martes, 8 de agosto de 2023

9. 5. Premiere institution & progrez de l' Université de Paris, & de son ancienne situation.

Premiere institution & progrez de l' Université de Paris, & de son ancienne situation.

CHAPITRE V. 

Quant à moy suivant ce que je vous ay discouru par le precedant Chapitre, rejettant la fondation telle qu' est la commune ignorance, nous devons à mon advis tous estimer, que l' Université de Paris n' a esté jettee en moule tout d' un coup, & est une chose digne d' estre remarquee, qu' encore que l' usage des Universitez ne fust en ceste France du commencement, pour les longues guerres qui y estoient survenuës, & avoient troublé l' Estat ancien & ordinaire des Gaules: si est-ce que d' une bien longue ancienneté, il n' y avoit Eglise Cathedrale, en laquelle n' y eust une prebende affectee, pour le salaire de celuy qui enseigneroit les lettres ordinaires, & une autre pour celuy qui vacqueroit à l' enseignement de la Theologie. Le premier estoit appellé Escolatre, le second Theologal. En quelques Eglises n' y en avoit qu' un pour l' espargne, & és autres, deux. Du commencement ces places estoient baillees à personnages de merite, qu' on recherchoit par honneur, & se sentoient les Doyen, Chanoines & Chapitre bien honorez, quand ils en avoient pourveu un homme sortable. Mais comme par malheur, il advient ordinairement que tous mauvais exemples prennent leur source avecques le temps de beaux & loüables pretextes, aussi advint-il au cas qui s' offre, que peu à peu ceux qui desiroient entrer en ces grades, estoient contraincts avant que d' y estre admis, faire presens par forme de proficiat & gratification à uns & autres Chanoines, qui avoient plus de voix & creance en Chapitre pour la nomination. Qui estoit une vraye corruptelle, revestuë du masque de loüable coustume. Et de cet abus est parlé au Concil de Latran, tenu souz le Pape Alexandre troisiesme en un article qui s' adresse expressément à nostre Eglise Gallicane, qui est tel: Quanto Ecclesia Gallicana, maiorum personarum scientia, & honestate praefulget, &c. Article depuis transplanté mot pour mot aux Decretales de Gregoire neufiesme, chapitre Quanto de Magist. Ext. Et est cette mauvaise coustume condamnee par ce Concil, & ceux-là anathematizez qui de là en avant en useroient.

Ny pour tout cela vous ne trouverez en tout ce Concil estre parlé d' aucune Université chez nous: Et est advenu que toutes nos Universitez qui se trouvent en nostre France, elles ont esté depuis establies en nos Eglises Archiepiscopales, ou Episcopales: horsmis celle de Caen, qui ne fut institution Françoise, ains Anglesche, souz le peu de temps que le jeune Roy Henry sixiesme vint en France. Chose que je ne dis pas pour vilipender ce College, auquel se trouvent plusieurs gens d' honneur y avoir siege: ains pour dire ce qui est de la verité de l' Histoire.

Or les choses se passans de cette façon, je ne doute point que nostre Paris estant d' une longue ancienneté la ville metropolitaine de la France, & siege ordinaire de nos Rois, ainsi tant pour la commodité, & situation du lieu, que respect qu' on luy portoit, les gens plus doctes ne s' y habituassent, & ne desirassent d' avoir l' une de ces deux chaires, pour faire diversement monstre & banniere de leur sçavoir: Et qu' à cet effect, la maison Episcopale fut expressément choisie, long temps auparavant que l' Université eust esté creée. En quoy je pense avoir Pierre Abelard pour mon garand, grand personnage de son temps, s' il ne se fust trop flaté. Cestuy au recit qu' il fait de ses tribulations, en une longue Epistre Latine, nous dit que sur son jeune aage, il abandonna pere, mere, freres, & sœurs, & toute esperance de successions, tant directes que collaterales, pour s' habituer dans Paris, où les bonnes lettres commençoient de se loger, & que là il y avoit en la maison de l' Evesque deux doctes personnages, qui y faisoient lectures publiques. Un Guillaume de Champeau Archidiacre de Paris, qui s' estoit rendu admirable en l' explication de Priscian, & de la Philosophie, & avecques luy un Anseaulme, qui enseignoit la Theologie. Par cela nous n' apprenons pas que les Escoles de Paris fussent establies vers l' Eglise de nostre Dame. Mais comme Abelard nous discourant ses malheurs, il n' oublie rien en l' histoire de sa vie de ce qui fait, tant à son advantage que contre, aussi adjouste-il que quelques jours apres sa venuë, il avoit gaigné telle vogue sur ces deux precepteurs, qu' il leur faisoit à bonnes enseignes contraste. Au moyen dequoy y ayant lors une jeune fille nommée Heloïse tres-docte, qui se tenoit au cloüestre, chez Foubert son oncle, (quelques uns le disent pere) Chanoine de nostre Dame, il fut par luy prié de faire leçon à sa niepce, dedans sa maison, dont Abelard ne l' esconduit. Parce (dit-il) que la maison du Chanoine, Scholis nostris proxima erat. Passage dont je recueille, que c' estoit en la maison Episcopale, qu' on exerçoit les estudes, tant de Grammaire & Philosophie, que de la Theologie. Qui fut cause que les Libraires se vindrent loger là aupres. Ce dont nous avons encore veu de nostre temps quelques restes, & apparceuances en la ruë de nostre Dame non esloignee de cette Eglise.

