lunes, 14 de agosto de 2023

10. 12. Troisiesme cruauté dont faussement on accuse Brunehaud.

Troisiesme cruauté dont faussement on accuse Brunehaud.

CHAPITRE XII.

Fredegaire, & apres luy Aimoïn, disent que trois ans apres que Theodebert fils aisné du Roy Childebert fut arrivé à la Couronne d' Austrasie, Brunehaud son ayeule fit mourir à tort & sans cause Guintrion l' un des premiers de sa Cour. En haine dequoy luy & son Conseil la chasserent, mais avecques une incroyable indignité, je veux dire sans suite d' homme, ny de femme, comme une pauvre Damoiselle deschiree, laquelle vaguant ça & là (grande pitié) sans sçavoir quel chemin tenir, tombe en fin de bonne fortune és mains d' un païsan: auquel ayant tout au long discouru sa desconvenuë, elle le pria de luy servir de guide, & de la conduire jusques vers le Roy Theodoric son autre petit fils. A quoy il obeït, & l' y ayant renduë, apres avoir esté la mieux que bien receüe, l' Evesche d' Auxerre venant à vacquer, elle en fit pourvoir le païsan, homme du tout illetré, en recognoissance du bon & agreable service qu' il luy avoit fait. Qui est un vray monstre d' histoire: Que cette Dame auparavant tant retenüe l' espace de trente huit ans, se fust tout à coup laissee eschapper à la cruauté contre le sang innocent; & le fils se fust d' une si estrange façon oublié en la vengeance contre la Royne son ayeule, & encore cette Princesse en la recompense d' un homme ignorant. Car à vray dire combien que la faute eust esté grande de la part d' elle envers Guintrion, la punition fut plus enorme de la part du fils envers sa mere, qui pouvoit estre esloignee de luy avecques plus de respect. N' estoit que j' excuse le bas aage du fils qui lors n' avoit que treize ou quatorze ans pour le plus, pendant lequel temps il advient souvent, que les grands Seigneurs qui sont proches de la personne des Roys abusent de leurs bas aages, & authoritez. De maniere que je vous confesseray librement, que cette histoire m' est grandement suspecte, & pour m' en esclaircir, il me semble estre requis de considerer si on la pretend estre advenüe devant ou apres le decez de S. Gregoire. Car si apres, j' en passe condamnation avecques le Cardinal Baronius, mais non autrement. 

Or que ces deux mesdisans Autheurs nous l' ayent publiée comme advenüe auparavant, je prens droict (je seray en ces mots Advocat) par le calcul des ans par eux fait, quand ils disent que ce fut la 3. annee de l' advenement de Theodebert à la Couronne. Ce fut donc l' an 602. car le Roy Childebert son pere estoit decedé l' an 600. partant pendant la vie de S. Gregoire, qui mourut l' an 604. Et pour vous monstrer clairement que ce fut de son vivant, s' il vous plaist repasser sur ses Missives, vous trouverez qu' elles s' adressent premierement, tant à Childebert fils, qu' à la Royne Brunehaud sa mere, & ce Roy estant allé de vie à trespas, il escrit à Theodebert & Theodoric ses enfans, par lettres communes aux deux freres, pour mesme sujet. Qui monstre qu' ils n' estoient lors divisez d' opinions. Depuis vous y appercevez quelque changement; d' autant que sans se souvenir de Theodebert, ses lettres s' adressent, ores à Brunehaud, ores à Theodoric. Qui me fait croire que Brunehaud se tenoit lors avecques Theodoric. 

