De l' honneste & vertueuse liberté dont usa quelques-fois, tant la Cour de Parlement de Paris, que Chambre des Comtes, pour la conservation de la Justice.
CHAPITRE XXXIV.
Combien que le Duc de Lorraine soit Prince souverain dedans son païs, si est-ce que nos Rois ont de toute ancienneté pretendu qu' une partie du Barrois relevoit de la Couronne de France: & nommément nous soustenions anciennement que la ville de Neuf-Chastel en Lorraine recognoissoit le Roy pour son souverain: il seroit mal-aisé de dire combien de disputes en sourdirent au Parlement. La cause y fut autres-fois traictee, & par Arrest du 9. Aoust 1389. entre le Procureur general du Roy, & le Duc de Lorraine, les parties furent appointees en contrarieté de faits, & cependant par maniere de provision ordonné que la ville seroit regie sous la souveraineté du Roy, & le Duc condamné de bailler son adveu, & denombrement dedans certain temps. Cela produisit plusieurs differens entr'eux dont les Registres de la Cour sont pleins. Toutes-fois cette querelle fut assopie par la relasche que le Roy Louys XI. luy fit en l' an 1465. par lettres qui furent verifiees au Parlement. Cela soit par moy dit en passant. Or advint sous le regne de Charles VI. quelque peu apres l' Arrest par moy cy-dessus mentionné, qu' un Sergent ayant fait un exploit dans cette ville de Neuf-Chastel sous le nom du Roy, & apposé ses penonceaux, le Duc de Lorraine les fit lacerer, & mettre en prison ce Sergent. Au moyen dequoy la Cour de Parlement luy fit son procez, & par defaux & contumaces le declara avoir commis crime de felonnie, le bannit à perpetuité du Royaume, & confisqua Neuf-Chastel au Roy. L' imbecilité de sens qui lors estoit en nostre Roy, faisoit que les pechez criminels estoient reputez veniels, mesmes par ceux qui estoient en la bonne grace du Duc de Bourgongne, du nombre desquels estoit le Duc de Lorraine, auquel le Bourguignon ayant promis de faire passer le tout par oubliance, le Duc de Lorraine vint à Paris pour faire la reverence au Roy, mais le Parlement de ce adverty delegua Maistre Jean Juvenal des Ursins Advocat du Roy pour le supplier de ne faire playe à l' Arrest: que le tort dont estoit question avoit esté fait à sa Majesté, & que de passer cela par connivence, au prejudice de l' Arrest, ce seroit redoubler la malfaçon de la faute. Combien que les affaires de la France fussent lors fort embroüillees, & dependissent de la volonté d' un seul Duc, si n' avoit-il des mouchars, & espieurs de nouvelles au Parlement, pour luy rapporter ce que l' on y avoit passé. Qui fut cause que cette resolution conduite avec un doux silence, le Duc de Bourgongne n' en ayant eu aucun advis, le Seigneur des Ursins arriva, suivy de ses deux compagnons, au mesme poinct que le Duc de Lorraine se presentoit pour faire la reverence au Roy. Quand le Chancelier les appercevant, leur demanda qui les amenoit en ce lieu, surquoy le Seigneur des Ursins, sans autrement marchander & luy respondre, se jette de genoux aux pieds du Roy, luy faict un long recit de l' affaire, le supplie tres-humblement de ne vouloir faire bresche ny à sa Majesté, ny à l' authorité de son Parlement. Le Duc de Bourgongne, auquel rien n' estoit difficile pres du Roy, commence de se courroucer, disant avec paroles d' aigreur, que ce n' estoit la voye que l' on y devoit observer: Auquel le Seigneur des Ursins respondit doucement, qu' il estoit tenu d' obeir à l' Ordonnance de la Cour, en chose mesmement, où il alloit du service exprez du Roy. Et à l' instant mesme haussant sa parole requit que tous bons & loyaux serviteurs du Roy vinssent se joindre de son costé, & que ceux qui estoient contraires au bien & repos du Royaume, se tirassent du costé du Duc de Lorraine. Cette parole prononcee d' une grande hardiesse, estonna de telle façon le Duc de Bourgongne, que soudain il quitta sa prise (car il tenoit le Duc de Lorraine par la manche pour le presenter au Roy) & se retira du costé des Ursins avec tous les autres Princes & Seigneurs, se trouvant le Duc de Lorraine seul & abandonné de tous. Ce fut doncques lors à luy de joüer son personnage, non à petit semblant, ains à bon escient. Il s' agenoüille devant le Roy, & la larme à l' œil le supplie humblement de luy vouloir pardonner, que de sa part il n' avoit jamais consenty à tout ce qui s' estoit passé dans la ville de Neuf-Chastel, qu' il promettoit d' en faire une punition convenable. Pour le faire court, apres plusieurs soubmissions & protestations, il obtint du Roy ce qu' il demandoit, avecques le consentement du Parlement, sçachant que les choses s' estoient passees devant le Roy, sans dissimulation & hypocrisie.
