domingo, 6 de agosto de 2023

8. 35. Courir l' Esguillette.

Courir l' Esguillette

CHAPITRE XXXV.

Entre les plus honorables Ordonnances du Roy Sainct Louys, nous cottons principalement celle-là par laquelle il extermina tous bordeaux de son Royaume, toutes-fois pour autant que cet appetit charnel, & aiguillon de volupté de l' homme à la femme nous a semblé avoir esté imposé par une necessité de Nature, telle que mal-aisément la Loy Politique y peust mettre ordre, sans grand desordre: Ceux qui succederent à ce sage Roy au Royaume, encores qu' ils ne permissent par leurs Loix & Edits les bordeaux, si les souffrirent-ils par forme de connivence, estimans que de deux maux il falloit eslire le moindre, & qu' il estoit plus expedient tolerer les femmes publiques, qu' en ce deffaut donner occasion aux meschans de solliciter les femmes mariees qui doivent faire profession expresse de chasteté. Vray qu' ils voulurent que telles femmes qui en lieux publics s' abandonnent au premier venant, fussent non seulement reputees infames de droict, mais aussi distinctes & separees d' habillemens d' avec les sages matrones. Qui est la cause pour laquelle ainsi que j' ay deduit en quelque endroit de ce present livre, on leur deffendit anciennement en la France de porter ceintures dorees, & pour cette mesme occasion l' on voulut anciennement que telles bonnes Dames eussent quelque signal sur elles, pour les distinguer & recognoistre d' avec le reste des prudefemmes. Qui fut de porter une Esguillette sur l' espaule. Coustume que j' ay veu encore se prattiquer dedans Tholoze par celles qui avoient confiné leurs vies au Chastel verd, qui est le bordeau de la ville. Qui me fait penser qu' anciennement en la France lors que les choses furent mieux reiglees, cette mesme Ordonnance s' observa: dont depuis est derivé entre nous ce proverbe, par lequel nous disons qu' une femme court l' Esguillette, lors que elle prostituë son corps à l' abandon de chacun. Pour cette mesme consideration, le Roy au mois d' Octobre 1363. ordonna que les Juifs porteroient une roüelle ou platine d' estain sur l' espaule de la largeur de son grand seel, a fin qu' ils peussent estre discernez d' avec les Chrestiens.

https://www.lemonde.fr/archives/article/1971/09/13/courir-le-guilledou_2447035_1819218.html

8. 34. De ces mots, Veilles de Festes, Vespres, Encens, Reliques, & Collations que l' on fait quand on jeusne.

De ces mots, Veilles de Festes, Vespres, Encens, Reliques, & Collations que l' on fait quand on jeusne.

CHAPITRE XXXIV.

La suite du Chapitre precedant, il n' est point hors de propos de donner à entendre dont viennent ces cinq dictions qui nous sont fort familieres en nos Eglises, lesquelles nous mettons journellement en usage: & paravanture y a-il peu de personnes qui en sçachent l' origine. Le jour qui precede une Feste es appellé depuis le midy jusques au soir Vigile, & par abreviation veille de Feste. Qui aura leu l' Histoire Ecclesiastique, pourra dire dont cela est provenu. Socrates au 4. livre de l' histoire dit ainsi: Erat Vespera, & populus in Vigiliis observans, sperabaturque futura Collectio. Theodoret au cinquiesme livre de la mesme histoire, Erat itaque iam nox, & aliqui populorum ad Vigilias venerant, & expectabatur futura die, Collectio. Ces deux passages nous enseignent que le jour qui precedoit une Feste, ceux du peuple qui estoient les plus devots passoient une partie de la nuict en veilles & prieres. De là vient que l' on appella cela Vigile, ou Veille, & le lendemain, journee de la Feste, se faisant l' Assemblee generale du peuple, que l' on appelloit Collectio. Et parce que les prieres commençoient sur les trois ou quatre heures, que nos ancestres appellerent du mot de Vespera, de là vint aussi que les prieres que nous faisions en ce mesme temps aux Eglises furent appellees Vespres. Au regard du mot d' Encens, ce sont certaines gommes que l' on brusle dedans un Encensoir, de la fumee desquelles le Prestre officiant fait present à Dieu devant les Images. Les Romains en leurs ceremonies usoient de Thus, & Myrrha, qu' ils alloient rechercher au Levant, lesquels ils faisoient brusler, & de la fumee de ces gommes odoriferantes honoroient leurs sacrifices. Chose commune à tout homme qui sçait l' ancienneté: Et de là vient qu' un ancien Poëte Payen disoit Thure Deos placa. De dire que nous ayons transplanté du Paganisme cette ceremonie en nostre Eglise, je ne le veux, ny ne le puis croire. 