Or les Estudes s' y estans de cette façon plantees, elles commencerent peu apres de s' apprivoiser du Monastere de Sainct Victor: Pour laquelle ancienneté recognoistre, outre ce que j' ay remarqué en mon troisiesme Livre, encore pensé-je estre indubitablement assisté de deux notables passages. Le premier d' un vieux Religieux de Jumege, qui fit quelques additions sur la Cronique de Sigebert: le second du mesme Abelard. Eodem tempore (dit le Religieux) quo ordines Cisterciensis, & Charthusiensis fuerunt creati, Magister Guillelmus de Campellis, qui fuerat Archidiaconus Parisiensis, vir admodum litteratus ac religiosus, assumpsit habitum Canonicis regularis, cum aliquibus suis discipulis, extra urbem Parisius, in loco ubi erat capella sancti Victoris Martyris. Assumpto autem illo ad Episcopatum Catalaunensem, Venerabili Gilduinus eius discipulus, primus Abbas ibi factus est. Par ce passage vous voyez que Champeaux qui s' estoit acquis tant de bruit dedans l' Eglise de Paris, quitta & son Archidiaconé, & sa robe seculiere, pour espouser une vie Monastique, avecques quelques siens Escoliers en la Chappelle sainct Victor, mais non que l' on y enseignast les bonnes lettres: Ce doubte vous sera levé par Abelard, au passage par moy, non entierement preallegué: Perveni tandem Parisius (dit Abelard) ubi idem maximè disciplina haec (il entendoit parler de la Philosophie) florere consueverat, ad Guillelmum scilicet Campellensem, praeceptorem meum in hoc Magisterio, re, famáque praecipuum. Et peu apres: Elapsis autem paucis annis, cum ex infirmitate iamdudum convaluissem, praeceptor ille meus, Parisiensis Archidiaconus habitu pristino renunciato, ad Regularium ordinem se contulit. Non tamen hic profeßionis habitus, aut ab urbe Parisiensi, aut à consueto Philosophiae studio substraxit, sed in ipso quoque Monasterio, ad quod se contulerat, statim more solito, publicas exercuit Scholas. Vous voyez que combien que Champeaux eust changé sa vie seculiere en reguliere, cela n' empescha pas qu' il ne continuast ses lectures anciennes en son nouveau Monastere de S. Victor, tout ainsi qu' auparavant en nostre Dame. Et à tant que les bonnes lettres furent en mesme temps enseignees en ces deux venerables maisons: mais qu' elles avoient pris leurs premieres nourritures en celles de nostre Dame.

