domingo, 6 de agosto de 2023

8. 36. Du mot, Abandonner, & de son origine.

Du mot, Abandonner, & de son origine.

CHAPITRE XXXVI.

Entre tous les mots François je trouve cestuy d' abandonner tres-riche & digne d' avoir icy sa maison particuliere. Et certes quiconque entendra l' energie qui fut anciennement en cette diction de Ban, de laquelle j' ay parlé en divers endroits de ces miennes Recherches, pourra par un mesme moyen entendre la vraye source d' abandonner. Ce mot de Ban estoit entre nous par nos plus anciens pratiqué pour une proclamation publique. Dedans Flodoard, parlant du Roy Raoul, Rodulphus interea de Burgundia revertitur in Franciam, & ut se ad bellum contra Normanos praeparent, Francis banno denunciat. Au vieil Coustumier de Normandie chap. 43. L' ost au Prince de Normandie dés le jour qu' il est banny, proroge les querelles. De là vint que nous appellasmes les Annonces qui se font en cas de mariage par les Curez, Bans. Le Maistre des Sentences lib. 4. distinct. 28. Banna sic iure nominari solita, hoc est publicae proclamationes, &c. De là nous disons Ban, quand nous semonnons les vassaux de venir à la guerre, de là est venu Banniere, pour autant qu' un Estendart est comme un signe de retraicte commune des soldats. Et à peu dire, de là est venu le mot que nous recherchons en ce lieu: car comme ainsi soit que ce mot de Ban prist diversité de signifiances, selon la diversité des rencontres, aussi fut-il pris par nos ancestres pour une chose qui estoit publique, ou voüee au public. Et en cette façon disons nous Pressouër bannier, Taureau bannier, de cette mesme fontaine dirent nos ancestres donner une chose à Ban, pour dire qu' ils l' exposoient à la discretion du public, ainsi que nous voyons estre pratiqué en termes du tout formels au mesme grand Coustumier de Normandie, au tiltre de Banon, & deffens. Où il appelle le temps de Banon, auquel les bestes peuvent aller par les champs pasturer communément, & sans pasteur: & les terres en deffens, ausquelles il n' est permis y aller: Vuides terres sont en deffens, (dit le lieu) depuis la my-Mars jusques à la S. Croix en Septembre. En autre temps elles sont communes, s' elles ne sont closes ou defenduës d' ancienneté si comme de hayes Banon doit estre ostee de toutes terres, en quoy la blee est apparoissant qui pourroit en estre empiree. Qui nous apprend que de trois dictions Françoises qui estoient A Ban donner, nous en avons fait une seule que nous disons Abandonner, de laquelle nous usons à l' endroit de toutes choses que nous voyons estre prostituees à la mercy d' uns & autres.

8. 35. Courir l' Esguillette.

Courir l' Esguillette

CHAPITRE XXXV.

Entre les plus honorables Ordonnances du Roy Sainct Louys, nous cottons principalement celle-là par laquelle il extermina tous bordeaux de son Royaume, toutes-fois pour autant que cet appetit charnel, & aiguillon de volupté de l' homme à la femme nous a semblé avoir esté imposé par une necessité de Nature, telle que mal-aisément la Loy Politique y peust mettre ordre, sans grand desordre: Ceux qui succederent à ce sage Roy au Royaume, encores qu' ils ne permissent par leurs Loix & Edits les bordeaux, si les souffrirent-ils par forme de connivence, estimans que de deux maux il falloit eslire le moindre, & qu' il estoit plus expedient tolerer les femmes publiques, qu' en ce deffaut donner occasion aux meschans de solliciter les femmes mariees qui doivent faire profession expresse de chasteté. Vray qu' ils voulurent que telles femmes qui en lieux publics s' abandonnent au premier venant, fussent non seulement reputees infames de droict, mais aussi distinctes & separees d' habillemens d' avec les sages matrones. Qui est la cause pour laquelle ainsi que j' ay deduit en quelque endroit de ce present livre, on leur deffendit anciennement en la France de porter ceintures dorees, & pour cette mesme occasion l' on voulut anciennement que telles bonnes Dames eussent quelque signal sur elles, pour les distinguer & recognoistre d' avec le reste des prudefemmes. Qui fut de porter une Esguillette sur l' espaule. Coustume que j' ay veu encore se prattiquer dedans Tholoze par celles qui avoient confiné leurs vies au Chastel verd, qui est le bordeau de la ville. Qui me fait penser qu' anciennement en la France lors que les choses furent mieux reiglees, cette mesme Ordonnance s' observa: dont depuis est derivé entre nous ce proverbe, par lequel nous disons qu' une femme court l' Esguillette, lors que elle prostituë son corps à l' abandon de chacun. Pour cette mesme consideration, le Roy au mois d' Octobre 1363. ordonna que les Juifs porteroient une roüelle ou platine d' estain sur l' espaule de la largeur de son grand seel, a fin qu' ils peussent estre discernez d' avec les Chrestiens.

https://www.lemonde.fr/archives/article/1971/09/13/courir-le-guilledou_2447035_1819218.html

8. 34. De ces mots, Veilles de Festes, Vespres, Encens, Reliques, & Collations que l' on fait quand on jeusne.