Le fait cy-dessus p**stoit trop horrible entre personnes de telle marque, pour n' estre cogneu, non seulement dedans la France; ains par toute l' Europe. Et à tant s' il eust esté vray, je ne fais aucune doute que S. Gregoire en eust baillé quelque attache à Brunehaud, tant de la mort de Guintrion innocent, que promotion du païsan ignorant à l' Evesché (mescontentement ordinaire de ses lettres) & tout d' une main à Theodebert, d' avoir si mal traité sa mere. Non qu' elle ne meritast quelque reprimende; ains avec procedures moins deshonnestes: En toutes ses lettres vous n' en trouvez un seul mot. Partant je vous supplie ne trouver mauvais, si en cet endroit je suis de dure creance. Je pourrois icy me fermer sur cette opinion par la raison que dessus, mais encore passeray-je plus outre. Car si me permettez de discourir librement ce que j' en pense, je vous dirois volontiers que depuis la mort de Childebert, Brunehaud ne fit sa demeure avec Theodebert, qui lors estoit aagé de douze ans ou environ, & Theodoric de 9. Opinion que pourrez trouver nouvelle (car nul n' a encore touché cette corde) mais je vous prie vouloir entendre mes conjectures. Soudain apres le decez du pere les deux freres jetterent au lot, ainsi qu' estoit lors la commune usance entre les enfans de nos Roys, & à Theodebert escheut le Royaume d' Austrasie, & à Theodoric celuy de Bourgongne. Austrasie, de l' ancien estoc du pere, partant selon les droits ordinaires de nature, plus asseuré: Bourgongne de nouvelle liberalité, consequemment moins; 

Je ne trouve en aucun Autheur ancien ou moderne, que jamais les deux freres depuis leurs couronnemens eussent faict Cour commune ensemble. Cette Princesse, comme leur ayeule, avoit toute intendance sur leur conduite, & est grandement croyable qu' elle choisit sa demeure avec celuy, qui pour la foiblesse de son aage, & manutention de son Estat en avoit plus de besoing. J' adjouste que S. Gregoire escrivant aux deux freres, fait sur l' inscription de ses lettres passer le puisné devant l' aisné, en ces mots, Theodorico, & Theodeberto Francorum Regibus. Chose que j' estime avoir esté par luy faite, non par ignorance de leurs aages & prerogatives; ains parce qu' il voyoit la mere & le puisné se tenir ensemble. Davantage je ne voy point qu' elle qui faisoit profession exterieure de devotion (car quant à l' interieur du cœur, il n' y avoit que Dieu qui en peust juger) eust jamais basty aucune Eglise en Austrasie; ains seulement en la Bourgongne, le Monastere d' Aulnay pres Lyon, l' Abbaïe S. Vincent à Laon, qui estoit de la domination Bourguignonne, & par especial le Monastere S. Martin hors la ville d' Autun, & l' Hospital, qu' elle manda à S. Gregoire avoir esté par elle achevez, dont il luy congratule, & rend graces à Dieu par ses lettres. Ouvrages qu' on ne jette point en moule en un ny en deux ans.

Particularitez qui me font croire qu' auparavant l' an 602. an auquel on figure sa fuite d' Austrasie, cette Princesse hebergeoit au Royaume de Bourgongne avec Theodoric. Et par ainsi que le mauvais traitement de Theodebert envers son ayeule est fabuleux. Adjoustez que trois ans apres cette pretenduë disgrace de Brunehaud les deux freres par une mutuelle correspondance manierent rudement le Roy Clotaire leur cousin, & reduisirent ses affaires au petit pied, par une grande victoire qu' ils obtindrent encontre luy, & depuis vesquirent en concorde ensemblément par le tesmoignage mesme d' Aimoïn, qui dit que dix ans apres du regne de Theodoric, Brunehaud ayant moyenné la Mairie du Palais à Protade son favory, elle fit, pour se vanger, entendre à Theodoric que Theodebert ne luy attouchoit en rien de proximité de lignage; ains estoit fils d' un jardinier. Esperant par ce moyen qu' il prendroit les armes contre luy, comme il fit. Et vrayment il est mal croyable, qu' une Princesse outrageusement offensee comme cette-cy, & par consequent infiniment ulceree, eust couvé huit ans entiers dedans son ame cette vangeance sans l' esclorre. Toutesfois parce que cette histoire d' enfant de jardinier est mise en avant, comme premier seminaire des divisions qui furent entre les deux freres, dont sourdit en fin leur ruine, je luy donneray un chapitre à part, & ne vous discourray cecy, que sur ce que j' emprunte des deux Autheurs mesdisans, ny ne le contrediray que par eux mesmes.

10. 11. Seconde cruauté signalee, faussement improperee à Brunehaud.

Seconde cruauté signalee, faussement improperee à Brunehaud.

CHAPITRE XI.

