sábado, 5 de agosto de 2023

8. 26. De ces mots, de Fy entre les François, & de Physicien usurpé pour Medecin par nos ancestres.

De ces mots, de Fy entre les François, & de Physicien usurpé pour Medecin par nos ancestres.

CHAPITRE XXVI.

On dit en commun Proverbe que les paroles ne puent point: Et neantmoins encores doutons nous de les proferer, pourquoy doncques ne douterons nous de les escrire? c' est un privilege que la plume s' est donnee par dessus la langue. Elle ne rougit point les escrivant, & nous ne les pouvons proferer sans rougir. Allez au Roman de la Roze, allez visiter un Froissard, l' un & l' autre selon les occasions ont parlé brusquement des parties honteuses. C' est une chose esmerveillable comme les nations quelquesfois soient toutes contraires, & en façons, & en paroles. Qu' un François vous vueille appeller à soy sans parler, il esleve la main en hault l' approchant de la face: S' il veut que demeuriez où vous estes, il la tourne contrebas: En Italie tout le contraire, hausant la main, c' est un signal par lequel on vous semond de demeurer, la baissant c' est pour vous faire venir à soy. Voulez vous en François braver un homme, vous dites que vous le ferez bien camus, ou que luy rendrez le nez aussi plat comme une andoüille: Au rebours l' Italien dit Tanto di naso, representant un demy pied de nez par sa main, qu' il attache au bout de son nez. Le semblable s' est-il rencontré en cette diction de Phi. Recherchez la chez les Romains, vous la trouverrez prise pour une interjection qui ne s' approprioit qu' à choses dont l' on s' esmerveilloit. Ainsi le remarque Donat sur Terence en la Comedie des Adelphes, en ce verset où un bon compagnon de Valet parlant à son Maistre Demea, luy dit ainsi:

Phi! domui habuit unde disceret, comme si sous ce mot il eust voulu dire. T' en esbahis-tu? il a eu en sa maison un bon maistre qui luy a enseigné cette leçon. Or voyez combien ce mot est degeneré entre nous de cette ancienne noblesse. Par ce que nous n' en usons qu' aux choses les plus ordes & sales qui se presentent. Et c' est pourquoy nous appellons Maistre Fify, celuy qui se mesle du mestier de curer nos latrines. Mot qui a esté de toute ancienneté ainsi usité entre nous, comme vous entendrez des vers que je vous reciteray maintenant. Ceux que nous nommons aujourd'huy Medecins, estoient par nos anciens appellez Physiciens. Jean de Mehun en son Roman de la Roze fait sous le regne de Philippes le Bel.

Advocats & Physiciens

Sont tous liez de tels liens,

Tel pour deniers science vendent,

Et tous à cette hard se pendent 

Tant ont le gain, & doux, & sade,

Qu' ils voudroient bien pour un malade

Qu' il y en eust plus de cinquante.

Au memorial de la Chambre des Comptes cotté O, il se trouve par l' ordonnance du Roy Philippes de Valois, du mois de May 1350. qu' il n' y avroit qu' un Physicien ordinaire en Cour, & non plus à vingt sous tournois par jour, & apres sa mort, que le Roy Jean son fils n' avoit que trois Pysiciens (Physiciens). Le Roy Charles V. confirmant la fondation faicte par son ancien Medecin, & voulant que son grand Ausmonier (Aumosnier) y eust toute intendence. Carolus Dei Francorum Rex, ad perpetuam rei memoriam. Cum dilectus Physicus noster Magister Gervasius Christianus & c. Datum Parisius mense Aprilis, Anno Domini. 1378. Ce mot mesme estoit encores en usage du temps de celuy qui fit la farce de Patelin, comme aussi voyons nous Monstrelet en user souvent. Or comme ainsi soit qu' ils fussent ainsi appellez dés le temps mesme de S. Louys, Hugues de Bercy Moine de sainct Germain des Prez en sa longue Satyre, où il taxe tous les Estats soubs le tiltre de la Bible Guiot, apres n' avoir pardonné aux Advocats, tombant dessus les Medecins, voicy comment il les paye en l' orthographe qui s' ensuit. Fisiciens sont appellez, 

Sans fy ne sont-ils point nommez, 

De fy doit toute ordure naistre,

Et de fy Fisique doit estre.

De fy Fisique me deffie,

Fol est qui en tel art se fie,

Où il n' a rien qui n' y ayt fy,

Don suis-je fol si je m' y fy. 

Ne pensez pas qu' il ne paye en monnoye d' aussi bon alloy les Advocats, & Legistes, quand il dit:

On traict de la mine l' argent,

Dont on nous faict maint vaissel gent,

Et mainte autre ouiure belle, & chiere,

Et le voire de la fougiere,

Dont on faict aussi maint vaissel,

Qui moult son net, & clair & bel,

Et des haults livres honorez,

Qu' on appelle loix, & decrez,

Nous trayons engin, & barat

Et peu apres:

Et loix apprennent tricherie,

Per les poincts, & per les beaux dicts,

Que ils cognoissent és escrits,

Baratent le siecle, & engignent,

Ils ne compassent pas, ne lignent

Leur viure, si com' ils deuroient,

Et com' ils és escrits le voyent.