Quelques uns paravanture trouveront mauvais que j' attribuë l' ouverture des Religieux de sainct Victor à Guillaume de Champeaux, laquelle par la voix commune du peuple, est attribuee à nostre Roy Louys le Gros, sixiesme de ce nom. Opinion qui n' est pas de prime face sans quelque apparence de verité. Car le mesme Roy par ses lettres en forme de Chartres de l' an mil cent treize, disoit que par l' advis de plusieurs Prelats & Seigneurs de son Conseil: In Ecclesia Beati Victoris, quae iuxta Parisiorum civitatem sita est, Canonicos regulariter viventes ordinari volui. Dementant par ce moyen, tant le Religieux de Jumege, qu' Abelard. Toutesfois il est certain que cette Eglise avoit esté auparavant reduicte en forme de Prioré par Champeaux, & quelques uns de ses Escoliers. A quoy le Roy Louys le Gros voulut apporter plus d' estoffe, comme vous pourrez voir par les mesmes lettres, esquelles il use de ces mots Dotavi, & ditavi: & non pas qu' il l' eust premierement fondee. Mais au lieu de Prieur il y establit un Abbé, comme nous apprenons de son Epitaphe, qui est au Cloüestre, joignant la porte de l' Eglise.

Insignis genitor Ludovici, Rex Ludovicus, 

Vir Clemens, Christi servorum semper amicus, 

Instituit, fecit, Pastorem Canonicorum.

In cella veteri, trans flumen Parisiorum.

Plus fidele commentaire ne pourriez vous avoir que cestuy, pour monstrer que Louys le Gros ne fut le premier fondateur, ny de cette Eglise, ny des Chanoines reguliers d' icelle, ains seulement de l' Abbé. Vray que l' Eglise S. Victor estant auparavant bastie, accompagnee de ses Religieux, le Roy Louys le Gros la fit de fonds en comble reedifier, dit un vieux Historiographe, qui n' a point inseré son nom. A quoy nous adjoustons que celuy qui premier en porta le tiltre d' Abbé, fut Gilduin l' un des principaux disciples de Champeaux, lors que son precepteur fut creé Evesque de Chaalons. Ce Roy fut le premier de la famille des Capets, qui meit (si ainsi me permettez de le dire) nos Rois hors de page. Car comme ainsi fust que sous ce nouveau changement de lignee souz Hugues Capet, plusieurs grands Seigneurs se fussent par un droit de bien-seance accommodez du bien de l' Eglise, ce Roy les sceut si bien mener à raison, qu' en fin de jeu toutes ces places mal prises furent renduës, & remises en leur premiere nature. Et pour cette cause dit Guillaume de Nangy en ses Annales de France, il fut appellé le Batailleux. Les belles victoires qu' il obtint, non seulement contre ces seigneurs mal-gisans, ains contre tous ses ennemis, furent cause à mon jugement, que par la rencontre du nom, il choisit ce Monastere S. Victor, & qu' il le dota de plusieurs grands biens, & prerogatives, pour luy servir à l' advenir de trophee. De maniere que la pauvreté en estant tout a fait bannie, & par consequent la necessité & disette, adoncques commencerent les Religieux à espandre successivement leurs semences: Uns Hugo, Adamus, Riccardus, Accordus, Galterus, Godofridus, Garnerius, Absalon, Leoninus, & plusieurs autres Religieux de mesme paste, par le moyen desquels l' Université s' accreut grandement avecques le temps. 

9. 4. Que l' opinion est erronée, par laquelle on attribuë l' institution de l' Université de Paris à l' Empereur Charlemagne.

Que l' opinion est erronée, par laquelle on attribuë l' institution de l' Université de Paris à l' Empereur Charlemagne.

CHAPITRE IV.