C' est encore une imitation du vieil Testament. Bien vous diray-je que nous avons emprunté d' eux le mot d' Encens. Ruffin ce grand Prestre contemporain de S. Hierosme, traduisant Eusebe, lequel au livre second de son Histoire Ecclesiastique, chap. 12. dit que devant que la piperie de Simon Magus eust esté descouverte, le peuple de Rome l' adoroit, Odoribus incensis. On osta par succession de temps le premier mot, & usa-l'on seulement de celuy de Incensum, & ainsi le vieux traducteur de Sozomene en son histoire Ecclesiastique dit que l' Empereur Julian voulant recognoistre les soldats de son armee qui estoient Chrestiens, il les estrenoit deux fois l' an, c' est à sçavoir, le premier jour de Janvier, & le jour de sa Nativité, & lors il vouloit que chacun qui prenoit estreine de luy, Incensum ei offerret: erat enim ante eum positum thus, & ara, secundum antiquam Romanorum solemnitatem, & ceux qui ne l' encensoient, pour estimer cela estre une Idolatrie, estoient par luy jugez Chrestiens. De ce passage vous voyez que le Thus, dont ils usoient estoit bruslé, a fin que l' odeur & fumee montast en haut: mais deslors parce qu' il estoit bruslé, on l' appelloit Incensum. De là l' Italien l' a appellé Incenso, & l' Espagnol Incienso: & nous autres François Encens, & l' utensile où l' on fait brusler telle drogue, Encensoir: car ce fut une chose anciennement commune de tourner l' I Latin en E, ainsi voyons nous que de firmitas, nous fismes fermeté, & d' infirmitas, enfermerie: Qui sont les lieux dans les Monasteres, dediez à penser les infirmes & malades, & enformer & enformation. Vray que depuis par succession de temps nous avons repris l' I Latin: car nous disons aujourd'huy infirme, infirmité, informer, & information, estant toutesfois le mot d' E demeuré à l' Encens, Encensoir, & Enfermerie, & qui est chose esmerveillable, c' est que quand vous rechercherez jusques à un an, à peine que puissiez donner autre nom qu' Encens à cette odeur que l' on presente à Dieu: & neantmoins la verité est que ce nom n' a esté trouvé sinon en consideration de ce que cette drogue ou gomme est bruslee, de la fumee de laquelle on honore nos Festes aux Eglises. 

Car pour le regard des Reliques, que nous adaptons specialement aux os & cendres des Saincts, ce mot anciennement estoit commun à tous les mortuaires. Le Jurisconsulte Modestin en la Loy, Quidam. De condit. instit. Quidam testamento suo haeredem suum scripserat tali conditione, si reliquias eius in mare proficiat. Nous trouvons dedans Suetone en la vie d' Auguste: Legere reliquias & ossa. Et en celle de Calligula: Caesorum clade Variana, veteres ac dispersas reliquias, uno tumulo humaturus, colligere sua manu & componere primus aggressus est. Ce mot depuis s' est tourné en Religion dedans nostre Eglise: & est fort notable le traicté que fit S. Hierosme contre Vigilance, qui en vouloit supprimer l' usance, comme si c' eust esté une espece d' idolatrie.

