jueves, 27 de julio de 2023

7. 9. Si la Poësie Italienne a quelque advantage sur la Françoise.

Si la Poësie Italienne a quelque advantage sur la Françoise. 

CHAPITRE IX.

Jean le Maire de Belges en la dedicace de ses deux temples de Venus & de Pallas, nous raconte par forme d' avant-jeu, qu' il s' estoit trouvé en un lieu où deux beaux esprits disputoient laquelle des deux langues devoit emporter le dessus, ou a Françoise ou la Toscane. Chacun d' eux apportant diverses raisons de merite pour le soustenement de leurs dires. Mesmes celuy qui estoit pour le party François soustenoit que nostre langue n' estoit pas moins suffisante que l' autre, pour exprimer en bons termes ce que l' on sçavroit dicter ou excogiter, fust en amours, ou autrement, & alleguoit pour ses garends uns Jean de Mehun, Froissart, Meschinot, les deux Grebans freres, Moulinet, & Chastelain. L' autre au contraire qu' il n' y avoit aucune rencontre de l' une à l' autre, & que la Toscane passoit d' un grand avant-pas la Françoise, comme celle qui mieux à point sçavoit representer ses passions amoureuses & autres conceptions tant en vers, que prose, en quelque subject que ce fust: Et à cette fin produisoit uns Dante, Petrarque & Boccace, qui n' estoient de petits parreins. Grand procés certes contre lequel on ne peut alleguer, ny prescription, ny peremption d' instance. Parce que c' est un renouvellement de querelle qui se fait de jour à autre, entre les François & Italiens quand les occasions se presentent. Au demeurant ny l' Italie, ny la France n' avoient lors produit une infinité de beaux esprits, qui ont diversement embelly leurs vulgaires par leurs escrits. Partant il ne nous sera mal-seant sur ce different des parties, de faire une nouvelle production, & sur le peu que je produiray d' une part & d' autre donner à penser au Lecteur quel jugement il en doit faire. Car pour vous bien dire, je ne voy point que l' Italien ait aujourd'huy grand argument de se glorifier dessus nous par la comparaison des pieces que je vous representeray icy. L' un de leurs plus grands Poëtes est Arioste en son Roland le furieux, qui a divisé son livre par chapitres, qu' il appelle Chants, & chaque chapitre en divers huitains: entre lesquels chapitres, le plus digne est le troisiesme, où le Poëte se dispose de discourir l' advenement & avancement de la race d' Este, c' est à dire des Ducs de Ferrare, en l' honneur desquels il avoit dressé son Poëme. Voyons doncques de quel pied il nous saluë.

Chi mi dara la voce e le parole 

Convenienti à si nobli suggeto! 

Chi l' ale al verso presterà, che vole

Tanto charrivi à l' alti mio concetto? 

Molto maggior di quel furor, che suole 

Ben hor convien, chi mi riscaldi il petto, 

Che questa parte al mio Signor si debbe, 

Che canta gli avi onde origine hebbe.

C' est à dire. Qui me donnera la voix, & les paroles pour un subject si noble? Qui me prestera des aisles pour me faire voler, de sorte que je puisse arriver au point de ma haute conception? Il me faut icy beaucoup plus de fureur que mon ordinaire, pour me reschaufer la poitrine. Car je dedie à Monseigneur ce present Chant, dedans lequel je veux discourir dont ses ancestres prindrent leur source. Ces huict vers furent heureusement representez par ce Sixain de du Bellay sur l' entree de la Complainte du desesperé.

Qui prestera la parole

A la douleur qui m' assole, 

Qui donnera les accens

A la plainte qui me guide, 

Et qui laschera la bride, 

A la fureur que je sens? 

Sixain qui semble contre-balancer le Huitain de l' Arioste. Mais qui lira le premier couplet de nostre Ronsard en son Hymne triomfal qu' il avoit fait cinq ou six ans auparavant sur la mort de la Royne de Navarre ayeule de nostre Roy Henry le Grand, il dira n' y avoir rien de tel, ny en l' Arioste ny en du Bellay. 

Qui renforcera ma voix, 

Et qui fera que je vole 

Jusqu' au ciel à cette fois

Sous l' aisle de ma parole?

Or mieux que devant il faut

Avoir l' estomach plus chaut, 

De l' ardeur qui ja m' enflame 

D' une plus ardente flame: 

Ores il faut que le frein 

De Pegase qui me guide, 

Estant maistre de la bride 

Fende l' air d' un plus grand train. 

Si une amitié que je porte à ma patrie, ou à la memoire de Ronsard ne me trompe, vous le voyez icy voler par dessus les nuës, & Arioste se contenter de rouler sans plus sur la terre. Le semblable dirois-je volontiers d' un Sonnet qu' il emprunta des Amours de Bembe.

Si come suol, poi chel verno aspro e rio 

Parte, e da loco a le stagion migliori,

Uscir col giorno la Cervetta suori

Del suo dolce boschetto, almo natio.

Et hor' super un colle, hor longo d' un rio, 

Lontana de le case é da pastori, 

Gir secura pascendo herbette & fiori, 

Ovunque più la porta il suo desio.

Ne teme de saetta, ô d' altro inganuo, 

Se non quando é colta in mezo il fianco, 

Da buon arcier, chedi nascosto scocchi.

Cosi seuz a temer futuro affanno, 

Moss' io, Donna, quel di, che bei vostr' ochi

M' empiagar lasso, tuto 'l lata mancho, 

C' est à dire: Comme le meschant Hyver nous ayant quitté pour faire place à une meilleure saison, la Biche sort avecques le jour du doux bosquet son naïf repaire, & ores sur une colline, ores l' oree d' un rivage, loin de maisons, & de pastres se va paissant en toute seureté, d' herbelettes & de fleurs, la part où son desir la meine, ne craignant ny fleches, ny tromperies, sinon lors qu' elle se trouve feruë au travers du flanc, par un fin archer qui estoit aux embusches. Ainsi m' en allois-je ne me defiant d' aucun mal futur, le jour que vos beaux yeux, helas, me transpercerent le costé gauche. Il veut dire le cœur. Voyons je vous prie de quelle sorte Ronsard voulut mesnager ce Sonnet au 59. de ses premieres Amours.

Comme un Cheurveil, quand le Printemps destruit 

Du froid Hyver la poignante gelee, 

Pour mieux brouter la fueille emmiellee, 

Hors de son bois avec l' Aube s' enfuit.

Et seul, & seur, loing des chiens, loin de bruit, 

Or' sur un mont, or dans une valee, 

Or' pres d' une onde à l' escart recelee, 

Libre, folastre, où son pied le conduit:

De rets, ne d' arc, sa liberté n' a crainte,

Sinon alors que sa vie est atteinte 

D' un traict meurtrier empourpré de son sang,

Ainsi j' allois sans soupçon de dommage, 

Le jour qu' un œil sur l' Avril de mon aage

Tira d' un coup mille traicts dans mon flanc.

Bembe fut l' un des premiers personnages de son temps en quelque sujet où il s' adonna, tant en Latin que Toscan, toutes-fois je veux croire que s' il revenoit au monde, il voudroit bailler, & son Sonnet, & deux autres de ressoute en contr'eschange de cestuy. Baïf au second livre de sa Francine voulut suivre la piste de Ronsard, mais non avec pareille grace.

Comme quand le Printemps de sa robbe plus belle

La terre parera, lors que l' Hyver depart,

La biche toute gaye à la Lune s' en part

Hors de son bois aimé qui son repos recelle: 

De là va viander la verdure nouvelle,

Seure loin des bergers, dans les champs à l' escart,

Ou dessus la montagne, ou dans le val la part

Que son libre desir la conduit & l' appelle. 

Ny n' a crainte du traict, ny d' autre tromperie,

Quand à coup elle sent dans le flanc le boulet, 

Qu' un bon harquebusier caché d' aguet luy tire. 

Tel comme un qui sans peur de rien ne se deffie,

Dame j' allois le soir, que vos yeux d' un beau traict,

Firent en tout mon cœur une playe bien pire.

