jueves, 20 de julio de 2023

6. 34. De l' honneste & vertueuse liberté dont usa quelques-fois,

De l' honneste & vertueuse liberté dont usa quelques-fois, tant la Cour de Parlement de Paris, que Chambre des Comtes, pour la conservation de la Justice.

CHAPITRE XXXIV.

Combien que le Duc de Lorraine soit Prince souverain dedans son païs, si est-ce que nos Rois ont de toute ancienneté pretendu qu' une partie du Barrois relevoit de la Couronne de France: & nommément nous soustenions anciennement que la ville de Neuf-Chastel en Lorraine recognoissoit le Roy pour son souverain: il seroit mal-aisé de dire combien de disputes en sourdirent au Parlement. La cause y fut autres-fois traictee, & par Arrest du 9. Aoust 1389. entre le Procureur general du Roy, & le Duc de Lorraine, les parties furent appointees en contrarieté de faits, & cependant par maniere de provision ordonné que la ville seroit regie sous la souveraineté du Roy, & le Duc condamné de bailler son adveu, & denombrement dedans certain temps. Cela produisit plusieurs differens entr'eux dont les Registres de la Cour sont pleins. Toutes-fois cette querelle fut assopie par la relasche que le Roy Louys XI. luy fit en l' an 1465. par lettres qui furent verifiees au Parlement. Cela soit par moy dit en passant. Or advint sous le regne de Charles VI. quelque peu apres l' Arrest par moy cy-dessus mentionné, qu' un Sergent ayant fait un exploit dans cette ville de Neuf-Chastel sous le nom du Roy, & apposé ses penonceaux, le Duc de Lorraine les fit lacerer, & mettre en prison ce Sergent. Au moyen dequoy la Cour de Parlement luy fit son procez, & par defaux & contumaces le declara avoir commis crime de felonnie, le bannit à perpetuité du Royaume, & confisqua Neuf-Chastel au Roy. L' imbecilité de sens qui lors estoit en nostre Roy, faisoit que les pechez criminels estoient reputez veniels, mesmes par ceux qui estoient en la bonne grace du Duc de Bourgongne, du nombre desquels estoit le Duc de Lorraine, auquel le Bourguignon ayant promis de faire passer le tout par oubliance, le Duc de Lorraine vint à Paris pour faire la reverence au Roy, mais le Parlement de ce adverty delegua Maistre Jean Juvenal des Ursins Advocat du Roy pour le supplier de ne faire playe à l' Arrest: que le tort dont estoit question avoit esté fait à sa Majesté, & que de passer cela par connivence, au prejudice de l' Arrest, ce seroit redoubler la malfaçon de la faute. Combien que les affaires de la France fussent lors fort embroüillees, & dependissent de la volonté d' un seul Duc, si n' avoit-il des mouchars, & espieurs de nouvelles au Parlement, pour luy rapporter ce que l' on y avoit passé. Qui fut cause que cette resolution conduite avec un doux silence, le Duc de Bourgongne n' en ayant eu aucun advis, le Seigneur des Ursins arriva, suivy de ses deux compagnons, au mesme poinct que le Duc de Lorraine se presentoit pour faire la reverence au Roy. Quand le Chancelier les appercevant, leur demanda qui les amenoit en ce lieu, surquoy le Seigneur des Ursins, sans autrement marchander & luy respondre, se jette de genoux aux pieds du Roy, luy faict un long recit de l' affaire, le supplie tres-humblement de ne vouloir faire bresche ny à sa Majesté, ny à l' authorité de son Parlement. Le Duc de Bourgongne, auquel rien n' estoit difficile pres du Roy, commence de se courroucer, disant avec paroles d' aigreur, que ce n' estoit la voye que l' on y devoit observer: Auquel le Seigneur des Ursins respondit doucement, qu' il estoit tenu d' obeir à l' Ordonnance de la Cour, en chose mesmement, où il alloit du service exprez du Roy. Et à l' instant mesme haussant sa parole requit que tous bons & loyaux serviteurs du Roy vinssent se joindre de son costé, & que ceux qui estoient contraires au bien & repos du Royaume, se tirassent du costé du Duc de Lorraine. Cette parole prononcee d' une grande hardiesse, estonna de telle façon le Duc de Bourgongne, que soudain il quitta sa prise (car il tenoit le Duc de Lorraine par la manche pour le presenter au Roy) & se retira du costé des Ursins avec tous les autres Princes & Seigneurs, se trouvant le Duc de Lorraine seul & abandonné de tous. Ce fut doncques lors à luy de joüer son personnage, non à petit semblant, ains à bon escient. Il s' agenoüille devant le Roy, & la larme à l' œil le supplie humblement de luy vouloir pardonner, que de sa part il n' avoit jamais consenty à tout ce qui s' estoit passé dans la ville de Neuf-Chastel, qu' il promettoit d' en faire une punition convenable. Pour le faire court, apres plusieurs soubmissions & protestations, il obtint du Roy ce qu' il demandoit, avecques le consentement du Parlement, sçachant que les choses s' estoient passees devant le Roy, sans dissimulation & hypocrisie.

