Du procez extraordinaire fait, premierement à Messire Philippe Chabot Admiral de France, puis a Messire Guillaume Pouyet Chancelier.
CHAPITRE IX.
Ce que j' ay deduit cy-dessus regarde les belles pointes des mots, ce que je deduiray cy-apres regardera les belles rencontres des faits, pour enseigner tous les Juges de n' accomomoder leurs volontez en jugeant, aux volontez extraordinaires des Roys leurs Maistres. Des Essars fit mourir Montaigu, pour contenter l' opinion de celuy dont il estoit lors idolatre: Et Dieu permit que depuis il fut decapité, mais avecques une suitte beaucoup plus ignominieuse que celle dont il avoit traité Montaigu, comme j' ay plus amplement discouru ailleurs. Je feray un saut du regne de Charles VII. à celuy de François I. M' asseurant que ce que je discourray ne desplaira aux Lecteurs. Entre ceux qui eurent bonne part en ses bonnes graces, ce fut Messire Philippe Chabot, & ne trouve Seigneur de tout ce temps-là ny depuis qui eut approché nos Roys, lequel ait esté tant chargé de dignitez que cestuy. Car il estoit Chevalier de l' Ordre, Admiral de France, Lieutenant general du Roy au pays & Duché de Bourgongne, Conseiller au Conseil Privé, & en outre Lieutenant general de Monsieur le Dauphin aux Gouvernemens de Dauphiné & de Normandie. Telles trouvay-je ses qualitez par l' Arrest contre luy donné dont je parleray cy-apres. Le Roy ne croyoit qu' en luy seul; entre ceux qui avoient son oreille. Toutesfois comme les opinions des Roys se changent sans sçavoir quelques-fois pourquoy, aussi commença-il avecques le temps de se lasser de luy, & en fin il luy despleut tout à fait. De maniere qu' un jour entr'autres il le menaça de le mettre és mains de ses Juges, pour luy estre fait son procez extraordinaire. A quoy l' Admiral ne remettant devant ses yeux combien c' est chose dangereuse de se joüer à son Maistre, luy respondit d' une façon fort altiere, que c' estoit ce qu' il demandoit, sçachant sa conscience si nette, qu' il ne pouvoit estre faite aucune bresche, ny à ses biens, ny à sa vie, ny à son honneur: Ne se souvenant pas du Verset du Roy David, quand parlant à Dieu il disoit:
Si tu veux par rudesse
Nos pechez mesurer,
Seigneur, Seigneur qui est-ce
Qui pourra plus durer?
Cette responce despleut tant au Roy, que soudain il fit decerner une commission contre luy: & combien qu' és commissions extraordinaires les Chanceliers n' ayent jamais accoustumé de presider, pour faire le procez criminel à quelque Seigneur que ce soit, ains seulement quand la Cour de Parlement y vaque, auquel cas un Chancelier selon les occasions y preside, comme chef de la Justice. Toutes-fois en cestuy-cy que le Roy affectionnoit pour l' irreverence dont il estimoit l' Admiral avoir usé envers luy, le Chancelier Pouyet fut de la partie: avecques vingt & quatre que Presidens, que Conseillers triez de divers Parlemens. Et le Roy estant lors à Fontaine-bleau, & le procez instruict en la ville de Melun, par le narré de l' Arrest qui fut puis apres donné contre l' Admiral, on trouve que deux & trois fois il fut interrogé par le Chancelier, lequel y presida lors du Jugement, & qui est chose grandement remarquable, en tout le procez nul article par lequel on luy imputast crime de felonnie & leze Majesté, ains quelques exactions induëment par luy faites sur quelques pescheurs, sous pretexte de son Admirauté: Qui fut cause que du commencement il n' y avoit aucune aigreur de la part des Juges, mais le Chancelier voyant que le Roy affectionnoit la condamnation de leur prisonnier, commença de se roidir contre son innocence, aux yeux de toute la compagnie, qui s' en offença aucunement; d' autant qu' à face ouverte il taschoit de reduire toutes les opinions à la sienne, en quoy ores qu' il ne fust du tout creu, si en attira-il quelques uns à sa cordelle. Tellement que l' Admiral ne fut pas condamné à mort, mais bien traité fort rudement, & comme les opinions eussent balancé, les unes au plus, les autres au moins, en cet estrif; le Chancelier indigné, que les choses ne luy succedoient à point nommé, quand ce vint à luy d' opiner, il pria la compagnie de l' en dispenser. Ce qu' elle ne luy voulut accorder, de sorte que voyant que ce luy estoit un faire le faut; en deux mots il declara qu' il passoit à l' opinion la plus severe. Avant que l' Arrest fust signé, le Rapporteur du procez luy en apporta la minute, non pour la corriger tout à fait, mais bien pour voir s' il y avoit quelques obmissions par inadvertence. Toutesfois pour contenter son opinion, se donnant pleine carriere, le change selon que sa passion le portoit, & estant de cette façon radoubé; l' envoye à tous les autres Conseillers pour le soubsigner. Ce que du commencement ils refuserent de faire, mais les violentant d' une continuë, & de menaces estranges, ils furent contraints de luy obeïr. Voire que l' un d' eux meit au dessous de