lunes, 17 de julio de 2023

6. 31. Du traictement que receut Jean de Bourgongne, Comte de Nevers par Basaith Roy des Turcs; Tamberlan

Du traictement que receut Jean de Bourgongne, Comte de Nevers par Basaith Roy des Turcs, & de celuy que receut depuis le mesme Basaith par Tamberlan.

CHAPITRE XXXI.

Cet exemple est fort notable, & qui devroit rendre les Princes sages de ne s' oublier pendant leurs heureuses affaires. Advint sous le regne de Charles sixiesme, que les Hongres manderent Ambassadeurs vers le Roy, pour le prier de leur vouloir estre aidant contre une grosse armee des Turcs qui leur venoit tomber sur les bras, sous la conduite de Basaith, que les aucuns ont voulu nommer Baiazeth (Bajazeth), & les nostres l' Amorabaquin. Or comme ainsi soit que nos Roys ne furent oncques avares de secours envers les estrangers, mesmes lors qu' il est question de prendre en main la deffence de nostre Religion. Ainsi fut-il lors resolu entre les Princes de s' acheminer à ceste brave entreprise, à la charge de passer plus outre, & deliurer la Terre Saincte de la subjection des Turcs, si leurs premieres affaires leur succedoient à propos. Parquoy pour ce voyage fut esleu chef & Capitaine general de toute l' armee Jean Comte de Nevers, qui depuis fut Duc de Bourgongne, lequel estant suivy de la plus grande partie de la Noblesse Françoise fit plusieurs braves exploits d' armes, & prit plusieurs villes de marque: Et qui est chose fort memorable en ce voyage, mille François par l' astuce & proüesse du sire de Coussi desconfirent vingt mille Turcs. Toutes-fois la fortune voulut que les François enflez de cette premiere victoire, ayans eu certaines nouvelles de la venuë de Basaith, pensans du premier coup foudroyer, & mettre à sac toute son armee, luy voulurent courir sus contre l' opinion de plusieurs sages Capitaines qui estoient d' advis d' espier leur commodité, & apoint. A maniere que se trouvans en cette rencontre de toutes parts environnez de leurs ennemis furent menez de telle furie par les Turcs, que la playe en a depuis longuement saigné, & par la France, & par toute la Chrestienté. En cette bataille moururent plusieurs gens de bien, & plusieurs autres furent pris, entre lesquels se trouverent trois cens Chevaliers de nom, qui quatre jours apres de sang froid furent amenez en chemise devant Basaith, & par son commandement miserablement mis à mort. Quelques uns ont voulu dire que son intention estoit de les faire passer indifferemment par le tranchant de l' espee, toutes-fois que par l' advis d' un devin il fut destourné de cette opinion, lequel lors que se vint à recognoistre les prisonniers, ayant jetté sa veuë sur le Comte de Nevers, dit au Turc, que la vie de cestuy apporteroit à l' advenir trop plus de dommage à la Chrestienté que sa mort. Chose qui se trouva averee par les grands troubles que depuis il suscita en la France. Quoy que soit ce Prince fils du plus grand Duc qui fust lors par toute l' Europe, se veit pour ceste heure là au plus grand danger de sa personne qu' il seroit possible de dire. Toutes-fois apres plusieurs humilitez, il obtint avec grande difficulté sa grace, & semblablement celle des Seigneurs d' Eu, de la Marche, Coussi, de Bar, & la Trimoüille: & voulut Dieu par bonne advanture que le Mareschal de Boucicaut que l' on menoit à la boucherie avec les trois cens Chevaliers, estant recogneu par le Comte, fut par ses supplications, & prieres recous de ce supplice qu' il voyoit luy estre preparé. Recevant de ce costé-là quelque courtoisie de Basaith: Lequel en toute autre chose exerça toutes sortes d' indignitez à l' endroit de ce pauvre Comte, voire jusques à le faire mettre quelques-fois quand l' envie luy en prenoit, entre les mains d' un bourreau, & estendre sur un posteau, comme si on luy eust voulu trancher la teste avec une doloüere. Cruauté vrayement barbaresque, & de laquelle peu apres cette mesme fortune, qui tant l' avoit favorisé, luy fit payer tout à loisir aux propres despens de son corps, les dommages & interests. Car depuis cette grande route, Tamberlan s' estant esveillé és marches de la Scithie, & ayant occupé la plus grand part de la Natolie: par une journee qu' ils se donnerent l' un à l' autre, Basaith fut totalement desconfit, & luy, & sa femme reduits sous la captivité de Tamberlan, lequel de là en avant (comme s' il eust esté envoyé de Dieu pour venger l' injure des Chrestiens) au lieu des inhumanitez que Basaith avoit pratiquees, le fit porter enchaisné dedans une cage de fer, se servant de son eschine tout ainsi que d' un marche-pied, toutes les fois qu' il vouloit monter à cheval: Et non content de ce, apres avoir donné fin à plusieurs guerres, & entreprises, luy de retour en ses pays, fit un festin general à tous ses Princes & Barons, auquel lieu il fit apporter Basaith dedans sa cage pour servir à tous de spectacle, & pour luy augmenter sa douleur, voulut estre servy de la femme de luy, à laquelle il fit couper tout le devant de ses habits, tellement qu' il estoit facile à chacun de descouvrir toutes ses parties honteuses, mesmes par le miserable Basaith, lequel se voyant en cette façon estre une bute de misere, & de risee, par un juste creue-coeur (luy estant osté tout autre moyen de se mesfaire) se heurta tant de fois la teste contre les pilliers de sa cage, que finablement il en fit sortir la cervelle, & en cette façon mourut. Qui est une Histoire digne de grande compassion, & qui doit apprendre à tous grands Seigneurs, qu' ils sont souventes-fois punis des mesmes verges dont ils ont chastié les autres. Certes tous Historiographes sont d' accord (je diray cecy en passant) que lors de la defaicte de Basaith, les affaires des Turcs se trouverent si desesperees, que si l' Empereur de Constantinople, avec l' aide d' autres Chrestiens, eust voulu parachever cette route encommencée par Tamberlan, le nom, & la race des Turcs eust esté totalement desracinee.