La plus grande partie de ceste vertu est deuë à un Advocat du Roy, qui sceut dextrement joüer son rolle: monstrant combien grand est l' effort de la Justice, quand il tombe en un brave sujet. Ce que je diray maintenant va à tout le corps du Parlement. Les nouveaux Edits de tout temps & ancienneté ne prennent vogue parmy le peuple, qu' ils n' ayent esté premierement verifiez, tantost au Parlement, tantost en une Chambre des Comptes, selon que les affaires le desirent. On recite que Louys XI. Prince qui s' attachoit opiniastrement à ses premieres volontez, ayant un jour entrepris de faire emologuer certaine Ordonnance au Parlement, qui n' estoit point de Justice, apres plusieurs refus, indigné, il luy advint de jurer à la chaude-cole son grand Pasque-Dieu, & dire que s' ils n' obeïssoient à son vouloir, il les feroit tous mourir. Cette parole venuë à la cognoissance du Parlement, il fut arresté qu' on se presenteroit au Roy avec une resolution tres-expresse de mourir plustost que de verifier cet Edit. Luy doncques estant au Louvre, tout le Parlement s' achemine en robbes rouges par devers luy, lequel infiniment esbahy de ce nouveau spectacle, en temps & lieu indeu, s' informe d' eux de ce qu' ils luy vouloient demander. La mort, Sire (respondit le Seigneur de la Vacquerie, premier President, portant la parole pour toute la compagnie) qu' il vous a pleu nous ordonner, comme celle que nous sommes resolus de choisir, plustost que de passer vostre Edit contre nos consciences. Cette parole rendit le Roy fort souple, ores qu' en toutes choses il s' en voulut faire croire absolument, & leur commanda de s' en retourner, avec promesse qu' il ne les importuneroit plus sur ce fait, ny de faire de là en avant presenter lettres, qui ne fussent de commandement Royal, je veux dire de Justice.

