier universel, confirmant les conventions portees par son contract de mariage, à la charge que l' usufruict pretendu par sa mere, fust en elle continué. Deux ans apres, je veux dire en l' an 1521. elle alla de vie à trespas: Et par son decés la mere se pretendoit heritiere de sa fille par le moyen du SC. Tertulian en tous les biens du droict escrit, comme pareillement aux meubles & acquests au pays coustumier, la coustume generale de France, & singulierement en tous & chacuns les meubles: Parce que leur domicile estoit en la ville de Moulins, & qu' en matiere de meubles tous les autres en quelque pays qu' ils soient suivent la nature du domicile des parties: Droits qu' elle ceda puis apres & transporta avant que de mourir, ensemble le Vicomté de Chastelerault & Comté de Gien de son acquest, à Charles son gendre.

Jamais seigneur en cette France, n' estant fils de Roy n' estoit arrivé à si haut degré de fortune que luy, Prince du sang, Connestable de France, Gouverneur de Languedoc, doüé de plusieurs belles & rares vertus, tant de corps, que d' esprit, seigneur souverain de Dombes, Duc de Bourbonnois, & d' Auvergne, Comte de Clairmont en Beauvoisis, Forest, la Marche, Montpensier, Prince Dauphin d' Auvergne, Vicomte de Morat & Carlat, Seigneur de Beaujoulois, Mercueur, Combrailles, la Roche en Renier, & de Bourbon Lanceis, Pair & Chambrier de France. Terres & seigneuries dont luy & sa belle mere joüirent l' espace d' un an, par une mutuelle concorde, sans aucun destourbier, quand voicy son malheur qui luy dresse inopinément cette nouvelle embusche. Je vous reciteray une Histoire non escrite, mais que nous tenons depuis ce temps là de main en main pour vraye, par forme de tradition. 

Toutes ces singularitez que l' on voyoit reluire en ce Prince lors aagé seulement de trente deux ans, convierent Loyse de Savoye mere du Roy François premier de ce nom, de souhaitter son mariage. Chose dont elle le fit rechercher avecques une tres-grande instance. A quoy il ne voulut entendre; De vous en dire la raison, ce me sont lettres clauses, refus que cette Princesse porta fort impatiemment en son ame, bien deliberee de s' en vanger à quelque prix & condition que ce fust.

Manet alta mente repostum 

Iudicium Paridis, spretaeque iniuria formae.

Elle estoit Dame absoluë en ses volontez, desquelles, bonnes, ou mauvaises, elle vouloit estre creuë. Qui fut cause que par la voix commune du peuple on fit cet Anagramme de son nom & surnom, sans changement & transport d' aucune lettre, Loyse de Savoye, Loy se desavoye. Elle estoit assistee de messire Antoine du Prat Chancelier de France; qui avoit pris la premiere nourriture dedans le Palais de Paris, accroissement de fortune par la maison d' Angoulesme, sous le regne de Louys douziesme, & accomplissement de grandeur sous celuy de François premier. De maniere qu' il s' estoit du tout voüé aux opinions de sa maistresse, & la voyant resoluë à la ruine de ce Prince, ou du mariage, il luy bailla ce conseil. Que les biens dont jouyssoit le Connestable estoient de deux natures. Les uns provenans de l' ancien estoc de la famille de Bourbon, ausquels cette Princesse devoit succeder, comme plus proche lignagere, & les autres sujets à reversion à la Couronne par conventions contractuelles: Partant y devoient estre reincorporees. Qui seroit un party que le Procureur general soustiendroit pour la necessité de sa charge. Au demeurant qu' il y avoit une ancienne leçon dedans l' escole du Palais, que jamais le Roy ne plaidoit dessaisi. 

Et par ces moyens il pourroit advenir que sans entrer en involution de procés, le Connestable seroit tres-aise d' entendre au mariage dont estoit question, tout ainsi que la Duchesse Anne avoit fait pour sa fille Suzanne, lors qu' elle fut mariee avecques luy.