Je vous feray icy part d' une autre cruauté, non moins farouche; ainçois plus prodigieuse que celle-là. Car elle emporte la piece quant & soy. Fredegaire parlant de la mort du Roy Childebert fils de Brunehaud, dit en termes generaux que quatre ans apres avoir esté appellé à la Couronne de Bourgongne, il estoit allé de vie à trespas, sans specifier le genre de mort. Aimoïn adjouste que le bruict commun estoit que c' avoit esté par poison, sans dire par qui. Le semblable font Paule Aemile & Gaguin. Du Tillet Evesque franchit le pas, & l' attribuë à Fredegonde: comme celle qui n' estoit apprentie en ce mestier. Joinct qu' auparavant elle avoit voulu, mais en vain, attenter par plusieurs assassinats sur sa vie. Un Nicolas Gilles devant cet Evesque dit que Brunehaud selon le commun bruit, avoit empoisonné dans un bain Childebert son fils, & sa femme. Sur quoy Belleforest en ses grandes Chroniques de France, a fait ce beau commentaire. Childebert (dit-il) estant au vingt-cinquiesme an de son regne (il entend parler de celuy d' Austrasie, non de Bourgongne) & de nostre salut six cens, il se voit accourcir le temps de sa vie par poison, & estime-l'on que sa propre mere Brunehaud fut celle qui le bouconna, à cause que ce Roy ne vouloit plus qu' elle commandast, & esloignoit cette insolente femme des affaires suivant le conseil de Gontran son oncle, & a fin que la tutelle & garde noble des enfans du deffunct ne tombast en autres mains qu' és siennes (voyez comme cette fine femelle estoit friande à gouverner) sçachant combien elle estoit haïe, & craignoit que la mere des heritiers n' eust cette charge, elle la fit passer par le mesme chemin que son espoux, & par ce moyen fut regente des deux Royaumes d' Austrasie, & de Bourgongne, & tutrice des Roys futurs: mais la vraye ruine, & d' eux, & de leurs pays.

Je desirerois volontiers sçavoir de quel ancien ce nouvel Autheur a emprunté le mescontentement du fils contre la mere, apres qu' ils eurent vescu ensemblément treize ans entiers en une union & concorde, & que sainct Gregoire Pape quelque peu auparavant le decez du fils, leur congratuloit de la prosperité de leur Royaume, provenant de l' obeïssance que le fils portoit à sa mere. Il n' y a remede, il faut que la cholere m' eschape: Je ne vey jamais une ignorance si lourde, ny menterie si effrontee que cette cy en une histoire. Car quand cette Princesse fut presentee par ses ennemis au Roy Clotaire second, pour luy estre fait & parfait son procez extraordinaire, tout ce dont ils la chargerent, fut que elle avoit fait mourir dix Roys, quoy que soit, avoit esté cause de leurs morts. Ces dix sont racontez d' ordre par Fredegaire, Sigebert son mary, Meroüee fils aisné du Roy Chilperic, le mesme Chilperic, Meroüee fils aisné de Clotaire, Theodebert Roy d' Austrasie, & son fils, Theodoric Roy de Bourgongne, & 3. siens enfans, Sigebert, Corbe, & Meroüee. Nulle mention ny dedans cet Autheur, ny dans Aimoïn que cette Dame eust procuré la mort au Roy Childebert. Aimoïn vous dis-je qui en son quatriesme livre chapitre premier, prit un singulier plaisir au recit & aigrissement de cette accusation: Et neantmoins en l' un & l' autre Autheur nulle mention de ce parricide. Se peut-il faire que les ennemis de cette Dame, qui pour la faire mourir d' une mort cruelle, s' estoient voüez à cette accusation, eussent oublié ce placard, qui seul pouvoit estre principale piece de cette accusation? Qu' une mere n' ayant qu' un seul fils masle, son Roy avecques lequel elle avoit vescu treize ans entiers en toute dignité & honneur, eust esté en fin si desnaturee de non seulement le faire tuer, mais aussi son espouse, Princesse aimee, respectee, & honoree de tous? Cette seule consideration nous tesmoigne clairement, que de luy imputer aujourd'huy ces deux morts, c' est une nouvelle calomnie qui est nee dedans nostre siecle. De laquelle toutesfois il ne se faut esbahir: car le malheur de cette pauvre Princesse veut, que comme sur les parties de nous offensees ou mal affectees, toutes les mauvaises humeurs de nos corps descendent; aussi la memoire de cette Dame estant de longue-main ulceree, il ne faut trouver estrange, si nous faisons tomber contr'elle toutes les fascheuses conjectures qui naissent dedans nos esprits sur ce sujet. Ces deux pretenduës cruautez, tant en la personne de Gogon, que du Roy Childebert & la Royne Fallenbe sa femme, furent executees auparavant la mort de S. Gregoire; Partant selon l' opinion du Cardinal Baronius, joint les raisons par moy cy-dessus deduites, ne doivent passer en ligne de compte, contre l' honneur de cette Royne: Mais nous avrons doresnavant plus long & fascheux chemin à exploiter. Car c' est icy ou Fredegaire & Aimoïn, n' ayans plus Gregoire de Tours pour controlleur, se sont laschez telle bride qu' il leu** au prejudice de cette malheureuse Princesse, & ont porté leurs escrits, grand coup encontre sa memoire.