Je croy que cette histoire est tres-vraye, parce que je la souhaite telle, & à la mienne volonté qu' elle soit emprainte au cœur de toute Cour souveraine. Bien vous en representeray-je une autre de nostre Chambre des Comptes, dont je suis tesmoin oculaire, & peut-estre en ay-je fait la plus grande part & portion. Comme sous le feu Roy Henry troisiesme (que Dieu absolve) nostre France fut malheureusement peuplee d' une je ne sçay quelle vermine de gens, que nous appellions Partisans, ingenieux à la ruine de l' Estat, lesquels trouvoient à regrater sur toutes choses, par Edits & inventions extraordinaires, pour s' enrichir en leur particulier de la despoüille du pauvre peuple, aussi en fin ces sangsuës conseillerent au Roy de pousser, si ainsi faut que je le die, de sa reste, & vouloir rendre hereditaires tous les offices qui n' estoient de judicature, en payant finance. Quoy faisant, c' estoit accueillir la haine publique contre leur Maistre en temps indeu, & tout d' une suite faucher l' herbe sous les pieds à ses successeurs. Il envoye à cet effect en la Cour de Parlement un Edit accompagné de plusieurs autres qui estoient donnez à ses favoris Courtisans. Cela se faisoit en l' an 1586. depuis les Troubles encommencez sous le nom de la saincte Ligue. Estans ces Edicts presentez au Parlement, ils sont plusieurs fois refusez: finalement le Roy se transporte au Palais avecques quelques Princes du Sang, où en sa presence, le tout est emologué. Il restoit de le passer en la Chambre des Comptes: Car pour bien dire, c' estoit le grand coup que l' on y pouvoit frapper, d' autant que les Estats des Comptables valent deux ou trois fois plus que toute la menuë denrée des autres. Nous sommes advertis que le Roy y devoit envoyer quelques Seigneurs de son Conseil. Et nommément Monsieur le Comte de Soissons, Prince du Sang eut cette charge, où estoient l' Archevesque de Bourges, les Seigneurs de Villequier, Gouverneur de Paris, & Isle de France, les sieurs de la Vauguion & de Lansac, qui firent leur proposition telle qu' ils voulurent par la bouche de l' Archevesque. Je m' estois, comme Advocat du Roy, preparé de la cause contre la verification de l' Edit qui me sembloit tendre à la desolation de l' Estat: & desployay le peu qui estoit en moy, ainsi qu' une juste douleur m' en administroit les memoires. Ce qui contenta la compagnie, & de fait toutes choses furent suspenduës jusques au lendemain, pendant lequel temps ces Seigneurs promirent de faire rapport au Roy des difficultez que j' avois proposees: nonobstant cela, le lendemain ils retournent, & declarent que le Roy s' estoit fermé en son premier propos de l' emologation de tous ces Edicts. Quelques-uns des Presidens demanderent à Monsieur le Comte de Soissons, s' il n' entendoit pas que chacun opinast tout ainsi qu' en toutes autres affaires. A quoy ce jeune Prince respondit qu' il n' en avoit nulle charge, ains seulement de faire verifier les Edicts. Alors Monsieur Dolu, l' un des Presidens repliqua, que puis qu' on ne vouloit prendre leurs opinions, il n' estoit aussi besoin de leurs presences. Et à ce mot, sans autrement marchander, toute la compagnie se leve & retire au second Bureau, en bonne deliberation de ne consentir, ny de parole, ny de presence à cette publication. Les Seigneurs du Conseil se voyans demeurez seuls, avec Monsieur le premier President Nicolaï, qui ne