Sonnet que je ne veux pas dire n' estre beau, mais si j' en suis creu, il ne sert que de fueille à l' autre. Tout de la mesme façon que Baïf, aussi voyant ces deux Sonnets, j' ay voulu ces jours passez en faire un troisiesme, qui est tel.

Comme le Cerf, lors que l' Hyver nous laisse

Pour faire place à la verde saison, 

Avec le jour sort gay de son buißon,

A fin que d' herbe, & de fleurs il se paisse.

Et or' les monts, or' les eaux il caresse,

Loin des bergers, loin de toute maison,

N' ayant pauvret que les champs pour prison,

Et çà, & là, où son franc pied l' adresse.

De l' arc il n' a, ny de surprise peur, 

Quand à couvert l' arbalestrier trompeur,

Le vient servir d' une meurdriere flesche: 

Ainsi allois-je, helas! quand je te veis, 

Et qu' en mon cœur impiteuse, tu feis, 

De tes beaux yeux une sanglante bresche.

Je me donneray bien garde de dire que cestuy soit de meilleur alloy que celuy de Baïf, car le disant je serois un sot: Bien diray-je que si le sien & le mien n' excedent, pour le moins ne cedent-ils en rien à celuy de Bembe. Des Portes s' est voulu joüer sur ce Sonnet qu' un Poëte Italien fit pour un bracelet de cheveux qui luy avoit esté donné par sa maistresse.

O chiomé, parte de la treccia dôro 

Di qui sè Amor il laccio, ove fui colto 

Qual semplice angeletto, è da qual sciolto 

Non spero esset mai pui, se pria non moro.

Io vi bacio, io vi stringo, io vi amo, e adoro, 

Perche adombrasti gia quel sagro volto, 

Che a quanti in terra sono il pregio ha tolto, 

Ne lascia seuz a invidia il divin choro.

A voi diro gli affauni, & y pensier miei, 

Poi che longi e ma Donna, è parlar sero 

Mi nega aspra fortuna, è gli empi Dei. 

Laßo guarda se amor mi fa ben ciero, 

Quando cercar de scioglierme io do vrei, 

La rete porto, & le catene mero.

Le sens de ce Sonnet est. O cheveux faisans part de la tresse d' or, dont amour fait ses laz, par lesquels je fus pris comme un petit oiseau, sans espoir de m' en deschevestrer que par ma mort, je vous baise, vous estreins, vous aime & adore, pour avoir quelques-fois servy d' umbre à cette sacree face, qui surpasse toutes les autres en beauté, non sans quelque jalousie des Anges. Je vous raconteray mes fascheries & pensees, puis que mon mal-heur, & les Dieux cruels ne me permettent joüyr de la presence de ma Dame pour la gouverner. Helas! je vous prie de considerer si l' amour m' a bien aveuglé, veu que lors que je deurois chercher les moyens pour me deliurer, je porte sur moy mes rets & mes chaisnes.

Cette invention est beaucoup plus riche & pleine de belles pointes que celle de Bembe, laquelle des Portes a voulu imiter en cette façon. Cheveux, present fatal de ma douce contraire, 

Mon cœur plus que mon bras est par vous enchaisné, 

Pour vous je suis captif en triomphe mené, 

Sans que d' un si beau rets je cherche à me deffaire.

Je sçay qu' on doit fuir le don d' un adversaire, 

Toutes-fois je vous ayme, & me tiens fortuné, 

Qu' avec tant de cordons je sois environné: 

Car toute liberté commence à me desplaire.

O cheveux mes vainqueurs vantez vous hardiment 

D' enlacer dans vos nœuds le plus fidele amant, 

Et le cœur plus devot qui fut onc en servage,

Mais voyez si d' Amour je suis bien transporté,

Qu' au lieu de m' essayer à viure en liberté, 

Je porte en tous endroits mes ceps & mon cordage.

Mettez cestuy en la balance avecques l' Italien, vous les trouverez entre deux fers. Or comme j' ay trouvé cette invention fort belle, aussi ay-je voulu coucher de mon enjeu, sous le hazard de le perdre. Moulant sur cette premiere, une autre seconde telle que vous entendrez.

Bracelet qui es fait des cheveux de ma Dame,

Tissu de ses beaux doigts, du Dieu d' amour le las,

Ainçois nœud Gordian, que ny le coustelas,

Ny la mort ne sçavroient denoüer de mon ame. 

O beau don qui m' estreint, qui me lie, m' enflame, 

Je baise mille fois, & mil cet entrelas, 

Qui m' enchaine, & me fait, d' un gracieux soulas

Galiot de l' Amour, chevalier de sa rame:

Ores que mon Soleil s' est eclipsé de moy,

Pour tromper mes ennuis je devise avec toy,

Et faut que nuict & jour, enchaisné, je te porte.

Mais, ô Dieu! fut-il onc plus fantasque discours, 

Que pour me deliurer j' aye vers toy recours,

Toy qui lies mes bras a fin que je ne sorte?

La facilité de la Muse de des Portes l' a souvent porté à ce mesme sujet. Ayant dedans ses amours emprunté plusieurs Sonnets Italiens, lesquels mis au parangon l' un de l' autre, il seroit mal-aisé de juger, qui est le presteur, ou l' emprunteur. Chose que je vous dis, pour monstrer qu' il n' est rien impossible en nostre vulgaire François, selon la rencontre des esprits. Je vous laisse à part une infinité d' autres personnages de marque qui se sont estudiez à l' embellissement de nostre langue, sous le regne du grand Roy François, & depuis, desquels Jean le Maire de Belge n' avoit cognoissance, pour s' estre mis depuis sa mort en credit.

Quoy doncques? entens-je faire juger le procez, qui fut intenté de son temps, & dés pieça pendu au croc? Nenny. Demeurons dedans l' Apointé au Conseil, & que chacun cependant escrive tant d' une part que d' autre. Celuy qui escrira la mieux, & produira meilleures pieces, emportera en fin gain de cause. Chaque langue a ses proprietez naïfves, & belles manieres de parler, qui ne naissent point d' elles mesmes, ains s' enrichissent avec le temps, quand elles sont cultivees par les beaux esprits. Au regard de la nostre elle ne manque d' un ample magasin de beaux mots, pour mesnager nos conceptions bravement, quand elles tombent en bonnes mains. Comme vous pouvez recueillir de ce qui est de plus ou de moins, par les exemples que je vous ay representez en ce Chapitre: Et à tant de ce peu pourrez vous faire, comme je pense, le jugement d' un beau coup. Ab uno disce omneis. Et encore le recognoistrez vous plus amplement par les 2. Chapitres subsequents. Bien clorray-je cestui-cy par cet Arrest: Que les langues n' ennoblissent point nos plumes, mais au contraire les belles plumes donnent la vie aux langues vulgaires, & les beaux esprits à leurs plumes.

7. 8. Quelques observations sur la Poësie Françoise.

Quelques observations sur la Poësie Françoise. 

CHAPITRE VIII.

Je vous ay dit, & dis derechef, que la difference qu' il y a de la Poësie des Grecs & Romains avec la nostre, est que celle là mesure ses vers par certains nombres de pieds composez tant de longues que briefves syllabes sans rime. Nous au contraire faisons entrer dedans nos vers toutes sortes de syllabes, soient longues ou briefves sans aucun triage, ains suffit qu' ils aboutissent en parolles de pareille terminaison, que nous appellons Rimes. Quant à moy je me donneray bien garde de soustenir que les vers Grecs & Latins soient de plus mauvaise trempe que les nostres. J' admire en eux, non la façon, ains l' estoffe. Je veux dire les braves conceptions qui ont esté par eux exprimées, par uns, Homere, Hesiode, Pindare, Euripide, Catulle, Virgile, Horace, Ovide, Tibulle, Properce. Mais quand je considere qu' il n' y a eu que deux nations, la Gregeoise, & la Romaine, qui ayent donné cours aux vers mesurez, sans rime: au contraire qu' il n' y a nation en tout l' univers, qui se mesle de Poëtizer, laquelle n' use en son vulgaire, de mesmes rimes que nous au nostre, & que cela s' est naturellement insinué aux aureilles de tous les peuples dés & depuis sept & huict cens ans en çà, voire mesme dedans Rome, & dans toute l' Italie, je me fay aisément acroire, qu' il y a plus de contentement pour l' aureille en nostre Poësie qu' en celle des Grecs & Romains. Leurs vers, si ainsi me permettez de le dire, marchent & vont avec leurs pieds, & les nostres glissent & coulent doucement sans pieds, voire quand bien il n' y avroit point de rime, en laquelle toutesfois gist l' accomplissement de nos vers. Chose que Ronsard nous voulut representer par cette Ode, qui est la douziesme du troisiesme livre des Odes, sur la naissance de François, premier fils du Roy Henry deuxiesme.

