viernes, 30 de junio de 2023

4. 33. Du droict de Chambellage porté par quelques Coustumes, & dont il procede.

Du droict de Chambellage porté par quelques Coustumes, & dont il procede.

CHAPITRE XXXIII.

Le Chambellage est un droict qui se paye par le vassal au Seigneur feodal, advenant changement de main, ainsi que nous voyons en celles de Meaux, Senlis & Mante, & nommément par celle de Mante, c' est un escu qui est deu au Seigneur, par celle de Senlis vingt sols Parisis, le tout selon les cas plus particulierement specifiez par icelles, mais dont en est peu proceder, & le mot & l' usage? Je vous ay dit au deuxiesme de ces miennes Recherches, qu' il y avoit cinq Estats prés de nos Roys anciennement fort authorisez depuis la venuë de Hugues Capet. Les Chancelier, grand Chambellan, grand Maistre, grand Bouteiller & Connestable. Authorité qui se continua jusques bien avant sous le regne de S. Louys. Or eurent-ils divers droicts qui leur furent diversement attribuez, & entr'autres le grand Bouteiller á chaque mutation d' Archevesque, Evesque, Abbé ou Abbesse, avoit droict de prendre cent sols. Quoy que soit, je trouve au plus ancien Registre de la Chambre des Comptes, intitulé le Livre Croix, que ce droict fut payé à Jean Dacre grand Bouteiller, par les Archevesques de Rheims, Sens, Bourges, Tours, Lyon, & Roüen: Par les Evesques de Langres, Laon, Beauvais, Chaalons, Noyon, Paris, Soissons, Tournay, Senlis, Teroüenne, Meaux, Chartres, Orleans, Auxerre, Troyes, Neuers, Mascon, Chaalon sur Saulne, Autun, Arras, Clairmont, Limoges, Amiens: Abbez de S. Denis, S. Germain des prez, S. Geneviefve, S. Magloire, S. Cornille à Compiegne, S. Medard de Soissons, l' Abbé de Corbie, de Montreil sur la mer, S. Sulpice de Bourges, de Tournay, S. Messan, Ferriere, S. Colombe de Sens, de Valery, de Montigny les Estampes: Abbesses de Cheles, de nostre Dame de Poissy, Montmartre, Faresmoutier. Or tout ainsi que le grand Bouteiller, aussi eut le grand Chambellan un certain droict sur les vassaux qui relevoient nuëment du Roy leurs Fiefs en foy & hommage. Car comme ainsi soit que le vassal se presentant à la Chambre du Roy, pour estre receu en foy, fust introduict par le grand Chambellan, ou autres Chambellans: aussi pour recognoistre cette courtoisie, les vassaux luy faisoient present de certaine somme de deniers. Et comme il advient ordinairement que toutes choses qui sont du commencement introduites de curialité, & comme disent les Ecclesiastics d' une loüable coustume, se tournent par progrez du temps en obligation: Aussi fut-il par arrest de l' an 1272. ordonné que les Chambellans avroient droict de prendre de tous vassaux qui relevoient du Roy vingt sols pour un fief de 50. liures de rente, & au dessous: 50. sols pour un fief qui vaudroit cent liures de revenu, & cent sols, le tout Parisis, pour celuy qui valoit cinq cens liures, & au dessous. Ancienneté que je recueille du registre de S. Just, Maistre des Comptes. De laquelle encores avons nous une remarque en la Chambre des Comptes de Paris, parce que nos Roys s' estans voulu garantir de cette importunité de recevoir entre leurs mains le serment de fidelité de leurs vassaux: & ayans remis cette charge à la Chambre des Comptes lors qu' elle fut establie à Paris, toutes & quantesfois qu' un vassal y est introduit par le premier Huissier, ou son Commis, pour y faire l' hommage, il luy doit certum quid en deniers, que l' on appelle le Chambellage, & ce, à mon jugement, pour autant que ce droict estant deu au Chambellan, parce qu' il introduisoit le vassal au Roy: Aussi les premiers Huissiers faisans le semblable envers la Chambre, ils se feirent accroire que ils devoient joüyr de mesme droict.

Cela soit par moy dit, a fin de ne rien oublier de ce que je pense appartenir au present sujet. Mais pour finir ce Chapitre par où je l' ay commencé, l' une des plus solemnelles foys & hommages, qui fut jamais faicte en France, est celle de François Duc de Bretagne, à nostre Charles VII. en la ville de Chinon, le 14. de Mars 1445. où le Seigneur de Varennes Grand Chambellan fit approcher le Duc, luy disant telles paroles. Monsieur de Bretagne vous faites la foy & hommage lige au Roy vostre souverain Seigneur cy-present, à cause de sa Couronne, de vostre Duché de Bretagne, ses appartenances & dependances, & luy promettez foy & loyauté, & le servir envers & contre tous, sans aucun excepter. 

