domingo, 30 de julio de 2023

7. 15. Vers François tant rapportez que retournez. Fin du septiesme Livre des Recherches.

Vers François tant rapportez que retournez.

CHAPITRE XV.

Encore ne veux-je oublier ce beau distique rapporté, qui fut fait sur les œuvres de Virgile.

Pastor, arator, eques, pavi, colui, superavi

Capras, rus, hostes, fronde, ligone, manu.

Et d' autant que ce distique, par un ordre de paroles, se rapporte au premier plant du sens projetté par l' Autheur, nous appellasmes en nostre vulgaire, telle maniere de vers Rapportez: esquels je ne trouve point que les autres ayent donné depuis quelque touche en la langue Latine, à propos, ores qu' ils l' ayent voulu faire. Tellement que je le puis presque dire avoir esté l' unique entre les anciens. 

Mais en nostre France, nous ne sommes voulus demeurer courts, singulierement de nostre temps. Je le dis ainsi, parce que nos devanciers François n' en sçavoient aucunement l' usage. Le premier des nostres qui à bonnes enseignes nous en ouvrit la porte fut Estienne Jodelle, en ces deux vers de traict plus admirables, que non seulement il les fit Rapportez, mais mesurer à la Grecque & à la Romaine.

Phoebus, Amour, Cypris, veut sauver, nourrir & orner,

Ton vers, cœur & chefs d' ombre, de flamme, de fleurs.

Moy mesme ay voulu depuis traduire en François le Pastor Latin, qui n' est pas œuvre sans espines.

Pastre, fermier, soldat, je pais, laboure, vains

Troupeaux, champs, ennemis, d' herbe, charruë, mains.

De fraische memoire, Jacques Faureau de Congnac jeune homme de grande promesse me fit present de ce Quatrain, auquel non content de l' avoir r'envié de 2. vers, il se voulut d' abondant joüer sur la rencontre des paroles par luy mises en œuvre.

La Mer, l' Amour, la Mort, embrasse, enflame, entame, 

La Nef, l' Amant, l' Humain, qui va, qui voit, qui vit,

Son flot, son feu; sa faux, rongne, ronge, rauit, 

Le cours, le cœur, le corps, à l' âge, à l' homme à l' ame. 

Joachim du Belay en ses premieres Amours qu' il voua à son Olive.

Face le Ciel quand il voudra reviure

Lisippe, Apelle, Homere, qui le pris

Ont emporté sur tous humains espris,

En la statuë, au tableau, & au livre.

Pour engraver, tirer, escrire, en cuivre,

Peinture, & vers, ce qu' en vous est compris, 

Si ne sçavroit leur ouvrage entrepris,

Cizeau, pinceau, ou la plume bien suivre. 

Voila pourquoy ne faut que je souhaite, 

De l' engraveur, du peintre, & du Poëte,

Marteau, couleur, ou ancre, ma maistresse.

L' art peut errer, la main faut, l' œil s' escarte,

De vos beautez, mon cœur soit donc sans cesse,

Le marbre seul, & la table, & la charte.

Estienne Jodelle qui pensoit rien ne luy estre impossible en quelque suject auquel il voulust diversifier son esprit, en feit un autre. La maistresse qu' il s' estoit donnée portoit le nom de Diane, que les anciens Poëtes disoient estre la Lune au ciel, Diane dedans les forests & Proserpine aux enfers. Sur ces trois puissances, voicy le second Sonnet de ses Amours.

Des astres, des forests, & d' Acheron l' honneur, 

Diane au monde haut, moyen, & bas preside, 

Et ses chevaux, ses chiens, ses Eumenides guide, 

Pour esclairer, chasser, donner mort & horreur. 

Tel est le lustre grand, la chace, & la frayeur

Qu' on sent sous ta beauté, claire, prompte, homicide, 

Que le haut Jupiter, Phebus, & Pluton cuide, 

Son foudre moins porter, son arc, & sa terreur. 

Ta beauté par ses raiz, par son ret, par la crainte, 

Rend l' ame esprise, prise, & au martyre estreinte,

Luy moy, pren moy, tien moy, mais helas ne me pers 

Des flambeaux forts, & griefs feux, filets & encombres: 

Lune, Diane, Hecate, aux Cieux, terre, & enfers, 

Ornant, questant, gesnant, nos Dieux, nous, & nos umbres

Le Sonnet de du Bellay est vrayement d' une belle parure, pour monstrer par un certain ordre, que les beautez de sa Maistresse tant de corps, que d' esprit, ne pouvoient estre assez dignement representées par ces trois grands personnages, dont le premier estoit le parangon en l' imagerie, le second en la peinture, & le dernier en la Poësie: toutesfois ce Sonnet est entrecoupé de vers qui ne se raportent ainsi qu' il est requis en ce subject. Et quant à celuy de Jodelle, s' il vous plaist le considerer, vous y trouverez chaque vers porter de son lez, la rencontre de la Lune, Diane, & Hecate par tiers, toutesfois les voulant reprendre, & enfiler de la longueur du Sonnet, & vers pour vers, & mot pour mot, vous n' y trouverez pas le sens complet que desirez. C' est pourquoy Estienne Pasquier mon petit fils, s' est estudié de supleer ce defaut, au moins mal qu' il luy a esté possible, & si je ne m' abuze fort à propos.

O Amour, ô penser, ô Desir plein de flame,

Ton trait, ton faux object, ta rigueur que je sens, 

Me blesse, me nourrit, conduit mes jeunes ans 

A la mort, aux douleurs, au profond d' une lame. 

Injuste Amour, Penser, Desir cours à Madame, 

Porte luy, loge luy, fay voir comme presens, 

A son cœur, en l' esprit, à ses yeux meurtrissans, 

Le mesme trait, mes pleurs, les feux que j' ay dans l' ame. 

Force, fay consentir, contrain sa resistance, 

Sa beauté, son desdain, & sa fiere constance, 

A plaindre, à souspirer, à soulager mes vœux, 

Les tourmens, les sanglots, & les cruels suplices,

Que j' ay, que je chery, que je tiens pour delices, 

En aimant, en pensant, en desirant son mieux. 

