martes, 11 de julio de 2023

6. 23. De la juste vangeance de Dieu, pour une impieté commise de fils à pere, & au contraire repremiation pour pieté.

De la juste vangeance de Dieu, pour une impieté commise de fils à pere, & au contraire repremiation pour pieté.

CHAPITRE XXIII.

Combien qu' il ne soit en nous d' assoir nostre jugement sur les jugemens de Dieu, toutesfois pour autant qu' il commanda par expres à celuy qui veut viure heureusement, de porter toute obeïssance à son pere, je me suis advisé d' inserer en ce lieu deux exemples fort recommandables pour cet effect, tous contraires, & escheus en deux freres germains, Robert & Henry, celuy-là fils aisné, & cestuy puisné de ce grand Guillaume le Bastard. Lequel par sa vaillantise & proüesse, ayant reduit sous son obeïssance le Royaume d' Angleterre, & rendu l' Escosse tributaire, Robert paradventure ennuyé que son pere pour sa longue vie ne luy quittoit la place, ou bien poussé d' un mauvais vent entreprist de le guerroyer au pays de Normandie, aidé à cette entreprise de la faveur du Roy de France Philippes I. du nom, qui volontiers eust empesché d' agrandir à veuë d' œil un voisin si pres de ses portes: Laquelle guerre fut conduite jusques à tel poinct, que le pere & le fils avecques leurs gens descendirent en champ de bataille, qui ne prist fin sinon par la rencontre du pere & fils, sans se cognoistre. En quoy fut la meslee telle que Robert bleça griefvement son pere. Ce que dés l' instant mesme venu à sa cognoissance par le haut cry que jetta Guillaume pour la douleur qu' il sentit, Robert esmeu d' une juste compassion, soudain luy demanda pardon, & ainsi larmoyans & l' un & l' autre par une taisible instigation de leur sang, entrerent en reconciliation: Ce neantmoins Dieu duquel les promesses ne furent jamais menteuses, depuis luy donna tout le loisir de recognoistre sa faute, pour avoir faict la guerre à son pere. Car estant Guillaume decedé, pendant que Robert voyageoit en la Germanie, combien que par droict de nature la couronne luy appartint, si est-ce que Guillaume le Roux sien frere, qui le secondoit en aage, l' en frustra. Qui causa entre les deux freres depuis grandes guerres, & querelles, pour lesquelles assopir fut finalement arresté qu' à Robert demeureroit le Duché de Normandie, & à Guillaume le Royaume d' Angleterre, à la charge que le premier d' eux mourant sans hoirs procreez de son corps, le survivant luy succederoit. Les choses sembloient estre par cette capitulation en bon train: Toutesfois voyez comme l' on ne peut fuir son malheur, estant depuis cette grande croisade juree, qui fut faicte du temps de Godeffroy de Boüillon, entre les Princes Chrestiens, Robert pour n' estre veu demeurer derriere, engagea son Duché de Normandie à son frere, pour tenir compagnie aux autres Princes Pelerins, auquel voyage apres plusieurs memorables exploicts d' armes, il fut d' un commun consentement de tous, eleu Roy de Hierusalem. Toutesfois adverty de la mort de Guillaume, il n' accepta le Royaume qui luy estoit offert, esperant r'entrer en celuy d' Angleterre tant par le moyen de son droict d' ainesse, que par les traictez & accords qui s' estoient passez entr'eux. Ainsi retournant plein d' espoir, trouva neantmoins le Royaume, & son Duché possedez par Henry son plus jeune frere, qui le mena par plusieurs guerres à telle raison, que finallement il le prit, & fit tenir sous seure garde, l' espace de 25. ans, en laquelle ce pauvre Prince desherité de tous ces estats, & honneurs finit ses jours miserablement.
Au contraire Henry prospera de là en avant en toutes ses affaires d' un grand heur. Ayant esté sa posterité continuee à la couronne jusques à nous: Faveur du Ciel que quelques autheurs ont voulu attribuer à un acte de pieté qu' il observa envers son pere apres sa mort. Car estant Guillaume son pere decedé, ainsi qu' on le portoit en terre, avec toutes pompes & magnificences, en un monastere qu' il avoit fait bastir, se presenta un Gentilhomme, qui comme demy forcené s' opposoit à cet enterrement, disant que le lieu où avoit esté construite cette Eglise luy appartenoit, & que par force, & authorité absoluë il avoit esté par Guillaume despossedé de son bien, sans qu' il en peust du vivant de luy avoir recompence. Parquoy requeroit qu' on eust à luy en faire raison pour la descharge de l' ame du trespassé. Pendant laquelle controuverse, survint une si grande ravine d' eau du Ciel, qu' un chacun abandonna ce grand Roy, horsmis son fils Henry, lequel esmeu d' une pieté filiale, tint compagnie à ce pauvre corps, jusques à ce qu' il le vit posé au lieu où il faut que chacun de nous face estat de s' acheminer. O miserable condition de ce genre humain, puis qu' un si grand Prince & Seigneur se trouva au dernier service qu' on luy devoit, non seulement laissé des siens, mais à peine peut trouver un coin de terre pour donner repos à ce corps qui tout le temps de sa vie avoit couru une infinité de travaux: Et vrayement à bonne raison ce grand Souldan d' Egypte mourant par son testament ordonna qu' avant d' estre ensevely, son successeur fist porter parmy tout son camp, au bout d' une lance le linceul duquel il devoit estre ensevely, faisant à sçavoir à chacun que de toutes ses conquestes il ne rapportoit autre despoüille que ce drap. Or pour ne m' esgarer de mon propos, on tient que depuis cette pieté pratiquee par le fils envers le pere, toutes ses entreprises prospererent de là en avant tres-heureusement, tout ainsi comme au rebours depuis la desobeïssance de Robert, tous ses projets & desseins s' esnanouïrent (sic : esvanouïrent) avec le vent en fumee.

