miércoles, 9 de agosto de 2023

9. 17. Autre plant des Escoles de l' Université de Paris.

Autre plant des Escoles de l' Université de Paris.

CHAPITRE XVII.

La discipline qui s' observa en ses pauvres Escoliers Boursiers qui estoient reclus, fut trouvee si bonne, que la plus part des peres & meres, envoyans leurs enfans à Paris pour estudier; les voulurent aussi loger dedans les Colleges pour eviter la desbauche: & cestuy est le septiesme mesnage de nostre Université. De là vint que les Colleges s' enflans d' Escoliers, on fut contraint d' y faire des Classes (mot dont Quintilian usa au premier Livre de ses Institutions Oratoires, au faict des jeunes Escoliers) & y avoir divers Precepteurs pour enseigner les enfans selon le plus ou le moins de leurs capacitez: Ceux-cy furent appellez Regens d' un mot emprunté du Concil general tenu dedans Rome en l' Eglise de sainct Jean de Latran sous le Pape Alexandre troisiesme. Où au Chapitre dix-huictiesme exhortant les Archevesques, & Evesques de nostre Eglise Gallicane (ainsi le trouverez vous en propres termes) on y adjouste. 

Ut quicunque viri litterati voluerint regere studia litterarum, & caetera. 

C' est à dire que les hommes doctes qui se voudroient regir & enseigner les bonnes lettres. De là nous avons non seulement appellez Regens ceux qui enseignoient la jeunesse en Humanité, & aux Arts: Mais aussi Docteurs Regens, en Decret, en Medecine, & aux Loix. Depuis cet ordre ainsi estably, parce que les Regens devoient estre passez Maistres és Arts, celuy auquel le fondateur du College avoit donné le nom de Maistre, pour avoir l' œil dessus tous ses Escoliers Boursiers, fut ores appellé Magister Paedagogus ores Principalis Paedagogus. Antiquité que vous recueillerez toute entiere d' un Article de la Reformation de Monsieur le Cardinal d' Estouteville sous le tiltre de Artistis. Item, Mandamus & praecipimus, ut quilibet Magister Paedagogus assumat sibi Regentes, & quoslibet submonitores, viros bonos, graves, & doctos, qui sint discipulis ad exemplum, & qui tales sint, ut pro merito suarum virtutum, & scientiae, revereantur à Scholaribus. Est enim metus, & reverentia nervus scholasticae disciplinae. Et ut tales apud se habeant, volumus eisdem Regentibus & submonitoribus, per Principales Paedagogos, de competenti salario, cum victu, provideri: Nec liceat quoquo modo Principali Paedagogo, aliquem in submonitorem accipere, à quo pensionem, vel quantamcumque summam pecuniae pro suo victu, cum labore docendi exigat, aut recipiat. Nec enim facilè est putandus idoneus, qui non suae industriae mercedem expetit, sed ipse sui laboris solvit usuram. Quod si quis reperiatur qui pro docendo, vel regendo quicquam dederit, à Regentia, & omni honore facultatis arceatur. 

Je vous ay voulu representer le passage, non seulement en consideration des mots dont je parle: Mais beaucoup plus pour la prudence qui se trouve en cet article, & en quelque autre ensuivant: Item circa praedictos Paedagogos, & domorum Principales Ministros &c. 

& tout d' une suite, Quia ex bonorum virorum relatione comperimus, nonnullos Magistros Regentes in Artium Facultate, ab antiquo more legendi, & regendi, &c. De tous lesquels passages vous apprenez que les Souverains des Colleges estoient appellez Magistri Paedagogi, aut Principales Paedagogi, & ceux qui sous eux enseignoient les enfans aux Classes, tantost Regentes, tantost Submonitores. Et comme le temps seul donne la vogue aux paroles, aussi est seulement demeuré le mot de Regent, & au principal gouverneur celuy de Principal seulement. Et ainsi que les affaires des Colleges vont, il y a trois sortes de Maistres: Le 