La plus grande partie de ceste vertu est deuë à un Advocat du Roy, qui sceut dextrement joüer son rolle: monstrant combien grand est l' effort de la Justice, quand il tombe en un brave sujet. Ce que je diray maintenant va à tout le corps du Parlement. Les nouveaux Edits de tout temps & ancienneté ne prennent vogue parmy le peuple, qu' ils n' ayent esté premierement verifiez, tantost au Parlement, tantost en une Chambre des Comptes, selon que les affaires le desirent. On recite que Louys XI. Prince qui s' attachoit opiniastrement à ses premieres volontez, ayant un jour entrepris de faire emologuer certaine Ordonnance au Parlement, qui n' estoit point de Justice, apres plusieurs refus, indigné, il luy advint de jurer à la chaude-cole son grand Pasque-Dieu, & dire que s' ils n' obeïssoient à son vouloir, il les feroit tous mourir. Cette parole venuë à la cognoissance du Parlement, il fut arresté qu' on se presenteroit au Roy avec une resolution tres-expresse de mourir plustost que de verifier cet Edit. Luy doncques estant au Louvre, tout le Parlement s' achemine en robbes rouges par devers luy, lequel infiniment esbahy de ce nouveau spectacle, en temps & lieu indeu, s' informe d' eux de ce qu' ils luy vouloient demander. La mort, Sire (respondit le Seigneur de la Vacquerie, premier President, portant la parole pour toute la compagnie) qu' il vous a pleu nous ordonner, comme celle que nous sommes resolus de choisir, plustost que de passer vostre Edit contre nos consciences. Cette parole rendit le Roy fort souple, ores qu' en toutes choses il s' en voulut faire croire absolument, & leur commanda de s' en retourner, avec promesse qu' il ne les importuneroit plus sur ce fait, ny de faire de là en avant presenter lettres, qui ne fussent de commandement Royal, je veux dire de Justice.
Je croy que cette histoire est tres-vraye, parce que je la souhaite telle, & à la mienne volonté qu' elle soit emprainte au cœur de toute Cour souveraine. Bien vous en representeray-je une autre de nostre Chambre des Comptes, dont je suis tesmoin oculaire, & peut-estre en ay-je fait la plus grande part & portion. Comme sous le feu Roy Henry troisiesme (que Dieu absolve) nostre France fut malheureusement peuplee d' une je ne sçay quelle vermine de gens, que nous appellions Partisans, ingenieux à la ruine de l' Estat, lesquels trouvoient à regrater sur toutes choses, par Edits & inventions extraordinaires, pour s' enrichir en leur particulier de la despoüille du pauvre peuple, aussi en fin ces sangsuës conseillerent au Roy de pousser, si ainsi faut que je le die, de sa reste, & vouloir rendre hereditaires tous les offices qui n' estoient de judicature, en payant finance. Quoy faisant, c' estoit accueillir la haine publique contre leur Maistre en temps indeu, & tout d' une suite faucher l' herbe sous les pieds à ses successeurs. Il envoye à cet effect en la Cour de Parlement un Edit accompagné de plusieurs autres qui estoient donnez à ses favoris Courtisans. Cela se faisoit en l' an 1586. depuis les Troubles encommencez sous le nom de la saincte Ligue. Estans ces Edicts presentez au Parlement, ils sont plusieurs fois refusez: finalement le Roy se transporte au Palais avecques quelques Princes du Sang, où en sa presence, le tout est emologué. Il restoit de le passer en la Chambre des Comptes: Car pour bien dire, c' estoit le grand coup que l' on y pouvoit frapper, d' autant que les Estats des Comptables valent deux ou trois fois plus que toute la menuë denrée des autres. Nous sommes advertis que le Roy y devoit envoyer quelques Seigneurs de son Conseil. Et nommément Monsieur le Comte de Soissons, Prince du Sang eut cette charge, où estoient l' Archevesque de Bourges, les Seigneurs de Villequier, Gouverneur de Paris, & Isle de France, les sieurs de la Vauguion & de Lansac, qui firent leur proposition telle qu' ils voulurent par la bouche de l' Archevesque. Je m' estois, comme Advocat du Roy, preparé de la cause contre la verification de l' Edit qui me sembloit tendre à la desolation de l' Estat: & desployay le peu qui estoit en moy, ainsi qu' une juste douleur m' en administroit les memoires. Ce qui contenta la compagnie, & de fait toutes choses furent suspenduës jusques au lendemain, pendant lequel temps ces Seigneurs promirent de faire rapport au Roy des difficultez