Et parce que ce Sonnet est le premier des nostres, qui represente de son lez, & de son long, permettez moy que je le vous decouppe par forme d' une Anatomie.

O Amour - O penser - O Desir plein de flame,

Ton trait - Ton fol appas  - La rigueur que je sens,

Me blesse - Me nourrit - Conduit mes jeunes ans

A la mort - Aux douleurs - Au profond d' une lame,

Injuste Amour - Penser - Desir cours à Madame,

Porte luy - Loge luy - Fay voir comme presens,

A son cœur - En l' esprit - A ses yeux meurtrissans,

Le mesme trait - Mes pleurs - Les feux que j' ay dans l' ame:

Force - Fay consentir - Contrain sa resistance,

Sa beauté - Son desdain - Et sa fiere constance,

A plaindre - A souspirer - A soulager mes vœux,

Les tourmens - Les sanglots - Et les cruels suplices,

Que j' ay - Que je chery - Que je tiens pour delices, 

En aimant, - En pensant, - En desirant son mieux. 

Ny pour tout cela ne pensez pas que j' en estime nostre Poësie Françoise plus riche. Ce que je vous ay cy dessus deduit, est pour vous monstrer, que non seulement l' esprit du François, mais la langue, se peut transformer en autant d' objects, voire plus, que l' ancienne de Rome, & soubs un titre non moins bon, comme je vous feray paroir, par ce que je vous diray cy apres. Car ne pensez pas qu' ez vers qui se retournent lettre pour lettre, nous ne puissions faire en nostre langue ce que les Latins ne firent anciennement en la leur, c' est à dire y trouver du sens, & au cours commun du vers, & à son envers. Ainsi le voy-je avoir esté pratiqué par Monsieur Dallé Conseiller du Roy, & Maistre des Comptes, à Paris, admirable en toutes gentillesses d' esprit.

Un a un, elle nu a nu. 

Vers auquel vous trouverez un sens accomply, de quelque façon que le tourniez. Car en somme c' est un Amant timide, qui desire gouverner sa maistresse seul a seul, & elle plus hardie veut que ce soit nu à nu. Le Comte de Chasteauneuf m' a envoyé ces deux autres.

Elle difama ma fidelle, 

C' est une Damoiselle aimee, qui s' estant confiee de ses Amours à une autre, avroit esté par elle malheureusement diffamee, dont son serviteur se plaint.

A reveler mon nom, mon nom relevera. 

Voulant dire que revelant, & mettant son nom en lumiere ii le relevera de l' oubly envers une posterité, & à la suite Favereau dont je vous ay cy dessus parlé, par une belle jalouzie d' esprit feit cettuy cy. 

L' ame des uns jamais n' use de mal. 

Il ne faut pas grand truchement pour interpreter cettuy cy, non plus que les trois autres, & à tant on peut voir de combien ils passent les premiers Latins, recitez par Sidonius Apollinaris. Le Seigneur de la Croix Marron, Gentilhomme Angoulmoisin mien amy, ayant veu une partie de nos vers retrogrades Latins, & François, lisant mes Recherches, m' envoya trois Quatrains parlant de l' Eucharistie qui se trouve au Sacrement de l' Autel, dont je vous feray part de ces quatre vers.

O mystere sacré, ô saincte Antipathie,

De l' Eglise (l' Espouse au Roy fils de David,)

Mon ame fut rauie alors que dans l' Hostie, 

DIEV ELLE VEID RENGE, REGNER DIEV ELLE VEID.

Je me mettrois volontiers de la partie, pour vous estaler un autre vers de ma boutique, dedans lequel par maniere de passetemps, outre la rencontre des lettres, j' ay fait entrer deux sens contraires approchans de ces deux Adages. Homo homini Deus: Homo homini Lupus. Jamais conjoint avecques l' affirmative, signifie un Tousjours, avecques la negative un Oncques: ce mot de A, est tantost verbe, tantost conjonction, par exemple, Je seray à jamais vostre serviteur, cela veut dire A tousjours. Je ne feus à jamais vostre serviteur c' est à dire, Je ne le feus oncques. Item il a esté à luy, le premier a est un verbe, le second a est une conjonction. Cecy en brief presupposé voyons quel est mon vers, non sur l' Orthographe Françoise, qui est autre qu' on ne prononce, ains sur nostre commune prononciation.

L' un a jamais esté à l' un, 

Nul a esté jamais à nul. 

Qui est autant que si vous disiez, l' un a tousjours esté à l' un, nul a esté oncques à nul. Marchandise que je ne vous pleuvy pour bonne, ains me suffit que j' aye le premier ozé (ce qui n' avoit jamais esté) je ne diray essayé, ains pourpensé en Latin, & moins en François. C' est un premier coup d' essay, qui pourra occasionner ceux qui avront plus de loisir, & esprit que moy, de mieux faire.

Tout ce que j' ay deduit cy dessus, est pour vous monstrer que si nostre langue n' a le dessus en ce subject, pour le moins elle va du pair avecques la Latine. Ce que je n' oze bonnement dire és vers que voudrions tourner mot pour mot, c' est où il semble que perdions le pied; l' ordre, & structure ordinaire de nostre langage l' empesche, ainsi que pourrez voir par ce Huitain qui est de mon creu.

Ton ris, non ton caquet, ta beauté, non ton fard, 

Ton œil, non ton venin, ta faveur non tes las, 

Ton accueil, non ton art, tes traits, non tes appas, 

Surpris, & nauré m' ont le cœur de part en part 

Cuisant, ains doux attrait, port lourd, ains gratieux, 

Mon malheur, ains mon bien, mon glas, ains ô ma flame, 

De mon cœur, de mon tout, de moy, & de mon ame, 

Un present je veux faire à toy, & non aux Cieux.

Retournez ces huit vers de la fin jusques au commencement vous y trouverez le contraire, mais avecques une contrainte telle que je pense toute autre chose qui se trouve au Latin pouvoir passer par l' alambic de nostre vulgaire, fors cette maniere de vers retournez, ainsi que pourrez voir par la rencontre de ceux cy.