superintendant de tous les autres que nous appellons Principal, les Regens qui enseignent aux Classes, & les autres qui sans faire lectures publiques tiennent chambres à loüage du Principal, que l' on nomme Pedagogues, parce qu' ils ont la charge & gouvernement sur quelques enfans de Maison. De ces Escoliers nous appellons pensionnaires ceux qui sont à la pension du Principal, & Cameristes les autres qui sont nourris par leurs Pedagogues. Outre ceux-là il y a encore des Escoliers qui demeurent en ville hors les Colleges, qui vont ouïr les leçons d' uns & autres Regens selon que l' opinion leur en prend, ou aux Maistres qui les gouvernent. Les jeunes appellez Martinets, par nous, & les autres du nom de Galoches. Recherche vrayement plus curieuse qu' utile; non toutesfois à negliger quand vous entendrez que cette police ne fut pas jettee en moule, ny tout d' un coup par l' Université, ains petit à petit jusques à nous. Bien vous diray-je qu' elle estoit en usage dés le temps du Roy Charles V. comme nous apprenons par les Statuts du College des Dormans fondé par son Chancelier, dont l' un des articles estoit tel. Que tous Escoliers forains pourront aller estudier en ce College, à la charge que chacun d' eux payera par chacun an la somme de 4. sols Parisis pour le profit & entretenement du College. Ny pour cela n' estoient lors, ny assez long temps apres discontinuees les leçons que l' on faisoit aux grandes Escoles de la ruë au Fouërre, singulierement en la Philosophie, pour y passer les Maistres és Arts. Mais comme les leçons en Humanité se fussent peu à peu plantees dedans les Colleges, aussi firent le semblable celles de la Philosophie. Chose dont le Cardinal d' Estouteville en la reformation de nostre Université se plaignoit comme je vous ay cy-dessus monstré: ne nous estant rien resté de cette longue ancienneté, sinon que l' on y donne encore le bonnet de Maistrise aux Arts. Qui estoit la closture ancienne de la Philosophie en laquelle on y avoit estudié.

Et est advenu en l' oeconomie de ces Colleges ce qui advient ordinairement aux Blancques, esquelles les Benefices ne tombent souvent aux gens de merite. Ainsi veirent nos predecesseurs des Colleges s' estre advantagez avec le temps en reputation, ores que leurs Statuts originaires fussent foibles, & les autres estre demeurez en friche, bien qu' ils fussent fondez en plusieurs beaux & notables Statuts. De quelle marque sont les Colleges de Laon, Maistre Gervais, S. Michel, Boissy, & entre ces quatre celuy de Maistre Gervais. Je vous ay dit que le College de Sorbonne, est le premier & plus ancien de tous, lequel commença d' ouvrir sa porte dés l' an 1253. & le dernier est celuy des Grassins fondé l' an 1569. par Maistre Pierre Grassin Conseiller au Parlement de Paris. Cela s' appelle trois cens seize ans de l' un à l' autre.

9. 16. College de Navarre.

College de Navarre.

CHAPITRE XVI.

Ce College merite son Eloge particulier, aussi bien que celuy de  Sorbonne, non seulement pour la dignité de sa fondatrice, mais aussi pour la discipline que je voy y avoir tousjours esté religieusement observee. Jeanne Roine de Navarre, Comtesse de Champagne & Brie, femme & espouse du Roy Philippes le Bel, par son testament fait au Bois de Vincennes, le jour & feste de la nostre Dame de Mars l' an mil trois cens quatre, apres avoir fondé un Hospital en la ville de Chasteau-thierry, voulut aussi fonder un College dedans Paris en faveur de soixante & dix pauvres Escoliers, vingt Grammairiens, trente Artiens, & vingt Theologiens, à chacun desquels elle assigna honneste pension, pour son entretenement: & ordonna que son Hostel de Navarre, siz hors la porte sainct Germain des Prez fust vendu, pour des deniers qui en proviendroient de la vente, & autres, estre achetee une maison convenable dans la ville, en laquelle ces trois especes d' Escoliers fussent diversement logez. Qui avroient chacun endroit soy trois Maistres, je veux dire un en chaque profession. Et pour faciliter l' execution de sa derniere volonté, ordonna estre acheté de son revenu de Champagne és environs de Paris, deux mille liures tournois de rente en Fiefs, & terres Seigneuriales. Donnant pleine puissance à ses executeurs testamentaires; quoy que soit à ceux qui s' en voudroient charger, sans toutesfois mespriser les autres, de corriger, expliquer, & augmenter son testament. Chose qu' elle confirma par son Codicile du dernier jour du mesme mois de Mars au mesme an. Ordonnance vrayement tres-saincte, & digne d' une grande & devote Royne, suivant laquelle les executeurs, apres avoir adoüerié l' Hostel de Navarre, acheterent celuy que nous voyons aujourd'huy au Mont saincte Geneviefve, appellé du commencement College de Champagne, & depuis de Navarre. Nom qui luy est demeuré jusques à huy. Et se passerent les affaires de cette façon, que tout ainsi que dedans le pourprix de Paris, sejour ordinaire de nos Roys, il y a trois villes encloses, que nous appellons, Ville, Cité, & Université; aussi dedans l' enceinte de ce College Royal il y a trois Colleges divers, de la Grammaire, des Arts, c' est à dire de la Philosophie, & de la Theologie, & trois intendans, qui porterent le tiltre de Maistres: l' un pour l' Institution de la Grammaire, Rhetorique, Poësie, Histoire, & lettres humaines; l' autre pour la Philosophie, & le dernier pour la Theologie. Et eux trois en general pour la conduite des mœurs.