lunes, 10 de julio de 2023

6. 22. Quelles courtoisies receut le Capitaine Bayard non seulement des François, mais aussi de ses ennemys, avecques un sommaire discours de sa mort.

Quelles courtoisies receut le Capitaine Bayard non seulement des François, mais aussi de ses ennemys, avecques un sommaire discours de sa mort.

CHAPITRE XXII.

Comme Dieu avoit produit Bayard pour estre un parangon de Chevalerie, accompagné de toutes sortes de vertus, qui le fit aimer successivement de trois Roys qu' il servit, Charles VIII. Louys XII. & François I. & honorer de toute la gendarmerie Françoise, par dessus tous les autres grands Capitaines & guerriers, aussi eut il cette particuliere benediction de Dieu, d' estre non seulement craint & redouté de ses ennemis, mais aussi aimé tant durant sa vie, qu' apres sa mort: Chose dont je vous raconteray deux traits qui ne meritent de mourir avecques luy.

Ludovic Sforce ayant esté chassé du Milannois, par nostre Roy Louys XII. & fait sa retraicte en Allemagne, il trouva moyen tant par amis, qu' argent, de mettre nouvelle armee en avant: & y besongna si bien qu' en peu de temps il fut restably. Comme le Roy se preparoit pour passer les monts, la fortune avoit voulu que Bayard fust dés long temps au paravant demeuré en garnison, avec quelques braves cavaliers François en la Lombardie. Lequel ayant eu advis que dedans Bivas y avoit trois cens chevaux qui seroient aisez à deffaire, pria ses compagnons de vouloir battre les chemins avec luy: ce dont il ne fut esconduit: Et se mirent cinquante ou soixante de compagnie, tous gens lestes, bien deliberez de mettre quelque belle entreprise à chef. Messire Jean Bernardin Carache brave Capitaine, commandoit à la ville de Bivas, lequel ayant eu advis par ses espions de cette saillie, se mit aux champs, en bonne deliberation de leur donner la muse. A l' aborder y eut d' une part & d' autre une tres-perilleuse charge: & dura cet estour quelque temps sans que l' on eust sceu juger vers qui balançoit la victoire. Qui occasionna le Capitaine Bayard d' exhorter les siens à y coucher de leurs restes, lesquels donnerent de telle furie, que les Lombards, ou par ruse, ou crainte, feignans de parer aux coups, se retiroient peu à peu pres de la ville de Milan, de laquelle se voyans non grandement esloignez, tournerent tout à coup visage, & à toute bride entrerent dedans la ville, suivis de nos trouppes Françoises jusques bien pres des murailles: & lors fut crié par l' un des plus anciens des nostres. Tournez hommes d' armes, tournez. A quoy chacun obeït, fors Bayard, qui comme un Lyon entra peslemesle au milieu d' eux, les chassant, jusques devant le Palais du seigneur Ludovic. Là environné de l' ennemy, & sagement abandonné par les siens, il fut pris par Jean Bernardin, & mené en son logis, où il le fit desarmer, qui le trouva fort jeune Gentil-homme, comme de vingt & deux à vingt & trois ans, dont il s' esmerveilla, mesmement comme il estoit possible que tel aage portast tant de proüesse qu' il avoit recognuë en luy. Ludovic ayant entendu comme le tout s' estoit passé, & specialement luy ayant esté fait grand estat de la vaillance & magnanimité de ce jeune Gentilhomme prisonnier, commanda qu' il luy fust amené le lendemain: ce qui fut fait par Bernardin non moins courtois que bon guerrier, l' ayant revestu de l' une de ses robbes, & mis en ordre de Gentilhomme, le vint luy mesme presenter au seigneur, lequel s' en