6. 30. Que les Royaumes ont esté quelques-fois conservez, pour avoir esté les jeunes Princes mis soubs la protection & tutelle de leurs ennemis.

Que les Royaumes ont esté quelques-fois conservez, pour avoir esté les jeunes Princes mis soubs la protection & tutelle de leurs ennemis.

CHAPITRE XXX.

Il n' y à rien plus à craindre en une Republique que quand elle tombe soubs la puissance d' un enfant, comme estant une ouverture à l' ambition des grands qui sont pres de luy, vray seminaire des guerres civiles, dont provient à la longue, ou la mutation de l' Estat, ou de la famille du Prince. Les anciens Romains estimoient qu' apres Dieu, le premier devoir de pieté en cette societé humaine, gisoit en la conjonction des peres, & de leurs enfans, le second en celle des tuteurs envers leurs pupilles. C' est pourquoy quand il est question de creer un tuteur, on fait une assemblee des plus proches parens & amis, par l' advis desquels on choisit ordinairement celuy que l' on pense le plus digne de cette charge, pour la proximité du lignage. Je ne sçay si cette maxime est bonne pour la conservation d' un Estat. Car donnant à un jeune Prince celuy qui luy est le plus proche parent, il luy est beaucoup plus aisé d' empieter le Royaume sur son pupille, pour les intelligences qu' il a dedans le pays, que non à un Prince estranger. Lequel quand il voudroit entreprendre quelque chose au prejudice de son mineur, par menees, si ne luy seroit-il si aisé, pour l' obstacle qui luy seroit faict par les Princes du Sang. Ainsi n' est-il pas peut-estre hors de propos que l' authorité & regence demeure par devers celuy qui ne peut nuire, & la force par devers ceux qui n' ont pas l' authorité. Ce que je dy semblera de premiere rencontre paradoxe, mais il a esté averé par deux exemples signalez.