Voila le premier plan de cette cause, dont la suite fut telle que je vous deduiray presentement. Tout ainsi qu' au faict de la guerre deux armees ennemies estans campees l' une devant l' autre, on attaque plusieurs escarmouches, avant que de liurer la bataille, aussi fut fait le semblable en cette cause. Le Lundy unziesme jour d' Aoust mil cinq cens vingt deux, apres que le premier Huissier eut appellé à l' Audience l' intitulation des Rolles du Bourbonnois, Auvergne, Chastelerault, Clairmont, la Marche, sous les noms de Charles de Bourbon, & Anne de France Doüairiere & usufruitiere, Maistre Guillaume Poyet Advocat de Loyse de Savoye mere du Roy s' y opposa, & forma complainte en cas de saisine & nouvelleté, soustenant que toutes ces qualitez devoient tomber en sa partie. Ce jour y eut contestations d' une part & d' autre, & par Arrest la partie fut remise au lendemain par l' organe de messire Jean de Salva lors premier President au Parlement. Auquel jour Poyet reprenant les arrhemens du jour precedant particulariza tout au long ses moyens, par lesquels il pretendoit la succession devoir eschoir à la mere du Roy demanderesse. Bouchard pour Anne de France soustint que par le benefice du Tertulian, comme tous les biens assis au pays de droict escrit luy devoient appartenir, pareillement les meubles & acquests au pays coustumier. Adjoustant à tout cela qu' elle estoit Dame usufruitiere de tous & chacuns les biens. Maistre François de Montelon Advocat du Connestable, que tous ces grands biens ne pouvoient tomber en quenoüille, les uns de leur nature essentielle tenus en appagnage, les autres par conventions & dispositions anciennes: Partant luy appartenoient comme plus prochain masle & principal heritier. Eu esgard mesmement à son contract de mariage, & testament de feuë sa femme: & neantmoins demandoit delay, pour venir defendre peremptoirement & à toutes fins: Maistre Pierre Liset Advocat du Roy, pour le Procureur general, requit avoir communication des titres, disant que tel faisoit souvent lever le lievre, qu' il ne prenoit pas, ains tomboit inesperement és mains d' un autre qui n' y pensoit. Que cela pouvoit advenir en la cause qui se presentoit, qu' apres que les titres avroient esté par luy veus, peut estre se trouveroit-il, que les deux parties disputoient de la Chappe à l' Evesque (ce sont ses mots dont il usa) & que nul n' y avoit aucun droict que le Roy. La Cour par son Arrest ordonna que toutes les parties viendroient defendre à la complainte le lendemain de sainct Martin. Pendant lequel temps le Procureur general avroit communication des titres & enseignemens desquels seroit fait inventaire. Ce qui est fait. Advient entre tant, que Madame Anne de France decede, faschee tant de la mort de sa fille qui luy pesoit sur le cœur, que de cette nouvelle moleste, & par son decés Charles de Bourbon son donataire universel fut fait maistre & seigneur de tous & chacun ses biens, & mesmement des pretensions que cette grande Princesse avoit sur ceux de sa fille. La cause estant appellee à l' audience l' unziesme de Decembre ensuivant, Montelon demanda nouveau delay pour en venir, a fin d' estre suffisamment informé des droicts nouvellement escheus à sa partie. Chose empeschee par Poyet, soustenant que c' estoit une hypocrisie du barreau, & que Montelon par son premier plaidoyé s' estoit tellement ouvert que mal-aisément y pourroit-il apporter aucune chose de plus. Il fut ordonné par Arrest qu' on en viendroit au lendemain des Roys. Je trouve en Montelon deux grands traits de prudence: L' un quand le 12. d' Aoust faisant contenance de ne vouloir defendre, il estalla toutesfois de telle maniere son fait, qu' obtenant le delay par luy requis, il laissa pour closture de son plaidoyé, une bonne bouche de sa cause à toute la compagnie. L' autre quand l' unziesme de Decembre, combien qu' il fust armé de toutes pieces pour parer aux coups de son adversaire, ce neantmoins il rechercha tous les moyens à luy possibles, pour n' entrer en lice, voyant & la puissance, & l' animosité de la Princesse contre laquelle il avoit affaire. Qui est un secret que tout Advocat doit apprendre en telle occurrance, non qu' il ne faille estimer tous juges estre gens de bien, qui ne voudroient detraquer leurs consciences du bon chemin: mais tant y a qu' ils sont hommes, quand j' ay dit cette parole j' ay tout dit, & doit le sage en tels accessoires esquiver le plus qu' il peut, tout ainsi que le Nautonnier calle le voile à la tempeste.

De vous representer maintenant toutes les fleurettes des plaidoyez de ces grands Advocats, telles que portoit la Rhetorique de leurs temps, ny les raisons par eux diversement deduites, c' est un ouvrage que je n' ay icy entrepris. Je me contenteray de vous dire que Poyet plaida pour la proximité de lignage: Montelon pour la Masculinité, ores qu' en plus esloigné degré, & Lizet pour le droict de reversion au Roy & à sa couronne. Voila quel estoit l' air general des trois plaidoyez, & celuy qui sera quelque peu nourry au barreau, pourra recueillir du discours que j' ay cy dessus fait, & pieces par moy alleguees, les raisons sur lesquelles chaque Advocat se fondoit.