esbahit infiniment, & adressant vers luy sa parole: Venez ça (luy dit-il) mon Gentilhomme, qui vous amene en cette ville? Par ma foy monseigneur (respondit Bayard) je n' y pensois pas entrer tout seul, & estimois estre suivy de mes compagnons, mais ils ont mieux entendu la guerre que moy: Parce que s' ils eussent fait ainsi que j' ay fait, ils fussent comme moy prisonniers. Toutesfois je me louë de mon infortune qui m' a fait tomber entre les mains d' un si bon maistre, que celuy qui me tient. Car c' est un tres-vaillant & avisé Chevalier: Ainsi tombans de l' un à l' autre propos, Ludovic s' informa de luy quelle estoit l' armee Françoise, & de combien d' hommes composee. A quoy le Chevalier luy respondit, qu' il y avoit quatorze ou quinze cens hommes d' armes, & dix-huict mille hommes de pied, tous gens d' eslite, qui se promettoient d' asseurer à cette fois l' Estat de Milan au Roy leur maistre. Et me semble monseigneur, que seriez bien en aussi grande seurté en Allemagne au large, que d' estre icy à l' estroit, vos gens n' estans pas suffisans de nous faire teste. Parlant le Chevalier d' une telle asseurance, que le Seigneur prenoit plaisir á l' ouyr, ores qu' il y eust suject en son dire de l' estonner: mais pour faire paroistre qu' il ne s' en soucioit, luy repliqua: Sur ma foy mon Gentilhomme je souhaite que nos armees se joignent: A fin que par la decision d' une bataille on puisse cognoistre à qui de droit appartient cet heritage: car je n' y voy point d' autre moyen. Par mon serment (repartit le Bayard) je voudrois monseigneur que ce fust dés demain: pourveu que je fusse hors de prison. Vrayement à cela (repliqua le Seigneur Ludovic) ne tiendra-il, car je vous en mets dehors presentement, & cheviray avec vostre maistre: Demandez moy ce que voudrez & je le vous donneray. Bayard le genoüil en terre l' en remercia, luy disant monseigneur, je ne vous demande autre chose sinon que si vostre courtoisie se vouloit tant estendre, que de me faire rendre mon cheval, & mes armes, & me renvoyer ainsi devers ma garnison qui est à vingt mille de cette ville, m' obligeriez tant à vous, que horsmis le service de mon Roy, & mon honneur sauf, j' exposerois ma vie pour vous, quand il vous plairoit me le commander. En bonne foy (dist le Seigneur) vous avrez presentement ce que demandez. Et commanda à Bernardin que promptement on luy rendist son cheval, armes, & tout son fait: A quoy ayant obeï Bayard s' arma, monta sur son cheval sans mettre le pied à l' estrié, puis demanda une lance, qui luy fut baillee. Et levant sa veuë dist à Ludovic. Monseigneur je vous remercie humblement de la courtoisie qu' il vous a pleu me faire: Dieu vous la vueille rendre. Il estoit en une grande cour, & lors commença de donner l' esperon au cheval, lequel fit quatre ou cinq sauts, tant gaillardement, qu' impossible seroit de mieux, & puis luy donna une petite course, en laquelle il rompit sa lance contre terre en cinq ou six pieces. Dont Ludovic ne s' esjouït pas trop, & dit tout haut. Si tous les hommes d' armes de France estoient pareils à cettuy, ce me seroit un mauvais party: Puis luy fit bailler un Trompette, pour le conduire en sa garnison. Voila comment une hardiesse imprudente au fait des armes fit prendre Bayard prisonnier, & comme une sage hardiesse de parler luy moyenna sa liberté. Mais je vous prie dictes moy quelle fut plus grande la hardiesse du Chevalier, ou la courtoisie du Seigneur Ludovic.