De ces mots, Veilles de Festes, Vespres, Encens, Reliques, & Collations que l' on fait quand on jeusne.

CHAPITRE XXXIV.

La suite du Chapitre precedant, il n' est point hors de propos de donner à entendre dont viennent ces cinq dictions qui nous sont fort familieres en nos Eglises, lesquelles nous mettons journellement en usage: & paravanture y a-il peu de personnes qui en sçachent l' origine. Le jour qui precede une Feste es appellé depuis le midy jusques au soir Vigile, & par abreviation veille de Feste. Qui aura leu l' Histoire Ecclesiastique, pourra dire dont cela est provenu. Socrates au 4. livre de l' histoire dit ainsi: Erat Vespera, & populus in Vigiliis observans, sperabaturque futura Collectio. Theodoret au cinquiesme livre de la mesme histoire, Erat itaque iam nox, & aliqui populorum ad Vigilias venerant, & expectabatur futura die, Collectio. Ces deux passages nous enseignent que le jour qui precedoit une Feste, ceux du peuple qui estoient les plus devots passoient une partie de la nuict en veilles & prieres. De là vient que l' on appella cela Vigile, ou Veille, & le lendemain, journee de la Feste, se faisant l' Assemblee generale du peuple, que l' on appelloit Collectio. Et parce que les prieres commençoient sur les trois ou quatre heures, que nos ancestres appellerent du mot de Vespera, de là vint aussi que les prieres que nous faisions en ce mesme temps aux Eglises furent appellees Vespres. Au regard du mot d' Encens, ce sont certaines gommes que l' on brusle dedans un Encensoir, de la fumee desquelles le Prestre officiant fait present à Dieu devant les Images. Les Romains en leurs ceremonies usoient de Thus, & Myrrha, qu' ils alloient rechercher au Levant, lesquels ils faisoient brusler, & de la fumee de ces gommes odoriferantes honoroient leurs sacrifices. Chose commune à tout homme qui sçait l' ancienneté: Et de là vient qu' un ancien Poëte Payen disoit Thure Deos placa. De dire que nous ayons transplanté du Paganisme cette ceremonie en nostre Eglise, je ne le veux, ny ne le puis croire. 

C' est encore une imitation du vieil Testament. Bien vous diray-je que nous avons emprunté d' eux le mot d' Encens. Ruffin ce grand Prestre contemporain de S. Hierosme, traduisant Eusebe, lequel au livre second de son Histoire Ecclesiastique, chap. 12. dit que devant que la piperie de Simon Magus eust esté descouverte, le peuple de Rome l' adoroit, Odoribus incensis. On osta par succession de temps le premier mot, & usa-l'on seulement de celuy de Incensum, & ainsi le vieux traducteur de Sozomene en son histoire Ecclesiastique dit que l' Empereur Julian voulant recognoistre les soldats de son armee qui estoient Chrestiens, il les estrenoit deux fois l' an, c' est à sçavoir, le premier jour de Janvier, & le jour de sa Nativité, & lors il vouloit que chacun qui prenoit estreine de luy, Incensum ei offerret: erat enim ante eum positum thus, & ara, secundum antiquam Romanorum solemnitatem, & ceux qui ne l' encensoient, pour estimer cela estre une Idolatrie, estoient par luy jugez Chrestiens. De ce passage vous voyez que le Thus, dont ils usoient estoit bruslé, a fin que l' odeur & fumee montast en haut: mais deslors parce qu' il estoit bruslé, on l' appelloit Incensum. De là l' Italien l' a appellé Incenso, & l' Espagnol Incienso: & nous autres François Encens, & l' utensile où l' on fait brusler telle drogue, Encensoir: car ce fut une chose anciennement commune de tourner l' I Latin en E, ainsi voyons nous que de firmitas, nous fismes fermeté, & d' infirmitas, enfermerie: Qui sont les lieux dans les Monasteres, dediez à penser les infirmes & malades, & enformer & enformation. Vray que depuis par succession de temps nous avons repris l' I Latin: car nous disons aujourd'huy infirme, infirmité, informer, & information, estant toutesfois le mot d' E demeuré à l' Encens, Encensoir, & Enfermerie, & qui est chose esmerveillable, c' est que quand vous rechercherez jusques à un an, à peine que puissiez donner autre nom qu' Encens à cette odeur que l' on presente à Dieu: & neantmoins la verité est que ce nom n' a esté trouvé sinon en consideration de ce que cette drogue ou gomme est bruslee, de la fumee de laquelle on honore nos Festes aux Eglises. 