10. 10. Premier traict de cruauté tres-damnable faussement imputé à Brunehaud.

Premier traict de cruauté tres-damnable faussement imputé à Brunehaud.

CHAPITRE X.

Les deux premiers qui firent deux histoires mesdisantes contre cette Princesse; au moins qui soient arrivees jusques à nous, furent Fredegaire & Aimoïn. Et combien que la primauté du temps soit deüe à Fredegaire, toutesfois celle de mesdisance appartient à Aimoïn, lequel pour monstrer de quelle cruauté Brunehaud estoit accomplie, dit que sur l' advenement du Roy Sigebert, à la Couronne d' Austrasie, il fut supplié par la noblesse de vouloir honorer de la Mairie de son Palais, Chrodin Seigneur de singuliere recommandation, & comme le Roy eut entheriné leur requeste, ce personnage seul s' y opposa, & refusa tout à plat la dignité qui luy estoit deferee. Au moyen dequoy le Roy voyant en luy une retenüe admirable, se remit sur sa conscience, de luy en trouver un qu' il penseroit digne de cette charge. Ce qu' il fit, & nomma Gogon, qui à sa nomination en fut pourveu, & s' y comporta avec toute reputation. Et comme le Roy se voulut marier, il l' envoya pardevers Athanaïlde Roy d' Espagne, pour luy demander en mariage l' Infante Brunehaud sa seconde fille. Ambassade qui luy succeda si à propos, que cette Princesse luy fut baillee, avecques plusieurs grands & riches joyaux, & amenee par luy au Roy son Maistre, qui la receut & espousa avecques tous les favorables accueils & fanfares que l' on pouvoit desirer.

Or combien que cette nouvelle Royne eust receu ce grand & signalé service de Gogon; toutesfois bien tost apres elle le prit en tel desdain, qu' elle le fit premierement haïr par le Roy son mary, & ne cessa cette poursuite jusques à ce que finalement il fut mis à mort. Jamais premier coup d' essay de cruauté ne se trouva si detestable que cestuy: Qu' un Seigneur appellé & choisi sans brigue à cette grande dignité par un personnage de choix, Seigneur qui jusques là avoit conduit sa fortune au gré & contentement du Roy, & de tous; Seigneur auquel cette Princesse avoit tant d' obligation, eust esté occis à son instigation & poursuite. Aussi est-ce la cause pour laquelle Aimoïn poursuivant sa pointe dit que l' on trouvoit dedans quelque livre d' une Sybille, que des parties d' Espagne devoit arriver en France une Dame du nom de Brune, par le moyen de laquelle se commettroient une infinité de meurtres & assassinats, & au bout de tout cela seroit en fin trainee à la queüe d' un cheval, & en cette façon rendroit l' ame en l' autre monde.

