Quelles courtoisies receut le Capitaine Bayard non seulement des François, mais aussi de ses ennemys, avecques un sommaire discours de sa mort.
CHAPITRE XXII.
Comme Dieu avoit produit Bayard pour estre un parangon de Chevalerie, accompagné de toutes sortes de vertus, qui le fit aimer successivement de trois Roys qu' il servit, Charles VIII. Louys XII. & François I. & honorer de toute la gendarmerie Françoise, par dessus tous les autres grands Capitaines & guerriers, aussi eut il cette particuliere benediction de Dieu, d' estre non seulement craint & redouté de ses ennemis, mais aussi aimé tant durant sa vie, qu' apres sa mort: Chose dont je vous raconteray deux traits qui ne meritent de mourir avecques luy.
Ludovic Sforce ayant esté chassé du Milannois, par nostre Roy Louys XII. & fait sa retraicte en Allemagne, il trouva moyen tant par amis, qu' argent, de mettre nouvelle armee en avant: & y besongna si bien qu' en peu de temps il fut restably. Comme le Roy se preparoit pour passer les monts, la fortune avoit voulu que Bayard fust dés long temps au paravant demeuré en garnison, avec quelques braves cavaliers François en la Lombardie. Lequel ayant eu advis que dedans Bivas y avoit trois cens chevaux qui seroient aisez à deffaire, pria ses compagnons de vouloir battre les chemins avec luy: ce dont il ne fut esconduit: Et se mirent cinquante ou soixante de compagnie, tous gens lestes, bien deliberez de mettre quelque belle entreprise à chef. Messire Jean Bernardin Carache brave Capitaine, commandoit à la ville de Bivas, lequel ayant eu advis par ses espions de cette saillie, se mit aux champs, en bonne deliberation de leur donner la muse. A l' aborder y eut d' une part & d' autre une tres-perilleuse charge: & dura cet estour quelque temps sans que l' on eust sceu juger vers qui balançoit la victoire. Qui occasionna le Capitaine Bayard d' exhorter les siens à y coucher de leurs restes, lesquels donnerent de telle furie, que les Lombards, ou par ruse, ou crainte, feignans de parer aux coups, se retiroient peu à peu pres de la ville de Milan, de laquelle se voyans non grandement esloignez, tournerent tout à coup visage, & à toute bride entrerent dedans la ville, suivis de nos trouppes Françoises jusques bien pres des murailles: & lors fut crié par l' un des plus anciens des nostres. Tournez hommes d' armes, tournez. A quoy chacun obeït, fors Bayard, qui comme un Lyon entra peslemesle au milieu d' eux, les chassant, jusques devant le Palais du seigneur Ludovic. Là environné de l' ennemy, & sagement abandonné par les siens, il fut pris par Jean Bernardin, & mené en son logis, où il le fit desarmer, qui le trouva fort jeune Gentil-homme, comme de vingt & deux à vingt & trois ans, dont il s' esmerveilla, mesmement comme il estoit possible que tel aage portast tant de proüesse qu' il avoit recognuë en luy. Ludovic ayant entendu comme le tout s' estoit passé, & specialement luy ayant esté fait grand estat de la vaillance & magnanimité de ce jeune Gentilhomme prisonnier, commanda qu' il luy fust amené le lendemain: ce qui fut fait par Bernardin non moins courtois que bon guerrier, l' ayant revestu de l' une de ses robbes, & mis en ordre de Gentilhomme, le vint luy mesme presenter au seigneur, lequel s' en esbahit infiniment, & adressant vers luy sa parole: Venez ça (luy dit-il) mon Gentilhomme, qui