son seing, un petit V, du commencement, & vers la fin un I, ces deux lettres jointes ensemble faisans un VI, pour denoter qu' il l' avoit signé par contrainte. J' ay voulu repasser sur l' Arrest, par lequel je remarque une animosité tres-expresse, & sur le commencement, & sur le milieu, le commencement de l' Arrest est tel. François par la grace de Dieu Roy de France, à tous ceux qui ces presentes lettres verront, salut. Comme sur les plaintes à nous faites de plusieurs infidelitez, desloyautez & desobeïssances envers nous, oppression de nostre pauvre peuple, forces publiques, exactions induës, commissions, impressions, ingratitudes, contemnement & mespris, tant de nos commandemens, que defenses, entreprises sur nostre authorité, & autres fautes, abus, & malversations, crimes & delits que l' on disoit avoir esté commis & perpetrez par Philippes Chabot, &c. Sçavoir faisons que nous avons dit & declaré, disons & declarons icejuy Chabot estre attaint & convaincu, mal, induëment, illicitement, injustement & infidelement, contre les deffences par nous de nostre bouche à luy faites, & par impression & force publique, sous ombre de son Admirauté, pris & exigé és annees mil cinq cens trente & six, & trente & sept, vingt sols sur les pescheurs de la coste de Normandie, qui esdictes annees ont esté aux harangaisons, & la somme de six liures sur chacun batteau qui estoit allé aux macquereaux, combien que luy eussions, comme dict est, deffendu de bouche ne rien prendre.
Autres plus grands chefs d' accusation ne vois-je. Je ne veux point excuser ces fautes, mais il n' y a Seigneur en France sous lequel ses ministres & serviteurs ne puissent tomber en tel desarroy, ny pour cela je ne voy point qu' ils soient recherchez; Unes lettres patentes d' abolition à petit bruict les ensevelit sans qu' il en soit jamais parlé. Aussi au cas qui s' offre le Chancelier ne trouvant grand suject de condamnation en l' Admiral fut contrainct de cotter nouvelle qualité de crime en luy, comme d' ingratitude. Vice vrayement que l' on abhorre naturellement, mais pour lequel on ne fit jamais le procez extraordinaire à un homme: Le Chancelier estimoit en ce faisant apporter contentement à son Maistre, & toutes-fois Dieu voulut qu' au contraire de son intention le Roy ayant veu l' Arrest commença de se mocquer des Juges, & sur tout de se courroucer contre le Chancelier qui luy avoit promis monts & merveilles. Ce grand Roy, comme il est grandement vray-semblable, souhaittoit en l' Arrest condamnation de mort, pour accomplir puis apres un trait absolu de misericorde envers celuy dont il ne pouvoit oublier l' amitié, encores qu' il l' eust voulu faire repentir de la response trop brusque, dont l' Admiral avoit usé envers luy: & s' estans les choses passees de la façon que dessus, le Roy le manda querir pardevers soy, & sans user de plus longs propos, luy dict. Pour contenter vostre opinion j' ay faict faire vostre procez, & avez veu le succez qu' en avez eu pour trop vous croire: Maintenant je veux contenter la mienne, & d' une puissance absoluë vous restablir en tel estat qu' estiez auparavant l' arrest. A quoy l' Admiral repartit; Pour le moins, Sire, je loüe Dieu qu' en tout mon procez il n' y a un seul mot de felonnie que j' aye commise, ou voulu commettre contre vostre Majesté. Cette parole arresta tout court le Roy, lequel pour en estre esclaircy decerna nouvelle commission à autres Juges pour sçavoir s' il n' avoit point esté attaint & convaincu de ce crime. Les Commissaires voyent les procedures & pieces, ausquelles ils n' en trouvent aucune mention, & sans y avoir recours, l' arrest mesme portoit un ample tesmoignage qu' il n' en estoit rien. Au moyen dequoy apres avoir oüy leur rapport, le Roy decerna ses lettres Patentes, par lesquelles il le remettoit en sa bonne fame & renommee telle comme auparavant, sur lesquelles fut donné arrest, prononcé en robbe rouge aux grands Arrests de Pasques le 29. jour de Mars 1541. Le coup toutesfois du premier arrest l' ulcera de telle façon qu' il ne survesquit pas longuement. Adonc commença la fortune de liurer nouvelle chance, car le Roy renvoya en sa maison Messire Anne de Montmorency Connestable de France; & voulut le procez estre fait au Chancelier, à la requeste de son Procureur general en sa Cour de Parlement de Paris: Plusieurs memoires sont apportez contre luy, mais les plus signalez & picquans furent les extraordinaires deportemens dont il avoit usé envers les Juges au procez de l' Admiral: Mesmes furent contre luy produits à tesmoins, quelques Conseillers qui avoient esté de la partie, & n' y eut rien qui tant luy nuisit que cela en sa condamnation. Comme on procedoit à son procez, la veufve & heritiers de l' Admiral obtindrent lettres Patentes addressees aux mesmes Juges, pour faire revoir le procez, se constituans demandeurs en declaration d' innocence.