Grande cause veritablement, si jamais il s' en presenta de grande en la France, soit que vous consideriez la grandeur du sujet, ou des parties, ou des Advocats. Car il estoit question de deux Duchez, quatre Comtez, deux Vicomtez, plusieurs Baronnies, & Chastellenies, & une infinité d' autres seigneuries. Trois illustres parties, une mere de Roy, un Prince du sang Connestable, & finalement le Roy mesme. Trois signalez Advocats, Poyet, depuis Chancelier, Montelon Garde des Seaux, Liset premier President au Parlement de Paris. Une chose sans plus me desplaist que je ne puis passer sous silence. Les conventions concernans leurs droits estoient claires, sans art, sans fard, avec une naïfveté telle que l' on pouvoit souhaiter en Princes non nourris en la poussiere des escoles. Toutesfois quand ce vint aux lances baisser qui fut le 22. Fevrier 1522. 

je voy que ces trois grands guerriers s' armerent d' une Jurisprudence pedantesque mandiee d' un tas d' escoliers Italiens que l' on appelle Docteurs en Droict, vrays provigneurs de procés (telle estoit la Rhetorique de ce temps là.) Et tout ainsi qu' il est aisé de s' egarer dedans un touffe de bois, aussi dedans un pesle-mesle d' allegations bigarrees, au lieu d' esclaircir la cause, on y apporta tant d' obscuritez & tenebres qu' en fin par Arrest donné sur le commencement d' Aoust les parties furent appointees au Conseil, & ce pendant par provision ordonné, que tous les biens contentieux seroient sequestrez. Ce n' estoit pas saisir le Roy, mais bien mettant toutes ces Duchez, Comtez, Vicomtez, Baronnies & Seigneuries en main tierce, c' estoit une provision, qui sembloit reduire au petit pied diffinitivement la grandeur de ce Prince. Quoy faisant, combien que la mere du Roy deust avoir la moindre part au gasteau, si obtint-elle victoire de ses pensees. S' estant par ce moyen vangee de celuy que, pour avoir desdaigné son mariage, elle avoit sur tous les hommes du monde à contrecoeur. Vengeance qui fut depuis cherement venduë à la France, comme vous entendrez par le Chapitre prochain.

6. 10. Qu' il est tres-dangereux au suject quel qu' il soit de se faire craindre par son Roy,

Qu' il est tres-dangereux au suject quel qu' il soit de se faire craindre par son Roy, exemple memorable en la personne du Connestable de Sainct Pol.

CHAPITRE X.

Jamais seigneur non souverain ne fut eslevé en si haut degré de fortune que cestuy-cy, & jamais seigneur ne se trouva si mal user de sa bonne fortune que luy. Il estoit extrait de cette grande illustre maison de Luxembourg, qui avoit produit quatre ou cinq Empereurs de suitte, beau-frere du Roy Louys unziesme, seigneur d' une infinité de grandes terres, Connestable de France, appoincté du Roy de quarante cinq mille florins par an, qui estoit beaucoup en ce temps-là, avoit quatre cens hommes d' armes entretenus & soudoyez, dont luy seul estoit le Commissaire & Controlleur, chose dont le Roy temporisant a ses importunes grandeurs ne l' osoit desdire. Possedoit les villes de Bohaims & Hams, & encores celle de sainct Quentin absolument, qui luy servoit de leurre, pour repaistre les esperances d' uns & autres Princes. Levoit un escu pour pippe de vin passant dedans ses villes, pour estre transportee aux païs bas, & soustenu du vent de tant de faveurs, nageant entre deux eaux, commandoit, ou pour mieux dire gourmandoit un Roy de France, & un grand Duc de Bourgongne, les nourrissant par sourdes brigues en perpetuelles divisions, & par ce moyen estoit par eux contrainct & debouté. Opinion vrayement fole. Car l' homme sage ne doit rien tant craindre que d' estre craint de son Roy. Celuy qui en use autrement se trouve en fin de jeu mauvais marchand, comme il advint à ce grand seigneur dont je parle. D' autant que les deux Princes, apres plusieurs connivences se voyans ainsi par luy malmenez commencerent de conspirer à sa ruine, pendant la negotiation d' une trefue dedans la ville de Boüynes. Et en fut le premier promoteur sous main le Roy Louys envers les favoris du Duc de Bourgongne, & specialement envers le seigneur d' Imbercourt qui avoit receu mal à propos un desmentir de luy en la ville de Roye. Et de cela on peut recueillir quelle estoit la grandeur de ce Connestable, veu qu' à face ouverte le Roy son maistre ne luy  osoit faire teste. En tels traictez quelque silence que l' on y desire, les parois ont yeux, langues, & aureilles. Il eut quelque vent de cette pratique, & aussi tost en fit sa plainte à l' un & à l' autre Prince. Qui appresta suject d' une nouvelle defiance entr'eux, pour sçavoir celuy qui avoit descouvert ce secret, tant ils craignoient de luy desplaire. La partie est tenuë en surseance: & comme le Roy estoit plein de moyens artificieux, pour se developper d' un mauvais affaire, aussi voulut-il bien faire paroir au Connestable, bien qu' il fust son suject, qu' il n' avoit jamais rien brassé au desavantage de luy. Et pour s' en esclaircir il fut question de les aboucher ensemble. L' orgueil du Connestable fut tel qu' il voulut entrer en mesme paction avec son Roy, comme autresfois avoit fait Jean Duc de Bourgongne, avec Charles septiesme, lors Dauphin, sur le pont de Montereau Fault-Yonne. Le jour est arresté entre Noyon & la Fere, sur la chaussee d' une petite riviere, où fut mise une forte barriere. Là arrive le Connestable le premier, armé d' une cuirace sous un habillement volant, accompagné de trois cens gensdarmes. Le Roy n' y arrive si tost, & faisant cens fois plus qu' il ne devoit, avant que d' y arriver, luy envoye des ambassadeurs pour s' excuser s' il tardoit tant. Et quelque temps apres il y vient, suivy du Comte de Daupmartin grand Maistre de France, & de six cens Gentils-hommes d' eslite. Là fut le pour-parler entr'eux, en presence de cinq ou six seigneurs, tout le demeurant faisant alte. Pour conclusion il fut arresté que tous umbrages seroient ensevelis: & de ce pas le Connestable franchit la barriere, & passant du costé du Roy vint loger ce mesme jour avec luy en la ville de Noyon, & le lendemain reprit ses brisees vers sainct Quentin, son repaire & giste ordinaire. Je vous prie vouloir balancer en passant auquel des deux y eut plus de faute, ou à l' orgueil du suject envers son Roy, ou en l' humilité du Roy envers son sujet. Toutes & quantesfois que nous voyons nostre Prince s' humilier plus que l' ordinaire envers nous, en une asseurance de tout, nous devons tout craindre. Jusques icy vous avez entendu les grandeurs de ce Connestable, entendez maintenant son raval. Le Roy revenu à son second penser commença de se hontoyer, estimant avoir fait un pas de Clerc de s' estre de cette façon demis à l' endroit de son Connestable. Qui luy accreut un maltalent beaucoup plus grand qu' auparavant. L' aposthume se meurissoit de plus en plus aux cœurs des deux Princes, à laquelle il falloit avec le temps donner air. Trefue de neuf ans est concluë entr'eux à Veruins, par laquelle il fut arresté de la liuraison du Connestable és mains du Roy par le Duc. Et suivant cet arrest il fut quelques jours apres liuré à l' Admiral de France bastard de la Maison de Bourbon, qui le conduisit jusques à la Bastille de Paris, sur la fin du mois de Novembre 1575.