vous amene en cette ville? Par ma foy monseigneur (respondit Bayard) je n' y pensois pas entrer tout seul, & estimois estre suivy de mes compagnons, mais ils ont mieux entendu la guerre que moy: Parce que s' ils eussent fait ainsi que j' ay fait, ils fussent comme moy prisonniers. Toutesfois je me louë de mon infortune qui m' a fait tomber entre les mains d' un si bon maistre, que celuy qui me tient. Car c' est un tres-vaillant & avisé Chevalier: Ainsi tombans de l' un à l' autre propos, Ludovic s' informa de luy quelle estoit l' armee Françoise, & de combien d' hommes composee. A quoy le Chevalier luy respondit, qu' il y avoit quatorze ou quinze cens hommes d' armes, & dix-huict mille hommes de pied, tous gens d' eslite, qui se promettoient d' asseurer à cette fois l' Estat de Milan au Roy leur maistre. Et me semble monseigneur, que seriez bien en aussi grande seurté en Allemagne au large, que d' estre icy à l' estroit, vos gens n' estans pas suffisans de nous faire teste. Parlant le Chevalier d' une telle asseurance, que le Seigneur prenoit plaisir á l' ouyr, ores qu' il y eust suject en son dire de l' estonner: mais pour faire paroistre qu' il ne s' en soucioit, luy repliqua: Sur ma foy mon Gentilhomme je souhaite que nos armees se joignent: A fin que par la decision d' une bataille on puisse cognoistre à qui de droit appartient cet heritage: car je n' y voy point d' autre moyen. Par mon serment (repartit le Bayard) je voudrois monseigneur que ce fust dés demain: pourveu que je fusse hors de prison. Vrayement à cela (repliqua le Seigneur Ludovic) ne tiendra-il, car je vous en mets dehors presentement, & cheviray avec vostre maistre: Demandez moy ce que voudrez & je le vous donneray. Bayard le genoüil en terre l' en remercia, luy disant monseigneur, je ne vous demande autre chose sinon que si vostre courtoisie se vouloit tant estendre, que de me faire rendre mon cheval, & mes armes, & me renvoyer ainsi devers ma garnison qui est à vingt mille de cette ville, m' obligeriez tant à vous, que horsmis le service de mon Roy, & mon honneur sauf, j' exposerois ma vie pour vous, quand il vous plairoit me le commander. En bonne foy (dist le Seigneur) vous avrez presentement ce que demandez. Et commanda à Bernardin que promptement on luy rendist son cheval, armes, & tout son fait: A quoy ayant obeï Bayard s' arma, monta sur son cheval sans mettre le pied à l' estrié, puis demanda une lance, qui luy fut baillee. Et levant sa veuë dist à Ludovic. Monseigneur je vous remercie humblement de la courtoisie qu' il vous a pleu me faire: Dieu vous la vueille rendre. Il estoit en une grande cour, & lors commença de donner l' esperon au cheval, lequel fit quatre ou cinq sauts, tant gaillardement, qu' impossible seroit de mieux, & puis luy donna une petite course, en laquelle il rompit sa lance contre terre en cinq ou six pieces. Dont Ludovic ne s' esjouït pas trop, & dit tout haut. Si tous les hommes d' armes de France estoient pareils à cettuy, ce me seroit un mauvais party: Puis luy fit bailler un Trompette, pour le conduire en sa garnison. Voila comment une hardiesse imprudente au fait des armes fit prendre Bayard prisonnier, & comme une sage hardiesse de parler luy moyenna sa liberté. Mais je vous prie dictes moy quelle fut plus grande la hardiesse du Chevalier, ou la courtoisie du Seigneur Ludovic.