He vrayement ce n' est pas un petit honneur à cette noble Université, si elle a eu pour parrein l' Empereur Charlemagne, qui luy ait donné ce nom; quoy que soit qu' il ait esté dedans Paris le premier Autheur & Promoteur des bonnes lettres. De mesme façon vois-je qu' on luy attribuë l' Institution, & de nos Parlemens, & de nos douze Pairs de France. Luy (dis-je) qui fut premierement Roy de France, puis Patriciat de Rome, & de toute la Lombardie, & finalement Empereur de tout l' Occident. Tant y a qu' il se veit commander absolument à la France, Italie, & Allemagne. Il estoit vrayment grand Prince, personnage d' esprit, bien nourry és bonnes lettres, grand Capitaine & guerrier, a l' espee duquel nostre Royaume de France doit beaucoup; mais j' ose dire que sa memoire n' est moins obligee à nos plumes. Car quant à moy j' estime, que ny l' Ordre des Parlemens, ny des Pairs ne luy est deu, comme j' ay amplement verifié par parcelles dedans mon second Livre, ny aussi de l' Université de Paris, ainsi que j' ay amplement discouru au vingt-troisiesme chapitre du troisiesme. Toutesfois d' autant que ce Livre est expressément dedié pour la deduction des Universitez de la France, je donneray à cette nouvelle opinion plus d' air, contrevenant à l' ancienne. Les deux premiers que je vois de nostre temps, ou quelque peu auparavant n' avoir voulu adherer à Vincent, Gaguin, Gilles, & autres, sont Paule Emile, & Messire Jean du Tillet Evesque de Meaux, l' un en son Histoire generale de nostre France, l' autre en sa Chronique abregee. Deux personnages dont je fais grand compte en ce subject, & m' asseure qu' ils n' eussent oublié de faire mention de cette opinion, si par leurs estudes & recherches ils l' eussent trouvee veritable. Ils ne l' ont expressément contredite; ains seulement teuë, j' ay voulu dire sagement, monstrant par cette sagesse, qu' ils n' y adjoustoient aucune foy. Je suis le moindre des moindres: mais je pense avoir esté celuy, qui premier levay la paille en cet endroit l' an 1564. quand en ce grand theatre de la Cour de Parlement de Paris, en presence d' une infinité de gens de lettres plaidans pour l' Université de Paris, contre les Jesuites, apres avoir faict mon preambule, tel que je pensois necessaire, je commençay le demeurant de ma narration par ces mots. 

L' Université de Paris, soit qu' elle ait pris son commencement sous le grand Empereur Charlemagne (ainsi que le vulgaire de nos Annales estime) ou sous ce grand Philippes Auguste, sous lequel les bonnes lettres prindrent leur grand advancement & progrez, specialement en cette ville, par le moyen de Messire Pierre Lombard, Evesque du lieu, (en faveur duquel nous celebrons tous les ans un Anniversaire dedans l' Eglise sainct Marcel) a tousjours esté grandement cherie, aimee, & favorisee de nos Roys. Je me fermay en cela pour cet esgard: car ce n' estoit mon intention d' en discourir. Et a fin que ne pensiez que ce fust par nouvel esprit de contradiction que j' entray deslors en ce nouveau party, je sçay quel honneur je dois porter à une opinion commune, mais aussi sçay-je bien que la verité doit estre beaucoup plus honoree. Et pour cette cause je vous diray encore un coup que ce ne nous seroit pas un petit Autheur de nostre Université que Charlemagne: toutesfois je ne voy, ny qu' Aimoïn, ny Rheginon, ny Adon, ny Sigebert en facent aucune mention (car quant à l' Histoire de Turpin, c' est une Histoire supposee, & neantmoins encore n' en parle t' elle point.) Chose que non seulement ils n' eussent escoulé sous silence, mais l' eussent pris à nostre tres-grand honneur, s' estans arrestez par leurs œuvres à plusieurs parcelles, qui ne sont de tel merite que cette-cy. Mesme que Eghinard qui se dit avoir esté son Secretaire, semble avoir laissé aux autres Historiographes la deduction des exploits militaires de cet Empereur, & pris pour son partage seulement ce qui regarde le sçavoir & bonnes lettres qui estoient en cet Empereur, nous discourant qu' il avoit esté nourry, non seulement en sa langue naturelle, mais aussi en plusieurs estrangeres; Et specialement que la Latine luy estoit aussi familiere que sa langue maternelle: Et quant à la Grecque qu' il l' entendoit, ores qu' il ne la sceust prononcer, comme pareillement il avoit esté instruit en la Grammaire, & aux arts liberaux, premierement par Pierre Pisan, puis par Albin, surnommé Alcuin, voire avoit l' intelligence de l' Astronomie. Qu' il fit la vie des Roys de France en vers: donna à son vulgaire les noms des mois & des vents: Qu' à ses repas, pour ne perdre le temps, il se faisoit lire ou reciter quelque belle histoire: Bref estant la plus belle remarque dont Eghinard embellisse la vie de Charlemagne, que le soing qu' il avoit eu aux bonnes lettres & sciences; je ne me puis persuader, qu' il n' eust à la queuë de cecy parlé de cette Université, s' il en eust esté fondateur, tant pour la dignité du lieu, où elle eust esté establie (ancien sejour de nos Roys de France, dés l' advenement de Clovis) que pour l' excellence mesme d' un tel œuvre. Estant la plus belle closture que cet Historien eust peu adjouster à la suite de cette belle narration. J' ay dit tout cela en mon 3. Livre, je le repete mot pour mot, & paravanture la repetition n' en sera frustratoire & oiseuse, ayant à desraciner l' opinion fabuleuse de nostre Vincent de Beauvais. Ce que je vous verifieray encore amplement par un passage exprez des Constitutions de Charlemagne, & Louys le Debonnaire son fils, au 2. Livre article 5. où le Debonnaire escrit en cette façon aux Evesques qui habitoient en ses Provinces. Scholae sanè ad filios instruendos, vel edocendos, sicut nobis praeterito tempore, ad Attiniacum, promisistis, & vobis iniunximus, in congruis locis, ad multorum utilitatem & profectum, vobis ordinari, non negligatur. 