J' en reciteray tout au long l' histoire, comme celle de laquelle tous grands Seigneurs, s' ils sont sages, peuvent bien faire leur profit. Là il fut receu par les Seigneurs Doriole Chancelier, & Boulanger l' un des Presidens, & quelques autres sieurs du Parlement. Mesme par le sire Denis Hesselin (ainsi le nomme l' ancienne histoire) maistre d' hostel du Roy, Esleu de Paris, & Prevost des Marchands de la ville, qui estoient lors toutes qualitez de grande marque. Baillé en garde à Philippes l' Huillier, & au Seigneur de sainct Pierre. Son procez ne fut pas de longue duree, d' autant que par arrest du 19. Decembre apres avoir narré tous les points dont il estoit accusé & convaincu, il fut dit. Que la Cour le deposoit de l' Office de Connestable, & tous offices Royaux, & le declaroit crimineux de crime de leze Majesté. Le condamnoit à avoir la teste tranchee sur un escharfaut en la place de Greve, & tous ses biens confisquez envers le Roy: & pour l' honneur de son dernier mariage, la Cour de grace ordonnoit que le corps seroit ensevely en terre saincte. Ce sont les propres mots & suite du dispositif de l' arrest que j' ay voulu de propos deliberé inserer tout au long. Par ce qu' aujourd'huy le formulaire des arrests, en tels cas, est de declarer premierement le seigneur qui est prevenu, attaint & convaincu du crime de leze Majesté, & en consequence de cela le degrader des honneurs & dignitez dont il avoit esté auparavant pourveu par le Roy, & en cestuy on le dépose premierement, & puis on le declare crimineux de leze majesté: Comme n' ayans voulu que cette grande dignité de Connestable eust esté infectee du crime de leze majesté. 