Aux Cieux, & non a toy, je veux faire un present,

De mon ame, de moy, de mon tout, de mon cœur, 

O ma flame, ains mon glas, mon bien, ains mon malheur, 

Gratieux, ains lourd port, atrait doux, ains cuisant, 

De part en part le cœur m' ont nauré & surpris, 

Tes appas, non tes traits, ton art, non ton accueil, 

Tes laz, non ta faveur, ton venin, non ton œil, 

Ton fard, non ta beauté, ton caquet, non ton ris. 

Cela s' appelle vouloir aucunement estre singe, mais non representer au vif le Latin. Remy Belleau me communiqua autresfois trois Sonnets qu' il avoit tracez sur ce modelle, toutesfois ne les trouvant aujourd'huy dedans ses œuvres cela me fait juger qu' il les condamna, & neantmoins comme rien ne nous est impossible en nostre Vulgaire, quand le sçavons bien mesnager, encores y trouverez vous place pour eux, voire à meilleures enseignes, que les deux distiques qui nous furent baillez pour exemples, par Diomedes, & Sidonius, contenans un subject sans subject. Les anciens Academiciens establissoient leur bien souverain sur trois manieres de biens, de l' Esprit, du corps, & de la fortune; opinion qui n' estoit pas trop lourde, ny peu sage mondaine, lequelle j' ay voulu vous representer par cette couplet de vers. 

Avoir tu veux bien souverain, 

Sçavoir, vertu, Chasteaux, corps sain. 

Tournez les, vous y trouverez le mesme, qui est besongner à l' Antique. Sain corps, chasteaux, vertu, sçavoir, 

Souverain bien veux tu avoir. 

Et encores dés pieça je rendis ou imitay de bien pres les deux vers de Philelphe laus tua, non tua fraus.

Bienfait, non dol, loz non faveur, 

Fait t' ont donner tresgrand honneur, 

Honneur tresgrand donner t' ont fait, 

Faveurs, non loz, dol, non bienfait.

Tant y a que combien que ce ne soit sans peine & travail, toutesfois vous voyez que nostre vulgaire n' en est incapable, non plus que le Latin, sur lequel nous l' avons renvié d' un point, ayant d' abondant introduit des vers couppez, lesquels recitez de leur long, portent un sens, & couppez, un contresens. De quelle façon est ce mien quatrain.

Je ne sçavrois Maistresse vous haïr, 

Vous embrasser, c' est le bien où j' aspire, 

Mais je voudrois, vous embrassant, joüir, 

Vous delaisser j' y trouverois du pire. 

Je ne sçavrois Maistresse vous haïr, 

Vous embrasser, C' est le bien où j' aspire,

Mais je voudrois, Vous embrassant, joüir,

Vous delaisser,         J' y trouverois du pire.

Je vous ay servy de ces jeux Latins, & François, non que je ne trouve bon que nostre Poëte s' y amuse (car en ce subject qui moins en fait, mieux il fait) ains affin que chacun cognoisse que si en la langue Latine quelques uns ne furent depourveuz de tels passetemps aussi ne le sommes nous en la nostre, & desire que le lecteur prenne ce Chapitre, & le precedant de moy, comme une grotesque entre les tapisseries: & neantmoins encores ne me puis-je taire, m' estant embarassé dedans ces broüilleries. Car quelquesfois nous entons sur des vers Latins, des paroles Françoises, & y a aux uns, & aux autres du sens. Ainsi voyons nous aux Quantitez de Mathurin Cordier ce vers.

Iliades curae quae mala corde serunt, 

Il y a des curez, qui mal accordez seront.

Vers que j' ay voulu imiter par ce Distique. Je l' adresse à un nommé Charles, homme qui prenoit plaisir de broüiller le public, mais en ses affaires domestiques estoit timide le possible, qui me sembloit n' estre par viure.

Tu, tu Carle moues tot, tantos, saeua rependens,

Et tam Carle time, eïa age tu ne peris?

Tu', tu' Car; le mauvais tost, tantost se va rependant. 

Et tant Carle t' y mets, & ia agé tu ne peris.

Mestier toutesfois dont je me mocque, & auquel qui moins en fait, mieux il fait.


Fin du septiesme Livre des Recherches.

viernes, 28 de julio de 2023

7. 14. Des vers Latins retournez, & comme les François de nostre temps ont emporté en cecy le devant des anciens.

Des vers Latins retournez, & comme les François de nostre temps ont emporté en cecy le devant des anciens.

CHAPITRE XIV.

Je veux sur ce sujet discourir plus que nul autre n' a fait par le passé: Quoy faisant, paravanture la façon passera l' estoffe, & me feray-je tort à moy-mesme espinochant sur ces pointilles. Diomede au 3. Livre de sa Grammaire, appelle cette engeance de vers Reciprocos, Sidonius Apollinaris, Evesque de Clairmont en Auvergne, au 9. de ses Epistres, Recurrentes, nostre Estienne Tabourot, Retrogrades, dedans ses Bigarrures: Et moy je les veux nommer Retournez. Desquels il y a deux especes, les uns qui se tournent lettre pour lettre, & les autres mot pour mot. De la premiere Sidonius nous en a representez trois. 

Roma tibi subito, motibus ibit amor, 

Si bene te tua laus taxat, sua laute tenebis 

Sole medere pede, ede perede melos. 

Il y en a encore un autre ancien qui court par nos mains.

Signa te signa temere me tangis & angis. 

Esquels 4. vers se trouvent mesmes paroles par l' envers, comme à l' endroict, mais non aucun sens: hors-mis que pour y en trouver au dernier, quelques gausseurs font parler le diable, lequel portant en l' air sur son eschine un Chrestien, luy conseille de faire le signe de la Croix, a fin que ce luy fust sujet de le precipiter du haut en bas.

Et neantmoins ne pensez pas que la langue Latine ne soit capable de recevoir sens en telle maniere de vers: ainsi le verrez vous par cestuy, dont Messire Honoré d' Urfé Comte de Chasteau-neuf m' a fait part, Seigneur qui par un bel entrelas, sçait mester les bonnes lettres avec les armes.

Robur aue tenet, & te tenet Eua rubor. 

