lunes, 14 de agosto de 2023

10. 10. Premier traict de cruauté tres-damnable faussement imputé à Brunehaud.

Premier traict de cruauté tres-damnable faussement imputé à Brunehaud.

CHAPITRE X.

Les deux premiers qui firent deux histoires mesdisantes contre cette Princesse; au moins qui soient arrivees jusques à nous, furent Fredegaire & Aimoïn. Et combien que la primauté du temps soit deüe à Fredegaire, toutesfois celle de mesdisance appartient à Aimoïn, lequel pour monstrer de quelle cruauté Brunehaud estoit accomplie, dit que sur l' advenement du Roy Sigebert, à la Couronne d' Austrasie, il fut supplié par la noblesse de vouloir honorer de la Mairie de son Palais, Chrodin Seigneur de singuliere recommandation, & comme le Roy eut entheriné leur requeste, ce personnage seul s' y opposa, & refusa tout à plat la dignité qui luy estoit deferee. Au moyen dequoy le Roy voyant en luy une retenüe admirable, se remit sur sa conscience, de luy en trouver un qu' il penseroit digne de cette charge. Ce qu' il fit, & nomma Gogon, qui à sa nomination en fut pourveu, & s' y comporta avec toute reputation. Et comme le Roy se voulut marier, il l' envoya pardevers Athanaïlde Roy d' Espagne, pour luy demander en mariage l' Infante Brunehaud sa seconde fille. Ambassade qui luy succeda si à propos, que cette Princesse luy fut baillee, avecques plusieurs grands & riches joyaux, & amenee par luy au Roy son Maistre, qui la receut & espousa avecques tous les favorables accueils & fanfares que l' on pouvoit desirer.

Or combien que cette nouvelle Royne eust receu ce grand & signalé service de Gogon; toutesfois bien tost apres elle le prit en tel desdain, qu' elle le fit premierement haïr par le Roy son mary, & ne cessa cette poursuite jusques à ce que finalement il fut mis à mort. Jamais premier coup d' essay de cruauté ne se trouva si detestable que cestuy: Qu' un Seigneur appellé & choisi sans brigue à cette grande dignité par un personnage de choix, Seigneur qui jusques là avoit conduit sa fortune au gré & contentement du Roy, & de tous; Seigneur auquel cette Princesse avoit tant d' obligation, eust esté occis à son instigation & poursuite. Aussi est-ce la cause pour laquelle Aimoïn poursuivant sa pointe dit que l' on trouvoit dedans quelque livre d' une Sybille, que des parties d' Espagne devoit arriver en France une Dame du nom de Brune, par le moyen de laquelle se commettroient une infinité de meurtres & assassinats, & au bout de tout cela seroit en fin trainee à la queüe d' un cheval, & en cette façon rendroit l' ame en l' autre monde.

Qui est bien une autre chance que celle qui nous avoit esté en peu de paroles, liuree par les deux Prelats, Gregoire & Fortunat. Et vrayement si la cruauté de cette Dame fut lors telle, qu' Aimoïn l' a representee, chacun se devoit asseurer quel seroit de là en avant le demeurant de sa vie. Toutesfois depuis ce temps qui fut l' an cinq cens soixante & cinq, jusques en l' an six cens deux, je ne trouve, ny en Fredegaire, ny dans Aimoïn, aucune cruauté qui luy soit par eux improperee. Voire en plus forts termes vous verrez en elle dedans Aimoïn un traict de debonnaireté admirable dont le cas est tel, recité seulement par ce Moine, & non par l' Evesque de Tours; & c' est pourquoy je le mettray icy plus librement sur le tapis.