Bien vous diray-je que depuis la proüesse faisant son perpetuel sejour en ce guerrier, il aprist avec le temps d' apporter de la temperance, & sagesse, dont il acquist telle reputation qu' apres sa mort encores fut-il honoré par nos ennemis: Nul n' avoit rendu plus de devoir contre l' Espagnol que luy, fust en particulier ou en general: Tesmoing le combat qu' il eut en camp clos contre Alonce de Sotto Maiore, brave Capitaine au Royaume de Naples, qu' il mist à mort, ores qu' il fust lors affligé d' une fievre quarte, tesmoing le combat de treize Espagnols, contre treize François, où il fit tant d' armes qu' unze des siens ayans perdu leurs chevaux, luy second d' un autre Cavalier mist en route les Espagnols. Tesmoing la garde du pont faicte par luy seul avec sa picque, contre deux cens Espagnols, en attendant le secours de ses compagnons. Tesmoing la ville de Maiziere qu' il reserva au Roy François premier, contre toutes les forces de l' Empereur Charles V. par une sagesse admirable, & autres infinis, braves & sages exploicts d' armes, qui le rendirent craint, aimé, & honoré, voire par les mesmes Espagnols, qui de leur naturel sont sobres admirateurs d' autruy. Il avoit accoustumé, comme j' ay dit ailleurs, d' estre tousjours à la pointe quand il falloit entrer au combat, & ce pour donner courage aux siens, & en cas de retraicte, estoit derriere, comme le berger apres son troupeau, pour soustenir les efforts de l' ennemy qui se pouvoient presenter. Ainsi qu' il fit lors que l' Admiral de Bonivet, Lieutenant general du Roy en la Lombardie, y faisant mal ses affaires, fit estat de retourner à la France avec son Ost. Où le Chevalier asseuré comme s' il eust esté enclos de murailles, faisant marcher ses gendarmes, & tournant tantost le visage vers l' ennemy, tantost suivant à petit pas nostre armee, il fut salvé d' un coup d' harquebuze à croc, qui luy rompit le gros os de l' eschine. On dit en commun proverbe que telle vie, telle mort, ce qui se trouva lors en ce brave guerrier: car aussi tost il s' escria. Helas mon Dieu: je suis mort, & prenant son espee par la poignee, baisa la croisee en signe de la Croix, avec cette humble Oraison à Dieu. Miserere mei Deus secundum magnam misericordiam tuam: Sentant les forces de son corps defaillir en luy, toutesfois d' un esprit fort qui ne l' avoit abandonné, il commanda à un sien maistre d' hostel de le descendre de son cheval, & le coucher au pied d' un arbre le visage devers l' ennemy.