A quoy le Duc respondit, adressant sa parole au Roy. Monsieur, je vous fais la foy & hommage telle & semblable, que mes predecesseurs Ducs de Bretagne ont accoustumé de faire à vos predecesseurs. Auquel hommage il fut receu en cette façon, & luy en furent decernees lettres. Je vous represente par exprez cet exemple, pour vous monstrer qu' en ces hommages signalez, le grand Chambellan estoit celuy qui avoit la charge d' introduire les vassaux au Roy.


Fin du quatriesme Livre des Recherches.

4. 32. De l' An & jour que l' on desire és matieres de retraicts lignagers & de Complainte.

De l' An & jour que l' on desire és matieres de retraicts lignagers & de Complainte.

CHAPITRE XXXII.

Je me suis mille mois estonné dont venoit que pour intenter une action de Retraict lignager, ou de Complainte en cas de saisine & nouvelleté, on requist que l' on y vint dedans l' An, & Jour de la vente, ou du trouble, & pourquoy nos ancestres ne se contentans de l' annee y voulurent adjouster le Jour. Et de fait nostre vieux Jean Bouteiller en son Somme Rural se plaignoit, de ce que dedans l' ancienneté il ne trouvoit en matiere de Retraict que l' an, & neantmoins que de son temps on disoit par ineptitude An & Jour. Toutesfois pour bien dire, cette mesme ceremonie n' a point esté seulement requise en ces deux matieres par les Practiciens, mais aussi en plusieurs autres, & d' une bien longue ancienneté. Au 4. Livre des Loix de Charlemagne, celuy qui avoit confisqué son bien par defaux & contumaces, s' il ne se presentoit en Justice dedans l' An & Jour, que le Jugement estoit venu à sa cognoissance, n' estoit puis apres receuable, pour purger la contumace à l' effect de la confiscation: Cuiuscunque hominis proprietas ob crimen quod idem habet commissum in bannum fuerit missa, & ille re cognita, ne iustitiam faciat venire distulerit, Annumque & diem in eo banno illam esse permiserit, ulterius eam non acquirat, sed ipsa fisco nostro societur, & aux Loix de Pepin Roy d' Italie, qui estoit aussi des nostres: De rebus forfactis, quae per diversos comitatus sunt, volumus ut ad palatium pertineant, transacto Anno & Die. Dedans le vieux Coustumier de Normandie, cela mesme estoit fort frequent. Au 17. Chapitre parlant de Varech, il veut que la Nef qui est prise sur mer soit mise en seure main par le Juge, & que la marchandise soit gardee An & Jour auparavant qu' elle soit acquise à un tiers. Au Chapitre 19. Choses gaives qui ne sont appropriees à aucun usage d' homme, & qui sont trouvees, si elles ne sont reclamees dedans l' An & Jour, appartiennent à celuy qui les a trouvees. Et au 20. Homme ne peut estre accusé d' usure qui An & Jour a cessé d' exercer l' usure. Il faut que cette Coustume soit venuë, ou d' une trop exacte diligence de droict, ou d' une absurde ignorance. Quant à moy j' inclineray plustost à la derniere opinion qu' à la premiere. Parlez au docte Tiraqueau en son traité des Retraicts, il vous dira que cela nommément fut ainsi fait, ad submovendam controversiosissimam controversiam, utrum dies termini computetur in termino: usant de propos deliberé de cet insolent adjectif, pour monstrer avec quelle sagesse nos ancestres avoient mis l' An & Jour ensemble: & cela mesme semble estre tiré d' une ancienne reigle de droict des Romains, qui vouloit que celuy qui estoit condamné à payer dedans deux mois, sous certaine peine, payant dedans le 61. jour, il s' estoit acquité de sa promesse: Opinion certes qui n' est pas de peu de recommandation, & y adjousterois volontiers foy, si cette reigle d' An & Jour n' estoit observee qu' aux actions de Retraicts, & instances possessoires: Mais quand je voy que dés le temps de Charlemagne elle eut lieu en autres matieres, & encores sous les premiers Normans, qui n' eurent jamais le loisir d' approfondir toutes ces subtilitez du droict des Romains, lesquelles se sont depuis insinuees entre nous par succession de temps, je me fais accroire que ce fut l' ignorance qui introduisit cette Coustume, & que ces bons Peres voyans qu' en tous actes qui estoient redigez par escrit, on avoit accoustumé d' y apposer l' An & Jour, aussi en tous ces actes qui devoient passer par Justice; esquels on desiroit un an de temps & delay, il y falloit tout d' une suite apposer le jour. Peut estre que me fermant à cette opinion je seray estimé plus ignorant qu' eux. Tant y a que je ne me puis persuader que tous ces bons vieux Peres fussent si fins, comme les represente le bon homme Tiraqueau.