Quelque peu apres la mort de Chilperic, Gontran son frere arrivé dans la ville de Paris, sur quelque fascheux rapport qu' on luy fit de Fredegonde, il la confina en un certain bourg du territoire de Rouen, en deliberation de luy faire illecques finir ses jours, où elle fut mise en une estroite garde. Ce neantmoins elle fut veüe par plusieurs grands Seigneurs de la Cour du feu Roy son mary, qui tous promirent de luy assister, & de prester le serment de fidelité au Roy Clotaire son fils. Mais elle se voyant ainsi mal menee, ne pouvant temporiser à sa defaveur, indignee de la grandeur de Brunehaud, depesche par devers elle un quidam nommé Oleric, (Maistre passé en tromperies) pour se presenter à la Royne Brunehaud; a fin qu' estant entré en son service, il trouvast temps à propos, & moyen de l' assassiner. Lequel suivant les instructions & memoires de sa Maistresse se transporte vers Brunehaud, & luy fait entendre, qu' il s' estoit transporté devers elle pour se garentir des cruautez estranges de la Royne Fredegonde sa Maistresse: Et sceut si bien pateliner, que Brunehaud le receut à son service: bien aimé & favorizé de tous pour quelque temps, pendant lequel il espioit son apoint: Mais il ne sceut si bien joüer son personnage, qu' en fin son jeu ne fust aucunement descouvert, & appliqué à la question, recogneut tout ce qui estoit de la verité. Si jamais y eut matiere de faire mourir justement un homme, c' estoit celuy-là. Toutesfois elle le renvoye à sa Maistresse, lequel luy ayant raconté comme toutes choses s' estoient passees, elle luy fit coupper jambes & pieds: Pour contenter (dit Aimoïn) Brunehaud, comme desadvoüant ce forfait: mais en verité, d' autant qu' il ne l' avoit peu mettre à execution.

En effect voila cette detestable furie, representee par ce Moine en la mort du pauvre Gogon; maintenant plus douce que l' une des trois Charites & Graces pour sauver cet homme sceleré. Considerations qui me semblent assez suffisantes pour m' excuser, si je ne puis adjouster foy à cette pretenduë mort de Gogon. Mais encore ay-je beaucoup plus de sujet de la mescroire, quand je voy un Gregoire de Tours, qui vivoit en ce temps là, & en escrivoit l' histoire, n' en faire aucune mention. Se peut-il faire que luy qui estoit la plus part du temps en la Cour des Roys, eust ignoré cette ingrate cruauté, & que deux cens ans apres (que plus que moins) elle fust venuë à la cognoissance d' un Moine dedans son Cloistre; ou bien que Gregoire l' eust sceuë, & neantmoins teuë? Luy (dis-je) que nous voyons dedans son œuvre ne pardonner à la verité, sans acception de personnes: Comme aussi au cas de present, tant s' en faut qu' il eust trouvé sujet de mesdisance contre Brunehaud: qu' au contraire il n' y a placard en ses dix livres où les Princes & Princesses soient avecques un si bel eloge loüez comme est celuy de Brunehaud.

Et vrayment il me semble, que pour supplanter l' authorité de Gregoire, Aimoïn devoit alleguer quelque Autheur de marque, qui luy eust enseigné cette nouvelle leçon; je dis nouvelle eu (en) esgard au temps. Toutesfois il a esté en cecy creu & suivy par quelques uns qui ont escrit apres luy. Je sçay quel honneur je dois à l' ancienneté: mais aussi sçay-je que je ne la dois respecter, quand elle est combattuë d' une plus ancienne ancienneté, comme cette-cy.

10. 9. Qui sont les Autheurs qui ne condescendent à la farouche opinion des vices & cruautez qu' on impute à Brunehaud.

Qui sont les Autheurs qui ne condescendent à la farouche opinion des vices & cruautez qu' on impute à Brunehaud.

CHAPITRE IX.

Combien que je sçache l' honneur & le respect que l' on doit à l' ancienneté, & en quel hazard je m' expose, luy voulant faire son procez; toutesfois je ne douteray de franchir le pas. Et a fin que l' on ne m' accuse d' une nouvelle temerité ou ignorance, je declareray premierement les parreins dont je fais estat en cette querelle, puis combattray de leurs propres armes, ceux contre lesquels je veux entrer en champ clos. Et d' autant que je sçay combien il est mal-aisé d' effacer une opinion qui est d' une longue ancienneté emprainte dedans nos esprits, pour monstrer de quelle rondeur j' entens proceder, je ne veux rien par ce chapitre y apporter du mien; ains vous representer mot pour mot les passages de ceux, sous le pavois desquels j' entens me terger. Remettant à la censure du docte & sage Lecteur de juger des coups: car c' est à luy auquel je voüe ce chapitre, & non à la populace.