Les deux premiers devoient estre passez Maistres és Arts, & le troisiesme Docteur en Theologie, auquel les deux premiers estoient tenus de reveler les defaux de leurs Escoliers, pour y apporter remede. Comme celuy pardevers lequel residoit la generale surintendance du College: & qui d' ailleurs portoit le titre de Gouverneur, tant pour l' administration du temporel que du spirituel. Et pour cette cause on apportoit une grande circonspection, quand il estoit question de l' eslire: car dedans le testament on fait mention de luy sous ces mots. Un preud- homme seculier, Maistre en Divinité, qui lira aux Theologiens, & qui aura le general gouvernement de tout l' Hostel. Il sera esleu & estably gouverneur par le Doyen, & la greigneur partie des Maistres de la Faculté de Theologie, lesquels jureront sur saincts Evangiles à establir le dit Gouverneur, que pour amour, ne pour haine, ne pour affection d' amy, ne de nation, fors que purement, pource qu' ils croyent qu' il soit profitable, ils ne le reçoivent ne establissent gouverneur. Et sera tenu iceluy Gouverneur rendre compte chacun an des biens de l' administration de la dite maison deuëment, à la greigneur partie des Maistres dessusdits. De ce que dessus vous pouvez recueillir deux choses: L' une, avec quelle religion & conscience on procedoit a l' eslection de ce Maistre en Divinité, & comme il falloit avoir recours à la plus grande & saine partie de la Faculté de Theologie: L' autre, que tout ainsi qu' il avoit la superiorité sur les deux autres Maistres pour la discipline des mœurs de leurs Escoliers; aussi residoit pardevers luy le maniement du revenu & temporel, dont il en estoit comptable.