desempara sa place, se trouverent grandement estonnez. En fin s' estans levez de leurs chaires, la compagnie se presenta à eux, les priant de ne prendre de mauvaise part ce qu' ils en avoient fait: parce que c' estoit pour la conservation de l' Estat, à quoy ils estoient obligez. Ainsi se partirent ces Seigneurs tout ainsi qu' ils estoient venus. Dieu sçait quel contentement eut le Roy en son ame. Dés l' instant mesme quelques uns du Conseil d' Estat estoient d' advis qu' il nous falloit tous declarer crimineux de leze Majesté: Cet advis ne fut suivy: mais au lieu de ce, on depesche du jour au lendemain lettres patentes du Roy, par lesquelles nous sommes tous interdits, & deffences à nous d' entrer en la Chambre. Le refus que nous feismes à ces Seigneurs fut le vingt-deuxiesme de Juin 1586. & le lendemain les lettres d' Interdiction nous furent signifiees par le sieur de Bussy Guibert, l' un des Greffiers du Conseil d' Estat. Tout de la mesme façon que nous avions desemparé le Grand Bureau le jour precedent, aussi sortismes nous de la Chambre, estimans que c' estoit chose qui se tournoit grandement à nostre honneur d' estre chastiez pour un acte si genereux. L' opinion de Messieurs du Conseil estoit, que ce chastiment n' apporteroit autre prejudice qu' à nous: parce que dés le premier jour du mois de Juillet ensuivant devoit commencer l' autre Semestre, auquel se pourroient trouver plusieurs Maistres, qui n' avoient esté de nostre partie: consequemment non interdicts. Nostre refus est publié, & haut loüé par toute la ville de Paris. Les nouvelles en viennent au Roy qui sejournoit lors à sainct Maur. Sa colere commence de se refroidir, & trouve par mesme moyen que ce que nous avions faict n' estoit esloigné de son service. La conclusion & catastrophe de ce jeu fut apres quelques ceremonies de restablissement (lesquelles l' on ne doit aisément denier à un Roy) que quelques jours ensuivans l' Interdiction fut levee, & chacun de nous restably en l' exercice de sa charge. Le fruict que nous rapportasmes de cette vertueuse liberté fut la suppression de ce mal-heureux Edict des Estats hereditaires, au lieu duquel, comme le Roy ne pouvoit estre vaincu en ses volontez, il introduisit une image d' iceluy, qui fut l' Edict des Survivances, à la charge qu' il n' avroit lieu qu' à l' endroict des volontaires: En l' autre, bon gré mal gré, il falloit rachepter son Estat, ou s' en demettre sur celuy qui nous remboursoit de l' argent par nous desboursé, qui estoit entré aux coffres du Roy. Il me souvient qu' une grande Princesse de France, que je vey quelque temps apres, me dist qu' elle estoit tres-marrie du mescontentement que le Roy avoit de moy, d' autant qu' auparavant j' avois part en sa bonne grace autant qu' homme de mon bonnet: Ce fut le mot dont elle usa. A quoy je luy respondis que l' issuë de cecy seroit telle que d' un amoureux, lequel ayant esté esconduit par sa Dame, du poinct que passionnément il pourchasse, s' en va infiniment mal content, mais revenant puis apres à soy, l' aime, respecte, & honore d' avantage. Qu' ainsi m' en adviendroit, & que quand nostre Roy seroit revenu à son second & meilleur penser, il m' en regarderoit de meilleur œil: chose en quoy je ne fus trompé. Cela soit dit de moy en passant, non par vanterie, ains occasion, a fin d' exciter ceux qui nous survivront de bien dignement exercer leurs charges.