Le premier Autheur qui prit la cause de Brunehaud en main, fut Boccace Italien, lequel en son livre, de claris mulieribus, chap. 104. qui est le penultiesme de son œuvre, apres avoir fait un long recit de 103. femmes de marque, tant en bonne que mauvaise part, fait entrer sur l' eschaffaut cette Royne toute esploree, se plaignant d' avoir esté par luy mise en oubly. Et apres quelque pourparler fait entr'eux, il luy resigne sa plume, pour se purger & deduire sommairement, ce qu' elle pensoit faire à sa justification: Et comme cette Dame parlant de la mort de Theodoric Roy de Bourgongne son petit fils, dit qu' il avoit esté empoisonné par un tres-juste jugement de Dieu, pour le punir des fautes par luy commises. Boccace l' interrompant luy dit qu' elle oublioit quelque chose à dire, qui estoit, que Theodoric luy avoit improperé quelque male-façon, & elle craignant qu' il ne la fist mourir, avroit prevenu cette mort, par le poison qu' elle luy avoit pourchassé. Adonc la Royne s' escria à chaudes larmes combien elle estoit mal-heureuse, & que sa male fortune luy avoit non seulement ravy tous ses biens, & ses enfans; ains la creance qu' on devoit avoir en son dire. Je vous coucheray le passage tout de son long. Cui ego (repartit Boccace) istud profecto non inficior. Sic est de morte, sed illud quod omiseras supplebo. In te, tuum crimen obiecit, tamen illud veneno, gladioque purgasti. Illa autem foecundius emitteus lachrymas, inquit. Me miseram, quàm infoelix sum. A me mendacium existimat dictum esse. Sic fortuna facit, horum verbis aufert fidem, quibus bona caetera abstulit. Et poursuivant sa pointe se plaint en gros & en tasche, des calomnieuses imputations qu' on luy avoit mises sus. Remonstrant comme elle Espagnole & non Françoise, avoit esté jugee, non par ses Juges; ains ennemis, & condamnee en une mort, non seulement honteuse; ains du tout hideuse, & que jamais n' en avoit esté veüe sa pareille. Boccace estant le premier qui avoit deffendu l' innocence de la Royne Brunehaud, contre tous ces broüille-papiers, se donna bien garde de les desmentir à face ouverte; ains de l' esprit gay & gaillard qui estoit en luy, fit fort industrieusement joüer ce rollet à cette pauvre Princesse, & se ferma au dire d' elle.

Nostre Paule Aemile au I. livre de son Histoire Françoise, apres avoir fait recit des deux sanglantes batailles, liurees entre Theodebert Roy d' Austrasie, & Theodoric Roy de Bourgongne freres, & comme Theodoric avoit eu le dessus de Theodebert, il poursuit en cette maniere sa route:

Victor semel atque iterum Theodoricus, fratrem transrhenanas gentes petentem, ut eorum auspiciis bellum redintegraret, assequutus, retractum in custodiam misit, detractus Regius insignibus, duorumque amplißimorum regnorum potens, immemor recentis foederis, ut universae Galliae solus iura daret, in Clotharium movere cogitabat. Interea dum Theodeberti filiam ducere uxorem statuit, disenteria morbo deceßit. Alij meram tragoediam concinunt, & non modo quicquid unquam impie sceteste-ve (sic), in numen, mortalesque peccatum est, sed quaecumque dici fingive de perditißimis quibusque possunt, ea uni Brunechildi adscribunt, eam fuisse facem belli inter nepotes, quod diceret Theodebertum, non ex Childeberto Rege, sed quodam olitore procreatum, avertisse animum Theodorici à colenda uxore Hermemberga, ut una apud nepotem omnia posset, minus pellices formidans, oppressum Desiderium, Columbanumque exactum, eadem impellente, Theodebertum Coloniae occisum, quem vita donatum, Cauillonem in custodiam missum ostendi; Addunt fabulae, reliquos Theodeberti filios eam necasse. Cumque eius filiam sibi Theodoricus iungere vellet, Brunechildem in scelere piam dixisse, incestum futurum coniugium, illum furore percitum, in eam stricto ferro ruisse ac subiecisse. Atqui fratrem eum negabas, quasi vel alio incusante, res per se ipsa non loqueretur, si non ex patre, saltem ex matre fratrem extitisse. Eamdem tunc intercursu optimatum servatam, paulo post nepotem veneno sustulisse, quem disenteria intertisse Authores habeo. Adeo ad portenta prodenda plerique scriptores, & ad accipienda, imperitum vulgus, blandiente mendacio inclinant. Ea mulier praeterquam quod à Divo Gregorio, eius tempore aequali Pontifice Maximo, laudibus effertur ipsa, nepotesque Reges, captivos sua pecunia redemptos, multoque domum remisit, aedes sacras permultas, partim novas condidit, partim vetustate labentes restituit; Et tot post saeculis, non temere venit in mentem Boccacio, Poëtici quidem ingenij Authore, sed antiquitatis cognoscendae studiosißimo, contendere eam externam mulierem temporibus perditissimis, alienorum scelerum flagrasse invidia. A Burgundionibus, Austrasiasque Ducibus adductam ad se, Clotharius (si vera tragoedia est) supplicio tradidit. Caudae indomiti equi capillo religata periit, concitato equo, exacta aetate mulier distracta, quod supplicium de Fredegonde matre Clotharij, erant *sumpturi Austrasiani Reges, si universo bello vicissent, ab ipsis saepe ad poenas exigendas petita. Et ne Clotharius defendere poßet meritas poenas exactas, Sigebertum, Corbumque, Theodorici parvos liberos necavit, tertium Meroüeum, ut finis tragici commenti sit, quod se patrem vocitaret, ab eo sacra aqua imbutum vita donavit.

Messire Jean du Tillet Evesque de Meaux en sa Chronique abregee.

Theodoricum disenteria quidam sublatum, alij veneno putant. Annales & Historiae narrant hoc loco Brunechildis mortem, & tragica scelera quae magna ex parte fabulosa puto.

Papirius Massonius en termes beaucoup plus hardis au premier livre de ses Annales.

Brunechilde urgentibus fatis, & magno natu mulier, ab infidis proceribus prodita crudeli supplicio discerpta est. Scholasticus in appendice proditionis ac poenae meminit. Et mirabile quidem esset Brunechildem caudae equinae alligatam, dilaceratamque, nisi res humanae praepostere plerumque se se haberent. Victoria enim semper caeca, & apud hostem innocentia, magnum saepe crimen est. Multa sane pietatis extant monumenta pro Brunechilde: Gregorij Romani profero testimonium, cuius haec sunt verba. Excellentiae vestrae praedicandam ac Deo placitam bonitatem, & gubernacula regni testantur, & educatio filij manifestat, cui non solum rerum temporalium gloriam provida solicitudine conservastis, verum etiam aeternae vitae praemia providistis, dum mentem ipsius verae fidei radicem, materna, ut decuit, & laudabili institutione plantastis. Alijs litteris. Plus (inquit) aliis gentibus gentem Francorum asserimus foelicem, quae sic bonis omnibus praeditam meruit habere Reginam. Igitur, aut Brunechildem piam fuisse oportet, aut Gregorium certe impium, qui hoc postremum ad eam scripserit, paulo ante Mauritij caedem. In suburbano Augustoduni, templum Martino, & intra urbem Xenodochium ab ea constitutum, idem mihi Author est Gregorius. Quin ipsius, & Theodorici filij precibus Monasterium Medardi, in civitate Sueßionum siti, caput  Monasteriorum totius Galliae constituit, in Synodo Romae habita, anno à partu Virginis quingentesimo nonagesimo tertio, indictione undecima, ut ex litteris ad Gairaldum perspici potest, Epist. lib. II.