Et ne faut pas trouver estrange, qu' il ne les ayt pas espargnez, veu que dans sa Satyre il ne pardonne, ny aux Papes, ny aux Evesques, ny à tous les abus qu' il voyoit és Ordres de Religions. Tellement que pour retourner au refrain de ce chapitre, il y trouve je ne sçay quoy de pudeur, je dirois volontiers du fy. Au demeurant combien que ce soit hors de propos, si est-ce que ayant recité quelques vers de ce gentil Moine, encores ne veux-je oublier cecy, où il se plaint que tout alloit de mal en pis: Car paravanture ailleurs ne trouveroy-je lieu pour les employer.

Li siecle fut ja bons, & gras,

Or est de garçons, & d' enfans,

Li siecle sçachiez voirement 

Faudra per amenuisement,

Per amenuisement faudra,

Itant pera eptissera,

Que vingt homs batrons en I. jour

Et dui hommes voire bien quatre,

Se pourront en un pot combatre,

Itieux li siecle devenra

Sçachiez de voir ce avenra.

Fut-il jamais une plus hardie, & plaisante hyperbole?

8. 25. De quelques manieres de parler, tirees de la nature des Fiefs.

De quelques manieres de parler, tirees de la nature des Fiefs.

CHAPITRE XXV.

Nous disons qu' un Seigneur de paille combat un Vassal d' acier: cest adage tiré de quelques unes de nos coustumes, lors qu' elles traictent de la matiere Feodale. Tout homme qui entre nouvellement dans un Fief soit par succession, ou acquest, est tenu de faire la foy, & hommage à son Seigneur Feudal. S' il ne le fait, & que son Seigneur face proceder par voye de saisie sur le Fief, ainsi qu' il luy est loisible de faire, tant & si longuement que la saisie dure, il faict les fruicts siens, & n' y a moyen de s' en garentir, sinon en venant faire la foy & hommage, en laquelle encores faut-il rapporter beaucoup de regards. Car s' il y a eu quelques mutations precedentes, pour lesquelles soient deuz Rachapts, que l' on appelle autrement Reliefs, il faut qu' il en face offre à son Seigneur, lequel en ce faisant combatra fort vivement son Vassal, & lairra escouler le temps pendant une longue contestation sur les offres: Qui s' appelle en bon François manger & consommer un Vassal. De là le peuple a dit. Qu' un Seigneur de paille, combat un Vassal d' acier. De là aussi nos coustumes disent que pendant que le Seigneur dort, le Vassal veille, & pendant que le Vassal veille, le Seigneur dort. Qui n' est pas un adage, mais une leçon des Fiefs, qui nous enseigne que si le Seigneur ne faict saisir le Fief, son Vassal est hors de danger: Mais soudain qu' il est saisi, il faut qu' il se pourvoye par bonnes & suffisantes offres. Vray qu' il y a certaines coustumes si estrangement tyranniques, comme celle d' Amiens, & Estampes, esquelles sans user de main-mise, les fruicts sont acquis au Seigneur à chaque mutation de Fief, tant & si longuement que le Vassal est en demeure de faire la foy.

8. 24. De ces mots, Compagnon, Compagnie, Compain.

De ces mots, Compagnon, Compagnie, Compain.

CHAPITRE XXIV.

Encores faut-il que je loüe icy la diligence du mesme Henry Estienne, lequel au mesme livre parlant de Compagnon, & Compagnie, le raporte à un ancien mot Benna, tiré d' un passage de Festus, qui dit: Benna lingua Gallica genus vehiculi appellatur; unde vocantur Combennones in eadem Benna sedentes. Et que sçait-on (dit Estienne, car je ne luy veux rien desrober) si de ce Combennones on avroit point dit premierement Compennons, en changeant le B. en P. duquel en fin seroit venu Compagnons? Ce qui soit dit par parenthese (adjouste-il) & comme par maniere de devis, veu mesmement que je sçay bien que ce mot a d' autres Etymologies, qui ne sont sans quelque apparence, mesmement pour ce que Compain se trouve en langage Picard. A tant Estienne. 

Or quant à moy je tiens pour tres-asseuré que Compain est le mot originaire, dont est issu Compagnon, & de Compagnon, Compagnie. Nos vieux Poëtes appellent souvent Compain, celuy qui est leur amy. Entre toutes manieres de parler dont nous usons pour signifier une frequentation, on dit ordinairement, c' est trop mangé d' un pain en un lieu, pour trop demeurer en un lieu: Et quand un maistre courroucé veut donner congé à son Varlet, il dit qu' il ne mangera plus de son pain: Cela me fait penser que par le mot de Compain, nos ancestres voulurent representer celuy avec lequel ils vivoient, ou (si ainsi voulez que je le die) mangeoient leur pain d' ordinaire. Le Grec par un mot fondé sur le boire dit anciennement *grec & les Romains se tenans plus au large l' appellerent Convivium, tiré du mot de la vie. Et nous du mot de Compain, fismes celuy de Compagnie, pour ceux qui mangeoient leur pain ensemblement.