Qui est à dire que Eva avoit esté la premiere honte de nostre malheur, & Ave la premiere force de nostre restablissement. Symbolizant en cecy avec ce bel hymne de nostre Eglise, chantant que la Salutation Angelique pour nous sauver, changea ce fascheux nom d' Eva, en celuy d' Ave. Ce vers est une meditation spirituelle pour le salut de nos ames: Celuy que je vous reciteray cy-apres, sera une meditation temporelle pour la guerison de nos corps; auquel un sage medecin promet tout doux traitement à son malade, moyennant que pendant sa fievre il se vueille abstenir de trop boire.

Mitis ero, retine leniter ore sitim. 

Dont Nicolas Borbonius, que j' estime l' un des premiers Poëtes Latins de nostre temps, & de nostre France, m' a fait present. L' un & l' autre vers, quelques jours apres par moy monstrez à Pierre Reignol jeune Advocat plein de doctrine, & digne d' une grande fortune, me promist d' en faire non un, ains deux, ausquels y avroit accomplissement de sens. Et comme je m' en fusse mocqué, estimant que ce fust une rodomontade d' esprit, ou un Parturient montes d' Horace, toutes-fois quelque temps apres il me vint saluër de ce distique, que je trouvay admirable, apres l' avoir digeré, sur l' explication qu' il m' en fit.

Nemo *grec tetigit: tax attigit, & *grec, omen,

Ore feris animos, omina si refero.

Vous me trouverez d' un grand loisir, voulant deschifrer ce Distique, toutes-fois parce qu' en cette petite piece il y va de l' honneur de nostre France, pour monstrer ce que le François peut, és choses esquelles il tourne son entendement, je vous prie m' excuser, & n' estimer que je pedentise, si je fais un petit commentaire sur ces deux vers. Omen (en Latin) est augurium, & futurae rei enunciatio, ore hominis, quasi divino furore perciti. Tax est sonitus quem facit percußio. Et en cette signification, Plaute en sa Comedie de Persa en usa. Mot qui nous est autant naturel qu' au Romain, quand faisant joüer le marteau de nos portes, nous disons pour la rencontre du son, qu' il fait Tactac. Ces deux paroles de cette façon expliquees, ce jeune homme par forme d' un court Dialogue, introduit deux entreparleurs, dont le premier en ces mots, Nemo *grec tetigit omen, dit que le sage homme n' avoit jamais touché aux fantasques predictions des choses futures, comme estans une vraye folie: Et l' autre de contraire advis, respond brusquement, voire par une hyperbole, en ces mots, Tax attigit & *grec omen: voulant dire que non seulement le sage y avoit atouché, par la voix de l' homme inspiré d' une fureur, mais aussi le son d' un Tactac le luy pouvoit donner à entendre, & tout suivamment adjouste ce Pentametre.

Ore feris animos, omina si refero.

Tu me guerroyes de paroles, quand je soustien cette opinion de prediction. Et combien que je ne face grand estat de cette denree, toutes-fois comme je ne laisse aisément passer les occasions, lors qu' elles se presentent aussi depuis quelques jours en ça, me trouvant en une compagnie, où un personnage d' honneur portoit le surnom de Souriz, où sur la rencontre de ce mot ayant esté attaqué par quelque gausseur, je pris pour le mocqué sa defense, remonstrant que si en Latin il portoit le nom d' une bestiole, Sum Mus, on en pouvoit faire un Summus: Qui estoit d' un petit, faire un bien grand personnage. Et comme cette parole me fut à l' impourveu tombee de la bouche, aussi tost que je fus retourné en ma maison, sans grandement marchander avec ma plume je fis ce vers.

Sum Mus ore, sed is Sum Mus, si des ero Summus.

Vers paravanture champignon d' esprit, qui doit prendre fin du jour de sa naissance, dedans lequel toutes-fois vous trouverez non seulement un sens accomply, ains un contre-sens du petit au grand, sans aucun changement en la suitte des lettres, quand de ces deux mots Sum Mus, sur le commencement du vers, vous en faites un Summus en un mot vers la fin, & derechef voulant retourner le vers de ce Summus vous faites Sum Mus: & semblablement de Sum Mus premier mot un Summus. Et pour vous monstrer que le François est inimitable en matiere d' imitation, voire qu' il fait à ceux la leçon qu' il veut imiter, je vous diray que le 14. de Mars l' an 1574. un jeune Advocat Provençal, nommé André Mestrail, m' estant venu visiter, me dit qu' ayant leu mes Recherches, & signamment l' un des Chapitres du 6. Livre, cela avroit en luy excité un nouveau desir de braver toute l' ancienneté. Et de fait me fit present d' un petit Poëme de 54. vers Latins, tous retrogrades, qu' il avoit fait nouvellement imprimer, le tout comme un Roma tibi subitò, & au dessous un sien commentaire, pour monstrer qu' ils estoient intelligibles. Oeuvre peut estre aucunement ingrat d' un costé, mais grandement miraculeux d' un autre: Et je serois plus ingrat envers sa memoire, puis qu' il avoit esté induit à ce faire par ce qu' il avoit veu de moy, si je n' en faisois icy une honneste commemoration. 

Il s' estudia par un commentaire qui est au dessous, de monstrer qu' en toute cette suite de vers, il y a quelque sens. Chose dont je ne veux estre garend. Mais soit qu' il y en ait ou non, tant y a que ce sont 54. vers retrogrades, qui contrecarrent à bon escient les 4. de l' ancienneté. Toutes-fois comme ce Poëme est plein d' uns & autres Epigrammes, aussi y trouverez vous l' Epitaphe de nostre Roy Henry le Grand, que l' Autheur introduit parlant. Duquel je me contenteray de vous faire part du premier distique, que j' employe pour tout le tombeau, comme portant un sens bel & accomply.

Arca serenum me gere Regem (munere sacra)

Solem, aulas, animos, omnia salva, melos.