La Testatrice, comme j' ay dict, avoit ordonné que les deux mille liures de rente fussent achetees des biens de ses Comtez de Champagne & Brie: Qui fut cause que le Roy Philippes le Bel n' ayant donné ordre à cette acquisition, ces deux mille liures furent prises sur la Recepte generale de Champagne: chose qui s' est continuee jusques à huy. Or de tous les executeurs de son testament, qui estoient huit en nombre, il n' y en restoit plus que trois en l' an mil trois cens & quinze, Messire Simon Festu Evesque de Meaux, auparavant Confesseur de la Testatrice, Frere Gille Abbé de sainct Denis, & Messire Guy de Chastillon Comte de sainct Pol. Les deux premiers, apres avoir pris par escrit le consentement du dernier, voulurent suivant la permission à eux baillee, apporter quelque polisseure à la police portee par le testament: Et a fin de ne faire estat de tous les autres articles contenus és Statuts par eux faits du troisiesme Avril mil trois cens & quinze, je me contenteray de vous en representer trois seulement. La Princesse avoit par son testament ordonné une Chappelle pour l' administration du service Divin, sans faire mention du Patron, sous le nom duquel elle seroit servie: L' Evesque de Meaux son Confesseur, & qui par consequent avoit eu bonne part en sa conscience, & Gille son coexecuteur, nommerent sainct Louys ayeul de Philippes le Bel: Sous le nom duquel le service Divin a tousjours esté depuis administré. Elle avoit donné au Maistre en Divinité (que depuis nous avons appellé Grand Maistre) la charge du spirituel, & encore du temporel, dont il seroit comptable. Ce deux Prelats diviserent cette charge, & luy laisserent le spirituel avecques toutes les autres prerogatives à luy octroyees par le testament, fors & excepté du temporel, pour le maniement duquel ils establirent un Proviseur, & ores que dedans les Statuts il soit par fois appellé Procureur, toutesfois celuy de Proviseur comme plus honorable luy est demeuré. La Princesse ordonnant que le Maistre en Divinité seroit tenu de rendre compte, ne s' estoit advisee de specifier pardevant qui, ny comment. Ces deux Prelats sagement cognoissans que la fondation du College avoit esté non seulement faite par une Royne de France, mais aussi que les deniers voüez à la nourriture des Escoliers estoient pris sur la Recepte Royalle de Champagne, adjousterent dedans leurs Statuts cet article: Provisor autem semel in anno, in crastino Sancti Ludovici, reddat computum de expensis, misiis, & receptis per ipsum factis, praesentibus gubernatoribus dictae domus, vel mandato eorundem qui inferius nominabuntur. Praesente etiam  Magistro in Theologia ad hoc vocato: Et praesente aliquo de Camera Computorum Regiorum Parisius, quem Magistri de Camera deputabunt ad postulationem Magistri in Theologia dictae domus. Qui propter hoc ipsos adire tenebitur in dicta Camera, in vigilia dicti Festi, vel ante. Qui deputatus pro labore suo, audiendo, videndo, & examinando dictum computum, habebit quadraginta solidos Parisienses de reditibus dictae domus, & caet. La Chambre des Comptes n' avoit lors aucuns Auditeurs: Et pour ceste cause commettoit à cet effect l' un des Maistres. Depuis les Auditeurs ayans esté introduits, l' ordre dont on y a procedé est, que sur la requisition que faict le Grand Maistre, ou l' un des premiers Docteurs en Theologie du College, la Chambre leur distribuë un des plus anciens & capables Auditeurs; entre les mains duquel est mis le compte, pour le voir & examiner apart soy, & en faire son rapport au Grand Maistre, & autres anciennement à ce deputez; ausquels on a depuis adjousté le premier Confesseur du Roy. Nouvelle introduction procuree par Guiencour, Religieux de sainct Dominique, premier Confesseur du grand Roy François. Et les comptes rendus & clos, l' original est mis aux Archifs de la Chambre des Comptes, tout ainsi que de tous les autres comptables, & la coppie collationnee à l' original, demeure par devers le College. Et tout ainsi que ce College fut de fondation Royale, aussi son heur fatal a porté, que tous les jeunes Princes du Sang, & autres Princes & grands Seigneurs, ausquels on veut faire gouster les bonnes lettres, prennent leur premiere nourriture & institution en ce lieu: Et qui est un poinct que je ne dois oublier, pour closture du present discours, c' est que l' Université luy a baillé en garde tous les titres & enseignemens de ses Privileges. Qui sont comme un depost sacrosainct gardez en la chappelle du College.

Depuis la fondation de ce College Royal, les Colleges commencerent de provigner dans Paris, & lors les fondateurs choisirent leurs domiciles vers le Mont saincte Geneviefve, tant haut que bas: qui est le quartier que nous appellons l' Université. Et adoncques tout ainsi qu' aux Statuts de Navarre, aussi voy-je que l' ordre general qu' on observa en toutes ces fondations, fut en faveur des pauvres Escoliers de leurs Dioceses, si c' estoient Prelats qui aumosnassent ce bien au public, ou des autres contrees esquelles les fondateurs faisoient leurs habitations. Ces Escoliers furent en la ville de Tholose appellez Collegiaux, comme enfans des Colleges, & en l' Université de Paris Boursiers, comme estans nourris & alimentez de la bourse commune de leurs fondateurs. Et eurent presque tous les fondateurs cette reigle imprimee en leurs Statuts d' y establir deux superieurs, l' un pour la conduite du spirituel, auquel ils donnerent le nom de Maistre, l' autre du temporel, qui fut nommé par eux Procureur, ce dont il estoit comptable. Le tout à l' instar de celuy du College de Navarre. Et quant aux Maistres, l' ordre que je voy y avoir esté gardé depuis les deux cens ans premiers fut tel. 

La Sorbonne estoit dediee aux lectures de la Theologie, non seulement pour les pauvres Escoliers de son College, ains de tous ceux des autres Colleges voüez à mesme estude. Je n' entens sous ceux-cy comprendre celuy de Navarre qui avoit son Professeur expres pour ce sujet. Les lettres Humaines estoient enseignees aux Escoliers Boursiers, par ceux qui portoient le nom de Maistres en l' institution de chaque College: jusques à ce qu' estans promeuz, il leur convint entrer au cours de la Philosophie, & lors leur general rendez-vous estoit aux grandes Escoles de la ruë au Foüerre, pour apres avoir atteint au degré de Maistrise aux Arts, estudier en Theologie, qui estoit la premiere & principale bute des fondations.