Bien vous diray-je que depuis la proüesse faisant son perpetuel sejour en ce guerrier, il aprist avec le temps d' apporter de la temperance, & sagesse, dont il acquist telle reputation qu' apres sa mort encores fut-il honoré par nos ennemis: Nul n' avoit rendu plus de devoir contre l' Espagnol que luy, fust en particulier ou en general: Tesmoing le combat qu' il eut en camp clos contre Alonce de Sotto Maiore, brave Capitaine au Royaume de Naples, qu' il mist à mort, ores qu' il fust lors affligé d' une fievre quarte, tesmoing le combat de treize Espagnols, contre treize François, où il fit tant d' armes qu' unze des siens ayans perdu leurs chevaux, luy second d' un autre Cavalier mist en route les Espagnols. Tesmoing la garde du pont faicte par luy seul avec sa picque, contre deux cens Espagnols, en attendant le secours de ses compagnons. Tesmoing la ville de Maiziere qu' il reserva au Roy François premier, contre toutes les forces de l' Empereur Charles V. par une sagesse admirable, & autres infinis, braves & sages exploicts d' armes, qui le rendirent craint, aimé, & honoré, voire par les mesmes Espagnols, qui de leur naturel sont sobres admirateurs d' autruy. Il avoit accoustumé, comme j' ay dit ailleurs, d' estre tousjours à la pointe quand il falloit entrer au combat, & ce pour donner courage aux siens, & en cas de retraicte, estoit derriere, comme le berger apres son troupeau, pour soustenir les efforts de l' ennemy qui se pouvoient presenter. Ainsi qu' il fit lors que l' Admiral de Bonivet, Lieutenant general du Roy en la Lombardie, y faisant mal ses affaires, fit estat de retourner à la France avec son Ost. Où le Chevalier asseuré comme s' il eust esté enclos de murailles, faisant marcher ses gendarmes, & tournant tantost le visage vers l' ennemy, tantost suivant à petit pas nostre armee, il fut salvé d' un coup d' harquebuze à croc, qui luy rompit le gros os de l' eschine. On dit en commun proverbe que telle vie, telle mort, ce qui se trouva lors en ce brave guerrier: car aussi tost il s' escria. Helas mon Dieu: je suis mort, & prenant son espee par la poignee, baisa la croisee en signe de la Croix, avec cette humble Oraison à Dieu. Miserere mei Deus secundum magnam misericordiam tuam: Sentant les forces de son corps defaillir en luy, toutesfois d' un esprit fort qui ne l' avoit abandonné, il commanda à un sien maistre d' hostel de le descendre de son cheval, & le coucher au pied d' un arbre le visage devers l' ennemy.
Les nouvelles de sa blesseure s' espandirent tout aussi tost en l' armee Espagnole: Au moyen dequoy le Marquis de Marignan, qui secondoit en cette escarmouche le Seigneur de Laulnoy, Lieutenant general de l' Empereur, le vint voir, & avec une larme à l' œil luy dist, qu' encores qu' en sa mort l' Empereur son maistre fist un gain inestimable, toutesfois qu' il voudroit avoir racheté sa vie d' une grande partie de son bien, voire de son propre sang. Et est chose qui merite d' estre racontee: Car tout ainsi que l' emploite de sa vie luy estoit heureusement reüssie pour le service de trois Roys ses maistres, aussi luy advint-il le semblable à sa mort. D' autant que les Espagnols ayans eu advis de son infortune, soit qu' ils fussent desireux de l' envisager avant son decez, ou qu' ils pensassent avoir obtenu pleine victoire par sa disgrace, ou bien tous les deux ensemble, laisserent la poursuite qu' ils faisoient contre les nostres, leurs permettans de retrouver leurs anciennes brisees de France sans destourbier: Et lors le visiterent à la foule, comme en une procession, disant en leur langage, Mouches, Grisonnes, & paucos Bayardos. Son maistre d' hostel qui ne l' abandonna, le voulut faire transporter de dessous l' arbre en quelque cassine prochaine, mais il ne le voulut permettre pour les douleurs qu' il sentoit estant remué. Qui fut cause que les Espagnols luy firent tendre en ce lieu un riche pavillon, & un lict de camp, sur lequel il fut couché, & apres avoir esté confessé par un homme d' Eglise & visité par le commun de l' armee, regretté & consolé par les plus grands, il rendit l' ame à Dieu. Son corps fut porté avec tout honneur en l' Eglise, où luy furent faites ses obseques l' espace de deux jours, & depuis rendu à ses gens, qui le firent transporter en Dauphiné, où il avoit pris sa naissance, & dont il estoit lors gouverneur, & y fut inhumé par le Parlement, avec telle ceremonie, que meritoient sa valeur, & sa dignité. Et à la mienne volonté que luy voulant icy redonner la vie à demy ensevelie par l' ingratitude des ans, il la donne pareillement à ce mien œuvre, par le plaisir que le Lecteur pourra recevoir en voyant quelques marqueterie de son histoire.
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