Reste de parler du mot de Collation dont nous usons és jours de Jeusnes, quand au lieu de nostre souper, prenans vers le soir un noble repas, nous l' appellons Collation, qui n' a aucune respondance au boire ny au manger. Entre tous les mots Latins, je n' en voy un seul qui ait tant de diverses significations comme celuy de Conferre, l' une desquelles est de deviser ensemblément, dont est venu ce que nous disons en cette France Conferer l' un avecques l' autre. Ce fut une coustume anciennement fort familiere tant aux Monasteres, que Colleges les mieux reiglez, aux veilles des Festes solemnelles, que l' on jeusnoit, de faire apres Vespres une conference publique des mœurs, merites & vie du Sainct que l' on solemnisoit, & à cette fin estoit choisi l' un de la troupe pour faire la harangue au milieu de tous, que l' on appelloit Collation, qui vient du Latin Conferre. Ancienneté que je recueille des vieux Statuts du College de Navarre, dont la Roine Jeanne femme de Philippe le Bel fut fondatrice par son testament du 24. jour de Mars 1304. par lequel ayant nommé pour ses executeurs Matthieu Evesque de Soissons & Gilles Abbé de sainct Denis & autres Seigneurs, elle leur bailla permission de corriger, augmenter ou declarer sa derniere volonté, ainsi que bon leur sembleroit. Ceux-cy firent le troisiesme jour d' Avril 1315. les Statuts du College, qui depuis y ont esté observez portans entre autres articles cestuy. Item in vigiliis Festorum solemnium, immediatè post Vesperas tenebitur quilibet Theologus in suo ordine Collationem de Festo facere in Ecclesia, vel in Capitulo, ad quam tenebuntur omnes scholares & socij interesse. C' estoit à dire que chaque Theologien à son tour seroit tenu de faire une Conference publique apres Vespres la veille des Festes solemnelles, où tous les escoliers seroient tenus d' assister. Cela mesme se practiquoit aux Monasteres, toutes-fois parce que ces Conferences ou Collations (a fin de ne sortir du vieil mot) leurs coustoient trop à faire, pour se deliurer de la peine, ils introduisirent une coustume, qui fut, que tout ainsi que pendant leurs disners & souppers, l' un des Religieux lit tout haut un Sainct Gregoire, Sainct Bernard, ou autres Docteurs anciens de nostre Eglise: Semblablement fut trouvé expedient entr'eux, non seulement aux veilles des grandes Festes, mais aussi en tous les autres jours de Jeusnes, lors que sur la sorne ils prenoient sobrement leur pain & vin, que l' un d' eux leust les Collations de Jean Cassian Hermite, Livre plein d' edification pour ceux qui ont voüé la vie solitaire & Monastique. Quoy faisans, ils suivirent aucunement les traces de l' ancienneté en ce mot de Collations ou Conferences faictes aux despens de leurs esprits, & neantmoins estoit chose convenable à leurs professions de lire un Cassian pour le subject qu' il traictoit. Ce mot depuis s' est espandu des Monasteres (dont nous devons puiser nos devotions) parmy tout le peuple, & tout ainsi que leur lisant, on les repaissoit de Collations, aussi avons nous employé en nos Jeusnes ce mot de la façon que nous en usons, voire que je ne sçavrois d' un autre mot vous expliquer plus entendiblement ce que je veux dire.

8. 33. Passer plusieurs choses par un Fidelium, & autres Adages de mesme subject.

Passer plusieurs choses par un Fidelium, & autres Adages de mesme subject.

CHAPITRE XXXIII.

Chose piteuse & detestable, que l' impieté ait apporté entre nous certains proverbes, qui ne furent oncques introduit (introduits) qu' à la derision & mocquerie, ou de Dieu, ou des bonnes, & anciennes institutions de l' Eglise. Si je ne craignois que ce chapitre apportast plus de scandale au Lecteur, que de profit, & qu' en ce faisant je fusse reputé estre sçavant ineptement, je particulariserois plusieurs choses que le peuple dit ordinairement, sans sçavoir ny quoy, ny comment, lesquelles toutes-fois ne prindrent jamais leur origine, que de personnes abhorrens du tout de nostre Christianisme. Ce neantmoins pour ne tomber au vice commun des Prescheurs, qui en accusans les heresies, donnent le plus du temps à entendre au menu peuple celles où il n' avoit jamais pensé, je suis contant passer toutes ces mocqueries sous silence, & raconter seulement quelques proverbes qui courent assez souvent par la bouche du peuple.

Quand au lieu de nous acquiter de plusieurs charges, esquelles sommes obligez, nous les passons à la legere, on dit que nous les avons toutes passees par un Fidelium. Il ne faut point faire de doute que nous avons emprunté ce commun dire, des fautes qui sont faites par nos Curez, quand ils ne rendent le devoir qu' ils doivent aux morts. Car comme il advient que l' on ait fondé plusieurs Obits en une Eglise, esquels par longs laps de temps pour la multitude d' iceux il seroit impossible de fournir, ou bien que la negligence des Ecclesiastiques soit telle, nos anciens dirent que tout cela se passoit par un Fidelium, qui est la derniere Oraison dont on ferme les prieres des morts: Voulans dire que l' on avoit employé une seule Messe des morts pour toutes les autres: Aussi fut employé ce mesme proverbe en toutes autres affaires, où l' on commettoit pareilles fautes.