Les nouvelles de sa blesseure s' espandirent tout aussi tost en l' armee Espagnole: Au moyen dequoy le Marquis de Marignan, qui secondoit en cette escarmouche le Seigneur de Laulnoy, Lieutenant general de l' Empereur, le vint voir, & avec une larme à l' œil luy dist, qu' encores qu' en sa mort l' Empereur son maistre fist un gain inestimable, toutesfois qu' il voudroit avoir racheté sa vie d' une grande partie de son bien, voire de son propre sang. Et est chose qui merite d' estre racontee: Car tout ainsi que l' emploite de sa vie luy estoit heureusement reüssie pour le service de trois Roys ses maistres, aussi luy advint-il le semblable à sa mort. D' autant que les Espagnols ayans eu advis de son infortune, soit qu' ils fussent desireux de l' envisager avant son decez, ou qu' ils pensassent avoir obtenu pleine victoire par sa disgrace, ou bien tous les deux ensemble, laisserent la poursuite qu' ils faisoient contre les nostres, leurs permettans de retrouver leurs anciennes brisees de France sans destourbier: Et lors le visiterent à la foule, comme en une procession, disant en leur langage, Mouches, Grisonnes, & paucos Bayardos. Son maistre d' hostel qui ne l' abandonna, le voulut faire transporter de dessous l' arbre en quelque cassine prochaine, mais il ne le voulut permettre pour les douleurs qu' il sentoit estant remué. Qui fut cause que les Espagnols luy firent tendre en ce lieu un riche pavillon, & un lict de camp, sur lequel il fut couché, & apres avoir esté confessé par un homme d' Eglise & visité par le commun de l' armee, regretté & consolé par les plus grands, il rendit l' ame à Dieu. Son corps fut porté avec tout honneur en l' Eglise, où luy furent faites ses obseques l' espace de deux jours, & depuis rendu à ses gens, qui le firent transporter en Dauphiné, où il avoit pris sa naissance, & dont il estoit lors gouverneur, & y fut inhumé par le Parlement, avec telle ceremonie, que meritoient sa valeur, & sa dignité. Et à la mienne volonté que luy voulant icy redonner la vie à demy ensevelie par l' ingratitude des ans, il la donne pareillement à ce mien œuvre, par le plaisir que le Lecteur pourra recevoir en voyant quelques marqueterie de son histoire.

6. 21. De quelle ruze le grand Capitaine Bayard sauva la ville de Maisieres contre les forces de l' Empereur Charles cinquiesme.

De quelle ruze le grand Capitaine Bayard sauva la ville de Maisiere contre les forces de l' Empereur Charles cinquiesme.

CHAPITRE XXI.

L' Empereur Charles cinquiesme estoit en paix avecques nostre Roy François I. de ce nom. Avient que Robert de la Marc Seigneur de Sedan, qui pour lors estoit au service du Roy, fit quelques courses sur les terres de l' Empereur, lequel pour en avoir sa revange leva une armee de quarante mille hommes, à laquelle commandoit le Comte de Nassau, & le Comte Francisque Gaillard qui lors estoit en reputation de grand guerrier: Qui prindrent sur luy Florenge, Boüillon, Longnes, Messancourt, & feirent passer au fil de l' espee tous les Capitaines & soldats qui estoient dedans. Ce premier effort & grande levee de gens apresta aucunement à craindre au Roy François qui estoit desarmé, toutesfois pour luy en lever toute crainte, passans ou logeans ez maisons des François ils payoient leurs hostes, comme ceux qui se disoient n' avoir aucune charge de leur Maistre d' enfraindre la paix: Et neantmoins tout à coup prindrent la ville de Mozon, proche de celle de Maisieres, qui n' en devoit pas moins attendre si on n' y eust promptement pourveu. Au moyen dequoy le Roy s' avisa d' en commettre la deffense à celuy auquel il voyoit un conflux de fidelité, prudence, proüesse, diligence, & experience ensemble, ce fut au grand Capitaine Bayard, qui accepta cette charge d' un cœur gay: Bien deliberé d' empescher l' ennemy de la prendre, quoy que soit de ne la rendre, & tirer le siege en longueur, jusqu' à ce que son Maistre eust gens en main pour le faire lever.