Le mesme jour que l' arrest fut donné ce Connestable est amené au Palais par les sieurs de S. Pierre, & de Toute-ville Prevost de Paris eux deux montez sur chevaux, luy au milieu. Arrivez qu' ils y furent, il monte les grands degrez, receu par les Seigneurs de Gaucourt & Hesselin, qui le conduisirent au lieu où le Chancelier l' attendoit, lequel l' ayant par une honneste preface admonnesté de vouloir estre constant, comme un Seigneur tel qu' il estoit, le somma de luy rendre l' Ordre de S. Michel, qu' il avoit du Roy: A quoy il satisfit promptement. Puis luy demanda son espee, principale remarque de sa dignité de Connestable. Mais il respondit qu' elle luy avoit esté ostee deslors de son emprisonnement. A cette parole le Chancelier le quitta, & aussi tost arriva maistre Jean de Popincourt President qui luy fit lire son arrest. Je vous laisse plusieurs particularitez qui se passerent entr'eux, pour vous dire que soudain apres il fut mis és mains de quatre Docteurs en Theologie, frere Jean Sourdun Cordelier, un Augustin, le Penitentier, & Maistre Jean Hue Curé de S. André des Arts. Il vouloit avant que de mourir recevoir le corps de nostre Seigneur, mais la Cour ne le voulut permettre, & au lieu de ce fut celebree une Messe, & baillé du pain beny & de l' eauë beniste. Ce fait il fut consolé par les quatre Peres, jusques à ce que sur les deux heures apres midy il descendit du Palais, & remonta sur son cheval pour aller à l' hostel de ville, devant lequel estoient dressez les escharfaux pour son execution. Estant conduit au bureau, apres avoir donné lieu à la nature, & à ses regrets, il fit son testament sous le bon plaisir du Roy, qu' il pria estre escrit sous luy par le Seigneur Hesselin. Sur les trois heures il entre sur l' escharfaut, où il se mit à genoux, jetta les yeux sur l' Eglise de nostre Dame, fit devotement son oraison, baisa plusieurs fois la Croix qui luy estoit presentee par le Cordelier: jusques là il avoit eu les mains franches, mais soudain qu' il se fut levé, l' executeur de la haute justice les luy lia avec une petite corde. Je trouve qu' à cette mort estoient presens, en la place, le Chancelier, les sieurs de Gaucourt, de Toute-ville, S. Pierre, Hesselin, le Greffier de la Cour, & quelques autres Officiers, en la presence desquels il demanda pardon au Roy. Puis s' agenoüilla sur un petit carreau de laine aux armes de la ville, qu' il remua de l' un de ses pieds pour le mettre à son apoint. Et lors luy furent les yeux bandez, & aussi tost la teste levee. Il avoit par son testament ordonné d' estre inhumé aux Cordeliers, où Hesselin donna ordre de faire sur le champ porter la teste & le corps conduit de quarante torches, & assista à l' enterrement, & le lendemain aux Obseques qu' il fit celebrer avec tout l' honneur commun que l' on pouvoit desirer. Et par ce que ce Seigneur Hesselin fut des premiers entremetteurs de cette grande histoire, je diray de luy pour closture de ce chapitre, qu' il a esté bisayeul de Maistre Louys Hesselin Conseiller du Roy & Maistre en sa Chambre des Comptes de Paris, personnage de singuliere recommandation, & dont je fay grand Estat. Voila l' histoire tragique de ce grand Seigneur que je vous ay representee pour servir de leçon, & au suject, & au Prince souverain. A celuy-là pour luy enseigner que quelque grandeur qui soit en luy il n' y a rien qu' il doive tant craindre que de se faire redouter & craindre par son Roy: & au Prince souverain que sur tout, ores qu' il le puisse d' une authorité absoluë, toutesfois il se doit bien donner garde de faire mourir un sien subject sans cognoissance de cause, & comme l' on dit, d' une mort d' Estat. Qui ne produit ordinairement que mescontentement general du peuple, & le mescontentement, troubles, & guerres civilles, closture ordinaire de l' Estat. L' abouchement du Duc Jean de Bourgongne, avec Charles Dauphin sur le pont de Montereau Fault-Yonne, & le coup de Tanneguy du Chastel, quand sur le champ par une querelle d' Allemant il tua le Duc, devoient selon quelques sage mondains, servir de leçon au Roy Louys II. pour se deffaire promptement, par personne interposee de son Connestable lors que sans respect de sa majesté, il se voulut par conference, aucunement apparier à luy. Il se donna bien garde de le faire, ains s' en reserva la vengeance par la justice de son Parlement. Aussi produisirent ces deux morts deux divers effets. Car de la fosse du Duc Jean sourdit un seminaire de guerres, qui fut la desolation de nostre Royaume: & de celle du Connestable, un repos aux ames des deux Princes, & ensevelissement de tous les maux qui prenoient leurs vies par sa vie.

6. 9. Du procez extraordinaire fait, premierement à Messire Philippe Chabot Admiral de France, puis a Messire Guillaume Pouyet Chancelier.

Du procez extraordinaire fait, premierement à Messire Philippe Chabot  Admiral de France, puis a Messire Guillaume Pouyet Chancelier.

CHAPITRE IX.