Nous en avons encores un autre assez ord & sale, quand nous disons qu' un homme qui est fort crotté, est crotté en Archidiacre, qui sembleroit de premiere rencontre plustost mot de gueule que proverbe: Toutesfois qui le considerera de pres, il trouvera qu' il contient aussi bien son ancienneté que plusieurs autres: D' autant que dés la premiere institution de nostre Eglise, les Diacres estoient comme nous pourrions dire les Censeurs à Rome, & ceux qui avoient charge de s' informer des fautes commises par les gens Ecclesiastiques ou menu peuple, pour puis en faire leur rapport à l' Evesque. Toutes-fois depuis il advint que la Chrestienté croissant de jour en jour en grandeur, & par mesme moyen les Prestres que nous appellasmes Curez (tellement que chaque lieu, ville, & village avoit ses Curez à part) aussi fut de necessité d' eriger Archidiacres qui presidoient sur les Diacres, lesquels tout ainsi que les Diacres du commencement de l' Eglise (outre ce qu' ils servoient, & ministroient à l' Evesque) prenoient cognoissance des fautes du peuple, aussi les Archidiacres de là en avant (comme estans de plus grande authorité que les Diacres) s' informeroient des bonnes ou malversations du Clergé: De là vient que par traicte de temps ils gaignerent lieu de  Jurisdiction dans les Eveschez: & semblablement pour autant que les Ministres de l' Eglise estoient divisez en plusieurs & diverses Parroisses, aussi estoient les Archidiacres tenus en certain temps faire les visites (comme encores ils font) sur chaque Curé, pour le tout rapporté à l' Evesque, en estre faite telle animadversion qu' il luy plairoit. De ces chevauchees qui au temps passé estoient plus frequentes qu' à cette heure, est venu à mon jugement que nous disons estre crotté en Archidiacre.

Quant à ce que nous appellons Eauë beniste de Cour, toutes & quantes-fois qu' un Courtisan nous repaist liberalement de plusieurs belles paroles, il ne faut point douter que cette maniere de parler n' ait esté empruntee des ceremonies de nostre Eglise, entre lesquelles il n' y a rien que l' on distribuë  avec tel abandon que l' eau beniste. C' est pourquoy on voulut aussi rapporter cela aux belles promesses sans effect, dont les courtisans ne sont avaricieux. Et ne voudrois pas jurer que celuy qui premier mit ce proverbe en usage, n' estimast que l' eau beniste dont nous usons dans les Eglises, ne fust de pareil effect, se trouvans de gros Chrestiens qui estiment que l' eau beniste est un amusoir de peuple, emprunté des ceremonies des Payens, entre lesquelles il est certain que dans leurs Temples ils avoient de l' eau qu' ils appelloient *Lustrale, laquelle ils jettoient sur ceux qui y entroient. Toutesfois ceux qui en jugent sainement, rapportent l' usage de nostre eau beniste au vieux Testament. Je viendray maintenant à celuy qui pour estre estimé un gros lourdaut, est par nous appellé Veau de Disme. Nous devons tous la disme à nos Curez, tant grosse, que menuë: Grosse des biens de nos terres qui procedent de nostre labeur: Menuë, des bestes qui naissent chez nous, comme veaux, brebis, & cochons. Estans tels que devons estre, nous devons offrir les meilleurs des animaux de nostre croist. Ainsi que sommes admonnestez au 26. du Deuteronome. Et il comme faisoit Abel dans le 4. du Genese, lequel receut la benediction de Dieu parce qu' il offroit du meilleur de son revenu, & Caïn la malediction, d' autant qu' il choisissoit du pire. Entre tous les animaux nous estimons un jeune veau fort lourd & grossier. Parquoy ceux qui premierement appellerent Veau de Disme celuy qui estoit un grand sot, voulurent dire que tout ainsi qu' entre les veaux, celuy de Disme estoit le plus signalé, aussi estoit tel nostre lourdaut entre les lourdaux.

Des Eglises Parrochiales je veux entrer dans les Monasteres. Quand nous disons qu' un homme est plus estourdy que le premier coup de Matines: C' est que les Religieux estans endormis, ne se peuvent aisément resveiller au premier coup de cloche que l' on sonne pour les sommer d' aller à Matines. L' on dit aussi qu' il n' y a rien tant à craindre que le retour de Matines: C' est à dire que quand un Religieux porte quelque inimitié à un autre, il luy est lors plus aisé de le surprendre, pour l' obscurité de la nuict qui le garantit des tesmoins.

Tout ce que j' ay deduit au present Chapitre va plus à la risee ou mocquerie qu' au bien: Ce que je discourray au Chapitre suivant sera tout d' une autre estoffe.