Car pour le regard des Reliques, que nous adaptons specialement aux os & cendres des Saincts, ce mot anciennement estoit commun à tous les mortuaires. Le Jurisconsulte Modestin en la Loy, Quidam. De condit. instit. Quidam testamento suo haeredem suum scripserat tali conditione, si reliquias eius in mare proficiat. Nous trouvons dedans Suetone en la vie d' Auguste: Legere reliquias & ossa. Et en celle de Calligula: Caesorum clade Variana, veteres ac dispersas reliquias, uno tumulo humaturus, colligere sua manu & componere primus aggressus est. Ce mot depuis s' est tourné en Religion dedans nostre Eglise: & est fort notable le traicté que fit S. Hierosme contre Vigilance, qui en vouloit supprimer l' usance, comme si c' eust esté une espece d' idolatrie.

Reste de parler du mot de Collation dont nous usons és jours de Jeusnes, quand au lieu de nostre souper, prenans vers le soir un noble repas, nous l' appellons Collation, qui n' a aucune respondance au boire ny au manger. Entre tous les mots Latins, je n' en voy un seul qui ait tant de diverses significations comme celuy de Conferre, l' une desquelles est de deviser ensemblément, dont est venu ce que nous disons en cette France Conferer l' un avecques l' autre. Ce fut une coustume anciennement fort familiere tant aux Monasteres, que Colleges les mieux reiglez, aux veilles des Festes solemnelles, que l' on jeusnoit, de faire apres Vespres une conference publique des mœurs, merites & vie du Sainct que l' on solemnisoit, & à cette fin estoit choisi l' un de la troupe pour faire la harangue au milieu de tous, que l' on appelloit Collation, qui vient du Latin Conferre. Ancienneté que je recueille des vieux Statuts du College de Navarre, dont la Roine Jeanne femme de Philippe le Bel fut fondatrice par son testament du 24. jour de Mars 1304. par lequel ayant nommé pour ses executeurs Matthieu Evesque de Soissons & Gilles Abbé de sainct Denis & autres Seigneurs, elle leur bailla permission de corriger, augmenter ou declarer sa derniere volonté, ainsi que bon leur sembleroit. Ceux-cy firent le troisiesme jour d' Avril 1315. les Statuts du College, qui depuis y ont esté observez portans entre autres articles cestuy. Item in vigiliis Festorum solemnium, immediatè post Vesperas tenebitur quilibet Theologus in suo ordine Collationem de Festo facere in Ecclesia, vel in Capitulo, ad quam tenebuntur omnes scholares & socij interesse. C' estoit à dire que chaque Theologien à son tour seroit tenu de faire une Conference publique apres Vespres la veille des Festes solemnelles, où tous les escoliers seroient tenus d' assister. Cela mesme se practiquoit aux Monasteres, toutes-fois parce que ces Conferences ou Collations (a fin de ne sortir du vieil mot) leurs coustoient trop à faire, pour se deliurer de la peine, ils introduisirent une coustume, qui fut, que tout ainsi que pendant leurs disners & souppers, l' un des Religieux lit tout haut un Sainct Gregoire, Sainct Bernard, ou autres Docteurs anciens de nostre Eglise: Semblablement fut trouvé expedient entr'eux, non seulement aux veilles des grandes Festes, mais aussi en tous les autres jours de Jeusnes, lors que sur la sorne ils prenoient sobrement leur pain & vin, que l' un d' eux leust les Collations de Jean Cassian Hermite, Livre plein d' edification pour ceux qui ont voüé la vie solitaire & Monastique. Quoy faisans, ils suivirent aucunement les traces de l' ancienneté en ce mot de Collations ou Conferences faictes aux despens de leurs esprits, & neantmoins estoit chose convenable à leurs professions de lire un Cassian pour le subject qu' il traictoit. Ce mot depuis s' est espandu des Monasteres (dont nous devons puiser nos devotions) parmy tout le peuple, & tout ainsi que leur lisant, on les repaissoit de Collations, aussi avons nous employé en nos Jeusnes ce mot de la façon que nous en usons, voire que je ne sçavrois d' un autre mot vous expliquer plus entendiblement ce que je veux dire.