Ce que j' ay deduit cy-dessus regarde les belles pointes des mots, ce que je deduiray cy-apres regardera les belles rencontres des faits, pour enseigner tous les Juges de n' accomomoder leurs volontez en jugeant, aux volontez extraordinaires des Roys leurs Maistres. Des Essars fit mourir Montaigu, pour contenter l' opinion de celuy dont il estoit lors idolatre: Et Dieu permit que depuis il fut decapité, mais avecques une suitte beaucoup plus ignominieuse que celle dont il avoit traité Montaigu, comme j' ay plus amplement discouru ailleurs. Je feray un saut du regne de Charles VII. à celuy de François I. M' asseurant que ce que je discourray ne desplaira aux Lecteurs. Entre ceux qui eurent bonne part en ses bonnes graces, ce fut Messire Philippe Chabot, & ne trouve Seigneur de tout ce temps-là ny depuis qui eut approché nos Roys, lequel ait esté tant chargé de dignitez que cestuy. Car il estoit Chevalier de l' Ordre, Admiral de France, Lieutenant general du Roy au pays & Duché de Bourgongne, Conseiller au Conseil Privé, & en outre Lieutenant general de Monsieur le Dauphin aux Gouvernemens de Dauphiné & de Normandie. Telles trouvay-je ses qualitez par l' Arrest contre luy donné dont je parleray cy-apres. Le Roy ne croyoit qu' en luy seul; entre ceux qui avoient son oreille. Toutesfois comme les opinions des Roys se changent sans sçavoir quelques-fois pourquoy, aussi commença-il avecques le temps de se lasser de luy, & en fin il luy despleut tout à fait. De maniere qu' un jour entr'autres il le menaça de le mettre és mains de ses Juges, pour luy estre fait son procez extraordinaire. A quoy l' Admiral ne remettant devant ses yeux combien c' est chose dangereuse de se joüer à son Maistre, luy respondit d' une façon fort altiere, que c' estoit ce qu' il demandoit, sçachant sa conscience si nette, qu' il ne pouvoit estre faite aucune bresche, ny à ses biens, ny à sa vie, ny à son honneur: Ne se souvenant pas du Verset du Roy David, quand parlant à Dieu il disoit:

Si tu veux par rudesse 

Nos pechez mesurer, 

Seigneur, Seigneur qui est-ce 

Qui pourra plus durer?

Cette responce despleut tant au Roy, que soudain il fit decerner une commission contre luy: & combien qu' és commissions extraordinaires les Chanceliers n' ayent jamais accoustumé de presider, pour faire le procez criminel à quelque Seigneur que ce soit, ains seulement quand la Cour de Parlement y vaque, auquel cas un Chancelier selon les occasions y preside, comme chef de la Justice. Toutes-fois en cestuy-cy que le Roy affectionnoit pour l' irreverence dont il estimoit l' Admiral avoir usé envers luy, le Chancelier Pouyet fut de la partie: avecques vingt & quatre que Presidens, que Conseillers triez de divers Parlemens. Et le Roy estant lors à Fontaine-bleau, & le procez instruict en la ville de Melun, par le narré de l' Arrest qui fut puis apres donné contre l' Admiral, on trouve que deux & trois fois il fut interrogé par le Chancelier, lequel y presida lors du Jugement, & qui est chose grandement remarquable, en tout le procez nul article par lequel on luy imputast crime de felonnie & leze Majesté, ains quelques exactions induëment par luy faites sur quelques pescheurs, sous pretexte de son Admirauté: Qui fut cause que du commencement il n' y avoit aucune aigreur de la part des Juges, mais le Chancelier voyant que le Roy affectionnoit la condamnation de leur prisonnier, commença de se roidir contre son innocence, aux yeux de toute la compagnie, qui s' en offença aucunement; d' autant qu' à face ouverte il taschoit de reduire toutes les opinions à la sienne, en quoy ores qu' il ne fust du tout creu, si en attira-il quelques uns à sa cordelle. Tellement que l' Admiral ne fut pas condamné à mort, mais bien traité fort rudement, & comme les opinions eussent balancé, les unes au plus, les autres au moins, en cet estrif; le Chancelier indigné, que les choses ne luy succedoient à point nommé, quand ce vint à luy d' opiner, il pria la compagnie de l' en dispenser. Ce qu' elle ne luy voulut accorder, de sorte que voyant que ce luy estoit un faire le faut; en deux mots il declara qu' il passoit à l' opinion la plus severe. Avant que l' Arrest fust signé, le Rapporteur du procez luy en apporta la minute, non pour la corriger tout à fait, mais bien pour voir s' il y avoit quelques obmissions par inadvertence. Toutesfois pour contenter son opinion, se donnant pleine carriere, le change selon que sa passion le portoit, & estant de cette façon radoubé; l' envoye à tous les autres Conseillers pour le soubsigner. Ce que du commencement ils refuserent de faire, mais les violentant d' une continuë, & de menaces estranges, ils furent contraints de luy obeïr. Voire que l' un d' eux meit au dessous de son seing, un petit V, du commencement, & vers la fin un I, ces deux lettres jointes ensemble faisans un VI, pour denoter qu' il l' avoit signé par contrainte. J' ay voulu repasser sur l' Arrest, par lequel je remarque une animosité tres-expresse, & sur le commencement, & sur le milieu, le commencement de l' Arrest est tel. François par la grace de Dieu Roy de France, à tous ceux qui ces presentes lettres verront, salut. Comme sur les plaintes à nous faites de plusieurs infidelitez, desloyautez & desobeïssances envers nous, oppression de nostre pauvre peuple, forces publiques, exactions induës, commissions, impressions, ingratitudes, contemnement & mespris, tant de nos commandemens, que defenses, entreprises sur nostre authorité, & autres fautes, abus, & malversations, crimes & delits que l' on disoit avoir esté commis & perpetrez par Philippes Chabot, &c. Sçavoir faisons que nous avons dit & declaré, disons & declarons icejuy Chabot estre attaint & convaincu, mal, induëment, illicitement, injustement & infidelement, contre les deffences par nous de nostre bouche à luy faites, & par impression & force publique, sous ombre de son Admirauté, pris & exigé és annees mil cinq cens trente & six, & trente & sept, vingt sols sur les pescheurs de la coste de Normandie, qui esdictes annees ont esté aux harangaisons, & la somme de six liures sur chacun batteau qui estoit allé aux macquereaux, combien que luy eussions, comme dict est, deffendu de bouche ne rien prendre.