Jeanne, Navarre, Juana de Navarra, reina, esposa de Felipe IV el hermoso, Phillipes IV le Bel

martes, 8 de agosto de 2023

9. 15. Introduction des Colleges, & signamment de celuy de la Sorbonne.

Introduction des Colleges, & signamment de celuy de la Sorbonne.

CHAPITRE XV.

Jusques icy nous avons parlé de l' Estat auquel estoit l' Université de Paris, c' est à dire jusques en l' an mil deux cens cinquante. D' ores en avant nous discourrons de l' Institution des Colleges, qui apporta nouveau visage, & deduirons de quelle façon nos lectures furent exercees, & l' ont esté jusques à huy: qui n' est pas une recherche de peu de merite. Charondas Legislateur des Thuriens fut grandement solemnizé par nos ancestres, de ce qu' entre autres choses, il avoit ordonné que les bonnes lettres fussent enseignees aux despens de la Republique. A fin que le pauvre y eust par tout, ainsi comme le plus riche. Cette mesme opinion entra par succession de temps és testes d' uns & autres Prelats & Seigneurs de nostre France: non pour en faire une loy generale par toute la ville de Paris (cestuy fut un coup de Maistre, je veux dire du grand Roy François premier de ce nom, dont je parleray en son lieu) ains aux petites communautez qu' ils voulurent bastir. Car apres que le mesnage de nostre Université eut esté ainsi diversement conduit & manié, comme je vous ay discouru, il prit une nouvelle devotion aux Seigneurs, & principalement Ecclesiastiques, de bastir des maisons en cette Université (qui furent appellees Colleges) en faveur des pauvres, qu' ils vouloient y estre habituez, sous le nom de Boursiers, & y estre nourris & enseignez, aux despens du revenu par eux pour cet effect assigné. Le premier que je trouve en avoir esté l' inventeur, ce fut nostre bon Roy Sainct Louys, suivy par Maistre Raoul de Sorbonne son Confesseur, par lequel je commenceray au village de Sorbonne pres de Sens, comme quelques uns estiment, & les autres en un village de mesme nom, au Retelois.

Ce fut anciennement une coustume fort familiere à ceux qui pour avoir quelque asseurance de soy, se vouloient mettre sur la monstre, d' emprunter le surnom des lieux où ils estoient nez, plus soucieux de les honorer, que leurs familles. Ainsi le veirent nos ancestres en un Pierre de Alliaco, premierement grand Maistre du College de Navarre, puis Cardinal. Ainsi en Jean Cacliere, qui se nomma Jean Gerson, en Nicolas de Clamengy, en Henry de Gandauo, en Guillaume de Lorry, qui premier esbaucha le Roman de la Roze, en Jean de Mehun, qui le paracheva, lequel estoit surnommé Clopinel: & à peu dire, ainsi le veit-on en ce Maistre Robert de Sorbonne, qui eut pere & mere de basse condition, comme nous apprenons du Sire de Joinville en la vie de sainct Louys. Toutesfois il se fit paroistre par ses estudes personnage de grand sens. Et pour premier mets de sa fortune, fut honoré d' une prebende de Cambray, puis d' une autre en l' Eglise nostre Dame de Paris. Entre ses œuvres nous trouvons un traicté concernant le fait de nos consciences, & seroit impossible de dire combien il est plein de devotion & belles sentences. Vous pourrez juger par cette premiere desmarche, quel est le demeurant de son escrime. Multi multa sciunt, seipsos nesciunt, quaerunt Deum per exteriora, & seipsos nesciunt per interiora. Quid prosunt litterae eruditionis Prisciani, Aristotelis, Justiniani, Gratiani, Galeni, in pellibus ovinis, & caprinis, nisi deleas de libro conscientiae tuae, litteras mortis. Quid prosunt haec lecta, & non intellecta, nisi te ipsum legas & intelligas. Proposition certes pleine de pieté, & ainsi va le demeurant de l' œuvre. Qui le rendit avec quelques autres siens traictez si recommandable, que nostre Roy sainct Louys le voulut voir, & apres l' avoir haleiné, luy fit quelquesfois cet honneur de le faire disner avec luy, & depuis en usa fort pieusement, comme l' un des principaux outils de sa conscience, le prenant pour son Confesseur.