6. 33. Du gouvernement des Provinces qui tombe és femmes, & de la magnanimité ancienne de quelques Princesses.

Du gouvernement des Provinces qui tombe és femmes, & de la magnanimité ancienne de quelques Princesses.

CHAPITRE XXXIII.

Tout ainsi qu' une principauté tombant sous la minorité d' un Prince, est exposee à plusieurs hasards: aussi l' est-elle estant gouvernee par une Princesse: En l' un, on craint la foiblesse de l' âge, en l' autre la foiblesse du sexe, & en tous deux l' imbecilité de leurs sens. Je ne foüilleray point dedans l' ancienneté, remarquez seulement ce qui s' est passé depuis trente-cinq ans par l' Europe, en laquelle Dieu voulant commencer une subversion, ou mutation d' Estats, ou de familles, vous veistes d' une mesme assiette cinq ou six grands Royaumes regis & gouvernez par femmes: nostre France par Catherine de Medicis Roine mere, l' Angleterre par la Roine Elizabeth regnant encores à present, l' Escosse par la Roine Marie, le Portugal tombé és mains de l' Infante, fille de la Roine Leonor: le Navarrois, & Bearn par la Roine Jeanne, & finalement la Flandre, & autres pays bas par la Duchesse de Parme, sœur bastarde de Philippes Roy d' Espagne: Nous avons veu tout cela, & tout d' une suitte un pesle mesle, & confusion de toutes choses en cette France, en Escosse, en Flandres, en Portugal, qui est aujourd'huy tombé en mains Espagnoles. Que les femmes en ayent esté les motifs, je ne le veux pas dire, mais bien qu' elles ont esté les outils dont on s' est servy: encores que la plus part de ces Princesses ne faillit point de jugement en la conduite des affaires: Et toutes-fois pour rendre cette Histoire plus esmerveillable à une posterité, cest qu' au milieu de toutes ces Dames, qui ont veu sous leurs gouvernemens les Provinces affligees, où elles commandoient, une seule Elizabeth, qui ne se voulut jamais exposer sous la puissance d' un mary, non seulement a garenty son Royaume de toutes guerres & oppressions civiles, mais qui plus est, en a estendu les limites jusques à Holande, & Zelande, pays qu' elle a conquis sur Philippes Roy d' Espagne, le plus grand terrien, & pecunieux qui se soit veu entre les Monarques, depuis trois ou quatre cens ans. En quoy l' on peut descouvrir combien sont grands les mysteres de Dieu. Vray que je crains bien qu' apres le decez de cette Dame, l' Angleterre n' ait part aux calamitez comme nous: Car à bien dire son repos ne despend que du filet de la vie de cette Princesse. On veit presque en une mesme saison deux Roines en France, Brunehaut, & Fredegonde: l' une qui fit mourir six ou sept Princes, & broüilla toutes leurs Provinces de divisions, & guerres intestines: Au contraire une Fredegonde non seulement conserva le Royaume à Clotaire second son fils, qui estoit en berceroles, lors que Chilperic son pere fut tué: mais qui plus est, avecques le temps se veit seul Roy & Maistre de toutes les Provinces, qui avoient esté par deux fois partagees en quatre, depuis la mort de Clovis. Isabelle de Bavieres assistee du Duc de Bourgongne, troubla infiniement ce Royaume pendant les troubles d' esprit de Charles sixiesme son mary: De maniere que le Duc de Guyenne son fils aisné venu en aage de cognoissance fut contrainct de la confiner en Touraine. Au contraire la Roine Blanche mere de sainct Louys conduisit avec une telle sagesse les affaires de France, qu' elle conserva heureusement le Royaume à son fils, qui n' avoit que quinze ou seize ans quand il vint à la Couronne, & croy que pour cette chose les Roines meres depuis se voulurent nommer Roines Blanches, comme tiltre le plus specieux qu' elles se pouvoient donner pendant leur viduité. Il y a és femmes par fois des defaux, par fois aussi des vertus non moindres qu' aux hommes. J' ayme mieux estre leur paranymphe, que ressembler Jean de Mehun, qui en son Romant de la Roze fit profession expresse de les blasmer. Je veux doncques icy discourir la magnanimité & proüesse de quelques Dames. Je commenceray par la Roine Fredegonde, laquelle je ne veux excuser de la mort de son mary qu' on luy impute: Mais le sujet de ce Chapitre estant dedié aux Dames, qui se sont renduës recommandables par les armes, je donneray à cette-cy selon l' ordre des temps le premier, & plus ancien lieu. Sigebert Roy de Mets tenoit assiegé son frere Chilperic dedans la ville de Cambray, l' ayant reduit en tel desarroy, qu' il ne luy restoit autre espoir que de tomber à la misericorde de son ennemy. Quoy voyant la Roine Fredegonde, elle attiltre deux Gentils-hommes pour aller assassiner Sigebert, leur faisant plusieurs grandes promesses de biens, s' ils venoient à la fin de cette entreprise sans danger: & s' il advenoit qu' ils y mourussent, elle les asseuroit d' un Paradis par les intercessions & aumosnes qu' elle feroit faire pour la redemption de leurs ames. Ces Gentils-hommes vaincus par telles remonstrances s' y acheminerent, ils tuent le Roy Sigebert. Le fruict de cette entreprise fut que ceux-cy y demeurerent pour les gages: mais aussi tost fut le siege levé. En cecy il y avoit du renard, en ce que je diray cy-apres il se trouve beaucoup du lyon. Apres le meurdre de Chilperic, Fredegonde se trouva mere de Clotaire second, qui lors estoit au berceau. L' opinion que l' on avoit, estoit que cet enfant n' estoit fils du Roy Chilperic. Qui occasionna Childebert Roy de Mets de luy faire la guerre à outrance: Et comme les deux Osts fussent sur le point de s' entreheurter, Fredegonde montee sur un grand destrier se promena au milieu de tous les rangs, portant son enfant entre ses bras, les exhortant d' avoir pitié de leur petit Prince, & les sceut tellement animer, que pour conclusion elle obtint lors la victoire. Encore merite d' estre recité un stratageme & ruze de guerre qu' elle exerça lors, commandant à tous ses gens de prendre un rameau en leurs mains, & pendre au col de leurs chevaux une clochette: De ce pas elle les conduisit droict vers ses ennemis, où arrivant sur la diane, les sentinelles estimans que ce fussent bœufs, & vaches qui fussent en des pastis, elle les surprend si à propos, que Childebert fut contrainct de s' enfuir: Cette Princesse de là en avant conduisant si à propos les affaires de son fils, qu' apres Clovis, en toute la premiere lignee de nos Roys il n' y eut Prince plus grand terrien que luy.