En quel bois le plus separé

Du populaire, & en quel antre,

Prens tu plaisir de me guider,

O Muse, ma douce folie,

A fin qu' ardent de ta fureur,

Et du tout hors de moy je chante

L' honneur de ce Royal enfant:

J' escriray des vers non sonnez

Du Grec, ny du Latin Poëte,

Plus hautement, que sur le Mont

Le Prestre Thracien n' entonne

Le cor à Bacchus dedié,

Ayant la poictrine remplie

D' une trop vineuse fureur.

Je vous laisse le demeurant, pour vous dire que cette Ode contient une longue texture & trainee de vers qui n' ont point de pieds, comme les Grecs & Romains, & sont pareillement sans rimes, esquelles gist la principale grace des nostres: Ce neantmoins vous les voyez nous succer l' aureille par leur douceur, autant & plus que tous les Exametres & Pentametres des autres, desquels pour cette cause il ne faut mandier les vers mesurez: car de combien se rend nostre Poësie plus douce, quand elle est accomplie de la rime, en laquelle, comme j' ay dit, reside sa principale beauté? Vous ayant mis devant les yeux ce premier fondement, je ne douteray de vous discourir les particularitez, que l' on trouve en nostre Poësie Françoise, laquelle, comme vous sçavez, gist en vers, le vers est fait par les dictions: la diction par les syllabes; Je commenceray doncques par les syllabes, & vous diray que nostre vers peut estre composé de deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, dix & douze syllables. Toutes ces especes de vers nous sont frequentes & familieres, horsmis celles de deux syllabes, dont toutesfois nous trouvons trois exemples dedans Marot en ses 24. & 25. Chansons, & en l' un de ses Epigrammes commençant par ce mot Linote: Je vous representeray icy seulement sa vintquatriesme Chanson.

Quand vous voudrez faire une amie,

Prenez-la de belle grandeur:

En son esprit non endormie,

En son tetin bonne rondeur:

Douceur

En cœur,

Langage

Bien sage,

Dansant, chantant par bons accords,

Et ferme de cœur & de corps.

Et quant aux vers de douze syllabes, que nous appellons Alexandrins, combien qu' ils proviennent d' une longue ancienneté, toutesfois nous en avions perdu l' usage. Car lors que Marot en insere quelques uns dedans ses Epigrammes ou Tombeaux, c' est avec cette suscription, Vers Alexandrins, comme si c' eust esté chose nouvelle & inaccoustumee d' en user, pource qu' à toutes les autres, il ne baille point cette touche. Le premier des nostres qui les remeit en credit, fut Baïf en ses Amours de Francine, suivy depuis par du Bellay au livre de ses Regrets, & par Ronsard en ses Hymnes: & finalement, par du Bartas, qui semble l' avoir voulu renvier sur tous les autres en ses deux Sepmaines, auquel toutesfois je trouve beaucoup, non de Virgile, ains de Lucain.

Et est une chose qu' il nous faut grandement noter, que jamais l' aureille Françoise ne peut porter des vers de neuf syllabes, dont la derniere finit en rime masculine, comme qui diroit. 

Je respecte sur tous mon Ronsard,

Car je le trouve plein de grand art.

Y ayant en cecy je ne sçay quelle discordance de voix qui ne peut estre mesnagee par nous. Sur l' avenement du Roy Charles neufiesme, y eut un certain homme que l' on nommoit en François du Poeiz, & en Latin Podius, qui se frottoit aux robbes de nos meilleurs Poëtes, lequel ne pouvant attaindre à leur parangon, voulut par un esprit particulier escrire en cette enjance de vers, mais il y perdit son François. Le semblable est-il entre nous des vers d' unze syllabes. Car combien que la beauté de la Poësie Italienne gise en ces vers, empruntez des Hendecasyllabes Latins, esquels Catulle s' est fait appeller le Maistre: Mesmes que l' Italien les employe ordinairement en ses œuvres Heroïques, comme nous voyons Arioste l' avoir fait en son Roland le furieux, & Tasso en sa Hierusalem recousse: Toutesfois nous n' en avons jamais peu faire nostre profit en

France. Bien sçay-je que d' un vers dont le masculin est de huict syllabes, vous en pouvez faire un feminin de neuf, pour exemple.

Ne verray je point que ma France,

Comme en cas semblable d' un vers masculin de dix syllabes, vous le faites feminin de unze, comme par exemple.

Tu m' as rendu la force & le courage.

Mais c' est pour autant que ces deux vers finissent par l' E feminin, auquel les deux dernieres syllabes sont tenuës seulement pour une, parce que cest E mis en la closture d' un vers ne represente qu' un demy son. Il n' y a voyele en nostre vulgaire qui nous soit si familiere que l' E, dont nous faisons l' un masculin, qui se prononce tout de son plain, comme René, Aimé, Honoré: & l' autre que nous appellons feminin, lequel par un racourcissement de langage ne se prononce qu' à demy, comme femme, Rome, homme, orme. Mais laissant à part l' E masculin, la proposition est tres-vraye & tres-certaine en nostre Poësie Françoise, que tous mots qui ne tombent point soubs la terminaison derniere de l' E feminin, sont appellez masculins de quelque genre, & partie d' oraison qu' ils soient. Ce dont il nous faut souvenir pour les raisons que pourrez cy apres entendre. Or entre tous ces vers il y en a quelques uns où l' on observe la cesure. Nous appellons cesure une petite pause que l' on fait sur le milieu des vers. Et faut noter qu' il n' y en a que deux especes ausquelles elle soit necessaire. C' est à sçavoir aux quatre premieres syllabes du vers de dix syllabes, que Ronsard en son art Poëtic a appellé vers Heroïque, & aux six premieres des Alexandrins. Par exemple, pour vers Heroïque.

Entre les traicts de sa jumelle flame 

Je vey Amour, qui son arc desbandoit. 

Pour l' Alexandrin.

Puisque Dieu qui les cœurs des grands Roys illumine, 

Sire, vous a fait voir des vostres la ruine.

Si vous ostez la cesure, je veux dire l' hemistich & demy vers qui se trouve en ces deux manieres de vers, non seulement vous en ostez la grace, mais qui plus est ne sçavriez recognoistre le vers, ainsi que le pourrez voir par ces deux lignes. 

Je me veux ramentevoir à vous deux, 

Cestuy est de dix syllabes.

Je vous ayme par dessus toutes les beautez.

Cestuy est de douze syllabes, & neantmoins de l' un & de l' autre vous ne pouvez recueillir que deux lignes, & non deux vers. Bien sçay-je que Baïf en l' une de ses Chansons, voulut faire des vers de dix syllabes sans observer cette regle.

Oyez amans, oyez le plus nouvel ennuy

Que jamais ayez ouy,

De moy lors que me plain n' ayant dequoy:

Le ciel n' a rien laissé de ses riches thresors 

Pour m' orner esprit & corps 

Qui ont assujecti à mon mal malheur 

Tant d' hommes de valeur.

Ainsi va le demeurant de la Chanson, dans laquelle en chaque couplet, le troisiesme vers qui est de dix syllabes, est sans l' observation de la cesure au demy vers. Je voy bien que ce fut d' un propos par luy deliberé, toutesfois sans propos si j' en suis creu: Car en cela je ne voy aucune forme de vers. En tous les autres, horsmis de ces deux especes, la cesure n' est point necessaire.

Quelques uns ont estimé que ces Hemistiches, ou demy vers estoient de pareille nature que la fin du vers, & que quand ils se terminoient par l' E feminin, il ne falloit point craindre de les faire suivre d' une consonante, comme si cest E se fust mangé de soy-mesme tout ainsi qu' en la fin du vers. Posons par exemple au vers Heroïque.