4. 31. Du jeu des Eschecs.

Du jeu des Eschecs. 

CHAPITRE XXXI.

Jean de Mehun en son Romand de la Roze discourant & la fuitte, & la prise de Corradin, qui se pretendoit Roy de Naple, & de Henry fils du Roy d' Espagne, dit ainsi:

Ces deux comme fols garçonnets

Et Fols, & Rocs, & Pionnets, 

Et Chevaliers au jeu perdirent, 

Et hors de l' eschiquier saillirent,

Telle peur eurent d' estre pris

Au jeu qu' ils s' eurent entrepris:

Mais qui la verité regarde, 

D' estre pris ils n' avoient pas garde,

Puis que sans Roy ils combatoient.

Eschec & Mat point ne doutoient.

C' est une continue metaphore tiree du jeu des Eschecs, par laquelle cet Autheur voulant dire que Corradin ayant esté desconfit par Charles Comte d' Anjou, il avoit esté contraint de s' enfuir, & neantmoins qu' il n' avoit peu avoir Eschec & Mat, parce qu' il n' estoit point Roy, je rendray cy apres raison de cette conclusion. Nous pouvons à la suitte de ces deux derniers vers adjouster la belle rencontre de l' un de nos Roys, lequel estant pressé & sommé de se rendre par son ennemy en une bataille, respondit qu' un Roy n' estoit jamais pris seul au jeu des Eschecs. Il faut doncques dire que lors cette reigle estoit observee, toutesfois aujourd'huy j' ay veu plusieurs bons joüeurs tenir le contraire, qui soustiennent qu' un Roy se peut non prendre, ains Mater, ores qu' il soit despoüillé de toutes ses pieces: Et certes quiconque fut inventeur de ce jeu, je le vous pleuviray pour tres-grand Philosophe, je veux dire pour un personnage, lequel sous cet esbat d' esprit a representé la vraye image, & pourtraicture de la conduite des Roys. Il y a un Roy & une Dame, assistez de deux Fols, qui font leur route de travers, & apres eux deux Chevaliers, & au bout de leurs rangs deux Rocs, que l' on appelle autrement Tours. Car aussi entre Tour, Roque & Roquette, il n' y a pas grande difference. Devant eux il y a huict Pions qui sont pour applanir la voye, comme enfans perdus. Que voulut nous representer ce Philosophe? Premierement quant aux Fols, que ceux qui approchent le plus pres des Roys, ne sont pas ordinairement les plus sages, ains ceux qui sçavent mieux plaisanter. Et neantmoins combien que les Chevaliers ne soient pas quelquesfois les plus proches des Roys, si est-ce que tout ainsi que les Chevaliers au jeu des Eschecs donnans par leur saut, Eschec au Roy, il est contrainct de changer de place, ce dont il se peut exempter en tous les autres Eschecs, en se couvrant de quelques pieces, aussi n' y a-il rien qu' un Roy doive tant craindre en son Estat que la revolte de sa Noblesse. D' autant que celle du menu peuple se peut aisément estouffer, mais en l' autre il y va ordinairement du changement de l' Estat. Quant aux Tours, ce sont les villes fortes qui servent à un besoin de derniere retraite pour la conservation du Royaume. Il vous represente un Roy qui ne desmarche que d' un pas, pendant que toutes les autres pieces se mettent tant sur l' offensive, que deffensive pour luy, a fin de nous enseigner que ce n' est point un Roy, de la vie duquel depend le repos de tous ses sujets, de s' exposer à toutes heures aux hazards des coups, comme un Capitaine ou simple soldat, voire que sa conservation luy permet de faire un saut extraordinaire de sa cellule en celle de la Tour, comme en une place forte & tenable contre les assauts de son ennemy. Mais sur tout faut icy peser le privilege qu' il donna à la Dame de pouvoir prendre tantost la voye des Fols, tantost celle des Tours. Car pour bien dire il n' y a rien qui ait tant d' authorité sur les Roys que les Dames, dont ils ne sont honteux de se publier serviteurs. Je n' entens pas de celles qui leur sont conjointes par mariage, mais des autres dont ils s' enamourent. Et pour cette cause je suis d' avis que celuy qui appelle cette piece Dame, & non Royne, dit le mieux. Finalement tout ce jeu se termine au Mat du Roy. Si toutes les autres pieces ne se tiennent sur leurs gardes, elles peuvent estre prises, & par mesme moyen on les oste de dessus le tablier, comme mortes, ny pour cela le Roy n' a pas perdu la victoire: il peut quelquesfois la rapporter avec le moindre nombre des pieces, selon que son armee est bien conduite. Au demeurant on ne fait au Roy ce deshonneur de penser seulement qu' il soit pris, ains le reduit-on en tel desarroy, qu' estant denué de tout support, il ne peut se demarcher ny çà ny là. Quoy faisant on dit qu' il est Mat: Pour nous monstrer que quelque desastre qui advienne à un Roy, nous ne devons attenter contre sa personne. Et c' est pourquoy Jean de Mehun voulant excuser l' indignité que Charles d' Anjou avoit exercee faisant mourir Corradin, il denie fort bien la qualité de Roy en ce jeune Prince, ores qu' il la pretendist: Et à tant soustient qu' il n' y pouvoit avoir en luy Eschec & Mat. Quant au surplus le Mat du Roy est la closture du Tablier, encores qu' il fust au milieu de toutes ses pieces. Qui est à dire que de la conservation ou ruine de nostre Roy depend la conservation ou ruine de nostre Estat. Une chose ne veux-je oublier, qui est la recompense des Pions, quand ils peuvent gaigner l' extremité de l' Eschiquier du costé de nostre adversaire, comme s' ils eussent les premiers franchy le saut d' une bresche: car en ce cas on les surroge au lieu des pieces d' honneur qui pour avoir esté prises, sont jettees hors le Tablier. Car c' est en effect representer tant les guerdons, que peines qui doivent estre en une Republique, aux bien ou mal faisans. Hierosme Vidas representa en vers Latins par forme de bataille ce beau jeu, vers qui semblent estre vrays, & legitimes enfans de Virgile, & Louys des Masures les rendit en vers François. Chose que l' on eust pensé ne pouvoir estre faite: mais plus esmerveillable est ce que l' on dit qu' il y a quelques Espagnols si duits & nourris à ce jeu, qu' ils y joüent sur leurs chevaux, n' y employans autre Eschiquier pour la conduite, que leur memoire & jugement, avec la parole. Je ne sçay que la Grammaire, & non la Rhetorique de ce jeu. Bien vous diray-je avoir veu un Lyonnois oster toutes les pieces d' honneur, & ne retenir que le Roy avec ses Pions, desquels joüant deux fois contre une, il rapportoit la victoire contre de tres-bons joüeurs. Je luy ay veu mettre un anneau sur un Pion, sous cette stipulation qu' il ne pourroit Mater le Roy qu' avecques ce Pion; une autre fois passer plus outre, & mettre encores un anneau autour d' un Pion de son adversaire, à la charge qu' il le forceroit de le Mater avecques cette piece; & en l' un & l' autre jeu rapporter victoire de son opinion, contre un homme qui n' estoit point mis au rang des petits joüeurs.