Fredegonde avoit fait tuer son mary, comme l' on dit, parce qu' il avoit descouvert les amourettes d' elle avecques Landry. Celle dont je parleray maintenant en usa d' une façon, sinon semblable, pour le moins non du tout dissemblable, en une querelle plus juste. Isabelle fille du Roy Philippes le Bel fut mariee avecques Edoüard le tiers Roy d' Angleterre, Prince de toutes façons abandonné à ses plaisirs, mesme qui pour user d' une volupté prepostere, à l' instigation de Hues le despensier, ministre de ses passions, traictoit infiniement mal sa femme: D' ailleurs exerçoit une infinité de cruautez, n' y ayant presque Prince, ou grand Seigneur, auquel il ne fist trancher la teste. Isabelle ne pouvant plus supporter les hontes & indignitez qu' elle recevoit de luy, s' enfuit avecques son fils Edoüard Prince de Galles en France par devers le Roy Charles le Bel son frere, a fin qu' il luy voulust donner secours pour guerroyer son mary. Ce que luy ayant refusé, elle se retire au pays de Hainaut, qui la favorisa en toute cette entreprise. Ayant doncques assemblé grand nombre de Hennuyers, ils passerent en Angleterre: Là fut le Roy assiegé en la ville de Bristoye avecques Hues le despensier, par la Roine, de telle façon que la ville luy fut en fin renduë. Elle envoya lors son mary sous bonne & seure garde à Londres, & prit le chemin de Herfort, où estant arrivee, elle fit faire le procez à Hues le despensier, lequel par Arrest fut condamné à mort, & là sur un escharfaut eut le membre & les genitoires coupez (comme detestable Sodomite) qui furent dés l' instant mesme en sa presence jettez dans un feu, & en apres il fut vif ouvert par le ventre, le cœur tiré hors, & jetté dans le mesme feu: Puis on luy trancha la teste, & son corps mis au gibet. Sa teste prise & portee à Londres: le jour de Noël ensuivant par deliberation des Estats tenus à Londres le Roy Edoüard fut demis de sa Couronne Royale, & Edoüard son fils couronné Roy: c' est celuy qui depuis fit tant de guerre à Philippes de Valois, pretendant que le Royaume luy appartenoit, comme plus proche de la Couronne de France.