Il estoit Roy & Empereur, & comme tel desiroit qu' on establist Escoles en divers lieux, l' avoit auparavant, comme il dit, commandé. Commandement qu' il reïteroit par expres: Croyez que si cette mesme institution eust esté auparavant faite dedans Paris par l' Empereur son pere, il n' eust pas espargné cet exemple pour exciter ceux ausquels il avoit affaire, pour estre induits à luy obeïr.

J' adjouste que Charlemagne fit tenir pendant son Empire cinq Concils, à Majence, Rheims, Tours, Arles, & Chaalons sur Saone, & apres son decez Louys le Debonnaire son fils, puis Charles le Chauve son arriere-fils plusieurs autres, en tous lesquels nulle mention de cette Université, ny des Escholes qui y furent lors, ny depuis dressees. Car quant à tous les autres Roys qui sont venus depuis le Roy Louys le Gros, vous ne trouvez que chamaillis, coups d' espees, & à peu dire images des Rois, jusques à la venuë de Hugues Capet, & encore moins aucun soucy des sciences, non pas mesmes sous les mesmes Capet, Robert, Henry, Philippes premier de ce nom. Il estoit question d' assassiner un vieux Estat, & en asseurer un nouvel, puis de faire nouvelles conquestes au Levant sur les Sarrazins. En tous les livres qui ont esté diversement escrits de ce qui estoit de ce temps là, vous ne trouverez un seul mot de ces pretenduës Escoles. Qui me semblent grands arguments, pour monstrer que ce que l' on dict de Charlemagne, & de l' Anglois, & des Escossois est une Histoire fabuleuse. Singulierement eu esgard que tout ce que j' ay deduit cy-dessus prend sa source, dés & depuis Charlemagne sans discontinuation, & si ainsi me permettez de le dire de fil en aiguille, jusques à nostre Philippes II. qui fut le quatriesme Roy successif de nostre troisiesme lignee. Au contraire le plus ancien auquel nous sommes redeuables de cette creation faite par Charlemagne, c' est à Vincent de Beauvais, Religieux de l' Ordre des Freres Prescheurs de sainct Dominique, qui nasquit en Espagne l' an 1205. & mourut l' an 1258. Au regard de Charlemagne, qui nasquit l' an 742. & mourut l' an 814. Prenez tout cet entrejet de temps de sa nativité jusques à son decez, & le joignez à celuy de Vincent, vous y trouverez quelques quatre cens ans d' intervalle que plus que moins. Et luy mesme recognoist ne la tenir que d' une Cronique d' Arles, qui est sans nom, & depuis s' est avecques le temps perduë. Joint que je fais grand estat d' un Paule Emile, d' un Jean du Tillet Evesque, Jean du Tillet Greffier au Parlement son frere, Claude Fauchet premier President des Monnoyes, qui n' ont rien ignoré de nostre Histoire, & neantmoins passent ce present discours sous silence. Et ores que Pierre Maçon, & Jean de Serre, facent Charlemagne fondateur, l' un & l' autre oublie le compte des Moines Escossois: & signamment de Serre apres avoir sur le commencement de la vie, dit en passant que Charlemagne avoit esté fondateur de nostre Université, & poursuivant puis apres d' un long discours toute cette histoire, il ne touche un seul mot concernant cette fondation, non plus que Belle-Forest. Il n' est pas que Veigner au second Tome de son Histoire, apres avoir fait contenance de favoriser cette opinion, la contredit immediatement en l' article subsequent. Antoine l' Oisel Advocat, en son plaidoyé concernant la Collation de l' Eglise Parrochiale de Sainct Cosme & Sainct Damien, la soustint formellement estre supposee. Comme j' avois fait auparavant en l' an 1564. & depuis par le 23. chap. de mon 3. Livre, lequel vous pourrez pareillement voir, comme y estans plusieurs autres raisons deduites, que je n' ay icy touchees. Partant mettez en la balance les deux opinions qui regardent cette fondation, vous trouverez que celle qui est pour la negative est la meilleure. Voyons doncques maintenant quelle fut l' Institution & progrez de cette Université.