Discours que j' ay pris plaisir de vous mettre en son jour, non seulement en faveur de nostre France, mais aussi pour vous monstrer que s' il y a eu faute de sens aux quatre premiers vers Latins anciens, elle proceda des ouvriers, & non de la langue qu' ils mirent en œuvre, je veux dire de la langue Latine. Et suis cependant tres-glorieux, que non seulement nos François ayent de nostre temps fait sur ce sujet, honte à l' ancienneté, mais aussi que par hazard j' en aye esté aucunement le premier promoteur. Bien sçay-je qu' en cecy il y a plus de curiosité, que d' estude: mais si les anciens, voire un Evesque de marque, ne desdaignerent d' en faire estat par leurs livres, pourquoy ne le renvierons nous sur eux? Voila ce qui concerne les vers Latins, qui se retournent lettre pour lettre. Car quant à ceux qui se tournent mot pour mot, Diomede nous tesmoigne que l' usage en fut introduit de son temps, & remarque ces deux-cy, qui furent comme je croy de sa forge.

Veliuolis mare pes, fidentes tramite tranant, 

Caerula verrentes sic freta Nereïdes.

Et Sidonius Apollinaris ces deux autres.

Praecipiti modo quod decurrit tramite flumen

Tempore consumptum iam cito deficiet. 

Et estoit tombé en ce mesme accessoire Virgile long temps auparavant sans y penser au premier de son Aeneide.

Musa mihi caussas memora quo numine laesus, 

Laesus numine quo, memora caussas mihi musa. 

Et combien que Diomede, & Sidonius eussent mis leurs deux distiques sur la monstre, les estimans dignes d' estre veus, toutes-fois je n' y trouve pas grande grace. Ceux qui par une longue trainee des ans leur succederent, y apporterent bien plus de façon, & plus belle. Parce que faisans parler le courant du vers d' un sens, ils firent parler le revers d' un contre-sens. Et le premier qui joüa ce personnage fut François Philelphe, dedans ses Epistres, voulant depeindre de ses couleurs, un grand Prelat qui luy desplaisoit. 

Laus tua, non tua fraus, virtus, non copia rerum,

Scandere te fecit, hoc decus eximium. 

Tournez ce distique vous y trouverez le contraire. 

Eximium decus hoc fecit te scandere rerum 

Copia, non virtus, fraus tua, non tua laus. 

Jeu qui a grandement depuis provigné: Et nommément de nostre aage, nostre Joachim du Bellay, dedans ses Epigrammes Latins, y rencontra tres-heureusement. Nous avions lors deux grands ennemis, le Pape Jules le tiers, & l' Empereur Charles cinquiesme: & à la suite de luy Ferdinand son frere Roy des Romains, lesquels il voulut diversement gratifier de ces trois distiques.

Ad Iulium tertium, Pontificem Maximum. 

Pontifici sua sint divino numine tuta

Culmina, nec montes hos petat omnipotens. 

Ad Carolum quintum Caesarem.

Caesareum tibi sit foelici sydere nomen,

Carole, nec fatum sit tibi Caesareum.

Ad Ferdinandum Romanorum Regem.

Romulidum, bone Rex, magno sis Caesare Maior

Nomine, nec fatis aut minor Imperio.

Plus hardy est celuy que j' ay mis au sixiesme livre de mes Epigrammes, en un vers qui en fait deux, l' un Exametre, l' autre Pentametre. Car je fais parler le Catholique par cet Exametre.

Patrum dicta probo, nec sacris belligerabo.

Et le Huguenot par le Pentametre retourne, & retrouve dedans l' Exametre.

Belligerabo sacris, nec probo dicta Patrum.

Encore n' ay-je esté content de cestuy. Car au 2. Livre, je fis cet Epigramme en haine d' une paix fourree qui avoit esté par nous faite.

Mens bona, non nova fraus, pietas, non aulica fecit

Curia, id edictum Rex bone, pacificum; 

Plebs pia, non fera lex poterit, nunc vivere tecum,

Crescere, non labi, vis puto, sordidulè. 

Imperium, Deus, hoc servas, non perdis, amore

Fervida fit, nec pax haec tegit insidias. 

Magnifice, tibi Rex, succedant omnia, nunquam

Praelia sint, imo pax tibi perpetuo.

Retournez cette Epigramme de la fin au commencement, vous y trouverez une suite continuelle de contrarietez de sens. Tout ce que j' ay cy dessus discouru est pour le regard des vers Latins retournez.

7. 13. De quelques jeux Poëtics, Latins & François.

De quelques jeux Poëtics, Latins & François.

CHAPITRE XIII.

Je veux que tout ce Chapitre ne me soit qu' une boufonnerie: Car pourquoy envierons nous à nostre Poësie Françoise divers Jeux, si les Romains mesmes s' en dispenserent quelques-fois? Je recognoistray que tant que la Poësie Latine fut en sa pleine fleur sous Catulle, Virgile, Horace, Ovide, Tibulle & Properce, telles plaisanteries n' estoient en usage: mais les survivans ne pouvans atteindre à leur parangon, s' en voulurent revanger par des jeux Poëtiques (ainsi les veux-je appeller) ausquels ils se rendirent admirables.

Celuy de tous les Poëtes Latins qui s' y esgaya d' avantage, fut Ausone, lequel au milieu d' une infinité de Poëmes de prix, nous voulut servir de ceux-cy, premierement en ces vers qui commençoient, & finissoient par Monosyllabes, & dont le commencement du suivant estoit emprunté de la fin du precedent.

Res hominum fragiles, agit, & regit, & perimit Sors, 

Sors dubia, aeternumque labans, quam blanda fovet Spes, 

Spes nullo finita aevo, cui terminus est Mors, 

Mors avida, inferna mergit caligine, quam Nox. 

Je vous passe le demeurant qui est de douze vers. Il en fit un autre de quatre vingts dix-huit d' une trempe, mais non d' une mesme si exacte superstition.

Aemula Dijs, naturae imitatrix, omniparens Ars, 

Pacato ut studeat labor hic meus, esto operi Dux, 

Arcta, inamoena licet, nec congrua carminibus Lex, 

Iudice sub tanto fandi tamen accipiet Ius 

Quippe ut ridiculis data gloria, ni prohibet Fors.

Il n' est pas que puis apres il ne se joüe en 27. carmes sur toutes les lettres Grecques & Latines Monosyllabes.

Dux elementorum studijs viget in Latijs A, 

Et suprema notis adscribitur Argolicis ω.