4. 31. Du jeu des Eschecs.

4. 30. Que les Sergens faisans leurs exploicts portoient anciennement des manteaux bigarrez.

Que les Sergens faisans leurs exploicts portoient anciennement des manteaux bigarrez.

CHAPITRE XXX.

Au Concil tenu dans la ville de Vienne sous le Pape Clement cinquiesme l' on fit inhibitions & deffenses aux Clercs tonsurez de porter habillemens de deux couleurs sur peine de deschoir de leur privilege de Clericature: L' article du Concil les appelle Vestes Virgatas & diversis coloribus partitas: dont nous avons faict le mot de bigarrer, qui nous estoit auparavant incognu: Tesmoin que les Carmes à leur advenement en France portoient leurs chappes bigarrees de blanc & de noir, toutesfois nous ne les appellasmes les Bigarrez, ains les Barrez. Anciennement il estoit deffendu à tous Sergens de faire exploicts, qu' ils n' eussent leurs manteaux bigarrez. Coustume qui estoit encores en essence du temps que fut fait la Farce de Patelin, comme nous recueillons de ces quatre vers du bon Berger Agnelet, parlant à Jousseaume son maistre qui l' avoit fait adjourner.

Mais qu' il ne vous vueille desplaire, 

Ne sçay quel vestu desvoyé,

Mon bon Seigneur, tout defroyé,

Qui tenoit un soüet sans corde,

M' a dict, &c.