Autres plus grands chefs d' accusation ne vois-je. Je ne veux point excuser ces fautes, mais il n' y a Seigneur en France sous lequel ses ministres & serviteurs ne puissent tomber en tel desarroy, ny pour cela je ne voy point qu' ils soient recherchez; Unes lettres patentes d' abolition à petit bruict les ensevelit sans qu' il en soit jamais parlé. Aussi au cas qui s' offre le Chancelier ne trouvant grand suject de condamnation en l' Admiral fut contrainct de cotter nouvelle qualité de crime en luy, comme d' ingratitude. Vice vrayement que l' on abhorre naturellement, mais pour lequel on ne fit jamais le procez extraordinaire à un homme: Le Chancelier estimoit en ce faisant apporter contentement à son Maistre, & toutes-fois Dieu voulut qu' au contraire de son intention le Roy ayant veu l' Arrest commença de se mocquer des Juges, & sur tout de se courroucer contre le Chancelier qui luy avoit promis monts & merveilles. Ce grand Roy, comme il est grandement vray-semblable, souhaittoit en l' Arrest condamnation de mort, pour accomplir puis apres un trait absolu de misericorde envers celuy dont il ne pouvoit oublier l' amitié, encores qu' il l' eust voulu faire repentir de la response trop brusque, dont l' Admiral avoit usé envers luy: & s' estans les choses passees de la façon que dessus, le Roy le manda querir pardevers soy, & sans user de plus longs propos, luy dict. Pour contenter vostre opinion j' ay faict faire vostre procez, & avez veu le succez qu' en avez eu pour trop vous croire: Maintenant je veux contenter la mienne, & d' une puissance absoluë vous restablir en tel estat qu' estiez auparavant l' arrest. A quoy l' Admiral repartit; Pour le moins, Sire, je loüe Dieu qu' en tout mon procez il n' y a un seul mot de felonnie que j' aye commise, ou voulu commettre contre vostre Majesté. Cette parole arresta tout court le Roy, lequel pour en estre esclaircy decerna nouvelle commission à autres Juges pour sçavoir s' il n' avoit point esté attaint & convaincu de ce crime. Les Commissaires voyent les procedures & pieces, ausquelles ils n' en trouvent aucune mention, & sans y avoir recours, l' arrest mesme portoit un ample tesmoignage qu' il n' en estoit rien. Au moyen dequoy apres avoir oüy leur rapport, le Roy decerna ses lettres Patentes, par lesquelles il le remettoit en sa bonne fame & renommee telle comme auparavant, sur lesquelles fut donné arrest, prononcé en robbe rouge aux grands Arrests de Pasques le 29. jour de Mars 1541. Le coup toutesfois du premier arrest l' ulcera de telle façon qu' il ne survesquit pas longuement. Adonc commença la fortune de liurer nouvelle chance, car le Roy renvoya en sa maison Messire Anne de Montmorency Connestable de France; & voulut le procez estre fait au Chancelier, à la requeste de son Procureur general en sa Cour de Parlement de Paris: Plusieurs memoires sont apportez contre luy, mais les plus signalez & picquans furent les extraordinaires deportemens dont il avoit usé envers les Juges au procez de l' Admiral: Mesmes furent contre luy produits à tesmoins, quelques Conseillers qui avoient esté de la partie, & n' y eut rien qui tant luy nuisit que cela en sa condamnation. Comme on procedoit à son procez, la veufve & heritiers de l' Admiral obtindrent lettres Patentes addressees aux mesmes Juges, pour faire revoir le procez, se constituans demandeurs en declaration d' innocence.

