sábado, 5 de agosto de 2023

8. 28. Nul n' est Prophete en son pays.

Nul n' est Prophete en son pays.

CHAPITRE XXVIII.

Jamais Proverbe ne fut plus veritable que cestuy: Car il nous a esté donné de la main de celuy qui en l' un de ses principaux tiltres se glorifioit d' estre la mesme Verité. Comme aussi le devons nous pour tel recognoistre. Chacun estant sans luy plongé dans l' abysme des tenebres, & neantmoins encores reçoit ce Proverbe quelque explication: Parce que de le prendre cruëment, & d' estimer que nul ne soit Prophete en son pays, nous avons veu le contraire par plusieurs exemples, mesmes par sainct Jean Baptiste son Precurseur, qui non seulement fut mis au rang des Prophetes, ains estimé Prince de tous autres Prophetes: Aussi en voyons nous d' autres dans la Bible avoir predit une infinité de choses sur l' avenement futur de nostre Seigneur, lesquels avoient pris leurs naissances au lieu mesmes où ils exerçoient leurs Propheties. Doncques la verité est que sous cest Adage, nostre Seigneur Jesus-Christ nous voulut enseigner que naturellement le peuple mesprise celuy qu' il a veu en son pays venir d' un bas lieu en un grand rang, & fait plus d' estat de l' autre dont il ne sçait les commencements & progrés, comme mesme cela se justifie par deux exemples, l' un tiré du vieux Testament, l' autre du Nouveau. Quand Dieu eut appellé Saül fils de Cis, conducteur d' asnes, à la Couronne des enfans d' Israël, il luy departit par mesme moyen l' esprit, & don de Prophetie: Et comme le peuple le voyoit, au milieu des autres Prophetes, prophetiser, il commença de s' en mocquer: Disant, n' est-ce pas icy le fils de Cis? comme s' il eust voulu dire, se peut-il faire que cestuy qui estoit extraict d' un si bas lieu, & auquel nous avons veu conduire les asnes, peut avoir attaint à ce hault poinct de Prophetie? Le semblable advint à nostre Seigneur, lors que faisant des miracles paradoxes devant tous, plusieurs ne se pouvoient induire à y croire. Comment, disoient-ils, n' est-ce pas icy le fils de ce Joseph charpentier, que nous avons veu entre nous, qui se mesle maintenant de faire des miracles? Car ils avoient opinion que Jesus Christ estoit vray enfant de Joseph. Toutesfois en telles affaires, la longue habitude & continuë de nos actions, fait puis apres oublier au peuple la memoire de ce que nous fusmes en nostre jeunesse. Ceux qui se veulent rendre plus admirables en leurs devotions, doivent espouser une solitude, & ne communiquer pas d' ordinaire avecques le peuple. Les frequentations, & privautez que nous avons des uns aux autres, diminuent je ne sçay quoy de l' opinion que l' on avoit conceuë de nous. Soit que cela procede, ou de nos imperfections, ou imperfections des autres qui nous mesurent à leur aulne: Je veux dire qu' estans toutes choses selon le sens humain accomplies en nous, ils y trouvent à redire par une envie, ou deffaut qui est en eux. Cela est cause que nostre sage Philippes de Commines en son histoire du Roy Louys XI. deffend sur toutes choses, les entre-veuës des Princes, comme n' apportans autre fruit le plus souvent, qu' un rabais de la reputation qu' ils avoient les uns des autres.

8. 27. De ce que nous appellons nos creanciers, Anglois.

De ce que nous appellons nos creanciers, Anglois.

CHAPITRE XXVII.

Guillaume Cretin remerciant le Roy François premier de ce nom, de quelque argent qu' il luy avoit ordonné, par le moyen duquel il avoit acquité toutes ses debtes, entre autres choses, dict ainsi:

Marchans, taquins, usuriers, incredules,

Pour recognoistre, ou nier mes sedules,

Me firent hier adjourner, & citer,

Et aujourd'huy je fais solliciter

Tous mes Anglois pour mes debtes parfaire,

Et le payement entier leur satisfaire, 

Clement Marot dans l' un de les Rondeaux qu' il adresse à un sien fascheux creancier.

Un bien petit de prés me venez prendre

Pour vous payer, & si devez entendre

Que ne vey oncques Anglois de vostre taille,

Car à tous coups vous criez, baille, baille,

Et n' ay dequoy contre vous me deffendre

Un bien petit.