Au contraire au lieu des Monosyllabes portez par tous ces petits Poëmes, il en fait un autre en vers Hexametres, qui finissent tous par des mots de cinq syllabes.

Spes Deus aeterna stationis conciliator,

Si castis precibus veniales invigilamus,

His pater oratis placabilis adstipulare,

Da Christe specimen cognoscere inreprehensum,

Rex bone cultorum famulorum vivificator.

Et de cette façon y en a 42. en son Edille 29. J' adjousteray le Poëme qu' il fit du nombre Ternaire, & le Centon nuptial, qui est composé de diverses pieces de Virgile, & neantmoins de telle grace, comme si l' on n' avoit rien emprunté de luy. Ce que du temps de nos Peres fit aussi Laelius Capilupus en la plus part de ses Poëmes Latins.

La posterité adjousta à ces jeux Poëtiques Latins, l' Echo, dont j' estime

Joannes Secundus avoir esté le premier inventeur dans son Bocage, en un Dialogue où il introduit le Passant & Echo entre-parleurs, où le Passant commence ainsi.

O quae Diva cavos colis recessus

Sylvarumque regis domos opacas. 

Et apres poursuivant la route il dit en cette façon, 

Dic, oro, poterit quid impotenti 

Seros ponere limites amori? 

Ech. MORI. Viat. Dij meliora, sic ne nobis

Ad canos igitur dies manebunt, 

Et canos quoque non dies relinquent, 

Singultus, lachrymae, gravesque voces: 

Aut mox abijcienda prima vita est: 

Ech. ITA EST.

Et ainsi va le demeurant que j' ay voulu representer plus estroitement au 2. de mes Epigrammes.

Hic ego dum solus meditans longa avia sector, 

En age, dic Echo, dominae quis maior honos? NOS,

Ergo Fabulla sonis poterit me perdere multa? 

VLTA. Sed heu sodes recita quae caussa mali huius? 

IVS. An quod me etiam volui sacrare Sabinae? 

NAE. Is fructus binis est inservire puellis? 

IS. Sic ipse meae sortis miseranda lues? ES. 

Quae Venus inde meis haeret male sana medullis? 

LIS. Saltem ut valeam meme ablegabo peregrè? 

AEGRE. Tandem igitur spes est gaudere Fabulla? 

BVLLA. Vah pereas abs te discedimus. IMVS.

J' ay faict cest autre suyvant qui ne doit rien à son frere aisné. Par le premier je gouverne Echo de mes Amours, par le second, je la gouverne des siennes.

Te fugit, ingratum sequeris miserabilis Echo:

Quis furor? VROR, ait: Quis tibi clamor? AMOR.

Quid si conveniam Narcissum inter nemora? ORA.

Auxilione tibi me fore reris? ERIS.

Obsequar, atque viam celerabo quam subito. ITO.

Quae te res torquent plus in amore? MORAE.

Vtere consilio, si te fugit, huncce fuge, EVGE.

Non facis? O quam te spes vaga fallit.         ALIT.

Is cum te fugiat, fugienti, quae rogo, spes?         PES.

Ergone non ullo tempore stabit?         ABIT.

Nulla igitur cum spes tibi quid succurret Amans?         MENS. 

Iam satis, hac ego te desero valle. VALE.

Ne pensez pas que nostre Poësie Françoise n' ait ses jeux aussi bien que la Latine. Quant à moy, si j' en estois creu je mettrois au rang d' iceux, les Vers mesurez François. Car d' en vouloir faire des livres entiers de Poësie, encores que nostre langue en soit capable, si ne pense-je que cela succedast à son Autheur, comme nos Rimes.

Je mettrois volontiers entre nos jeux Poëtics ce Sonnet de du Bellay, auquel il s' est joüé sur ces deux paroles, vie & mort, n' estoit que c' est une belle & saincte Oraison qu' il fait à Dieu.

Dieu qui changeant avec l' obscure mort

Ta bien-heureuse & immortelle vie, 

Fus aux pecheurs prodigue de ta vie, 

Pour les tirer de l' eternelle mort. 

Que la pitié compagne de ta mort

Guide les pas de ma fascheuse vie,

Tant que par toy à plus heureuse vie

Je sois conduit esloigné de la mort.

Avise moy pour faire que ma vie

Ne soit noyee aux ondes de la mort, 

Qui me bannit d' une si douce vie.

Oste la palme à cette injuste mort, 

Qui veut, qui veut triompher de ma vie,

Et morte soit tousjours pour moy la mort.

Or tout ainsi que le Poëte Ausone se joüe sur des Monosyllabes, aussl nous le renviasmes à meilleures enseignes sur luy, parce qu' au lieu de ses Monosyllabes, qui ferment & ouvrent les vers, se trouve une Elegie de 42. carmes, inseree par Estienne Tabourot dans ses Bigarrures, qui est toute composee de Monosyllabes, dont je coucheray icy les huict premiers vers.

Mon cœur, mon heur, tout mon grand bien,

A qui je suis plus tien, que mien,

Pres que je ne voy sous les Cieux,

Rien plus beau, ny cher à mes yeux,

Mon cœur qui seul fais que je suis,

Qui fais qu' en un grand heur je vis,

Mon cœur que Dieu pour mon bien fit,

Mais de qui le nom ne se dit.

Outre cela, Clement Marot representa dans une sienne Chanson les jeux d' Ausone, mais d' une telle gayeté, qu' elle semble effacer le Latin.

Dieu gard ma Maistresse & Regente,

Gente de corps, & de façon

Son cœur tient le mien en sa tente

Tant & plus d' un ardent frisson.

S' on m' oit pousser sur ma chanson,

Son de Luts, ou Harpes doucettes,

C' est espoir qui sans marrissson

Songer me fait en amourettes.

La blanche Colombelle belle 

Souvent je vais priant criant. 

Mais dessous la cordelle d' elle, 

Me jette un œil friant, riant 

En me consommant, & sommant 

A douceur, qui ma face efface

Dont suis le reclamant amant, 

Qui pour l' outrepasse trespasse.