Aux magnanimitez de deux Princesses, dont j' ay cy-dessus parlé: il y a eu quelque chose à redire: En la premiere, la mort du mary, en la seconde la prison: Mais celle que je reciteray maintenant est digne d' estre mise au parangon de toutes les Dames, qui furent jamais en quelque pays, & nation que ce soit. Apres l' Arrest de Conflans donné au profit du Comte de Blois contre Jean Comte de Montfort, pour le Duché de Bretagne, le Roy Philippes de Valois prit les armes pour le Comte de Blois son nepueu. Advient que par trahison le Comte de Montfort est pris dedans Nantes vers l' an mil trois cens quarante deux, & mené prisonnier à Paris dans la grosse tour du Louvre, où il demeura deux ans entiers, & depuis estant evadé il mourut, delaissée la Comtesse de Montfort sa veufve, sœur du Comte de Flandres, chargee d' un petit enfant, qui portoit aussi le nom de son pere. Pour avoir perdu son mary, elle ne perdit pas le courage: parce que elle reprit plusieurs villes & chasteaux, mesme la ville de Rennes, devant laquelle le Comte de Blois mit le siege, aidé des forces de France. Quoy voyant la Comtesse de Montfort, elle a recours au Roy d' Angleterre, avec lequel elle brasse le mariage de son fils avec sa fille. Pendant lequel pourparler Rennes est renduë au Comte de Blois, qui vint mettre le siege devant la ville d' Hemboust, où lors estoit la Comtesse de Montfort avec son fils, il liure l' assaut, qui est fortement soustenu par ceux de la ville: pendant lequel, la Comtesse, qui estoit armee de toutes pieces, alloit sur un coursier par toutes les ruës pour donner courage à ses gens, & n' y avoit Dame ny Damoiselle, qui ne servist de quelque chose: les unes portoient des pierres sur les murs, les autres des eaux boüillantes pour jetter sur les ennemis: mais cette Princesse non contente de cela, fit encore un traict de plus signalee entreprise: Car apres estre montee sur le haut d' une tour, pour considerer la contenance de ses ennemis, voyant leurs tentes vuides, & tous les Seigneurs estre ententifs à l' assaut, elle remonte à cheval suivie de 60. hommes armez, & sortant par une poterne d' un costé de la ville, qui n' estoit assiegé, donna droit jusques aux pavillons de son ennemy qu' elle brusla. Quoy voyant le Comte de Blois, qui pensoit estre trahy, se retira de l' assaut, & quelques jours apres leva le siege pour l' aller mettre devant Aulroy, laissant seulement quelque nombre de soldats pour boucler Hemboust, lesquels affuterent contre la ville quelques engins de guerre, qui endommagerent tellement ceux de dedans, qu' ils estoient resolus de se rendre sans les instantes prieres que leur feit cette vertueuse Princesse de superseder leur deliberation jusques à quelques jours, pendant lesquels elle se promettoit avoir secours des Anglois, lequel arrivé, les François furent contraincts de lever le siege: & encores que les hazards de la guerre fussent depuis longuement tenus en balance, si est-ce que pour fin, & closture de jeu, le Duché de Bretagne demeura en la Maison de Mont-fort. Le semblable n' advint pas à la fille de René Duc d' Anjou, & Comte de Provence, femme de Henry sixiesme, qui s' intituloit Roy de France & d' Angleterre: car combien que son mary estant pris par Richard, elle eust enlevé son fils de la fureur de son ennemy: & encore elle seule garenty des brigands au milieu d' une forest, & depuis eu la victoire de Richard en plein champ de bataille, auquel elle fit depuis couper la teste: si est-ce que puis apres, abandonnee des siens, elle perdit son mary & son fils, & demeura le Royaume és mains d' Edoüard fils de Richard.

6. 32. D' un amour prodigieux de Charlemagne envers une femme.

D' un amour prodigieux de Charlemagne envers une femme.

CHAPITRE XXXII.