Ce bon Roy bastit plusieurs Temples & Hospitaux en l' honneur de Dieu, & de son Eglise, & d' un mesme zele luy prit opinion de voir un College en l' Université de Paris, voüé à l' enseignement de la jeunesse. Il asseuroit de la preud'hommie de Maistre Robert: c' est pourquoy il ne doubta de deposer entre ses mains sa nouvelle devotion. Cela se voit par ses patentes de l' an 1250. du mois de Fevrier.

Ludovicus Dei gratia Francorum Rex, universis praesentes litteras inspecturis Salutem. Notum facimus quod nos Magistro Roberto de Sorbona, Canonico Cameracensi dedimus, & concessimus ad opus Scholarium, qui inibi moraturi sunt domum quae fuit Ioannis de Aurelianensi, cum stabulis quae fuerunt Petri Poulaine contiguis eidem domui, quae domus cum stabulis sita est Parisius in vico de Coupe-gueule, ante Palatium Thermarum.

(C' estoit ce que depuis on appella l' Hostel de Clugny.) Je vous laisse le demeurant de lettres, par lesquelles, ores que le mot de College n' y soit inseré: toutesfois c' est cela mesme qui a depuis esté observé és maisons qu' avons en nostre Université appellees Colleges. Et à tant ce n' est pas sans grande raison, que j' attribuë l' invention de cette nouvelle oeconomie à ce bon Roy. Car vous ne trouverez autre titre plus ancien en nostre Université qui en ait parlé.

Or le Roy ayant seulement declaré en gros & en tasche, quelle estoit sa volonté, M. Robert qui sçavoit l' intention de son Maistre, ne tendre qu' à l' advancement & exaltation de l' Eglise: Mesme que le premier fondement de l' Université avoit esté la Theologie, il voulut par un sage & beau commentaire, voüer ce nouveau College en faveur des pauvres Escoliers qui voudroient faire profession de la Theologie; qui seroit comme un arboutant pour soustenir l' Eglise de Dieu, contre les assauts furieux des Heretiques.

Belle chose, & digne d' estre gravee dedans l' immortalité, que la Theologie, ayant esté le premier fondement de nostre Université, ait eu pour son habitation le premier College de tous les Colleges. Mais chose non moins admirable, qu' un simple Chanoine ait ouvert la porte, & enseigné aux Prelats & grands Seigneurs une si noble Architecture.

Et neantmoins lors de ces lettres patentes, ce College ne fut tout à fait conclud, ains en l' an mil deux cens cinquante & cinq seulement, comme nous recueillons d' un vieux Calandrier, contenant les Statuts du College: & encore d' une vieille inscription en pierre de taille prés la porte du jardin, en la salle du College, où se font les actes de Sorbonne. Le passage du Calandrier est tel, sur le vingt-cinquiesme jour d' Aoust, jour dedié à la solemnization de la Feste de S. Louys: Festum Beati Ludovici Regis, sub quo fundata fuit domus de Sorbona, circa annum 1253. Magistro Roberto existente eius Confessore. Et celuy de la salle est tel, Ludovicus Rex Francorum, sub quo fundata fuit domus de Sorbona, circa annum Domini 1253. Si ceux qui firent ces deux glosses eussent bien consideré le texte des lettres du Roy, ils n' eussent pas dit que sous son regne le College avoit esté fondé, ains qu' il en estoit le fondateur, comme celuy qui en avoit jetté la premiere pierre pour le bastir.