L' un des plus grands ennemis qu' eust l' Empereur Arcade, fut Isdigerte Roy des Perses. Aussi y avoit-il une inimitié de toute ancienneté entre le Romain & le Persan, pour les souverainetez & limites. Arcade avoit par plusieurs grands exploits esprouvé la valeur de son ennemy, mais aussi avoit-il fait plusieurs preuves de sa preud'hommie, & mourant craignoit, s' il ne le reconcilioit à l' Empereur par quelque honneste demonstration d' amitié, qu' il donnast plusieurs algarades au jeune Valentinian son fils. Pour y remedier il prie par son testament Isdigerte de vouloir accepter la garde, & tutelle de son fils, ce qu' il eut pour agreable, & le prit à tel honneur, que mettant sous pieds toutes les querelles du passé, au lieu de guerroyer le Romain, il rendit l' Empire paisible à son pupille, le plus qu' il luy fut possible, en toutes les parties du Levant. Chose certes pleine de merveilles, que cet Empereur obtint apres sa mort par un papier de bien-vueillance, ce qu' il n' avoit peu faire durant sa vie par la fureur & colere des armes.

Pareil advis suivit l' Empereur Maximilian du temps de nos bisayeux, lequel mourant delaissé Charles d' Austriche son petit fils successeur de tous ses païs, mesmes de celuy de Flandres, sur lequel il voyoit les Roys de France jetter la veuë de tout temps, comme chose de leur ancien domaine: estimant qu' au bas âge de ce jeune Prince, se pouvoit rencontrer de faire nouveau dessein sur ce pays, il pensa de destourner cet orage par une nouvelle obligation: Qui fut de prier par son testament le Roy Louys XII. de vouloir accepter la tutelle de Charles: Tutelle que ce bon Roy accepta, & n' eut depuis rien tant en recommandation que la conservation de son mineur: Et parce qu' il n' y pouvoit fournir en personne, choisit le Seigneur de Chievres, l' un des plus attrempez personnages de son temps, pour la conduite de ce jeune Prince: lequel deslors fit profession de le nourrir aux affaires, combien que son bas âge semblast n' y estre encores disposé. A maniere qu' il vouloit que tous les pacquets fussent par luy ouverts, & rapportez à son conseil, a fin qu' il s' accoustumast de ne manier son Estat par Procureurs quand il seroit venu en aage plus meur. Et comme ainsi fust qu' un Seigneur de la France luy remonstrast qu' il chargeoit trop la jeunesse de ce jeune Prince, il luy respondit sagement, que pendant que luy mineur estoit sous sa tutelle, il luy vouloit enseigner de ne tomber sous la tutelle d' un autre quand il seroit fait majeur. Leçon dont Charles sçeut fort bien faire son profit aux despens de nostre France, depuis qu' il fut fait Empereur.