Vous voyez par ces vers que l' un & l' autre appelle ses creanciers Anglois: Et à vray dire ce mesme mot en cette signification, tombe en la bouche ordinaire du peuple, sans sçavoir dont procede cela: Toutesfois il est aisé d' en rendre compte, qui considerera les traictez qui ont esté faicts entre nous & eux. On les appelloit autresfois anciens ennemis de la France, & certainement non sans cause: Car depuis que Louys le Jeune eust esté si jeune, & mal conseillé de repudier Leonor fille unique & heritiere du Duc d' Aquitaine, & qu' elle se fust mariee avec Richard Roy d' Angleterre, il seroit impossible de dire combien se trouverent grands les Anglois au milieu de nous: Par ce que de leur chef, & ancien estoc, la Normandie leur appartenoit: Et cette Princesse avoit annexé de nouvel à leur Estat tout la Guyenne, Poitou, Anjou, Touraine & le Maine, qui n' estoit pas un petit martel en la teste de nos Roys, dont Philippes Auguste premierement nous garentit. L' alliance qui depuis fut faicte avec eux par le mariage d' Isabelle fille de Philippes le Bel, avec Edoüart, introduisit une pepiniere de guerres, contre Philippes de Valois, & ses successeurs. Et finalement la conqueste que fit sur nous Henry cinquiesme, & le mariage de luy avec Catherine fille de Charles sixiesme apporta presque la ruyne finale de l' Estat. Or comme ces entresuites de guerres desirassent de fois à autres quelques relasches, aussi furent faits divers traitez, tantost de paix, tantost de surseances d' armes à longues annees, esquelles nous n' espargnions les belles promesses, soit d' argent, soit de restitution de pays, tesmoin le traicté de Bretigny pour racheter nostre Roy Jean de prison. Toutesfois les Anglois se sont faict accroire que nous ne nous acquitasmes pas, ainsi que nos capitulations le portoient. Si cecy est veritable ou non, je m' en rapporte à la verité de l' Histoire: Tant y a que Froissard, qui ne favorise pas grandement les François, est de cette opinion. Et de là est venu à mon jugement que nous appellons Anglois ceux qui pensoient que nous leur deussions. Et à ce propos me semble digne de recit, une Histoire qui s' est passee de nostre temps: Vous sçavez les pourparlers qui furent pour le mariage de la Royne Elizabeth d' Angleterre avecques François Duc d' Alençon frere du feu Roy Henry troisiesme. Qui ne se faisoient à vray dire que par mines, & beaux semblans. Car il y avoit trop grande disproportion d' aages, & peu d' esperance d' enfans: Mais ayant l' un à conquester la Flandre, l' autre à conserver les terres qu' elle avoit conquises sur le Roy Philippes d' Espagne, ils estoient contents que l' on estimast ce mariage devoir estre fait entre eux. Or comme ce jeune Prince s' eschappoit souvent à soy-mesme, aussi voulut il faire cette belle saillie. Qui fut d' aller trouver la Royne d' Angleterre, accompagné seulement de cinq ou six de ses plus confidents serviteurs. Et comme il fut arrivé apres l' avoir salüee, cette Dame qui parle assez bien François, luy dist qu' il estoit venu fort à propos pour payer les debtes qui luy estoient deuës par nous, deliberant de le tenir ce pendant en ostage. Ce Prince du commencement estonné, ne sçachant si à bon escient, ou petit semblant cette parole estoit proferee, fut aucunement à se repentir de ce voyage si hardy. Mais la Royne ayant accompagné cette parole d' un doux sous-ris, le Duc luy respondit qu' il estoit venu non seulement pour ostage, mais pour tenir prison clause, comme celuy qui estoit vrayement son prisonnier: Et ainsi estant le mieux que bien venu, fut par plusieurs jours festoyé avec toutes les allegresses que l' on pourroit souhaiter.

8. 26. De ces mots, de Fy entre les François, & de Physicien usurpé pour Medecin par nos ancestres.

De ces mots, de Fy entre les François, & de Physicien usurpé pour Medecin par nos ancestres.

CHAPITRE XXVI.

On dit en commun Proverbe que les paroles ne puent point: Et neantmoins encores doutons nous de les proferer, pourquoy doncques ne douterons nous de les escrire? c' est un privilege que la plume s' est donnee par dessus la langue. Elle ne rougit point les escrivant, & nous ne les pouvons proferer sans rougir. Allez au Roman de la Roze, allez visiter un Froissard, l' un & l' autre selon les occasions ont parlé brusquement des parties honteuses. C' est une chose esmerveillable comme les nations quelquesfois soient toutes contraires, & en façons, & en paroles. Qu' un François vous vueille appeller à soy sans parler, il esleve la main en hault l' approchant de la face: S' il veut que demeuriez où vous estes, il la tourne contrebas: En Italie tout le contraire, hausant la main, c' est un signal par lequel on vous semond de demeurer, la baissant c' est pour vous faire venir à soy. Voulez vous en François braver un homme, vous dites que vous le ferez bien camus, ou que luy rendrez le nez aussi plat comme une andoüille: Au rebours l' Italien dit Tanto di naso, representant un demy pied de nez par sa main, qu' il attache au bout de son nez. Le semblable s' est-il rencontré en cette diction de Phi. Recherchez la chez les Romains, vous la trouverrez prise pour une interjection qui ne s' approprioit qu' à choses dont l' on s' esmerveilloit. Ainsi le remarque Donat sur Terence en la Comedie des Adelphes, en ce verset où un bon compagnon de Valet parlant à son Maistre Demea, luy dit ainsi:

Phi! domui habuit unde disceret, comme si sous ce mot il eust voulu dire. T' en esbahis-tu? il a eu en sa maison un bon maistre qui luy a enseigné cette leçon. Or voyez combien ce mot est degeneré entre nous de cette ancienne noblesse. Par ce que nous n' en usons qu' aux choses les plus ordes & sales qui se presentent. Et c' est pourquoy nous appellons Maistre Fify, celuy qui se mesle du mestier de curer nos latrines. Mot qui a esté de toute ancienneté ainsi usité entre nous, comme vous entendrez des vers que je vous reciteray maintenant. Ceux que nous nommons aujourd'huy Medecins, estoient par nos anciens appellez Physiciens. Jean de Mehun en son Roman de la Roze fait sous le regne de Philippes le Bel.

Advocats & Physiciens

Sont tous liez de tels liens,

Tel pour deniers science vendent,

Et tous à cette hard se pendent 

Tant ont le gain, & doux, & sade,

Qu' ils voudroient bien pour un malade

Qu' il y en eust plus de cinquante.

Au memorial de la Chambre des Comptes cotté O, il se trouve par l' ordonnance du Roy Philippes de Valois, du mois de May 1350. qu' il n' y avroit qu' un Physicien ordinaire en Cour, & non plus à vingt sous tournois par jour, & apres sa mort, que le Roy Jean son fils n' avoit que trois Pysiciens (Physiciens). Le Roy Charles V. confirmant la fondation faicte par son ancien Medecin, & voulant que son grand Ausmonier (Aumosnier) y eust toute intendence. Carolus Dei Francorum Rex, ad perpetuam rei memoriam. Cum dilectus Physicus noster Magister Gervasius Christianus & c. Datum Parisius mense Aprilis, Anno Domini. 1378. Ce mot mesme estoit encores en usage du temps de celuy qui fit la farce de Patelin, comme aussi voyons nous Monstrelet en user souvent. Or comme ainsi soit qu' ils fussent ainsi appellez dés le temps mesme de S. Louys, Hugues de Bercy Moine de sainct Germain des Prez en sa longue Satyre, où il taxe tous les Estats soubs le tiltre de la Bible Guiot, apres n' avoir pardonné aux Advocats, tombant dessus les Medecins, voicy comment il les paye en l' orthographe qui s' ensuit. Fisiciens sont appellez, 

Sans fy ne sont-ils point nommez, 

De fy doit toute ordure naistre,

Et de fy Fisique doit estre.

De fy Fisique me deffie,

Fol est qui en tel art se fie,

Où il n' a rien qui n' y ayt fy,

Don suis-je fol si je m' y fy. 

Ne pensez pas qu' il ne paye en monnoye d' aussi bon alloy les Advocats, & Legistes, quand il dit:

On traict de la mine l' argent,

Dont on nous faict maint vaissel gent,

Et mainte autre ouiure belle, & chiere,

Et le voire de la fougiere,

Dont on faict aussi maint vaissel,

Qui moult son net, & clair & bel,

Et des haults livres honorez,

Qu' on appelle loix, & decrez,

Nous trayons engin, & barat

Et peu apres:

Et loix apprennent tricherie,

Per les poincts, & per les beaux dicts,

Que ils cognoissent és escrits,

Baratent le siecle, & engignent,

Ils ne compassent pas, ne lignent

Leur viure, si com' ils deuroient,

Et com' ils és escrits le voyent.

Et ne faut pas trouver estrange, qu' il ne les ayt pas espargnez, veu que dans sa Satyre il ne pardonne, ny aux Papes, ny aux Evesques, ny à tous les abus qu' il voyoit és Ordres de Religions. Tellement que pour retourner au refrain de ce chapitre, il y trouve je ne sçay quoy de pudeur, je dirois volontiers du fy. Au demeurant combien que ce soit hors de propos, si est-ce que ayant recité quelques vers de ce gentil Moine, encores ne veux-je oublier cecy, où il se plaint que tout alloit de mal en pis: Car paravanture ailleurs ne trouveroy-je lieu pour les employer.

Li siecle fut ja bons, & gras,

Or est de garçons, & d' enfans,

Li siecle sçachiez voirement 

Faudra per amenuisement,

Per amenuisement faudra,

Itant pera eptissera,

Que vingt homs batrons en I. jour

Et dui hommes voire bien quatre,

Se pourront en un pot combatre,

Itieux li siecle devenra

Sçachiez de voir ce avenra.

Fut-il jamais une plus hardie, & plaisante hyperbole?