Voulant dire qu' un Sergent portant une verge & un habillement bigarré, l' avoit adjourné. La Cour de Parlement de Paris par arrest du vingtsixiesme Fevrier mil cinq cens trente sept, voulut r'amener cette mesme coustume en usage, enjoignant aux Sergens de ne faire aucun adjournement ou exploict qu' ils ne fussent ainsi habillez. Chose qui s' observe encores pour aujourd'huy aux Bedeaux des Eglises qui portent ordinairement faisans leurs charges une robbe my-partie de deux couleurs. Dont fut provenuë cette coustume il y a diverses leçons. Les uns la vont rechercher dans les anciennetez de Rome sur le declin de l' Empire. Parce qu' entre les constitutions de Gratian & Theodose au tiltre 10. du livre quatriesme du Code Theodosian, il y en avoit une dont la teneur estoit telle. Officiales per quos statuta complentur ac necessaria, uti quidem penulis iubemus, verum interiorem vestem admodum cingulis observare, ita tamen ut discoloribus palliis pectora contegentes, conditionis suae necessitatem, ex huiusmodi agnitione testentur. 

Passage qui se rapporte par exprez à gens de pareille condition que nos Sergens qui sont destinez pour executer les Mandemens des Juges. Les autres descendans plus bas, l' empruntent du privilege de Clericature dont on les voulut priver. Il n' y avoit rien que nos ancestres craignissent tant que quand un homme ayant meffaict devant la face d' un Juge Royal, en vouloit estre quitte pour un renvoy en Cour d' Eglise, sous pretexte de sa Clericature, qui luy servoit comme d' une franchise d' impunité. Ce fut la cause pour laquelle en une vieille Ordonnance du Roy Philippes fils de Sainct Louys de l' an 1277. portant plusieurs reiglemens, entre autres articles cettuy y estoit exprez. Nus ne soit ouys en la Cour du Roy, por plaidier per autre, ce n' est teuz personne qui puisse estre iusticiee par iustice seculaire, s' il est repris en son meffait. Se n' est par adventure aucuns Clercs qui plaide por soy, ou por s' Eglise, ou por personnes qui luy soient conioinctes par affinité, ou consanguinité, ou por son seigneur de cui heritage il tienne, ains cette constitution faite.  Et dedans le vieux Registre de la Cour qui se commençoit sous ce mot Olim, estoit porté qu' en l' an 1286. Ordinatum fuit per Consilium Regis quod Duces, Comites, Barones, Archiepiscopi, Episcopi, Abbates, Capitula, Collegia, Milites, & generaliter omnes, in regno temporalem iurisdictionem habentes, ad eam exercendam, Balliuos, Praepositos, & Servientes Laicos, & nullatenus Clericos instituet, ut si ipsi delinquant, superiores sui possint animadvertere in eosdem: & si aliqui Clerici sint in eisdem amoveantur. Ils portoient lors plus de reverence au privilege de Clericature que nous ne faisons maintenant: car si un Advocat, Procureur ou autre personne avoit aujourd'huy delinqué en l' auditoire du Juge, & qu' il voulust estre renvoyé devant son Juge d' Eglise, il en seroit debouté. Or pour cet ancien respect que l' on portoit aux tonsures des Clercs, on voulut que le sergent portast un manteau bigarré, a fin que si en exploictant il avoit commis quelque faute, il en peust estre chastié par le juge seculier, sans qu' il se peust prevaloir de son renvoy en Cour d' Eglise, s' il n' estoit Clerc tonsuré. Et sur ce mesme pied voyons nous l' Ordonnance du Roy François I. de ce nom faite en Janvier 1518. sur le fait des eaux & forests, portant que les Clercs solus ne pourroient obtenir Offices de Sergens aux eaux & forests, & que ceux qui en estoient ja pourveus, seroient tenus d' en trois mois apres la publication de l' Edit (Edict) se demettre de leurs Offices, ou de se marier, ou bien de porter bigarrure, & où ils ne l' avroient fait le dit temps passé, estoient leurs Offices declarez vaquans & impetrables. Cette mesme consideration exerça la plume d' Aufrerius en ses decisions de la Chappelle Tholozane, sçavoir si le Capitoux de Toulouze devoit perdre son privilege de Clericature pour porter robbe bigarree en l' exercice de sa charge.

4. 29. De quelques secrets de nature dont il est malaisé de rendre la raison.

De quelques secrets de nature dont il est malaisé de rendre la raison.

CHAPITRE XXIX.