Si de mon ame quelque pitié avez.

Ou en l' Alexandrin.

Si mon ame jalouze vers tous les vents se tourne.

Qui est un vice. Car il faut pour rendre le vers accomply, que l' E feminin soit embrassé par une voyelle suivante. Parquoy je diray.

Si de mon ame avez quelque pitié

Si mon ame jalouze à tous les vents se tourne.

Et de cecy la raison est, d' autant que l' E feminin fermé dedans le corps du vers, suivy d' une consonnante fait une syllabe entiere. Nous appellons cette cesure qui tombe en l' E feminin, la Couppe feminine, en laquelle Marot par la seconde impression de ses œuvres recognut avoir failly par la premiere, & que de ce il avoit esté adverty par Jean le Maire de Belges en cest hemistiche: O Melibée, de la version du Titirus de Virgile. Et pour cette cause corrigeant cette faute en la seconde impression, mist. 

O Melibée amy doux & parfait,

Et en un autre suivant.

O Melibe' je vey ce jeune enfant.

Ostant par une apostrophe l' E feminin, pour ne retomber en cette premiere faute.

Tout ce que j' ay cy dessus deduit regarde particulierement les syllabes dont nos vers prennent leur naissance, je veux maintenant parler de l' Economie generale qui se trouve en nostre rime. Laquelle est double, l' une qu' on appelle rime plate, l' autre croisee. La plate est quand sans aucun entrelas de rimes nous faisons deux vers d' une mesme consonance, puis deux de suitte d' une autre, & ainsi de tout le demeurant de l' œuvre: rime dont sont composez les Poëmes de longue haleine, comme la Franciade de Ronsard, ses Hymnes, les deux sepmaines du Bartas, les deux premiers livres de la Metamorphose d' Ovide de la traduction de Marot, les quatre & sixiesme de Virgile translatez par du Bellay. Et y a encores certaines autres pieces non de si longue tire, esquelles cette espece de rime est employee, comme aux Epistres, Elegies, Eglogues, Panegyrics, Complaintes, Dialogues, Comedies, Tragedies, voire de fois à autres, aux Epigrammes, tombeaux, & Odes par un droit de passe-partout dont elle est privilegiee, fors toutesfois aux Sonnets.

Quant à la rime croisee, c' est celle en laquelle nous entrelassons nos rimes les unes dedans les autres, laquelle est proprement destinée pour les Poëmes qui se font par couplets: Mot qui est de nostre ancien estoc, & dont il me plaist plustost user que de celuy de Stance, que par nouvelle curiosité nous mandions sans propos de l' Italien. Tels sont nos Quatrains, Sixains, Huictains, Dixains: Tels les autres couplets de cinq, sept, neuf, unze, douze, & quatorze vers, dont nous diversifions nos Odes, Chansons, & Sonnets, & anciennement nos Chants Royaux, Balades, & Rondeaux.

Icy je vous prie de peser qu' en ces deux manieres de rimes, nos Poëtes anciens ne faisoient aucun triage du masculin & feminin. Car quelquesfois en la rime plate ils mettoient une longue suite de masculins, sans l' E feminin, puis plusieurs E feminins ensemble sans masculins, ainsi qu' il leur tomboit en la plume, voire aux chansons mesmes. La plus belle chanson que fit Melin de Sainct Gelais, est celle qui se commence: Laissez la verte couleur, ô Princesse Cytherée. En laquelle vous ne trouverez aucun ordre des masculins & feminins, ains y sont mis pesle-mesle ensemblement: Qui est une grande faute aux Chansons, qui doivent passer par la mesure d' une mesme musique. Cela mesme fut pratiqué par du Bellay non seulement en sa traduction des deux livres de l' Eneide, mais aussi en son Olive, & encores en ses premiers vers Lyriques. Ce dont il se voulut excuser en une Epistre liminaire. Mais je ne puis recevoir cette excuse en payement de la part de celuy, que l' on disoit estre venu pour apporter nouvelle reformation à la Poësie ancienne. Joint que luy mesme non seulement ne s' en excuse, mais impute à superstition le contraire en son deuxiesme livre de la Defense, & illustration de la langue Françoise.

Le premier qui y mist la main fut Ronsard, lequel premierement en sa Cassandre, & autres livres d' Amours, puis en ses Odes garda cette police de faire suivre les masculins & feminins sans aucune meslange d' iceux. Et sur tout dedans ses Odes, sur le reglement du masculin & feminin, par luy pris au premier couplet, tous les autres qui suivent vont d' un mesme fil. Quelquesfois vous en trouverez de tous feminins, quelquesfois de tous masculins: chose toutesfois fort rare, mais tant y a que sur le modelle du premier couplet, sont composez tous les autres. Et au regard de la rime plate, il observa tousjours cette ordonnance, que s' il commençoit par deux feminins, ils estoient suivis par deux masculins, & la suite tout d' une mesme teneur comme vous voyez en sa Franciade. Si par deux masculins, ils estoient suivis par deux feminins sans entreveschure. Ordre depuis religieusement observé par du Bellay, Baïf, Belleau, & specialement par des Portes, Bertas, Pibrac. Et cette difference de l' ancienne Poësie d' avecques la nouvelle, vous la pourrez plus amplement remarquer en deux diverses traductions d' un mesme autheur. Hugues Salel, soubz le regne de François premier traduisit de Grec en François unze livres de l' Iliade d' Homere: Traduction qui fut du commencement caressee d' un tres-favorable accueil. Et toutesfois la mesme confusion du masculin & feminin y estoit, comme en celle de Marot des deux livres de la Metamorphose d' Ovide, Amadis Jamin ayant repris les arrhemens de Salel, & translata le demeurant de l' Iliade, avecques toute l' Odyssée: vous n' y trouvez rien de cette meslange ancienne, ains avoir en tout & par tout observé la nouvelle ordonnance de Ronsard sur la suite du masculin & feminin.

Je ne veux interposer icy mon jugement, pour sçavoir si cette nouvelle diligence est de plus grand merite & recommandation que la nonchallance de nos vieux Poëtes. Celuy qui sera pour le nouveau party comparera nostre Poësie à ces beaux parterres qui se font par allignemens en nos maisons de parade. Et l' autre qui favorisera l' ancien, dira que nostre Poësie estoit lors semblable aux prez verds qui sont pesle mesle diversifiez de plusieurs fleurettes, dont la naïfveté de nature ne se rend moins agreable, que l' artifice des hommes qui se trouve dans nos jardins. De moy je seray pour la nouvelle reformation, puisque tel en est aujourd'huy l' usage.

Mais je ne passeray soubs silence ce que j' ay observé en Clement Marot. Car aux Poëmes qu' il estimoit ne devoir estre chantez, comme Epistres, Elegies, Dialogues, Pastorales, Tombeaux, Epigrames, Complaintes, Traduction des deux premiers livres de la Metamorphose, il ne garda jamais l' ordre de la rime masculine & feminine. Mais en ceux qu' il estimoit devoir, ou pouvoir tomber soubs la musique, comme estoient ses Chansons, & les cinquante Pseaumes de David par luy mis en François, il se donna bien garde d' en user de mesme façon, ains sur l' ordre par luy pris au premier couplet, tous les autres furent de mesme cadence, voire que le premier couplet estant, ou tout masculin, ou tout feminin, tous les autres sont aussi de mesmes. Suivant cette leçon, Estienne Jodelle, en la maniere des anciens Poetes, en sa Comedie d' Eugene, & Tragedies de Cleopatre, & Didon, de fois à autres, mais rarement a observé la nouvelle coustume, mais en tous les Choeurs qu' il estimoit devoir estre chantez par les jeunes gars ou filles, il a faict ainsi que Marot en ses Chansons. Et vrayement je ne m' esmerveille point qu' entre une infinité de livres François, je n' en voy un tout seul qui ait esté autant de fois imprimé comme le Marot. Car combien qu' il n' eust le sçavoir correspondant à Ronsard, si avoit-il une facilité d' esprit admirable, qui l' a fait tellement honorer par les nostres, que s' il se presente quelque Epigramme, ou autre trait de gentille invention, dont on ne sçache le nom de l' auteur, on ne doute de le luy attribuer, & l' inserer dedans ses œuvres, comme sien.