Je veux à la suite de cette histoire y en attacher une autre, encores qu' elle soit precedente de temps. Jean V. Duc de Bretagne de ce nom, surnommé le Conquereur, avoit porté grande inimitié à Messire Olivier de Clisson Connestable de France. Toutes-fois en mourant il l' ordonna pour tuteur & curateur à ses enfans avec Philippes Duc de Bourgongne son proche parent. Soudain que Clisson receut ces nouvelles, il est visité par la Comtesse de Pontievre sa fille, laquelle luy remonstra que le temps estoit lors venu de pouvoir r'entrer dans le Duché à bon compte par le moyen de cette nouvelle tutelle. Ce bon & sage Seigneur entra en une telle colere, qu' il luy dit. Ah meschante & mal-heureuse, tu ruineras ta maison d' honneur, & de bien tout ensemble! Et d' une grande fureur se saisit d' un espieu, dont il l' eust frappé, si elle n' eust prevenu le coup d' une prompte fuite, & en fuyant se rompit une jambe dont elle fut depuis boiteuse: Et dés lors la prophetie de son pere commença de trouver effect. Or voyez quel fut le progrés de cette histoire. Jeanne de Navarre veufve du feu Duc, convole en secondes nopces avec Henry IV. de ce nom Roy d' Angleterre: Par le moyen de ce mariage y avoit grand danger de l' envahissement du Duché, pendant la minorité de ces jeunes Princes: Toutes-fois par la sagesse de Clisson toutes choses leur furent conservees, & fut le Duc marié avec l' une des filles de Charles VII. & mourant quelques annees apres, Marguerite de Clisson Comtesse de Pontievre, pensant estre au dessus du vent surprit par tromperie le Duc, & Richard l' un de ses freres, & les detenant prisonniers, elle est assiegee dans son chasteau de Chantoisseaux par tous les Seigneurs de la Bretagne, laquelle se voyant reduite en toute extremité, rend par capitulation le Duc & les autres prisonniers: promet d' ester à droit au Parlement pour subir telle condamnation qui seroit trouvee bonne. Et à cette fin donne pour ostage de sa comparution le dernier de ses enfans nommé Guillaume. La place renduë est demolie rez pieds, rez terre, sans mesmes pardonner aux Eglises. Le procez est fait & parfait par defaux & contumace à cette Dame, & à deux de ses enfans, qui avoient esté les premiers entremetteurs de cette conjuration, ils sont tous declarez crimineux de leze Majesté, & ordonné que leurs chasteaux seroient rasez. Arrest qui fut prononcé en la presence du petit Guillaume son fils, lequel deslors fut reduit en une obscure, & cruelle prison à Aulroy, où il demeura l' espace de vingt-sept ans, & y perdit la veuë. Les chasteaux de Guincamp, Lembale, la Rochederian, & autres Seigneuries du Comte de Pontievre demolies. Admirable certes fut la preud'hommie dont usa Clisson envers ses mineurs, & neantmoins fait aucunement à considerer qu' il pouvoit avoir pour controlleur de ses actions Philippes Duc de Bourgongne: Mais beaucoup plus est esmerveillable ou sa Prophetie, ou la malediction qu' il donna à sa fille quand elle luy conseilla d' occuper le Duché par le moyen de cette nouvelle tutelle.

6. 29. Qu' il n' est pas expedient pour un Prince, de mettre ses Commandemens faicts par colere en prompte execution.

Qu' il n' est pas expedient pour un Prince, de mettre ses Commandemens faicts par colere en prompte execution.

CHAPITRE XXIX.