9. 3. Opinion commune que Charlemagne a esté fondateur de l' Université de Paris.

Opinion commune que Charlemagne a esté fondateur de l' Université de Paris.

CHAPITRE III.

Chose admirable qui ne doibt estre teuë, ains sceuë, voire cornée à son de trompe, & cry public que nous avons douze ou treize Universitez, en cette France, diversement destinées pour l' enseignement d' unes & autres bonnes lettres, mot anciennement incognu par les Latins, pour cette signification. Et n' y a ville qui porte ce titre là qu' elle ne sçache qui feust le Roy, lequel l' honora premierement de ce nom. Nul ne doubte que Paris n' ait cest honneur d' estre la ville Metropolitaine de la France, & que tout d' une suite elle ne soit la premiere, & plus ancienne de toutes nos Universitez. Toutesfois (ô malheur) nous n' avons dedans nos archifs, aucuns titres, & enseignements dont nous puissions sçavoir qui feut le premier Autheur, & instituteur de cette Université: non seulement nous ne l' avons, mais qui plus est discourant sur son origine, chacun de nous en parle à tastons, l' atribuant, qui à Charlemagne, qui à Louys le Gros, qui à Louys le jeune, son fils, qui à Philippe second, dit Auguste. 

Et parce que la commune opinion va à l' Empereur Charlemagne, & que de croire le contraire, c' est estre heretique en l' Histoire, par plusieurs personnes, je toucheray premierement cette corde, puis diray franchement ce que j' en pense, à la charge d' estre desdit par ceux qui seront de contraire advis: Ce que je ne prendray à cœur, moyennant que je suis combatu par bonnes & vifves raisons.

La commune opinion est, que quatre Escossois disciples du venerable Beda Anglois, estant arrivez en France, publioient par toutes les villes esquelles ils passosent, qu' ils avoient de la doctrine à vendre, & que celuy qui en desiroi d' en acheter vint par devers eux, il raporteroit ce qu' il souhaitoit. Ce dont l' Empereur Charlemagne adverty, apres les avoir halenez leur assigna la ville de Paris pour cest effect, & que deslors l' Université de Paris commença d' estre en vogue. Ces nouveaux vendeurs estoient Alcuinus ou bien Albius, Joannes, Claudius, Pisanus. 