C' est un heur qui luy est peculier entre les François, comme à Ausone entre les Latins. Il fut le premier Poete de son temps, Ronsard est celuy que je mets devant tous les autres, sans aucune exception & reserve. Car ou jamais nostre Poesie n' arriva, & n' arrivera à sa profection, ou si elle y est arrivee c' est en nostre Ronsard qu' il la faut telle recognoistre. Et toutesfois pour vous monstrer quel estat on doit faire de Marot, il feit un Panegyric sur la victoire obtenuë par François de Bourbon Seigneur d' Anguen à Carignan. Victoire pareillement depuis trompetee par Ronsard en la septiesme du premier livre de ses Odes. Je souhaitte que le lecteur se donne patience de les lire tous deux, pour juger puis apres des coups. Car encores que le style de Ronsard soit beaucoup plus relevé, que celuy de Marot, si trouvera-il subject loüant l' un de ne mettre en nonchaloir l' autre.

7. 7. De la grande flotte de Poëtes que produisit le regne du Roy Henry deuxiesme, & de la nouvelle forme de Poësie par eux introduite.

(Chapitre VI?)

De la grande flotte de Poëtes que produisit le regne du Roy Henry deuxiesme, & de la nouvelle forme de Poësie par eux introduite.

CHAPITRE VII.

Tous ceux dont j' ay parlé cy-dessus estoient comme une pepiniere, sur laquelle furent depuis entez plusieurs autres grands Poëtes sous le regne de Henry deuxiesme. Ceux-cy du commencement firent profession de plus contenter leurs esprits, que l' opinion du commun peuple. Le premier qui franchit le pas fut Maurice Seve Lionnois, lequel ores qu' en sa jeunesse eust suivy la piste des autres, si est-ce qu' arrivant sur l' aage il voulut prendre autre train. Se mettant en butte, à l' imitation des Italiens, une Maistresse qu' il celebra sous le nom de Delie, non en Sonnets, (car l' usage n' en estoit encore introduict) ains par dixains continuels, mais avecques un sens si tenebreux & obscur, que le lisant je disois estre tres-content de ne l' entendre, puis qu' il ne vouloit estre entendu. Du Bellay le recognoissant avoir esté le premier en ce subject, disoit en un Sonnet qu' il luy adressa.

Gentil esprit ornement de la France, 

Qui d' Apollon sainctement inspiré, 

T' es le premier du peuple retiré 

Loin du chemin tracé par l' ignorance.

Et au cinquante-neufiesme Sonnet de son Olive il l' appelle Cigne nouveau, voulant dire que par un nouveau dessein il avoit banny l' ignorance de nostre Poësie: & toutes-fois la verité est qu' il affecta une obscurité sans raison. Qui fut cause que son Livre mourut avec luy, au moins ne vois-je point que depuis il ait couru par nos mains. Vers ce mesme temps estoit Theodore de Beze, brave Poëte Latin & François. Il composa sur l' advenement du Roy Henry en vers François, le Sacrifice d' Abraham, si bien retiré au vif, que le lisant il me fit autresfois tomber les larmes des yeux. Et la traduction du demeurant des Pseaumes de David monstre ce qu' il pouvoit faire, encores qu' il n' ait si heureusement rencontré que Clement Marot en ses cinquante. Auparavant qu' il eust changé de Religion, il avoit pour compagnon Jacques Pelletier du Mans, qui commença aussi d' habiller nostre Poësie à la nouvelle guise, avec un tres-heureux succés. C' est luy qui remua le premier des nostres, l' Ortographe ancienne de nostre langue, soustenant qu' il falloit escrire comme on prononçoit, & en fit deux beaux livres en forme de Dialogues, où l' un des entre-parleurs estoit Beze. Et apres luy, Louys Meigret entreprit cette querelle fortement: mesme contre Guillaume des Autels, qui sous le nom retourné de Glaumalis du Veselés, s' estoit par Livre exprés mocqué de cette nouveauté. Querelle qui fut depuis reprise & poursuivie par ce grand Professeur du Roy Pierre de la Ramee, dit Ramus, & quelque temps apres par Jean Antoine de Baïf. Tous lesquels ores qu' ils conspirassent à mesme poinct d' Ortographe, & qu' ils tinssent pour proposition infaillible qu' il falloit escrire comme on prononçoit, si est-ce que chacun d' eux usa de diverses Ortographes, monstrans qu' en leur reigle generale, il n' y avoit rien si certain que l' incertain, & de fait leurs Ortographes estoient si bizarres, ou pour mieux dire si bigarrees, qu' il estoit plus mal-aisé de lire leurs œuvres que le Grec. Cecy soit par moy dit en passant, comme estans choses qui fraternisent ensemble, que la Poësie & Grammaire.

Ce fut une belle guerre que l' on entreprit lors contre l' ignorance, dont j' attribuë l' avant-garde à Seve, Beze, & Pelletier, ou si le voulez autrement, ce furent les avant-coureurs des autres Poëtes. Apres se mirent sur les rangs, Pierre de Ronsard Vandomois, & Joachim du Bellay Angevin, tous deux Gentils-hommes extraits de tres-nobles races: ces deux rencontrerent heureusement, mais principalement Ronsard. De maniere que sous leurs enseignes plusieurs se firent enroller. Vous eussiez dit que ce temps-là estoit du tout consacré aux Muses. Uns Pontus de Tiart, Estienne Jodelle, Remy Belleau, Jean Anthoine de Baïf, Jacques Tahureau, Guillaume des Autels, Nicolas Denisot, qui par l' Anagramme de son nom se faisoit appeller Comte d' Alcinois, Louys le Carond, Olivier de Magny, Jean de la Peruse, Claude Butet, Jean Passerat, Louys des Masures qui traduisit tout le Virgile: moy mesme sur ce commencement mis en lumiere mon Monophile qui a esté favorablement recueilly, & à mes heures de relasche, rien ne m' a tant pleu que de faire des vers Latins ou François. Tout cela se passa sous le regne de Henry II. Je compare cette brigade à ceux qui font le gros d' une bataille. Chacun d' eux avoit sa maistresse qu' il magnifioit, & chacun se promettoit une immortalité de nom par ses vers, toutes-fois quelquesuns se trouvent avoir survescu leurs Livres.

Depuis la mort de Henry, les Troubles qui survindrent en France pour la Religion, troublerent aucunement l' eau que l' on puisoit auparavant dans la fontaine de Parnasse, toutes-fois reprenant peu à peu nos esprits, encores ne manquasmes nous de braves Poëtes que je mets pour l' arriere-garde, uns Philippes des Portes, Scevole de Saincte-Marthe, Florent Chrestien, Jacques Grevin, les deux Jamins, Nicolas Ramin, Jean Garnier, le Seigneur de Pibrac, Guillaume Saluste Seigneur du Bartas, le Seigneur du Perron, & Jean Bertaut, avec lesquels je ne douteray d' adjouster mes Dames des Roches de Poictiers mere & fille, & specialement la fille, qui reluisoit à bien escrire entre les Dames, comme la Lune entre les Estoilles.

Auparavant tous ceux-cy, nostre Poësie Françoise consistoit en Dialogues, Chants Royaux, Ballades, Rondeaux, Epigrammes, Elegies, Epistres, Eglogues, Chansons, Estreines, Epitaphes, Complaintes, Blasons, Satyres, en forme de Coq à l' Asne. Pour lesquels Thomas Sibilet fit un Livre qu' il appella l' Art Poëtique François, où il discourut de toutes ces pieces, & la plus part desquelles despleut aux nouveaux Poëtes. Parce que du Bellay en son second Livre de la deffense de la langue Françoise commande par exprés au Poëte qu' il veut former, de laisser aux Jeux Floraux de Tholose, & au Puy de Rouen, les Rondeaux, Ballades, Virelais, Chants Royaux, Chansons, & Satyres en forme de Coq à l' Asne, & autres telles espisseries (ce sont ses mots) qui corrompoient le goust de nostre langue, & ne servoient sinon à porter tesmoignage de nostre ignorance. Et au lieu de cela introduisismes entre autres deux nouvelles especes de Poësie. Les Odes dont nous empruntasmes la façon des Grecs & Latins: & les Sonnets, que nous tirasmes des Italiens. Mot toutes-fois qu' ils tiennent de nostre ancien estoc, comme nous apprenons d' une Chanson du Comte Thibaut de Champagne, qui estoit long temps devant Petrarque pere des Sonnets Italiens.