De maniere que le 23. Avril 1545. fut donné arrest contre luy, par lequel pour les entreprises par luy faites outre son pouvoir, abus & exactions, il fut privé de l' Estat de Chancelier, & declaré inhabile à tenir office Royal; & encores condamné en la somme de cent mille liures envers le Roy, & à tenir prison jusques à plein payement, & confiné jusques à cinq ans en tel lieu & seure garde qu' il plairoit au Roy. Arrest qui fut prononcé en la grand Chambre, l' Audience tenant, par Berruyer l' un des quatre Notaires & Secretaires de la Cour. A la prononciation duquel le Chancelier fut present, & comme tous les astres avoient lors conjuré contre luy, aussi fut par les mesmes Juges, à la poursuitte de la veufve & heritiers de l' Admiral, donné un autre arrest, par lequel celuy de Melun fut declaré nul. Belle leçon à tout Juge pour demeurer en soy, & ne laisser fluctuer sa conscience dedans les vagues d' une imaginaire faveur, qui pour fin de jeu le submerge.

Je vous ay recité deux Histoires dont pourrez recueillir deux leçons: L' une que quelque commission qu' un Juge reçoive de son Prince, il doit tousjours buter à la Justice, & non aux passions de celuy qui le met en œuvre, lequel revenant avec le temps à son mieux penser, se repent apres de sa soudaineté, & recognoist tout à loisir celuy estre indigne de porter le tiltre de Juge, qui a abusé de sa conscience pour luy complaire: L' autre que jamais un Seigneur qui pour avoir eu bonne part en la faveur du Roy son Maistre, a esté employé aux grandes affaires, tombant en son indignation, ne doit permettre s' il luy est possible de tomber és mains de la Justice, & qu' on luy face son procez, quelque innocence qu' il pense resider en luy. D' autant que ce qu' il estimoit, pendant sa vogue, un peccadille, venant devant les yeux des Juges, est non seulement estimé peché mortel, ains criminel. Cela se manifesta aux deux Seigneur (sic), qui soubs le Roy François tindrent deux des premieres dignitez de la France: en l' Admiral Chabot, & au Connestable de Montmorency. Celuy-là ayant brusquement respondu, qu' il faisoit pavois de sa conscience contre tous les Juges: Et cestuy quand se voyant disgracié, il reblandit avec toute humilité la bonté du Roy son Maistre, & le supplia de se contenter, qu' il se retirast en sa maison. Qui estoit une punition tres-griefve de le priver de sa presence. Non qu' il se sentist moins innocent que l' autre, mais s' estant fait sage aux despens de la hardiesse de son compagnon.

Cecy me fait souvenir d' un conseil que je donnay à Monsieur le Mareschal de Montmorency son fils aisné, lequel ayant esté envoyé prisonnier par le commandement expres du Roy Charles IX. à la Bastille, sentant sa conscience saine (car ainsi puis-je dire, comme chose tres-veritable, que je ne vy jamais grand seigneur accompagné de plus grande preud'hommie que luy, & en ay haleiné plusieurs) voulut demander juges, & pour distribution de Conseil, feuz Messieurs Mangot & de Montelon, & moy. Et m' envoya sous main, Sublet sieur de sainct Estienne (qui avoit esté precepteur de Madame son espouse, aujourd' huy Duchesse d' Angoulmois) avecques un petit billet d' une ligne, pour sçavoir si je voudrois estre de la partie. Car pour bien dire en telles piteuses affaires chacun craint d' approcher ces pauvres Seigneurs affligez. A quoy je luy respondis que non seulement j' en serois tres-volontiers, ains reputois à grand honneur, qu' il m' eust choisi avecques ces deux miens compagnons: Et que deslors comme son Advocat, le premier conseil que je luy donnois estoit de ne demander, ny juges, ny distribution de Conseil: mais au contraire, que nuls juges ne luy fussent bons. Parce qu' en telles prisons, que j' appellois prisons d' Estat, fondees sur le maltalent de son Roy, il falloit tirer les choses en longueur. Pendant laquelle la colere du Roy s' estanchant, aussi se diminuoit l' opinion du delit. Conseil qu' il ne mist sous pieds, assisté en cecy de la bonté de Monsieur le premier President de Tou, personnage dont on ne peut assez favoriser la memoire, lequel par sa debonnaireté & prudence, donna ordre qu' on ne remua rien contre luy. Et depuis, le Roy Charles decedé, & Henry troisiesme son frere luy ayant succedé, apres que l' on eut mis sous pieds tous courroux, les prisons luy furent à pur & à plain ouvertes.