Sainct Augustin au vingt & uniesme livre de la Cité de Dieu, nous raconte quelques miracles de nature dont il est impossible aux Philosophes de rendre a raison. Et dit qués Salines de la ville d' Agrigente en Sicile, si le sel qui en provenoit estoit mis devant le feu, il se resolvoit en eau, mais si on le mettoit dans l' eau il petoit comme si c' eust esté du feu: Du premier il ne je faut pas trop esmerveiller. Car la neige qui semble estre un corps solide, se liquefie devant le feu: mais le second porte son irresolution quant & soy. Il adjouste qu' aux Garamantes il y avoit une fontaine dont l' eau estoit si chaude de nuict que l' on ne l' eust ozé toucher, & de jour si froide, que l' on n' en pouvoit boire: Qu' en Capadoce certaines Jumens concevoient du vent, dont les Poulains vivoient trois ans. Qu' en Epire une fontaine esteignoit une torche allumee en l' approchant d' elle: puis l' allumoit estant esteincte. Et adjouste au septiesme chapitre avoir apris de quelques uns, que pres de Grenoble és Gaules y avoit une autre fontaine de pareille vertu. Puis que ce grand personnage & sainct Evesque voulut donner jusques à nous, je ne douteray d' entrer en pareille lice que luy. Entre la ville de Paris & le Chasteau de sainct Germain en Laye, nous avons un bois taillis au milieu duquel y a un chemin passant, dont d' un costé prenez une branche, elle flottera sur l' eau, ainsi que tout autre bois, de l' autre prenez une autre branche, elle ira au dessous de l' eau comme une pierre: Et l' appelle le commun pour cette cause, le Bois de la trahison. Disant que pour une trahison qui y avoit esté autresfois commise, Dieu l' avoit voulu chastier de cette façon. Allez à Poitiers à deux lieuës pres, joignant l' Abbaye de sainct Benoist, il y a un arpent tout semé de pierres (car il ne produit autre fruict) qui sont pesle-mesle ensemble: Prenez - en les aucunes, encores que bien petites, elle enfoncent dans l' eau, ainsi qu' est la nature de la pierre: Au contraire, vous en trouverez de bien grosses, qui flottent ainsi que le bois dessus l' eau. Tel qui pensera estre bien grand Philosophe me dira que la raison de cette diversité de pierres & bois provient de ce qu' en ces pierres flottantes y a des pores tout ainsi qu' au bois, & au bois qui va dessous l' eau il n' y a point de pores. Mais je demanderois volontiers comment Nature larronnesse de ce qui est propre en chacune de ces especes, ait permis qu' un mesme terroir produisist & bois & pierres contraires à leurs naturels. Au pays d' Auge en Normandie, Bailliage de Caen, y a une terre appellee Bieux-ville & saincte Barbe, où l' herbe de certains prez croist à veuë d' œil du jour au lendemain, tellement que si le soir l' herbe se trouve broutee, & que vous y couchiez un baston, le matin il se trouvera demy couvert d' herbe: & specialement au Printemps. Pour cette cause, on y fait tres- grande nourriture de bœufs & bestes à corne que l' on debite par toute la France. Au village de Colombiers à deux lieuës de Tours y a de grandes caves obscures dans le Roc où l' eau perpetuellement distille du haut en bas, & se congele, voire aux plus chauds jours de l' Esté, produisant une infinité de diverses formes transparentes, comme le sucre candit. L' Angoulmoisin se glorifie de sa riviere de Touvre, contenant deux lieuës de long, profonde de quatre pieds seulement: où les Comtes d' Angoulesme faisoient nourrir anciennement des Cignes pour leur plaisir. Et disoit-on que cette riviere estoit tapissee de Cignes, pavee de Truites, & bordee d' Escrevices. Mais c' est une chose esmerveillable qu' elle ne peut porter un bateau de diverses pieces qu' il ne soit en peu de temps rongnonné & perdu par des vers qui s' y engendrent, & faut necessairement qu' il soit composé d' une seule piece de bois, petit veritablement, mais tel que l' on y peut heberger sans danger. Le long des murailles de Veron, petite Bourgade, non grandement esloignee de la ville de Sens, est assise une fontaine d' une source vive tres-plaisante à voir, dont l' eau belle & claire s' escoulant çà & là avecques le gravier qu' elle atraine, se conglutinant avecques du bourbier, & de la mousse se transforme en pierre. De sorte que l' on voit quelquesfois une partie  petrifiee: & l' autre aucunement verdoyante herbuë, & bourbeuse preste de recevoir pareille forme que l' autre. Ce chapitre peut estre sans fin & closture. Je veux qu' il serve de jeu à ceux qui le voudront remplir d' autres exemples.

jueves, 29 de junio de 2023

4. 28. De quelques maladies dont les aucunes furent autresfois incogneuës,

De quelques maladies dont les aucunes furent autresfois incogneuës, & les autres ont eu seulement une fois cours par la disposition de l' air.