Autre chose ne m' a amour méry, 

De tant que j' ay esté en sa baillie,

Mais bien m' a Diex par sa pitié gary,

Quand eschappé je suis sans perdre vie, 

Onc de mes yeux si belle heure ne vy

S' en oz-je faire encor maint gent party,

Et maint Sonnet, & mainte recoirdie.

C' estoit à dire qu' il vouloit encore faire & recorder maintes belles Chansons. Car pour bien dire, & le mot d' Ode qui est Grec, & celuy de Sonnet ne signifient autre chose que Chansons: Combien que l' Italien ait depuis faict distinction entre le Sonnet & Chanson. On retint de l' ancienne Poësie, l' Elegie, l' Eglogue, l' Epitaphe, & encores la Chanson, nonobstant l' advis de du Bellay.

Celuy qui premier apporta l' usage des Sonnets, fut le mesme du Bellay par une cinquantaine dont il nous fit present en l' honneur de son Olive, lesquels furent tres-favorablement receus par la France, encores que je sçache bien que Ronsard en une Elegie qu' il adresse à Jean de la Peruse, au premier Livre de ses Poëmes, l' attribuë à Pontus de Tiart: mais il s' abuse, & je m' en croy, pour l' avoir veu & observé. L' Olive couroit par la France deux ans, voire trois, avant les Erreurs amoureuses de Tiart. Et pour le regard de l' Ode, si vous parlez à Ronsard il se vante en la mesme Elegie, en avoir esté le premier inventeur, en laquelle faisant mention comme Dieu avoit resveillé les esprits à bien escrire. 

De sa faveur en France il resveilla

Mon jeune esprit, qui premier travailla

De marier les Odes à la Lire.

Si à du Bellay, il vous dira que ce fut Pelletier: Ainsi le dit-il escrivant à Ronsard contre les Poëtes envieux de son temps: Auquel lieu il se trompette aussi avoir esté le premier sonneur de Sonnets

Pelletier me fit premier 

Voir l' Ode dont tu és Prince, 

Ouvrage non coustumier 

Aux mains de nostre Province, 

Le Ciel voulut que j' apprinsse 

A le raboter ainsi, 

A toy me joignant aussi, 

Qui cheminois par la trace 

De nostre commun Horace, 

Dont un Daimon bien appris, 

Les traits, la douceur & la grace 

Grava dedans tes esprits.

La France n' avoit qui pust 

Que toy remonter de cordes 

De la Lyre le vieil fust, 

Où bravement tu accordes 

Les douces Thebaines Odes, 

Et humblement je chantay 

l' Olive, dont je plantay 

Les immortelles racines. 

Par moy les graces divines 

Ont fait sonner aßez bien

Sur les rives Angevines 

Le Sonnet Italien.

Quant à la Comedie & Tragedie, nous en devons le premier plant à Estienne Jodelle: Et c' est ce que dit Ronsard en la mesme Elegie. 

Apres Amour la France abandonna, 

Et lors Jodelle heureusement sonna 

D' une voix humble, & d' une voix hardie, 

La Comedie avec la Tragedie,

Et d' un ton double, ore bas, ore haut,

Remplit premier le François escharfaut. 

Il fit deux Tragedies, la Cleopatre, & la Dion, & deux Comedies, la Rencontre, & l' Eugene. La Rencontre ainsi appellee, parce qu' au gros de la meslange, tous les personnages s' estoient trouvez pesle-mesle casuellement dedans une maison, fuzeau qui fut fort bien par luy demeslé par la closture du jeu. Cette Comedie, & la Cleopatre furent representees devant le Roy Henry à Paris en l' Hostel de Reims, avec un grand applaudissement de toute la compagnie: Et depuis encore au College de Boncour, où toutes les fenestres estoient tapissees d' une infinité de personnages d' honneur, & la Cour si pleine d' escoliers que les portes du College en regorgeoient. Je le dis comme celuy qui y estois present, avec le grand Tornebus en une mesme chambre. Et les entreparleurs estoient tous hommes de nom: Car mesme Remy Belleau, & Jean de la Peruse, joüoient les principaux roulets. Tant estoit lors en reputation Jodelle envers eux. Je ne voy point qu' apres luy beaucoup de personnes ayent embrassé la Comedie: Jean de Baïf en fit une sous le nom de Taillebras, qui est entre ses Poëmes: Et la Peruse une Tragedie sous le nom de Medee, qui n' estoit point trop descousuë, & toutes-fois par malheur, elle n' a esté accompagnee de la faveur qu' elle meritoit. 

Tu vins apres (dit Ronsard) enchoturné Peruse, 

Espoinçonné de la Tragique Muse, 

Muse vraiment qui t' a donné pouvoir 

D' enfler tes vers, & grave concevoir 

Les tristes cris des miserables Princes 

A l' impourveu chassez de leurs Provinces, 

Et d' irriter de changemens soudains 

Le Roy Creon, & les freres Thebains, 

Ha cruauté! & de faire homicide 

De ses enfans la sorciere Colchide.

Il ne fait aucune mention de Robert Garnier: D' autant qu' il ne s' estoit encores presenté sur le Theatre de la France: Mais depuis que nous l' eusmes veu, chacun luy en donna le prix, sans aucun contredit, & c' est ce que dit de luy mesme Ronsard sur sa Cornelie.

Le vieil Cothurne d' Euripide 

Est en procez entre Garnier, 

Et Jodelle, qui le premier 

Se vante d' en estre le guide, 

Il faut que ce procez on vuide, 

Et qu' on adjuge le Laurier 

A qui mieux d' un docte gosier 

A beu de l' onde Aganippide

S' il faut espelucher de prés 

Le vieil artifice des Grecs, 

Les vertus d' un œuvre, & les vices. 

Le subject & le parler haut,

Et les mots bien choisis, il faut 

Que Garnier paye les espices.

Il dit vray, & jamais nul des nostres n' obtiendra Requeste civile contre cet Arrest. Au demeurant Garnier nous a fait part de huit Tragedies toutes de choix & de grand poids, de la Porcie, de la Cornelie, du Marc Anthoine, de l' Hippolite, la Troade, l' Antigone, des Juifves, & de la Bradamante. Poëmes qui à mon jugement trouveront lieu dedans la posterité.

Quant aux Hymnes, & Poëmes Heroïques, tel qu' est la Franciade, nous les devons seul & pour le tout à Ronsard: Lequel ne pouvoit estre du commencement gousté, les uns disoient qu' il estoit trop grand vanteur, les autres trop obscur: Obscurité toutesfois qui n' estoit telle que celle de Seve: D' autant qu' elle provenoit de sa doctrine & hautes conceptions: Et eut Melin de sainct Gelais pour ennemy, lequel estant de la volee des Poëtes du regne de François premier, par une je ne sçay quelle jalousie, degoustoit le Roy Henry de la lecture de ce jeune Poëte, & par un privilege de son aage, & de sa barbe, en fut quelque temps creu. Qui fut cause qu' en cette belle Hymne que Ronsard fit sur la mort de la Royne de Navarre, apres avoir imploré tout secours & aide de cette ame sanctifiee, il conclud par ces trois vers: 

Et fais que devant mon Prince 

Desormais plus ne me pince 

La tenaille de Melin. 

Ce dernier vers fut depuis changé en un autre, apres leur reconciliation: Car à vray dire Ronsard surmonta en peu de temps, & l' envie, & la mesdisance. Entre Ronsard & du Bellay estoit Estienne Jodelle, lequel ores qu' il n' eust mis l' œil aux bons livres comme les deux autres, si est-ce qu' en luy y avoit un naturel esmerveillable: Et de faict ceux qui de ce temps là jugeoient des coups, disoient que Ronsard estoit le premier des Poëtes, mais que Jodelle en estoit le Daimon. Rien ne sembloit luy estre impossible, où il employoit son esprit. A cause dequoy Jacques Tahureau se joüant sur l' Anagramme de son nom & surnom, fit une Ode dont le refrain de chaque couplet estoit, 

Io le Delien est né. 