Cette opinion ne plaisant au Cardinal Baronius dit ainsi:

Risimus recentiorem Authorem qui conatus est eamdem Brunechildem excusare, Aethiopem lauans. Quae ab omnibus historijs huius temporis, sacrilega, sanguinaria, & ubique nefaria conclamatur. Neque enim Gregorij laudes, crimina postea commissa purgant.

Nonobstant l' opinion du Cardinal, Jean Mariana Espagnol, lequel apres avoir fait une sommaire mention, qu' il estimoit avoir esté faussement attribuee à Brunehaud, paracheve par cette fin.

Adeo ad portenta prodenda scriptores Gallici, ad accipienda vulgus proclives fuerunt, pudenda securitate, si mendacium deprehensum non putarunt, si secus impudentia mirabili. Meram tragoediam Authores idonei confirmant, nullo iudicio ex populi rumoribus confictam, quae scelera à Fredegunde sunt facta, quod supplicium tulisset victoribus Austrasianis, ea mentiente fama, quae nomina commutant, re afficta Brunechildi arbitror, foeminae Religiosae probaeque, uti indicio sunt genuinae à Gregorio Pontifice ad eam litterae plenae verissimis laudibus. Multa magnifica templa eius sumptibus in Gallia constituta, exornataque, magnus captivorum numerus redemptus. An haec facta negabi? sed certa monumenta monstrabimus. An quisquam haec aut ab impia, & crudeli foemina facta inducat in animum? Maius argumentum accedit Gregorij Turonensis aequalis, de his flagitiis silentium. An id gratiae datum putabis, à Gallico scriptore, magnaeque authoritatis viro? An qui Fredegundis scelera omnia & dolos exposuit, externae foeminae pepercisset? non arbitror. Sisebutum ais in vita Desiderij Viennensis Episcopi, Brunechildis scelera multa, caesumque ab ea Martyrem accusasse, ab equisque raptatam perijsse, tandem ultore numine. Rectè, si Authorem eius vitae Regem fuisse confirmares, & non potius eo nomine alius, eos vulgi rumores collegisse se affirmaret, minori quam pro Regis authoritate, diligentiaque, aetate posterior. Sit ergo constitutum Brunechildem innocentem fuisse, & perditißimis tamen temporibus aliena invidia flagrasse: uti primus Boccacius consideravit, Poëtici quidem ingenij scriptor, sed antiquitatis cognoscendae studio incitatus praestansque.

Voila cinq Autheurs qui sont pour le party de Brunehaud, Boccace, Emile, Tillet, Masson, Mariane. Mais leur authorité m' est bien peu, si ce qu' ils disent en gros n' est verifié par le menu. C' est le lot que j' ay pris icy pour mon partage, auquel je veux que chacun entende que je tiens pour maxime & proposition arrestee, que depuis le mariage de Brunehaud qui fut 565. jusques à la mort de S. Gregoire qui advint l' an 604. on ne peut remarquer en elle aucune chose de malefaçon. Et en cela je me conforme à l' opinion du Cardinal Baronius, quand sur la fin du passage de luy par moy cy-dessus allegué, il dit que toutes les loüanges dont S. Gregoire l' avoit honoree, n' empeschent pas que toutes les meschancetez par elle depuis commises ne soient veritables. Et neantmoins à ce qu' il dit estre depuis advenu, qu' il abhorre de telle façon que je vous ay coppié de luy; c' est en quoy je le gouverneray cy apres, pour examiner si son opinion est telle qu' il presuppose.

10. 8. Diverses leçons en l' Histoire de la Royne Brunehaud, Gregoire de Tours, S. Gregoire Pape.

Diverses leçons en l' Histoire de la Royne Brunehaud, avecques un sommaire discours de ce qu' on trouve à son advantage, tant dedans Gregoire de Tours, que S. Gregoire Pape.