CHAPITRE XXVIII.

Ce n' est pas chose nouvelle que l' intemperie de l' air, qui est selon les Philosophes causee de la constellation des astres, nous apporte maladies, dont nos ancestres n' ouyrent oncques parler, lesquelles par fois se continuent d' une longue trainee de temps, par fois ne demeurent en vigueur que bien peu, & quasi se passent ainsi comme une undee de Mars. Au voyage que fit Charles huictiesme en Italie, la plus part de ses soldats pour avoir mal couché avecques des femmes impudiques, rapporterent une maladie contagieuse, que nous appellasmes mal de Naples, parce que ce fut le lieu où il commença: & les Italiens mal François, d' autant que les François en furent les premiers partis. Qui fut une maladie non cognuë devant ce temps là, & sur son commencement incurable, laquelle court encores entre nous, non toutesfois avec si difficile cure, comme elle estoit au temps passé: Pour autant, comme estiment plusieurs Medecins, que les corps celestes qui reiglent les inferieurs ne sont disposez à telle infection. Et partant petit à petit selon le decours des astres est elle aussi venuë à decadence. C' est l' opinion de ce grand Philosophe, Medecin, & Poëte Fracastorius en sa Siphilis. Quelques autres en attribuent la guarison à la necessité, qui à la longue a fait trouver l' experience, & tout d' une suitte la science de bien penser ceux qui se trouveroient affligez de ce mal. Je n' ignore point que plusieurs pour rendre raison de cette maladie la disent provenir de la putrefaction des humeurs que l' homme & la femme cohabitans ensemble empruntent l' un de l' autre, si est-ce chose fort esmerveillable qu' auparavant ce voyage fait à Naples, on n' avoit jamais ouy parler de mal, horsmis que l' on a depuis descouvert qu' au pays où croist le Gayac, telle maladie y est aussi familiere, comme entre nous autres les fievres, ayant nature par une grande prevoyance contre la contagion de l' air faict croistre dans le mesme pays le bois de Gayac, qui est l' un des plus propres, & singuliers remedes que l' on y puisse employer. Procope au deuxiesme livre de la guerre Persique nous raconte qu' une annee entre autres sous l' Empire de Justinian commença dedans la ville de Peleuse en Egypte une maladie, qui depuis s' espandit par tout l' Univers: Sur le commencement de laquelle celuy qui en estoit touché pensoit voir certains fantosmes, voire luy sembloit avoir esté par eux frappé. Qui estoit cause que plusieurs pensans estre molestez des malins esprits faisoient user sur eux de prieres, & paroles sainctes, comme si on eust voulu conjurer les diables. Toutesfois peu leur profitoit ce remede: Par ce qu' ils se trouvoient incontinent sorpris d' une fievre tres-vehemente, & qui est chose de grand merveille, combien qu' il semble que les fievres ne soient en nous causees que par intemperance d' une chaleur qui surabonde en nous: toutesfois lors de ce grand accés, le patient ne sentoit aucun changement en soy ny de chaleur naturelle, ny mesmes de sa couleur: Mais au lieu de cela estoit affligé d' une toux extreme qui le tenoit depuis le matin jusques au soir. Et ce jour mesme, ou le lendemain, commençoit à se descouvrir sur luy une apostume, & incontinent apres entroit en une fureur, se tourmentant infiniement, comme celuy qui estoit en une perpetuelle resuerie, luy estant advis qu' on le venoit assaillir de toutes parts, & en cet estat trespassoit tout furieux: Laquelle maladie courut l' espace de trois mois dedans la ville de Constantinople, causant telle mortalité que si cet Historiographe dit vray, pour un jour moururent cinq ou six mille citoyens: estans les Constantinopolitains reduicts en telle calamité, qu' à la parfin la plus grande partie d' entr'eux mouroient sans estre ensevelis. Depuis, cette maladie s' est esvanouye, & nul de nous ne sçait que c' est. Ce que je veux icy raconter de nostre France n' a pas esté si dangereux. Es Registres de Parlement on trouve que le vingt-sixiesme jour d' Avril, l' an mil quatre cens trois, y eut une maladie de teste & de toux, qui courut universellement si grande, que ce jour là le Greffier ne peut rien enregistrer, & fut on contraint d' abandonner le plaidoyé: tout ainsi que nous vismes en l' an mil cinq cens cinquante sept en plain esté s' eslever par quatre