Dieu des amans de mort me garde 

Me gardant donne moy bon-heur, 

En me le donnant pren ta darde, 

En la prenant naure son cœur, 

Et le naurant me tiendras seur, 

En seurté suivray l' accointance, 

En l' accointant ton serviteur, 

En servant aura joüyssance.

Un esprit sombre se mocquera de ces rencontres, mais quant à moy je ne pense rien de si beau, mesmes que le dernier couplet, ou par une belle gradation, Marot met sa plume à l' essor, jusques à ce qu' il vient fondre au point tant desiré par les amans. L' autheur de l' art Poëtique qui fut du temps du Roy Louys XI. appelloit Taille de rime à queuë  simple, quand la queuë du vers precedant estoit semblable en voix au commencement de l' autre suivant, & divers de signification, comme est le premier couplet de cette Chanson: Et encores appelloit Taille de rime à double queuë, quand la penultiesme & derniere syllabes avoient deux paroles diverses, toutes-fois de mesme terminaison, comme vous voyez au second couplet: Cette Chanson estoit belle pour une fois: s' il en eust voulu faire mestier & marchandise, comme celuy dont je parleray cy-apres, il se fust rendu ridicule. Nous avons une autre maniere de jeu, qui provient de vers equivoquez. En quoy je puis dire que nous n' appellons pas Equivoque, ainsi que le Latin, quand un mesme mot a double signification: mais quand d' un, nous en faisons deux, qui se rencontrent en mesme terminaison. Il y a une Epistre du mesme Marot, où en bouffonnant sur le mot de rimer, il le diversifia en vingt & six sortes.

En m' esbatant je fais Rondeaux en rime, 

Et en rimant bien souvent je m' enrime:

Bref c' est pitié entre nous rimailleurs, 

Car vous trouvez assez de rime ailleurs: 

Et quand voulez, mieux que moy rimassez, 

Des biens avez, & de la rime aßez: 

Mais moy avec ma rime, & ma rimaille, 

Je ne soustien (dont je suis marry) maille.

Or ce me dit un jour quelque Rimart,

Viença Marot trouve tu en rime art,

Qui serve aux gens, toy qui as rimassé?

Ouy vrayement (dis-je) Henry Macé:

Car vois tu bien la personne rimante,

Qui au jardin de son sens la rime ente,

Si elle n' a des biens en rimoyant: 

Elle prendra plaisir en rime oyant:

Et m' est advis que si je ne rimois,

Mon pauvre cœur ne seroit nourry mois,

Ne demy jour: Car la moindre rimette

C' est le plaisir où faut que mon ris mette.

Si vous supply qu' à ce jeune Rimeur

Faciez avoir un jour par sa rime heur,

A fin qu' on die en prose, ou en rimant,

Ce Rimailleur, qui s' alloit enrimant,

Tant rimassa, rima, & rimonna,

Qu' il a cogneu quel bien par rime on a. 

C' est une gayeté entre ses œuvres, dont j' ay pensé vous devoir faire part, encore que paravanture quelques uns en voudront faire mal leur profit. Le regne du Roy François I. de ce nom porta un Guillaume Cretin Chantre de la saincte Chapelle de Paris, & Thresorier de celle du Bois de Vincennes, qui avoit veu trois Rois, Charles VIII. Louys XII. & François I. comme je recueille par ses œuvres, & estoit fort ancien soubs François I. ce qui le faisoit respecter par les plus jeunes. Marot fait estat de luy, comme d' un souverain Poëte, & luy dedie ses Epigrammes en cette façon.

L' homme sotart, & non sçavant,

Comme un Rotisseur qui lave oye,

La faute d' autruy nonce avant

Qu' il la cognoisse, qu' il la voye:

Mais vous de haut sçavoir la voye

Sçavrez par trop mieux m' excuser

D' aucun erreur si fait l' avoye,

Qu' un amoureux de musc user.

Qui est le premier de tous ses Epigrammes, & paravanture le plus foible, je dirois volontiers ridicule, m' estant esmerveillé mille fois pourquoy il n' y a rien qu' une affectation d' equivoques: Toutes-fois apres avoir leu les œuvres de Cretin, non seulement je l' excusay, mais loüay la gentillesse de son esprit: D' autant qu' il dedioit son livre à un homme, duquel toute l' estude ne gisoit qu' en equivoques: Et c' est pourquoy en la plainte qu' il fit sur la mort du general Preud'homme, il dit qu' aux champs Elisiens, entre les autres Poëtes François il y trouva le bon Cretin au vers Equivoqué. Et parce qu' il fut l' unique en ce sujet, je vous en representeray icy quelques placars: en une oraison qu' il addresse à Saincte Geneviefve.

Si quelques-fois ay renom merité

Du los dont peut estre un homme herité:

Doux Orateur en prose, ou bien par mettre, 

Et si le temps porte loy de permettre

Que mon vouloir de prier or ait son, 

Ne dois-je pas par devote oraison, 

Ma plume, & moy d' affection fervente

Monstrer bon zele, & plus ne faire vente

De mes escrits curieux, & mondains, 

Pour en cela tant complaire au monde, ains

Le Createur servir de corps, & d' ame?

C' est la raison benoiste, & saincte Dame.

Ainsi va tout le demeurant de l' oraison qui est de trente six vers, plus il alla sur l' aage, plus il s' adonna à ce sujet, y apportant tousjours quelque nouvelle grotesque. Vous trouverez une Epistre qu' il adresse à Honorat de la Jaille estre telle.

Par ces vins verds Atropos a trop os 

Des corps humains ruez envers en vers, 

Dont un quidam aspre aux pots, à propos 

A fort blasmé ses tours pervers par vers.

Faisant aller de cesté façon toute la suite, qui est de six vingts six vers: & dans un autre qu' il envoye à François Charbonnier, lors malade en la ville de Han, qu' il aimoit comme s' il eust esté son enfant, aussi est-ce luy qui apres le decez de Cretin fit imprimer toutes ses œuvres.

Fix par escrits j' ay sçeu qu' un jour à Han

Fis pareils cris qu' homme qui souffre ahan, 

Portant le faix de guerre, & ses alarmes, 

Pourtant le faix qu' elle provoque à larmes. 