Et du Bellay le loüant comme l' outrepasse des autres au subject de la Tragedie, Comedie, & des Odes, luy addressa un Sonnet en vers rapportez, dont les six derniers estoient. 

Tant que bruira un cours impetueux, 

Tant que fuira un pas non fluctueux, 

Tant que soudra d' une veine immortelle  

Le vers Tragic, le Comic, le Harpeur, 

Ravisse, coule, & vive le labeur 

Du grave, doux, & copieux Jodelle. 

Telle estoit l' opinion commune, voire de ceux qui mettoient la main à la plume, comme vous voyez par ce Sonnet: Telle estoit celle mesme de Jodelle: Il me souvient que le gouvernant un jour entre autres sur sa Poësie (ainsi vouloit-il estre chatoüillé) il luy advint de me dire, que si un Ronsard avoit le dessus d' un Jodelle le matin, l' apres-disnée Jodelle l' emporteroit de Ronsard: & de fait il se pleut quelquesfois à le vouloir contrecarrer. L' une des plus aggreables chansons de Ronsard est celle qui se trouve au second livre de ses Amours, où il regrette la liberté de sa jeunesse.

Quand j' estois jeune, ains qu' une amour nouvelle 

Ne se fust prise en ma tendre moelle

Je vivois bien-heureux: 

Comme à l' envy les plus accortes filles

Se travailloient par leurs flames gentilles 

De me rendre amoureux.

Mais tout ainsi qu' un beau poulain farouche, 

Qui n' a masché le frein dedans sa bouche 

Va seulet escarté:

N' ayant soucy sinon d' un pied superbe 

A mille bonds fouler les fleurs & l' herbe,

Vivant en liberté.

Ores il court le long d' un beau rivage,

Ores il erre en quelque bois sauvage,

Fuyant de saut en saut: 

De toutes parts les Poutres hannissantes 

Luy font l' Amour, pour neant blandissantes 

A luy qui ne s' en chaut.

Ainsi j' allois desdaignant les pucelles 

Qu' on estimoit en beauté les plus belles, 

Sans respondre à leur vueil:

Lors je vivois amoureux de moy-mesme, 

Content & gay sans porter face blesme, 

Ny les larmes à l' œil.

J' avois escrite au plus haut de la face, 

Avecques l' honneur, une agreable audace 

Pleine d' un franc desir: 

Avec le pied marchoit ma fantaisie

Où je voulois, sans peur ne jalousie, 

Seigneur de mon plaisir. 

Par le demeurant de la chanson il recite de quelle façon il se fit esclave de sa Dame, & la misere en laquelle il fut depuis reduit: Au contraire Jodelle sur la comparaison du mesme cheval voulut braver Ronsard: & monstrer combien la servitude d' amour luy estoit douce: Le premier couplet de la chanson est.

Sans estre esclave, & sans toutesfois estre 

Seul de mon bien, seul de mon cœur le maistre, 

Je me plais à servir, 

Car celle-là que j' aime, & sers, & prise, 

Plus que tout bien, plus que toute franchise,

Me peut à soy rauir. 

Je vous passeray icy plusieurs autres sixains, pour venir à ceux ausquels il s' est esgayé en la comparaison du cheval dompté encontre le Poulain farouche.

Moy maintenant (combien que passé j' aye 

Des premiers ans la saison la plus gaye) 

En mes ans les plus forts, 

Non au Poulain semblable je veux estre, 

Mais au cheval qui brave sert son maistre, 

Et se plaist en son mords.

Ayant hanny de joye apres sa bride, 

Cognoist la main qui adroite le guide, 

Le peuple à l' environ.

L' orgueil premier de son marcher admire,

Et plus encor' quand on le volte & vire 

Au gré de l' esperon.

Laissant ce peuple en un moment derriere, 

Comme un vent vole au bout de sa cariere, 

Les courbetes, les bonds,

La bouche fresche, & l' haleine à toute heure

Vont tesmoignans, qu' en œuvre encor' meilleure

Il est bon sur les bons.

Doux au monter, & plus doux à l' estable, 

Au maniment, & craintif, & traitable, 

Aux combats furieux.

Sans cesse il semble aspirer aux victoires, 

Presque jugeant que du maistre les gloires 

Le rendront glorieux.

Je ne suis point presomptueux, de sorte 

Que tout cecy je vueille qu' on raporte 

D' un tel cheval, à moy,

Mais je diray que l' amour qui commande 

Amon (à mon) esprit, autant comme il demande 

Le sent prompt à sa loy. 

Tel frein luy plaist, tel esperon l' excite,

Il s' orgueillit souz l' Amour du merite 

De son gentil vouloir.

Portant l' Amour, sa charge il ne dédaigne, 

Ains volontaire, en sa sueur se baigne, 

S' en faisant plus valoir. 

Cela s' appelle à bien assaillir, bien defendre. Il y a plusieurs autres couplets, que de propos deliberé je laisse. Il estoit d' un esprit sourcilleux, & voyant que tous les autres Poëtes s' adonnoient à la celebration de leurs Dames, luy par un privilege special voulut faire un livre qu' il intitula Contr'amours, en haine d' une Dame qu' il avoit autresfois affectionnée, dont le seul premier Sonnet faisoit honte à la plus part de ceux qui se mesloient de Poëtiser, tant il est hardy.

Vous qui à vous presque egalé m' avez 

Dieux immortels dés la naissance mienne,

Et vous Amans, qui souz la Cyprienne 

Souvent par morts amoureuses vivez:

Vous que la mort n' a point d' Amour privez, 

Et qui au fraiz de l' umbre Elisienne, 

En rechantant vostre amour ancienne, 

De vos moitiez les umbres resvivez.

Si quelquesfois ces vers au Ciel arrivent, 

Si quelquesfois ces vers en terre vivent, 

Et que l' Enfer entende ma fureur:

Apprehendez combien juste est ma haine, 

Et faites tant que de mon inhumaine,

Le Ciel, la Terre, & l' Enfer ait horreur.

Vous pouvez juger par ce riche eschantillon quel estoit le demeurant de la piece. Bien vous diray-je qu' il m' en recita par cœur une vingtaine d' autres, qui secondoient cestuy de bien prés. Et toutesfois pour avoir desdaigné de mettre en lumiere ses Poësies de son vivant, ce que le Seigneur de la Motte Conseiller au grand Conseil en recueillit apres son decés, & dont il nous a fait part, est si esloigné de l' opinion qu' on avoit de luy, que je le mescognois: Je ne dy pas qu' il n' y ait plusieurs belles pieces, mais aussi y en a-il une infinité d' autres, qui comme passevolans, ne devoient estre mises sur la monstre. Et me doute qu' il ne demeurera que la memoire de son nom en l' air commes de ses Poësies.

Quant à Pontus du Tiard ses Erreurs amoureuses furent du commencement fort bien recueillies, mais je ne voy point que la suite des ans luy ait depuis porté telle faveur. Aussi semble que luy mesme avec le temps les condamna, comme celuy qui adonna depuis son esprit aux Mathematiques, & en fin sur la Theologie. En tant que touche Remy Belleau, je le pense avoir esté en matiere de gayetez un autre Anacreon de nostre siecle. Il voulut imiter Sannazar aux œuvres dont il nous a fait part. Car tout ainsi que Sannazar Italien en son Arcadie, fait parler des Pasteurs en prose, dedans laquelle il a glassé toute sa Poësie Toscane: Aussi a fait le semblable nostre Belleau dans sa Bergerie. La Poësie de Philippes des Portes est doux-coulante, mais sur tout je loüe en luy, qui est Abbé de Bon-port, la belle retraicte qu' il a faite, & comme il est surgy à Bon port, par sa traduction de tous les Pseaumes de David en nostre langue Françoise. Marot nous en avoit seulement donné cinquante: Beze tout le demeurant, & des Portes seul a fait tous les deux ensemble. Au regard de tous les autres, encores que diversement ils meritent quelque Eloge en bien ou en mal, si ne veux-je asseoir mon jugement sur eux, pour ne donner suject aux autres de juger de moy. Je me contenteray seulement de dire que jamais chose ne fut plus utile & agreable au peuple que les Quadrains du Seigneur de Pibrac, & les deux Sepmaines du Seigneur du Bartas: Ceux-là nous les faisons apprendre à nos enfans pour leur servir de premiere instruction, & neantmoins dignes d' estre enchassez aux cœurs des plus grands: Et quant à du Bartas, encores que quelques uns ayent voulu controler son style comme trop enflé, si est-ce que son œuvre a esté embrassé d' un tres favorable accueil, non seulement pour le digne suject qu' il prit à la loüange non d' une Maistresse, ains de Dieu, mais aussi pour la doctrine, braves discours, paroles hardies, traits moüelleux & heureuse deduction dont il est accompagné.