Le premier que je trouve nous avoir servy de cette opinion est Vincent de Beauvais Religieux de l' Ordre des freres Minimes, comme nous aprenons du titre de ses œuvres qui n' estoit point un Personnage de peu de merite, comme nous aprenons des quatre tomes qu' il fit soubs le nom de miroüer. Speculum Historiale, lib. 32. Speculum naturale 33. Speculum doctrinale lib. 13. Speculum morale lib. 3. Estant homme de telle marque, il ne le faut aisément condamner. Je vous raporteray doncques icy tout au long ce que j' emprunte de luy. Au Chap. LXXIV. du XXIV. livre de son miroüer historial nous aprend qu' Albuin avoit esté envoyé en Ambassade d' Angleterre, à nostre Roy Charles, lequel l' ayant trouvé homme de doctrine l' avroit honoré de l' Abbayé de sainct Martin de Tours, qui lors estoit regie par des Religieux seulement, & non secularisée. Puis il adjouste ce qui s' ensuit. In Chronicis Metropolis Arelatensis legitur, Omnipotens verum dispositor ordinatorque regnorum & temporum &c. & peu apres parlant du Roy Charles le grand. Qui cum in occiduis partibus regere solus caepisset & studia litterarum ubique eßent in oblivione, adeoque verae deitatis cultura teperet, contigit duos Scotos monachos de Hibernia cum mercatoribus Britannis, litus Galliae advenire, viros & in sacris & in secularibus scripturis eruditos. Qui quotidie cum nihil ostenderent venale ad convenientes emendi gratia turbas, clamare caeperunt: si quis sapientiae cupidus est veniat ad nos, & accipiat, nam vaenalis est apud nos. Tandiu conclamata sunt ista, donec ab admirantibus, licet insanos putantibus, ad aures Regis Caroli semper amatoris sapientiae sunt prolata; qui celeriter illos ad praesentiam suam evocatos interrogavit si vere scientiam haberent, ut ipse compararet: Sapientiam, inquiunt & habemus & in nomine Domini, eam quaerentibus dare parati sumus. Qui cum quaesisset ab his quid pro ipsa peterent, responderunt. Loca tantum opportuna & animas ingeniosas, & sine quibus ista peregrinatio transiri non potest alimenta, & quibus tegamur. Quo ille accepto ingenti gaudto repletus, primum quidem apud se parvo tempore tenuit. Postea vero cum ad expeditiones bellicas urgeretur, unum eorum, nomine Clementem, in Gallia Parisius scilicet residere fecit, cui & pueros nobilißimos, mediocres & infimos satis multos commendavit. Et eis prout necessarium habuerunt victualia ministrari praecepit habitaculis opportunis ad metandum deputatis, alterum vero in Italiam direxit. Cum & Monasterium S. Aug. juxta Tirenensem urbem delegavit, ut illic si voluissent ad discendum congregari possent. Audito autem Albinus de natione Anglorum, qui graviter sapientes, ac Religiosos viros susciperet Carolus, conscensa navi venit ad eum, cum socijs in omnibus scripturis exercitatus. Utpote doctißimi Bedae discipulus. Quem Rex usque ad finem Regni iugiter secum retinuit, nisi cum ad ingruentia bella processit. Deditque & illi Abbatiam sancti Martini, ut quando ipse absens esset illic resideret, & ad se confluentes doceret. Cuius intantum doctrina fructificavit, ut Franci antiquis Romanis, & Atheniensibus aequiparentur. 

En tout ce que dessus il n' est fait nulle mention expresse de l' Université, & neantmoins sans la nommer il est aisé de penser qu' il entendoit en parler. Comme de fait Nicole Gilles en ses Annales de France a presque traduit de luy mot à mot tout le passage en la vie de Charlemagne. En ce temps (dit-il) vindrent d' Irlande en France deux Moines, qui estoient d' Escosse, moult grands Clercs, & de saincte vie, lesquels par les citez & pays preschoient & crioient, qu' ils avoient science à vandre, & qui en voudroit achapter, vint à eux. Ce qui vint à la cognoissance de l' Empereur Charlemagne, qui les feit venir devers luy, & leur demanda s' il estoit vray, & qu' ils eussent science à vendre, lesquels respondirent que voirement ils l' avoient, par don de graces de Dieu. Et qu' ils estoient venus en France pour la prescher, & enseigner à qui la voudroit apprendre. L' Empereur leur demanda quel loyer ils voudroient avoir pour la monstrer. Et ils respondirent qu' ils ne vouloient fors lieux convenables à ce faire, & la substance de leurs corps tant seulement, & qu' on leur administrast gens & enfans ingenieux pour la recevoir. Quand l' Empereur les eut oüis, il fut bien joyeux, & les tint avecques luy, jusques à ce qu' il luy convint aller en guerre. Et lors commanda à l' un d' eux nommé Clement, qu' il demeurast à Paris, & luy feit bailler des enfans de gens de tous estats, les plus ingenieux qu' on sçeut trouver, & feit faire lieux & Escoles convenables pour apprendre, & commanda qu' on leur administrast ce qu' il leur seroit besoing, & leur donna de grands privileges, franchises, & libertez, & de là vint la premiere institution du corps de l' Université de Paris. L' autre fut par luy envoyé, & luy donna une Abbaïe de S. Augustin, pres la cité de Pavie. Lors y avoit en Angleterre un moult grand Clerc, Philosophe & Theologien nommé Alcuin, lequel estoit Anglois de nation, & avoit esté disciple du venerable Bede, & estoit remply de toutes sciences, tant en Grec, que Latin. Quand il sceut que l' Empereur Charlemagne recueilloit les sages hommes & grands Clercs, qui avoient pouvoir de monstrer, & enseigner sciences, il passa en France, & vint devers le dit Empereur, qui le reçeut honorablement, & le retint avecques luy tant qu' il vesquit, & l' appelloit son Maistre. Toutesfois quand il alloit en guerre, il le laissoit, & ne le menoit pas avecques luy, & ordonna qu' il demeurast en l' Abbaïe Sainct Martin de Tours. Et par le moyen des dicts Maistres fut multipliee science à Paris, & en France. Et parce à la requeste du dit Alcuinus, translata (comme dit est) le dit Charlemagne, l' Université qui estoit à Rome, & laquelle paravant y avoit esté transferee d' Athenes, & la feit tenir à Paris: & furent fondateurs de la dite Estude & Université quatre grands Clercs, qui avoient esté disciples de Bede: C' est à sçavoir le dit Alcuinus, Rabanus, Claudius, & Joannes. Tellement que la vraye source y a tousjours depuis esté. Vous voyez que tout ce passage a esté nommément extraict de celuy de Vincent de Beauvais, horsmis quelques particularitez: mais bien courtes. Et voicy que Robert Gaguin Religieux de l' Ordre de la Sainte Trinité, Ministre des Mathurins de Paris en dict en sa Chronique Françoise. 