Entré dedans la ville avec quelques troupes, tant d' hommes de cheval que de pied, tous gens lestes & de choix, mesmes de quelques jeunes Seigneurs volontaires, & entr'autres du jeune Montmorency Seigneur de grande proüesse, qui fut depuis Connestable de France, il mit en besongne, & le soldat & le citoyen pour fortifier la ville, avec si prompte diligence que le peu du temps luy pouvoit donner. Trois jours apres le siege est mis en deux lieux, l' un du costé de deça l' eau, où commandoit le Comte de Nassau avec 20. mil hommes, l' autre delà, commandé par le Comte Francisque, suivy de 15. ou 16. mil hommes. Bayard sommé par un heraut avec plusieurs belles protestations, s' en mocque, dont les deux Seigneurs irritez, en moins de 4. jours font tirer 5. mil coups de canon, ceux de la ville ne demeurans pas cependant oiseux à leur respondre, selon la quantité qu' ils estoient. Mais sur tout Francisque logé sur un haut endommageoit plus la ville. Ce que recogneu par Bayard il pourpensa en soy mesme, comme il pourroit trouver moyen de luy faire repasser l' eau: Parquoy il escrivit une lettre à Messire Robert de la Marche, dont la teneur estoit telle. Monsieur mon Capitaine, je croy qu' estes assez averty comme je suis assiegé en cette ville par deux endroits: car d' un costé est le Comte de Nassau, & deça la riviere le Seigneur Francisque. Il me semble que depuis 2. ans m' avez dit que vouliez trouver moyen de le faire venir au service du Roy nostre Maistre, & qu' il estoit vostre allié: d' autant qu' il a le bruit d' estre brave guerrier & bon Capitaine, je le desirerois grandement: mais si cognoissez que cela se puisse conduire à effect, vous ferez bien de le sçavoir de luy, plustost aujourd'huy que demain. S' il en a le vouloir j' en seray tres-aise, & s' il l' a autre, je vous advertis, que devant qu' il soit vingt & quatre heures, luy & tout ce qui est en son camp sera mis en pieces. Car à trois petites lieuës d' icy viennent coucher douze mil Souisses, & douze cens hommes d' armes, & demain à la pointe du jour doivent donner sur son camp: & je feray une faillie de ceste ville, de façon qu' il sera bien habile homme s' il se sauve. Je vous en ay bien voulu advertir; mais je vous prie que la chose soit tenuë secrette: Estant cette lettre escrite il baille un escu à un paysant, auquel il dit. Vat-en à Sedan, il n' y a que trois lieuës d' icy, porter cette lettre à Messire Robert, & luy dy que c' est le Capitaine Bayard, qui la luy envoye. Le bon homme s' en va incontinant, ne prevoyant aucun danger de sa personne, mais celuy qui le mettoit en besongne sçavoit bien qu' il luy seroit impossible de passer sans estre pris par l' ennemy, comme aussi le fut-il avant qu' il fust à deux jects d' arc hors la ville, & incontinant amené par devant le seigneur Francisque, qui luy demanda où il alloit. Le pauvre homme bien estonné, comme celuy qui se voyoit en danger de mort luy respondit. Monseigneur, le grand Capitaine qui est dedans nostre ville, m' envoye à Sedan porter ces lettres à Messire Robert, lesquelles il tira d' une boursette. Le seigneur Francisque les ayant leuës fut bien esbahy, & commença à douter que le Comte de Nassau luy avoit fait passer l' eau, a fin de se desfaire de luy: Parce que peu auparavant y avoit