Mais sur tout on ne peut assez haut loüer la memoire du grand Ronsard. Car en luy veux-je parachever ce chapitre. Jamais Poëte n' escrivit tant comme luy, j' enten de ceux dont les ouvrages sont parvenus jusques à nous: & toutesfois en quelque espece de Poesie, où il ait appliqué son esprit, en imitant les anciens, il les a ou surmontez, ou pour le moins esgalez. Car quant à tous les Poetes qui ont escrit en leurs vulgaires, il n' a point son pareil. Petrarque s' est rendu admirable en la celebration de sa Laure, pour laquelle il fit plusieurs Sonnets & Chansons: Lisez la Cassandre de Ronsard, vous y trouverez cent Sonnets qui prennent leur vol jusques au Ciel, vous laissant à part les secondes & troisiesmes Amours de Marie & d' Helene. Car en ses premieres, il voulut contenter son esprit, & aux secondes & troisiesmes vacquer seulement au contentement des sieurs de la Cour. Davantage Petrarque n' escrivit qu' en un subject, & cestuy en une infinité. Il a en nostre langue representé uns Homere, Pindare, Theocrite, Virgile, Catulle, Horace, Petrarque, & par mesme moyen diversifié son style en autant de manieres qu' il luy a pleu, ores d' un ton haut, ores moyen, ores bas. Chacun luy donne la gravité, & à du Bellay la douceur. Et quant à moy il me semble que quand Ronsard a voulu doux-couler, comme vous voyez dans ses Elegies, vous n' y trouverez rien de tel en l' autre. Quant aux œuvres de du Bellay, combien que du commencement son olive fut favorisee, si croy-je que ce fut plustost pour la nouveauté que pour la bonté: Car ostez trois ou quatre Sonnets qu' il deroba de l' Italien, le demeurant est fort foible. Il y a en luy plusieurs belles Odes & Chants Lyriques, plusieurs belles traductions, comme les quatre, & sixiesme livres de Virgile, toutesfois il n' y a rien de si beau que ses Regrets qu' il fit dans Rome, ausquels il surmonta soy-mesme. En Ronsard, je ne fais presque nul triage. Tout y est beau, & ne m' émerveille point que Marc Antoine de Muret, & Remy Belleau, tous deux personnages de marque, n' ayent estimé faire tort à leurs reputations, celuy-là en commentant les Amours de Cassandre, & cestuy, celles de Marie. Ses Odes, ses Sonnets, ses Elegies, ses Eglogues, ses Hymnes, brief, tout est admirable en luy: Mais sur toutes choses ses Hymnes (dont il fut le premier introducteur) & entre elles celles des quatre Saisons de l' annee: Entre ses Odes, celle qu' il fit sur la mort de la Royne de Navarre, qu' il appelle Hymne triomphal, & l' autre qu' il adressa à Messire Michel de l' Hospital, depuis Chancelier en France. Il n' est pas qu' en folastrant il ne passe d' un long entreject des Poëtes qui voulurent faire les sages. Lisez son voyage d' Erceveil, où il contrefaict l' yurongne, en une drolerie qu' il fit avec tous ceux de sa volee, rien n' est plus accomply ny plus Poëtique. Lisez un petit livre qu' il intitula, les Folastries, où il se dispensa plus licentieusement qu' ailleurs de parler du mestier de Venus (& pour cette cause l' a depuis retranché de ses œuvres) il seroit impossible de vous en courroucer sinon en riant. Il desroboit hardiement des traicts d' uns & autres Autheurs, mais avecques un larcin si noble & industrieux, qu' il n' eut point craint d' y estre surpris: Le premier plant des quatre Saisons de l' année est dans une vingtaine de vers Maccaronées de Merlin de Cocquaïo. Et sur ce plant il en bastit quatre Hymnes qui sont des plus belles de toutes les siennes.

Apres qu' il se fut reconcilié à l' envie, il eut cette faveur du ciel, que nul ne mettoit la main à la plume, qui ne le celebrast par ses vers: & sur la recommandation de son nom, aux jeux Floraux de Tholose, on luy envoya l' Englantine. Soudain que les jeunes gens s' estoient frottez à sa robbe, ils se faisoient accroire d' estre devenus Poëtes. Qui fit puis apres tres-grand tort à ce sacré nom de Poëte. D' autant qu' il se presentoit tant de petits avortons de Poësie, qu' il fut un temps, que le peuple se voulant mocquer d' un homme, il l' appelloit Poëte. Les Troubles estans survenus vers l' an 1560. par l' introduction de la nouvelle Religion, il escrivit contre ceux qui estoient d' advis de la soustenir par les armes. Il y avoit plusieurs esprits gaillards de cette partie, qui par un commun vœu armerent leurs plumes contre luy. Je luy imputois à malheur, que luy auparavant chery, honoré, courtisé par tant d' escrits, se fust fait nouvelle bute de mocquerie: mais certes il eut interest de faire ce coup d' essay: parce que les vers que l' on escrivit contre luy, esguiserent & sa colere, & son esprit de telle façon que je suis contraint de me desmentir, & dire qu' il n' y a rien de si beau en tous ses œuvres que les responses qu' il leur fit, soit à *repouss leurs injures, soit à haut-loüer l' honneur de Dieu, & de son Eglise. Conclusion * luy qui d' ailleurs en commune conversation estoit plein de modestie, magnifie sur toutes choses son nom par ses vers, & luy promet immortalité en tant de belles & diverses manieres, que la posterité avroit honte de ne luy *enterine* requeste. Ses envieux s' en mocquoient, ne cognoissans que c' est le propre d' un Poete de se loüer, mesmes qu' il a diversifié cette esperance en tant de sortes, qu' il n' y a placard plus riche dans ses œuvres que cestuy-cy. Grand Poete entre les Poetes, mais tres-mauvais juge, & Aristarque de ses livres: Car deux ou trois ans avant son decés estant affoibly d' un long aage, affligé des gouttes, & agité d' un chagrin & maladie continuelle, cette verve poëtique, qui luy avoit auparavant fait bonne compagnie, l' ayant presque abandonné, il fit reimprimer toutes ses Poësies en un grand, & gros volume, dont il reforma l' oeconomie generale, chastra son livre de plusieurs belles & gaillardes inventions qu' il condamna à une perpetuelle prison, changea des vers tous entiers, dans quelques uns y mit d' autres paroles, qui n' estoient de telle pointe, que les premieres: Ayant par ce moyen osté le garbe qui s' y trouvoit en plusieurs endroicts: Ne considerant que combien qu' il fust le pere, & par consequent estimast avoir toute authorité sur ses compositions: si est-ce qu' il devoit penser qu' il n' appartient à une fascheuse vieillesse de juger des coups d' une gaillarde jeunesse. Un autre peut estre reviendra apres luy qui censurera sa censure, & redonnera la vie à tout ce qu' il a voulu supprimer. J' enten qu' il y a quelqu'un (que je ne veux nommer) qui veut regrater sur ses œuvres quand on les reimprimera. S' il est ainsi, ô miserable condition de nostre Poete: d' estre maintenant exposé souz la jurisdiction de celuy qui s' estimoit bien honoré de se frotter à sa robbe quand il vivoit.