Carolo, cum specie corporis valetudo, & robur, ingenium insuper excellens, gravitas atque incessus, dignitati Regiae non discors, liberalibus disciplinis animum excoluit, praeceptore primum, Petro Pisano, deinde Alcuino Anglo, viro apprime divinis, humanisque artibus erudito, quem Glossae in Bibliam (quam Ordinariam vocant) Authorem Anthonius Florentinus prodit. Quamvis enim Alcuinus à Regibus Anglis ad Carolum missus esset Orator, solius tamen Gallici benignitate delectatus apud Carolum mansit. Quo Authore Parisiensis Schola (quam universitatem vocant) hac occasione coepit. Delati nave ex Scotia, Claudius & Ioannes, Rabanus quoque, & Alcuinus ex Venerabilis Bedae discipulis, in Gallias cum venissent, nec quicquam praeter bonas disciplinas patria exportassent, se sapientiam profiteri, eamque vaenalem conclamant. Qua re ad Carolum perlata, illos ad se vocat, vocati libere profitentur; sapientiam illis esse: quam adipisci cupientes gratis edocerent, si vita, locusque tantum eis praeberetur. Intellexit Imperator ingenuam hominum mentem, eosque cum aliquot dies apud se tenuisset, Claudium, cui nomen erat Clemens Parisijs conversari, & generosos adolescentes bonis disciplinis instituere iubet. Ioannem vero Papiam misit. Hoc initium habuit Parisiensis schola, celebre mox Philosophiae, atque Theologiae Gymnasium, unde prodiere insigni doctrina atque eruditione viri, qui non secus atque illuminatißimae faces, mirum Christianae Religioni fulgorem effuderunt. Ita ut non abs re, bonorum studiorum parens (non quidem annis, sed liberalibus, religiosisque disciplinis) antiqua, à plerisque nominetur.

A la suite dequoy je voy les aucuns avoir suivy cette opinion à laquelle Baptista Aegnatius adhere es vies des Empereurs. Et apres luy beaucoup plus amplement Bernard de Girard Seigneur du Bertas donna plus d' air que ses devanciers au quatriesme livre de nostre Histoire de France. 

Et de cette mesme est Nicolas Veigner en son Sommaire de l' Histoire de France. Et encore quelques annees apres au second Tome de sa Bibliotheque Historiale. Papirius Maçonius sans particulariser cette Histoire, attribuë en son general cette institution à Charlemagne. Et François de Belle-Forest en ses grandes Annales de France, vie de Charles le Grand chapitre septiesme sur la fin. Et depuis quelques annees en ça, frere Jacques du Brueil Religieux de Sainct Germain des Prez, en son Theatre des Antiquitez de Paris. Chacun desquels il faut diversement honorer, en ce que ils nous ont par leur diligence laissé par escrit. Le commun dire de Pline le grand nous est assez familier, par lequel il se vantoit ne lire livre, dont il ne rapportast profit. A plus forte raison devons nous dire le semblable de tous ceux-cy dont nous devons estimer les œuvres de recommandation.