Qui est bien une autre chance que celle qui nous avoit esté en peu de paroles, liuree par les deux Prelats, Gregoire & Fortunat. Et vrayement si la cruauté de cette Dame fut lors telle, qu' Aimoïn l' a representee, chacun se devoit asseurer quel seroit de là en avant le demeurant de sa vie. Toutesfois depuis ce temps qui fut l' an cinq cens soixante & cinq, jusques en l' an six cens deux, je ne trouve, ny en Fredegaire, ny dans Aimoïn, aucune cruauté qui luy soit par eux improperee. Voire en plus forts termes vous verrez en elle dedans Aimoïn un traict de debonnaireté admirable dont le cas est tel, recité seulement par ce Moine, & non par l' Evesque de Tours; & c' est pourquoy je le mettray icy plus librement sur le tapis.

Quelque peu apres la mort de Chilperic, Gontran son frere arrivé dans la ville de Paris, sur quelque fascheux rapport qu' on luy fit de Fredegonde, il la confina en un certain bourg du territoire de Rouen, en deliberation de luy faire illecques finir ses jours, où elle fut mise en une estroite garde. Ce neantmoins elle fut veüe par plusieurs grands Seigneurs de la Cour du feu Roy son mary, qui tous promirent de luy assister, & de prester le serment de fidelité au Roy Clotaire son fils. Mais elle se voyant ainsi mal menee, ne pouvant temporiser à sa defaveur, indignee de la grandeur de Brunehaud, depesche par devers elle un quidam nommé Oleric, (Maistre passé en tromperies) pour se presenter à la Royne Brunehaud; a fin qu' estant entré en son service, il trouvast temps à propos, & moyen de l' assassiner. Lequel suivant les instructions & memoires de sa Maistresse se transporte vers Brunehaud, & luy fait entendre, qu' il s' estoit transporté devers elle pour se garentir des cruautez estranges de la Royne Fredegonde sa Maistresse: Et sceut si bien pateliner, que Brunehaud le receut à son service: bien aimé & favorizé de tous pour quelque temps, pendant lequel il espioit son apoint: Mais il ne sceut si bien joüer son personnage, qu' en fin son jeu ne fust aucunement descouvert, & appliqué à la question, recogneut tout ce qui estoit de la verité. Si jamais y eut matiere de faire mourir justement un homme, c' estoit celuy-là. Toutesfois elle le renvoye à sa Maistresse, lequel luy ayant raconté comme toutes choses s' estoient passees, elle luy fit coupper jambes & pieds: Pour contenter (dit Aimoïn) Brunehaud, comme desadvoüant ce forfait: mais en verité, d' autant qu' il ne l' avoit peu mettre à execution.

En effect voila cette detestable furie, representee par ce Moine en la mort du pauvre Gogon; maintenant plus douce que l' une des trois Charites & Graces pour sauver cet homme sceleré. Considerations qui me semblent assez suffisantes pour m' excuser, si je ne puis adjouster foy à cette pretenduë mort de Gogon. Mais encore ay-je beaucoup plus de sujet de la mescroire, quand je voy un Gregoire de Tours, qui vivoit en ce temps là, & en escrivoit l' histoire, n' en faire aucune mention. Se peut-il faire que luy qui estoit la plus part du temps en la Cour des Roys, eust ignoré cette ingrate cruauté, & que deux cens ans apres (que plus que moins) elle fust venuë à la cognoissance d' un Moine dedans son Cloistre; ou bien que Gregoire l' eust sceuë, & neantmoins teuë? Luy (dis-je) que nous voyons dedans son œuvre ne pardonner à la verité, sans acception de personnes: Comme aussi au cas de present, tant s' en faut qu' il eust trouvé sujet de mesdisance contre Brunehaud: qu' au contraire il n' y a placard en ses dix livres où les Princes & Princesses soient avecques un si bel eloge loüez comme est celuy de Brunehaud.

Et vrayment il me semble, que pour supplanter l' authorité de Gregoire, Aimoïn devoit alleguer quelque Autheur de marque, qui luy eust enseigné cette nouvelle leçon; je dis nouvelle eu (en) esgard au temps. Toutesfois il a esté en cecy creu & suivy par quelques uns qui ont escrit apres luy. Je sçay quel honneur je dois à l' ancienneté: mais aussi sçay-je que je ne la dois respecter, quand elle est combattuë d' une plus ancienne ancienneté, comme cette-cy.