eu quelque picque entr'eux, iceluy Francisque ne voulant pas bien obeïr au Comte. A peine avoit il achevé la lecture qu' il commença de dire tout haut. Je cognois bien à cette heure que monsieur de Nassau ne tasche qu' à me perdre, mais il n' en sera pas ainsi. Et appella cinq ou six de ses plus privez, leur monstrant la lettre, qui furent autant estonnez que luy. Il ne demanda point de conseil, mais fit sonner promptement le tabourin, & à l' estendart charger tout le bagage, & se mist au passage de l' eau. Chose dont le Comte de Nassau estonné envoya sçavoir que c' estoit par un Gentil-homme, lequel luy vint redire ce qu' il en avoit appris: Et lors faisant une nouvelle recharge par le mesme, prie le seigneur Francisque de ne remuer son camp, qu' ils n' eussent premier parlé ensemble, autrement que c' estoit mettre leurs affaires en desarroy, & faire un mauvais service à leur maistre. Le messager luy dit sa charge, mais Francisque tout esmeu & courroucé luy respondit. Retournez dire au Comte de Nassau, que je n' en feray rien, & qu' à son appetit je ne demeureray pas icy à la boucherie. Que s' il me veut garder de loger aupres de luy, nous verrons par le combat auquel demeurera le camp à luy, ou à moy. Cela raporté au Comte, ne sçachant dont provenoit cette nouvelle querelle, fit mettre tous ses gens en bataille pour n' estre surpris: Ce pendant passerent ceux du seigneur Francisque, & eux passez, se mirent aussi en bataille, faisans sonner tambours d' une part & d' autre, comme s' ils eussent esté sur le point de combatre, qui donna loisir au bon homme d' eschapper, & de se retrouver dans Maiziere, où il s' excusa de bonne foy au Capitaine Bayard, de ce qu' il n' avoit rendu les lettres: pour avoir esté surpris, luy recitant tout au long comme le tout s' estoit passé, & la rumeur en laquelle estoient les deux camps des ennemis. Bayard se prit lors à rire, & cognut que sa lettre avoit servy de medecine à sa maladie: Parquoy se mist sur le rampart avec quelques Gentilshommes pour avoir le passe-temps de ce nouveau jeu, mesme fit tirer quelques coups de canon au travers d' eux, lesquels par l' entremise de quelques uns se reconcilierent & logerent ensemble. Mais le lendemain trousserent bagage, & leverent le siege, tant pour la crainte du nouvel advis porté par la lettre, que pour la valeur du grand Capitaine Bayard, qui tint les ennemis en abboy trois sepmaines sans y ozer liurer aucun assaut: Pendant lequel temps le Roy leva une forte & puissante armee, & y vint luy mesme en personne pour les combatre, où le grand Capitaine Bayard luy alla faire la reverence, & en passant, non content de luy avoir conservé Maiziere, reprit la ville de Mozon. Voila comment la prudence de ce vaillant Chevalier supplea le defaut des forces. A son arrivee le Roy luy fit un merveilleux bon recueil, & pour le recompenser le fit Chevalier de l' Ordre de sainct Michel, & luy donna une compagnie de cent hommes d' armes en chef: puis marcha contre ses ennemis, ausquels il donna la chasse jusques dedans la ville de Valentiane, où ils se blotirent. En ce que je vous discourray sur le commencement du Chapitre suivant, vous n' y trouverez pas tant de sagesse, & neantmoins un heureux succez, dont il fut accompagné pendant le cours de sa vie.