De maniere que le 23. Avril 1545. fut donné arrest contre luy, par lequel pour les entreprises par luy faites outre son pouvoir, abus & exactions, il fut privé de l' Estat de Chancelier, & declaré inhabile à tenir office Royal; & encores condamné en la somme de cent mille liures envers le Roy, & à tenir prison jusques à plein payement, & confiné jusques à cinq ans en tel lieu & seure garde qu' il plairoit au Roy. Arrest qui fut prononcé en la grand Chambre, l' Audience tenant, par Berruyer l' un des quatre Notaires & Secretaires de la Cour. A la prononciation duquel le Chancelier fut present, & comme tous les astres avoient lors conjuré contre luy, aussi fut par les mesmes Juges, à la poursuitte de la veufve & heritiers de l' Admiral, donné un autre arrest, par lequel celuy de Melun fut declaré nul. Belle leçon à tout Juge pour demeurer en soy, & ne laisser fluctuer sa conscience dedans les vagues d' une imaginaire faveur, qui pour fin de jeu le submerge.
Je vous ay recité deux Histoires dont pourrez recueillir deux leçons: L' une que quelque commission qu' un Juge reçoive de son Prince, il doit tousjours buter à la Justice, & non aux passions de celuy qui le met en œuvre, lequel revenant avec le temps à son mieux penser, se repent apres de sa soudaineté, & recognoist tout à loisir celuy estre indigne de porter le tiltre de Juge, qui a abusé de sa conscience pour luy complaire: L' autre que jamais un Seigneur qui pour avoir eu bonne part en la faveur du Roy son Maistre, a esté employé aux grandes affaires, tombant en son indignation, ne doit permettre s' il luy est possible de tomber és mains de la Justice, & qu' on luy face son procez, quelque innocence qu' il pense resider en luy. D' autant que ce qu' il estimoit, pendant sa vogue, un peccadille, venant devant les yeux des Juges, est non seulement estimé peché mortel, ains criminel. Cela se manifesta aux deux Seigneur (sic), qui soubs le Roy François tindrent deux des premieres dignitez de la France: en l' Admiral Chabot, & au Connestable de Montmorency. Celuy-là ayant brusquement respondu, qu' il faisoit pavois de sa conscience contre tous les Juges: Et cestuy quand se voyant disgracié, il reblandit avec toute humilité la bonté du Roy son Maistre, & le supplia de se contenter, qu' il se retirast en sa maison. Qui estoit une punition tres-griefve de le priver de sa presence. Non qu' il se sentist moins innocent que l' autre, mais s' estant fait sage aux despens de la hardiesse de son compagnon.
Cecy me fait souvenir d' un conseil que je donnay à Monsieur le Mareschal de Montmorency son fils aisné, lequel ayant esté envoyé prisonnier par le commandement expres du Roy Charles IX. à la Bastille, sentant sa conscience saine (car ainsi puis-je dire, comme chose tres-veritable, que je ne vy jamais grand seigneur accompagné de plus grande preud'hommie que luy, & en ay haleiné plusieurs) voulut demander juges, & pour distribution de Conseil, feuz Messieurs Mangot & de Montelon, & moy. Et m' envoya sous main, Sublet sieur de sainct Estienne (qui avoit esté precepteur de Madame son espouse, aujourd' huy Duchesse d' Angoulmois) avecques un petit billet d' une ligne, pour sçavoir si je voudrois estre de la partie. Car pour bien dire en telles piteuses affaires chacun craint d' approcher ces pauvres Seigneurs affligez. A quoy je luy respondis que non seulement j' en serois tres-volontiers, ains reputois à grand honneur, qu' il m' eust choisi avecques ces deux miens compagnons: Et que deslors comme son Advocat, le premier conseil que je luy donnois estoit de ne demander, ny juges, ny distribution de Conseil: mais au contraire, que nuls juges ne luy fussent bons. Parce qu' en telles prisons, que j' appellois prisons d' Estat, fondees sur le maltalent de son Roy, il falloit tirer les choses en longueur. Pendant laquelle la colere du Roy s' estanchant, aussi se diminuoit l' opinion du delit. Conseil qu' il ne mist sous pieds, assisté en cecy de la bonté de Monsieur le premier President de Tou, personnage dont on ne peut assez favoriser la memoire, lequel par sa debonnaireté & prudence, donna ordre qu' on ne remua rien contre luy. Et depuis, le Roy Charles decedé, & Henry troisiesme son frere luy ayant succedé, apres que l' on eut mis sous pieds tous courroux, les prisons luy furent à pur & à plain ouvertes.
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