Apres avoir discouru cy-dessus des assassins du corps, il ne sera hors de propos de parler des assassins de nos ames. Car si nous croyons aux Poëtes l' amour est le meurdre d' icelles. François Petrarque fort renommé entre les Poëtes Italiens, discourant en une Epistre son voyage de France, & de l' Allemagne, nous raconte que passant par la ville d' Aix, il apprit de quelques Prestres une Histoire prodigieuse qu' ils tenoient de main en main pour tres-veritable. Qui estoit que Charles le Grand, apres avoir conquesté plusieurs pays s' esperdit de telle façon en l' amour d' une simple femme, que mettant tout honneur & reputation en arriere, il oublia non seulement les affaires de son Royaume, mais aussi le soing de sa propre personne, au grand desplaisir de chacun: estant seulement ententif à courtiser cette Dame: laquelle par bon-heur commença à s' aliter d' une grosse maladie qui luy apporta la mort: Dont les Princes, & grands Seigneurs furent fort resjoüis, esperans que par cette mort, Charles reprendroit comme devant, & ses esprits & les affaires du Royaume en main: Toutes fois il se trouva tellement infatué de cet amour, qu' encores cherissoit-il ce cadaver, l' embrassant, baisant, accolant de la mesme façon que devant, & au lieu de prester l' oreille aux legations qui luy survenoient, il l' entretenoit de mille bayes, comme s' il eust esté plein de vie. Ce corps commençoit desja non seulement à mal sentir, mais aussi se tournoit en putrefaction, & neantmoins n' y avoit aucun de ses favoris qui luy en osast parler: dont advint que l' Archevesque Turpin mieux advisé que les autres, pourpensa que telle chose ne pouvoit estre advenuë sans quelque sorcellerie. Au moyen dequoy espiant un jour l' heure que le Roy s' estoit absente de la chambre commença de foüiller le corps de toutes parts, finalement trouva dans sa bouche au dessous de sa langue un anneau qu' il luy osta. Le jour mesme Charlemagne retournant sur ses premieres brisees, se trouva fort estonné de voir une carcasse ainsi puante. Parquoy, comme s' il se fust resveillé d' un profond sommeil, commanda que l' on l' ensevelist promptement. Ce qui fut fait: mais en contr'eschange de cette folie, il tourna tous ses pensemens vers l' Archevesque porteur de cet anneau, ne pouvant estre de là en avant sans luy, & le suivant en tous les endroits. Quoy voyant ce sage Prelat, & craignant que cet anneau ne tombast és mains de quelque autre, le jetta dans un lac prochain de la ville. Depuis lequel temps on dit que ce Roy se trouva si espris de l' amour du lieu, qu' il ne desempara la ville d' Aix, où il bastit un Palais, & un Monastere, en l' un desquels il parfit le reste de ses jours, & en l' autre voulut estre ensevely. Ordonnant par son testament que tous les Empereurs de Rome eussent à se faire sacrer premierement en ce lieu. Que cela soit vray, ou non, je m' en rapporte, tout ainsi que le mesme Petrarque, à ce qui en est. Si estoit ce un commun bruict, qui lors couroit en la ville d' Aix, lieu où reposent les os de Charlemagne. De laquelle histoire ou fable, Germantian a fort bien sceu faire son profit, pour averer, & donner quelque authorité à l' opinion de ceux qui soustiennent les malins esprits se pouvoir enclorre dans des anneaux. Or que Charlemagne fust grandement adonné aux Dames sur la fin de son âge, mesmes que ses propres filles, qui estoient à sa suitte, fussent quelque peu entachees du peché d' amourettes, Aimoïn le Moine vivant du temps du Debonnaire nous en est tesmoin authentique: Qui dit qu' à l' advenement de Louys Debonnaire à la Couronne, la premiere chose qu' il eut en recommandation fut de bannir de sa Cour les grands troupeaux de femmes qui y estoient demeurees depuis le decez de feu son pere: & aussi de confiner en certains lieux ses sœurs, qui ne s' estoient peu garentir de mauvais bruits, pour la dissoluë frequentation qu' elles avoient eüe avecques plusieurs hommes.