que j' avois proposees: nonobstant cela, le lendemain ils retournent, & declarent que le Roy s' estoit fermé en son premier propos de l' emologation de tous ces Edicts. Quelques-uns des Presidens demanderent à Monsieur le Comte de Soissons, s' il n' entendoit pas que chacun opinast tout ainsi qu' en toutes autres affaires. A quoy ce jeune Prince respondit qu' il n' en avoit nulle charge, ains seulement de faire verifier les Edicts. Alors Monsieur Dolu, l' un des Presidens repliqua, que puis qu' on ne vouloit prendre leurs opinions, il n' estoit aussi besoin de leurs presences. Et à ce mot, sans autrement marchander, toute la compagnie se leve & retire au second Bureau, en bonne deliberation de ne consentir, ny de parole, ny de presence à cette publication. Les Seigneurs du Conseil se voyans demeurez seuls, avec Monsieur le premier President Nicolaï, qui ne desempara sa place, se trouverent grandement estonnez. En fin s' estans levez de leurs chaires, la compagnie se presenta à eux, les priant de ne prendre de mauvaise part ce qu' ils en avoient fait: parce que c' estoit pour la conservation de l' Estat, à quoy ils estoient obligez. Ainsi se partirent ces Seigneurs tout ainsi qu' ils estoient venus. Dieu sçait quel contentement eut le Roy en son ame. Dés l' instant mesme quelques uns du Conseil d' Estat estoient d' advis qu' il nous falloit tous declarer crimineux de leze Majesté: Cet advis ne fut suivy: mais au lieu de ce, on depesche du jour au lendemain lettres patentes du Roy, par lesquelles nous sommes tous interdits, & deffences à nous d' entrer en la Chambre. Le refus que nous feismes à ces Seigneurs fut le vingt-deuxiesme de Juin 1586. & le lendemain les lettres d' Interdiction nous furent signifiees par le sieur de Bussy Guibert, l' un des Greffiers du Conseil d' Estat. Tout de la mesme façon que nous avions desemparé le Grand Bureau le jour precedent, aussi sortismes nous de la Chambre, estimans que c' estoit chose qui se tournoit grandement à nostre honneur d' estre chastiez pour un acte si genereux. L' opinion de Messieurs du Conseil estoit, que ce chastiment n' apporteroit autre prejudice qu' à nous: parce que dés le premier jour du mois de Juillet ensuivant devoit commencer l' autre Semestre, auquel se pourroient trouver plusieurs Maistres, qui n' avoient esté de nostre partie: consequemment non interdicts. Nostre refus est publié, & haut loüé par toute la ville de Paris. Les nouvelles en viennent au Roy qui sejournoit lors à sainct Maur. Sa colere commence de se refroidir, & trouve par mesme moyen que ce que nous avions faict n' estoit esloigné de son service. La conclusion & catastrophe de ce jeu fut apres quelques ceremonies de restablissement (lesquelles l' on ne doit aisément denier à un Roy) que quelques jours ensuivans l' Interdiction fut levee, & chacun de nous restably en l' exercice de sa charge. Le fruict que nous rapportasmes de cette vertueuse liberté fut la suppression de ce mal-heureux Edict des Estats hereditaires, au lieu duquel, comme le Roy ne pouvoit estre vaincu en ses volontez, il introduisit une image d' iceluy, qui fut l' Edict des Survivances, à la charge qu' il n' avroit lieu qu' à l' endroict des volontaires: En l' autre, bon gré mal gré, il falloit rachepter son Estat, ou s' en demettre sur celuy qui nous remboursoit de l' argent par nous desboursé, qui estoit entré aux coffres du Roy. Il me souvient qu' une grande Princesse de France, que je vey quelque temps apres, me dist qu' elle estoit tres-marrie du mescontentement que le Roy avoit de moy, d' autant qu' auparavant j' avois part en sa bonne grace autant qu' homme de mon bonnet: Ce fut le mot dont elle usa. A quoy je luy respondis que l' issuë de cecy seroit telle que d' un amoureux, lequel ayant esté esconduit par sa Dame, du poinct que passionnément il pourchasse, s' en va infiniment mal content, mais revenant puis apres à soy, l' aime, respecte, & honore d' avantage. Qu' ainsi m' en adviendroit, & que quand nostre Roy seroit revenu à son second & meilleur penser, il m' en regarderoit de meilleur œil: chose en quoy je ne fus trompé. Cela soit dit de moy en passant, non par vanterie, ains occasion, a fin d' exciter ceux qui nous survivront de bien dignement exercer leurs charges.
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