CHAPITRE VIII.

Apres vous avoir discouru & justifié ce que je pense veritable en l' histoire de Fredegonde, je viens maintenant à celle de Brunehaud: En laquelle je supplie le Lecteur s' armer de patience, jusques à la closture de mon compte, me promettant que pour fin de jeu il y trouvera matiere pour se contenter. Jamais lignee ne fut affligee de telle façon comme celle de Brunehaud par la famille de Fredegonde. Galsonde sa sœur aisnee deuxiesme femme de Chilperic, estranglee dedans son lict, Sigebert son mary assassiné, Childebert fils de luy empoisonné, le tout par les artifices de Fredegonde. Et apres son decez les enfans de Theodoric fils de Childebert occis, & leurs Royaumes empietez par Clotaire fils de Fredegonde; & finalement Brunehaud cruellement mise à mort. Grandes certes, & merveilleuses afflictions: mais cette-cy paravanture non moindre, qu' apres la mort espouventable de cette Princesse, le battu a payé l' amende. Car la plus part des plus anciens Autheurs, qui depuis Gregoire de Tours ont escrit nostre histoire, luy imputent tous les malheurs qui lors, & auparavant estoient advenus en la France, & la publient pour la plus furieuse Megere, qu' oncques comparut sur la face de la terre. Ce que j' oze attribuer, non tant à la verité de l' histoire, qu' au bon-heur du Roy Clotaire son ennemy, pour excuser l' inhumanité barbaresque dont il la traicta à sa mort. Et qui est encore plus esmerveillable, c' est que si cette Royne fut cause pendant sa vie de plusieurs guerres, & divisions entre les Roys Theodebert & Theodoric ses petits enfans, ainsi que le porte la commune leçon, elle n' excita pas moins de partialitez entre ceux qui escrivirent sa vie. Uns Fredegaire, Aimoïn, Gaguin & Gilles, du tout voüez à mesdire d' elle: Au contraire nostre gentil Paule Aemile, & du Tillet Evesque de Meaux à l' excuser, & soustenir que la plus part de ce que les anciens en avoient mesdit estoit faux. Il n' est pas qu' entre ceux qui de plus fraische memoire ont mis la main à la plume, il n' y ait pareilles partialitez. Car Pierre Masson, qui par un nom emprunté de Tite Live, s' est appellé Papirius Massonius, & apres luy Jean Mariana Espagnol sont formellement pour le dernier party: Contre lesquels Haillan, Veignier, Belle-forest, Serre & Fauchet sont pour le premier. Je donne cet ordre à ces cinq, non sur le poids de leurs merites; ains selon qu' ils mirent leurs œuvres en lumiere: Quant à moy sans m' arrester à ceux-cy, desquels toutesfois j' entens parler avecques tout honneur, je me delibere de deduire par ce Chapitre, tout ce que j' ay trouvé de bon & mal d' elle dedans deux Autheurs qui sont sans reproche, pour avoir vescu pendant la vie de cette Princesse.

Le premier que je voy en avoir parlé est Gregoire Evesque de Tours, quand il dit que Sigebert Roy d' Austrasie, plus sage que ses trois autres freres qui s' adonnoient à amours lubriques, rechercha en mariage Brunehaud fille d' Athanaïlde Roy d' Espagne. Erat enim puella elegans opere, venusta aspectu, honesta moribus, atque decora, prudens consilio, & blanda colloquio. Car elle estoit (fait-il) accompagnee d' une bien-seance en ses actions, belle à qui la regardoit, bien morigenee, sage en ses conseils, & d' un doux entregent. Cela mesme est confirmé par Fortunat Evesque de Poictiers l' un des premiers Poëtes de son temps, quand au 6. livre de sa Poësie parlant d' elle il dit.

Pulchra, modesta, decens, solers & grata, benigna, 

Ingenio, vultu, nobilitate potens.