L' on recite que l' Empereur Theodose, ayant esté adverty que les Thessaloniens l' avoient joüé sur un escharfaut, irrité de cette nouvelle commanda que l' on les meit tous à mort. Ce qu' ayant esté executé à la chaude cole, il en fut apres aigrement repris par sainct Ambroise Evesque de Milan, qui ne le voulut recevoir à la Communion des fideles, qu' il n' en eust premierement faict penitence en la presence de toute l' Eglise. Ce qu' il fit, & ordonna que ses Commandemens de là en avant ne sortissent effect, sinon quelques jours apres qu' il les avroit faicts, c' est a dire, lors que sa colere estant refroidie, il avroit recueilly ses esprits en soy. Il appartient au Prince de sagement commander, & au subject de sagement executer les Ordonnances de son Prince, ores que ce ne soit à luy d' entrer en cognoissance de cause de la volonté de son Maistre, ainsi que je vous veux representer par ce present chapitre. L' Histoire est commune des guerres qui furent entre la maison de Montfort, & celle de Blois, pour le Duché de Bretaigne, lesquelles prindrent fin par la mort du Comte de Blois, & prise de ses enfans, qui furent confinez en Angleterre par Jean Comte de Montfort, & Duc de Bretaigne. Messire Olivier de Clisson, Breton, & Connestable de France, qui dans son ame n' aspiroit à petites entreprises, conseilloit de jour à autre au Duc de deliurer des prisons Jean & Guy de Bretaigne ses cousins, suivant ce qu' il avoit promis au traité fait à Guerrande, & que plustost il imposast une taille sur ses sujets pour fournir à leur rançon: Toutesfois le Duc n' y vouloit entendre, craignant qu' estans deliurez, ils ne remuassent quelque nouveau mesnage encontre luy. Quoy voyant Clisson, il sollicite sous main le mariage de Marguerite sa fille avecques Jean, & moyennant ce, promet payer & acquiter sa rançon. L' affaire est conduite de telle façon, que Jean de Bretaigne deliuré, espouse la fille du sieur Clisson. Ce qui offença tellement le Duc de Bretaigne, & paravanture non sans cause, qu' il delibera s' en venger à quelque prix que ce fust. Pour y parvenir il fit proclamer ses Estats à certain jour en la ville de Vannes avec mandement exprés à tous ses Barons & vassaux de s' y trouver, lesquels s' y trouvent au jour assigné, & apres avoir decidé entr'eux ce qui leur avoit esté proposé, & les Estats clos, le Duc les festoya tous en sa maison; & le lendemain le Connestable fit le semblable, où sur la fin du disner le Duc vint trouver la compagnie: Or faisoit-il lors bastir à l' un des autres bouts de la ville un fort Chasteau, qu' il nommoit l' Ermine, si leur dit qu' il desiroit qu' ils le vinssent voir, a fin de luy en donner leur jugement: chacun se met à sa suite, & arrivez qu' ils y furent, il les promena par tout le logis, estans à la principale Tour, le Duc s' arreste à l' entree, & dit au Connestable qu' il y entrast pour juger si la place estoit de deffense contre les avenuës de la Mer. Soudain qu' il y est entré, & monté à un estage, il est salüé par des gendarmes, lesquels se saisirent de luy, & le mettent aux fers, & quant & quant l' on ferme la porte sur luy. En cette compagnie estoit le seigneur de Laval, Beaufrere du Connestable, lequel bien estonné, commence d' en faire instance au Duc, qui luy commanda de vuider promptement, sçachant bien ce qu' il avoit deliberé de faire. A quoy le seigneur de Laval replique, qu' il ne partiroit de sa ville sans son beau-frere. Le Connestable est baillé en garde au seigneur de Bavalan, auquel le Duc enjoignit de le faire noyer sur le minuict à petit bruit. Le seigneur de Bavalan Gentilhomme advisé, le supplie qu' il luy pleust remettre l' execution de ce commandement au temps qu' il ne seroit plus courroucé. Mesmes que le meilleur seroit qu' on luy fist son procés, & que s' il se trouvoit que le Connestable eust desservy la mort, il la souffrist. Quoy faisant on ne pourroit rien imputer au Duc: Mais luy d' un courage forcené, luy repartit qu' il n' en feroit rien, & qu' il n' y avoit autre que luy qui sceust combien le Connestable luy pesoit sur le cœur. Bavalan ce neantmoins ne se veut rendre, & luy dit qu' il valoit mieux le garder vif que mort: Monseigneur (luy dit-il) attendez encores quelque peu, il n' a garde de vous eschapper: Si vous l' aviez fait mourir, & puis en vinssiez au repentir, il n' y avroit plus de remede, vous luy avriez osté la vie, que ne luy pourriez plus rendre. Allez (dit le Duc) & ne m' en