Tes doux yeux secs, & sur eux l' eau tost rend, 

Tels douze excez (plus soudain que torrent 

Laisse courir son cours) perdroient tes forces, 

Les secourir est besoin que t' efforces. 

Tout le demeurant de la lettre est de cette trempe, qui est de 120. vers, esquels j' ay trouvé prou de rimes, & equivoques les lisant, mais peu de raison: Car pendant qu' il s' amusoit de captiver son esprit en cet entre-las de paroles, il perdoit toute la grace, & liberté d' une belle conception: Chose estrange, & qui merite d' estre icy remarquee en passant. Jamais homme ne fut plus honoré par les plumes de son temps, que luy en son vieil aage. Jean le Maire luy dedia son 3. Livre des Illustrations de la Gaule, où il le reclame comme celuy auquel il devoit son tout: & en un autre endroit le pleuuit Prince de tous ceux qui lors escrivoient. Marot, comme j' ay dit, luy dedia pareillement ses Epigrammes: Geoffroy Toré en son Champ Flory disoit qu' il avoit escrit les Chroniques de France, esquelles il faisoit honte à uns Homere & Virgile. Et toutes-fois jamais homme ne satisfit moins apres sa mort à l' opinion que l' on avoit conceuë de luy de son vivant. La verité est qu' il fit l' Histoire de France en vers François, mais ce fut un avorton, tout ainsi que le demeurant de ses œuvres. Et c' est pourquoy Rabelais qui avoit plus de jugement & doctrine, que tous ceux qui escrivirent en nostre langue de son temps, se mocquant de luy, le voulut representer soubs le nom de Raminagrobis vieux Poëte François (ainsi le nomme-il au 3. Livre de son Pantagruel) quand sur l' irresolution & doute d' un ouy & nanny, que Panurge avoit de son mariage futur, il l' alla chercher, comme il estoit sur le point de sa mort, pour prendre advis de luy, s' il devoit estre marié, ou non. A quoy il luy respondit par les ambages de ce Rondeau.

Prenez là, ne la prenez pas, 

Si vous la prenez, c' est bien faict, 

Si vous la laissez, en effect

Ce sera ouvrer par compas, 

Gallopez, allez l' entre-pas 

Differez, entrez y de faict, 

Desirez sa vie ou trespas, 

Prenez là, ne. 

Jeusnez, prenez double repas, 

Refaites ce qui est defait. 

Defaites ce qui est refait:

Desirez sa vie, ou trespas. 

Prenez là, ne.

Beaucoup de gens estiment que cette piece soit de la boutique de Rabelais, comme d' un mocqueur qu' il estoit, & moy-mesme l' avois tousjours ainsi estimé, jusques à ce que repassant sur les Poësies de Guillaume Cretin, je trouvay sur la fin du Livre ce Rondeau qu' il adressoit à Christofle de Refuge, qui luy avoit demandé conseil de se marier: Rabelais le figure comme un resueur sur ses vieux ans, & paravanture seray-je par vous reputé tel, pour avoir perdu tant de temps sur ses resueries. Car en somme s' il se fust joüé de ses equivoques sobrement par forme de jeu, non de vœu, il eust contenté le Lecteur, au lieu de l' atedier. Au demeurant que Rabelais l' ait voulu figurer sous ce nom de Raminagrobis, je n' en doute point: Car outre ce que dessus, Panurge l' estant retourné voir pour la seconde fois, en fin il est contraint de sortir de sa chambre, disant, laissons mourir ce Villaume. Mot dont il voulut user pour Guillaume, nom propre de Cretin.

Encore ne veux-je pas clorre ce Chapitre en ces gayetez par moy racontees: Tout ainsi que les Modernes ont introduit l' Echo dans leurs vers Latins, aussi avons nous fait le semblable és nostres. Ainsi le voyons nous dans Joachim du Bellay, en un petit dialogue d' un Amoureux, & d' Echo.

Piteuse Echo, qui erres en ces bois, 

Respons au son de ma dolente voix. 

Dont ay-je peu ce grand mal concevoir, 

Qui m' oste ainsi de raison le devoir? de voir.

Qui est l' autheur de ces maux advenus? Venus.

Comment en sont tous mes sens devenus?         Nuds.

Qu' estois-je avant qu' entrer en ce passage? Sage.

Et maintenant que sens-je en mon courage? Rage. 

Qu' est-ce qu' aimer, & s' en plaindre souvent: Vent. 

Qui suis-je donc lors que mon cœur en fend? Enfant. 

Qui est la fin de prison si obscure? Cure.

Dy moy quelle est celle pour qui j' endure?         Dure.

Sent-elle bien la douleur qui me poingt? Point.

O que cela me vient bien mal à point! 

Me faut-il donc, ô debile entreprise! 

Lascher ma proye avant que l' avoir prise? 

Si faut-il mieux avoir cœur moins hautain, 

Qu' ainsi languir sous espoir incertain.

Voila une piece qui n' est pas à negliger, sur laquelle je voulus r'envier de cet Epigramme aux Gayetez, qui furent imprimees sur ma main en l' an 1583. 

Pendant que seul dans ce bois je me plains, 

Dy moy Echo qui celebre mes mains?         Maints.

Y a-il point quelque autre gentille ame, 

Qui à loüer les autres mains enflame?         Ame.

Si moy vivant de mon loz je joüy, 

Ay-je subject d' en estre resjoüy? Ouy.

Et si ma main est jusqu' au Ciel ravie, 

Que me vaudra ce bruit contre l' envie? Vie.

N' y aura-il nul homme de renom,

Qui en cecy soit jaloux de mon nom? Non. 

Mais si quelqu'un mal appris en veut rire, 

Que produira dans mes os ce mesdire? Ire.

Contre ce sot, contre ce mal appris: 

Ne rongeray-je en moy que des despits? Pis.

O sot honneur d' une main mal bastie!

Quel humeur donc vainement me manie? Manie. 

Las pour le moins, Echo, si tu peux rien,

Fay que les bons de mes mains parlent bien: Bien.

Si tu le fais, rien plus je ne demande,

Or sus Adieu, va, je me recommande.          Commande.

Je finiray par cet Echo, & peut estre non mal à propos, pour vous monstrer que tout le discours du present Chapitre n' est que vent.