Et ayant esté cette Princesse de cette façon depeinte par Gregoire, il dit que apres avoir esté catechisee, & espousé la Religion Catholique, au lieu de l' Arrienne en laquelle elle avoit esté nourrie en Espagne chez son pere, le Roy Sigebert tout d' une suite l' espousa. Et tant & si longuement que ce Roy vesquit, je ne voy dedans Gregoire, qu' il soit parlé en bien ou en mal d' elle. Qui ne luy est pas un petit honneur: Car à bien dire la femme n' est peu honoree, qui sans mettre ses deportemens à l' essor, reduit toutes ses volontez à la volonté de son mary. Soudain apres le decez de luy, je la voy mise sur les rangs en deux actes: L' un quand advertie de cette mort inopinee, elle fait sortir de nuict à petit bruit sur les murailles de la ville dedans une corbeille, Childebert son fils; lequel par l' entremise du Capitaine Gondebaud, fut conduit à Mets, & couronné Roy d' Austrasie, aagé seulement de cinq ans: L' autre quand Chilperic insolent en sa bonne fortune, advenuë de l' assassinat commis en la personne de Sigebert, confina cette Princesse en la ville de Rouen, pour y terminer ses jours; où elle espousa quelque peu apres Meroüee, fils aisné de Chilperic. Le premier fut un acte de bonne & sage mere: Le second fut conduit par deux ames aveuglees de passions, l' une de l' amour en Meroüee, l' autre de la vangeance en Brunehaud. Car si ce mariage luy eust reüssi suivant son souhait, c' eust esté un admirable traict de vangeance digne d' estre trompeté dedans une longue posterité, se vangeant de la mort de son mary, par le fils contre le pere son ennemy. Mais il y eut tres-grande faute de prudence: D' autant que le lieu où le mariage se fit estoit sujet au Roy victorieux, & le peu de gens de main qu' ils avoient pour leur faire espaule, les devoit destourner de cette entreprise, comme l' evenement leur monstra. Que s' ils l' eussent differee jusques à ce que cette Princesse eust esté restablie en sa ville de Mets, comme elle fut depuis, croyez qu' elle eust taillé prou de besongne à son ennemy. Ce que je vous dis je le tiens en foy & hommage de Gregoire de Tours, qui ne m' est pas un petit parrein, cela estant avenu de son temps. Et neantmoins ne pensez qu' il l' ait espargnee, quand l' occasion s' y est presentee. Qu' ainsi ne soit le Roy Gontran ayant avecques grande ceremonie adopté le Roy Childebert son nepueu, il luy conseilla avant que partir, de ne se fier à la Royne Brunehaud sa mere, comme celle qu' il sçavoit avoir quelques sourdes intelligences avecques Gondebaud son ennemy capital, lequel sous ombre d' une longue chevelure, qu' il ajençoit à la Royale, se maintenoit estre fils du Roy Clotaire premier. C' estoit l' opinion que Gontran avoit lors, vraye ou non, c' est la question: mais il y avoit bien grande apparence du non; n' estant pas à presumer qu' une mere eust voulu favoriser celuy qui luy estoit incogneu, au desavantage de son fils. Joint que je la voy sur ce mesme subject avoir esté depuis calomniee. Car Gondebaut ayant esté mis à mort en la ville de Comminge, on fit depuis entendre à Gontran que Brunehaud avoit fait depuis forger un bouclier d' or massif, enrichy de plusieurs pierres precieuses, pour le donner au fils de Gondebaut. Chose qui mit Gontran en cervelle, & sur ce rapport envoya guettes de toutes parts; mais il trouva en fin de compte, que ce bouclier estoit destiné pour le Roy d' Espagne qui attouchoit Brunehaud de proximité de lignage. Et de fait nonobstant ces pretendus soupçons, elle eut tousjours bonne part aux affaires du Roy Childebert son fils. Elle intervient au traicté de reconciliation qui fut fait entre les deux Roys, & y est establie sous ce titre de Gloriosißima Regina, que je veux rendre en nostre langue Françoise: Tres-grande, & tres-haute Royne: & par le discours du traicté, entre autres particularitez il est dit, qu' advenant que Childebert allast le premier de vie à trespas Gontran prenoit à sa protection Brunehaud mere, Fallenbe femme, & ses enfans. Gilles Evesque de Rheims est degradé des Ordres de Prestrise, privé de son Evesché, & banny, pour avoir conspiré contre la vie de Brunehaud. Bref je ne voy aucun passage en Gregoire de Tours, par lequel il ait grandement suggillé l' honneur & reputation d' elle, depuis son mariage fait avecques Sigebert l' annee 565. jusques au decez de Gontran l' an 597. qui disent trente deux ans. Et depuis ce temps vous trouverez une amitié contractee de sa part avecques sainct Gregoire Pape, qui dura jusques en l' an 604. que ce grand Prelat rendit l' ame à Dieu. Nous voyons seize lettres de luy dedans son Registre (ainsi appelle l' on le livre) diversement esparses à Brunehaud, Childebert, & à ses enfans: mais principalement à la mere.