parlez plus, faites ce que je vous commande, autrement je vous monstreray que je suis le Maistre. A cette parole Bavalan promit de le faire, & combien que ce commandement fust absolu, si delibera-il de s' acquitter de sa charge, comme bon & loyal serviteur. Ce jour mesme, comme le Duc se vouloit coucher se presente le Comte de Laval à ses pieds, armé de plusieurs belles prieres & remonstrances telles que l' Histoire qui s' estoit passee entr'eux, & la necessité presente luy pouvoit suggerer: Et pour conclusion, Monsieur (dit-il) je vous supplie tres-humblement puis que mon beau-frere est venu icy sur la foy publique de vous, souz un pretexte des Estats, qu' au moins il vous plaise de luy conserver sa vie: & neantmoins s' il a forfaict en quelque chose contre vous, qu' il le repare par la bourse, & rende toutes les places & forteresses qu' il tient contre vostre volonté. Chose dont dés à present je me rends pleige & caution pour luy. Le Duc ne prenant toutes ces remonstrances en payement, commande au Comte de se retirer, luy disant que la nuict luy donneroit conseil, & que le lendemain il luy feroit response: C' estoit à dire que revenant le lendemain, il luy donneroit nouvelle de la mort. Pendant ces choses Bavalan voyant la fureur de son Maistre, & s' asseurant que quelque jour estant revenu à soy, il seroit grandement marry de cette mort, mesmes qu' il feroit une tache perpetuelle à sa reputation, il se resolut de differer l' execution de cette mort, jusques à ce qu' il vist en luy une preseverance (perseverance) de volonté de quelques jours: & neantmoins luy faire ce pendant entendre qu' il avoit obey à son commandement. Apres que le Duc eut fait son premier somme, estant aucunement revenu à soy, il commença de combatre entre la raison & la colere, inclinant tantost à la mort, tantost à la vie. Pour la mort, faisoit le mariage de Jean de Bretaigne, que le Connestable avoit brassé par exprez, a fin d' empieter l' Estat, & que jamais il n' avroit plus de moyen d' obvier à cette entreprise que lors, estant le Connestable de Clisson du tout en sa puissance: Que morte la beste, mort est pareillement le venin: mais d' un autre costé remettant devant ses yeux les procedures dont il avoit usé pour le faire tomber en ses laz, sous quelle foy l' autre estoit venu, & qu' il estoit grandement à craindre que le Roy à face ouverte n' entreprist la vengeance de cette mort, voire qu' en cette affaire les Anglois luy faillissent de garends, comme estans en mauvais mesnage avec luy pour le traicté de paix n' agueres fait entre le Roy & luy. En cest estrif il passa toute la nuict sans sçavoir sur quel pied il devoit asseoir sa resolution. Discours qui estoit tres-inutile si sa volonté eust esté executee aussi promptement comme il avoit commandé. Sur le poinct du jour il mande à soy Bavalan pour sçavoir si le Connestable estoit mort. Qui luy respondit qu' ouy. A laquelle responce le Duc sans le porter plus loing, commença de faire mille regrets accompagnez d' une infinité de larmes. De ce pas, a fin qu' il n' y eust que luy seul tesmoing de sa douleur, & pour luy donner plus de lieu, fait sortir Bavalan, deffendant l' ouverture de sa porte à tous. Tout le jour se passa en pleurs & gemissemens sans boire ny manger, & sans que le peuple sceust le motif de ce mescontentement, jusques à ce que sur le soir Bavalan ne pouvant plus permettre que le Duc passast la nuict de cette façon, le vint retrouver, & dés son arrivee luy dit, qu' il se devoit consoler, & y avoit remede à tout. A quoy le Duc respondit, fors à la mort, voulant s' imputer la mort du Connestable: Mais l' autre d' un visage riant luy repliqua qu' il n' estoit en ces alteres, & que prevoyant ce qu' il voyoit lors, il avoit supersedé de luy obeyr, jusques à ce que revenu à son second penser, il l' eust veu perseverer en cette mesme volonté de mort: bref, que le Connestable estoit plain de vie. Auparavant le Duc avoit larmoyé de dueil, & lors il pleura de joye: & promit recognoistre le sage service qui luy avoit esté fait par Bavalan. De vous raconter maintenant les traictez & accords qui furent faits pour la deliurance du Connestable, ce n' est le subject du present chap (chapitre). Face Dieu que cest exemple puisse servir de miroüer aux Princes de ne rien commander en colere, qui est une demie fureur: & à leus (leurs) serviteurs domestiques, d' executer leurs commandemens avec mesme sagesse & discretion que Bavalan.