Ils ne le firent pas, d' autant qu' apres ce premier projet du Roy, M. Robert y apporta plusieurs grands advantages de sa part; car encore trouve-l'on plusieurs autres biens-faits qu' il fit au College, par un eschange qu' il fit en Novembre l' an mil deux cens cinquante huit, avec le mesme Roy sainct Louys. Et toutesfois ce preudhomme sçachant qu' on en avoit la premiere obligation au Roy, ne voulut jamais prendre le titre de fondateur, ains seulement de Proviseur. Ainsi l' apprenons nous d' un vieux titre dont le commencement est tel. Magister Robertus de Sorbona Canonicus Parisiensis, Provisor, seu Procurator congregationis pauperum Magistrorum studentium Parisius in Theologica Facultate. Ce qui donna depuis grande authorité aux Proviseurs de ce College, comme l' on voit par les Statuts, entre lesquels y avoit un article exprez, par lequel estoit ordonné, que s' il se presentoit quelque different entr'eux, il se terminast coram Provisore domus, sans toutesfois deroger à la jurisdiction Royale. Article depuis par honneur tres-estroictement observé, & ayant le Proviseur telle prerogative sur les siens; aussi le Pape Clement quatriesme, par ses Bulles de l' an mil deux cens soixante & neuf, ordonna que le Proviseur estant allé de vie à trespas, Nullus in eius locum per fraudis astutiam apponeretur, nisi quem loci Archidiaconus, & Cancellarius Parisiensis, & Magistri actu Regentes in Theologica Facultate, necnon Decretistarum, & Medicorum decani, Rector Universitatis Parisiensis, Procuratores quatuor Nationum, communiter vel maior pars duxerint apponendum. Idemque Provisor in Congregatione vestra pauperes Magistros, & idoneos, qui rexerint in Artibus, de quacunque sint natione poßint admittere, & exinde minus & idoneos amovere, prout inspectis universis circunstantijs viderit expedire. Qui n' estoit pas une petite authorité que le Pape Clement quatriesme attribuoit au Proviseur, pour honorer la memoire de celuy qui premier s' en estoit donné le titre. Bulle que je vous ay icy representee, non tant en faveur des Proviseurs de ce College, que de l' Université, pour vous monstrer que deslors elle estoit parfaite & accomplie en ses membres, ainsi que nous l' avons depuis veuë. Ce preudhomme fit son testament le jour sainct Michel l' an mil deux cens soixante & dix, & mourut l' an mil deux cens soixante & quatorze. Et auparavant son decez il avoit achepté en l' an mil deux cens soixante & unze la maison, où est aujourd'huy assis le College de Caluy, depuis appellé la petite Sorbonne, comme estant une fille d' icelle, par la liberalité que M. Robert luy avoit faite.

Le College de Sorbonne ainsi institué, estant adoncques le seul de l' Université, les leçons de Theologie y furent de là en avant transferees, & cesserent en la maison Episcopale; vray que tout ainsi que d' ancienneté, aussi on continua d' y prendre le bonnet, honneur, & laurier de la Doctorande. Et comme cette compagnie fortifiast en cette saincte emploite, aussi excita elle plusieurs Prelats, & personnes Ecclesiastiques, qui voulurent contribuer à cette mesme devotion, voire le renvierent d' un point sur M. Robert de Sorbonne. Car bastissans des Colleges, outre les pauvres Escoliers par eux voüez à la Theologie, bute singuliere de leurs opinions, ils y adjousterent l' estude des Arts, comme planche pour y parvenir.

Ainsi le voyez vous és Colleges des Thresoriers de Harcour, Cholets, Cardinal le Moine, Lizieux, Autun. Quand je dy des Arts, je n' entens icy seulement parler de la Philosophie, ains de la Grammaire, & autres bonnes lettres qui la suivent. Et de cela je n' en veux plus beau Commentaire que du College de Harcour, par la dotation duquel de l' an mil trois cens unze, combien qu' il fust nommément porté, que le revenu ordinaire seroit destiné ad usum, victum, & sustentationem pauperum Scholarium in artibus & Theologia studentium ibidem institutorum, & instituendorum, secundum formam & ordinationem quae in statutis à nobis super hoc editis plenius continentur. Toutesfois le College estant divisé en deux diverses maisons au dessus de l' Eglise de sainct Cosme & sainct Damian, des deux costez de la ruë, l' une est voüee pour la demeure des Theologiens, & l' autre aux Grammairiens, c' est à dire pour ceux qui estudient, tant és lettres humaines que Philosophie. Comme aussi peut-on recueillir du College de Lizieux, auquel Estouteville Abbé de Fescamp, ayant ordonné douze Theologiens, & vingt & quatre Artiens en l' an mil quatre cens douze, il adjousta ces mots.

Item, je veux & ordonne que la dite maison soit divisee en deux: lesquelles prindrent depuis le nom, l' une des Grammairiens, & l' autre des Theologiens; Reigle qu' il faut tenir pour toute asseuree, sinon lors qu' outre le mot d' Artien on y adjouste par expres celuy de Grammairien, comme il fut en la fondation du College de Navarre.