Or l' air general de toutes ces lettres estoit de haut loüer premierement la pieté de la mere envers Dieu, puis sa sagesse en la conduite de ses enfans, & à eux l' obeïssance filiale qu' ils rendoient à leur mere. Et presque en toutes il les prie de bannir de leurs Royaumes la symonie qui n' estoit que trop familiere aux Eveschez, & de ne permettre que les hommes Laiz, de plein faut, fussent faicts Evesques, sans avoir prealablement passé bien & deüement par les Ordres de Prestrise: Qui estoit en bon langage frapper au mesme lieu où estoit leur mal. Car nos Roys adoncques se donnoient en telles matieres plein ban: tolerans à veüe d' œil la symonie aux Eveschez, voire y ayans quelquesfois part: Et au surplus les conferoient selon leurs grez, le plus du temps à gens Laiz & illetrez, lesquels selon la corruption du siecle prenoient du jour au lendemain les Ordres de Prestrise, & tout aussi tost chargeoient la Mytre & la Crosse d' Evesques. Puisque ce grand sainct homme loüant cette Royne & ses enfans, leur impropera tout franchement les deux fautes que l' on commettoit aux Eglises de leurs Royaumes, je ne me puis faire accroire qu' il eust passé par connivence les vices, que l' on a depuis imputez, avecques une grande largesse à la mere.

Par tout ce que je vous ay cy-dessus discouru, depuis l' an 565. mariage de Brunehaud, jusques en l' an 604. mort de sainct Gregoire, je voy en cette Histoire deux Gregoires: chacun en son endroict grand Prelat, l' un Evesque, l' autre Pape, tous deux canonizez par l' Eglise. Celuy là n' avoit grandement nauré l' honneur de ceste Dame, lequel finit son Histoire de nos Roys au baptesme du Roy Clotaire second qui fut fait l' an cinq cens nonante cinq. Cestuy cy l' avoir celebree comme Princesse sans pair, en matiere de devotion, dont les Eglises par elle basties au Royaume de Bourgongne servoient de bons tiltres & enseignemens. Mais sur tout nulle tache de cruauté remarquee par ces deux Prelats en cette Princesse.

Cela est cause que Papirius Massonius en son Histoire de la France, soustient qu' il falloit, ou que cette Princesse eust esté pleine de grande pieté, ou sainct Gregoire d' impieté, de nous l' avoir par ses lettres pleuvie autre qu' elle n' estoit. Au contraire le docte Cardinal Baronius dict, (sans toutes-fois le nommer: mais on voit bien que c' est luy auquel s' adresse ce pacquet) qu' il se mocquoit de cette opinion: comme s' il n' eust peu advenir que depuis le decez de ce grand Gregoire elle fust depuis tombee en sens reprouvé, & qu' il eust esté garend des fautes par elle du depuis commises. Paroles par lesquelles il recognoist taisiblement qu' il ne la falloit rechercher du passé. Quant à moy tout ainsi que je ne la veux totalement excuser; aussi ne la puis-je totalement accuser. Le tout ainsi que vous pourrez entendre par les particularitez que je discourray cy-apres.