jours entiers un reume, qui fut presque commun à tous, par le moyen duquel le nez distilloit sans cesse comme une fontaine, avecques un grand mal de teste, & une fievre qui duroit aux uns douze, & aux autres quinze heures, que plus, que moins, puis soudain sans œuvre de Medecin on estoit guery: laquelle maladie fut depuis par un nouveau terme appellee par nous, Coqueluche. Il me souvient, & est vray que lors Messieurs Mangot, de Montelon, Bechet Advocats, & moy, ayans sous divers personnages à plaider une cause aux Generaux des Aides, concernant le Diocese d' Autun: nous fusmes inopinément surpris de cette fluxion & toux, de telle façon que pour ce jour, & deux ensuivans nous eusmes surseance d' armes. En l' an mil quatre cens unze y eut une autre sorte de maladie, dont une infinité de personnes furent touchez, par laquelle l' on perdoit le boire, le manger & le dormir, & toutesfois & quantes que le malade mangeoit il avoit une forte fievre: ce qu' il mangeoit luy sembloit amer ou puant, tousjours trembloit, & avec ce estoit si las & rompu de ses membres que l' on ne l' osoit toucher en quelque part que ce fust: Aussi estoit ce mal accompagné d' une forte toux, qui tourmentoit son homme jour & nuit, laquelle maladie dura trois sepmaines entieres, sans qu' aucune personne en mourust. Bien est vray que par la vehemence de la toux plusieurs hommes se rompirent par les genitoires, & plusieurs femmes grosses accoucherent avant le terme. Et quand venoit au guerir, ils jettoient grande effusion de sang par la bouche, le nez & le fondement, sans qu' aucun Medecin peust juger dont procedoit ce mal, sinon d' une generale contagion de l' air, dont la cause leur estoit cachee. Cette maladie fut appellee le Tac: & tel autresfois a souhaité par risee ou imprecation le mal du Tac à son compagnon, qui ne sçavoit pas que c' estoit. L' an mil quatre cens vingt sept, vers la S. Remy, cheut un autre air corrompu qui engendra une tres-mauvaise maladie, que l' on appelloit Ladendo (dit un Autheur de ce temps là) & n' y avoit homme ou femme qui presque ne s' en sentist durant le temps qu' elle dura. Elle commençoit aux reins, comme si on eust eu une forte gravelle, en apres venoient les frissons, & estoit-on bien huict ou dix jours qu' on ne pouvoit bonnement boire ne manger, ne dormir. Apres ce venoit une toux si mauvaise, que quand on estoit au Sermon, on ne pouvoit entendre ce que le Sermonneur disoit par la grande noise des tousseurs. Item elle eut une tres-forte duree jusques apres la Toussaincts bien quinze jours ou plus: Et n' eussiez gueres veu homme ou femme qui n' eust la bouche ou le nez tout eslevé de grosse rongne, & s' entremocquoit le peuple l' un de l' autre, disant: As tu point eu Ladendo. A tant l' autheur. Au demeurant, telles maladies qui ne surviennent ainsi par maniere de dire, que d' un mauvais vent, & qui se rendent presque communes à tout un peuple, sont appellees par les Medecins, Populaires, sans les specifier d' autre nom, & du peuple ordinairement baptisees de divers sobriquets, sur lesquels on ne peut asseoir non plus de raison, que sur le motif de la maladie.

4. 27. D' une maniere assez familiere aux anciens François,

D' une maniere assez familiere aux anciens François, & mesmement aux Advocats au commencement de leurs Plaidoyez d' importance, & des harangues qui se font par les gens du Roy, en la ville de Paris à l' ouverture des Parlemens.

CHAPITRE XXVII.

D' aytant que l' artifice inusité fait tenir le juge sur ses gardes, les longues harangues de tout temps & ancienneté ont esté deffenduës és Cours souveraines de France, comme jadis en la ville d' Athenes: Mais au lieu d' icelles les anciens Advocats eurent une solemnelle coustume és matieres de consequence, d' encommencer leurs plaidoyez par quelque passage de la saincte Escriture: Dont il me plaist de rapporter en ce lieu quelques exemples des causes plus notables. En l' accusation qui fut intentee devant Louys Hutin contre Enguerrand de Marigny, Maistre Jean de Meheye Advocat, accusateur commença par ce verset, Non nobis Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam. Poursuivant tout le fil de sa harangue sur ce que Enguerrand s' estoit attribué toutes prerogatives Royales: Et à tant avoir commis infinis crimes de leze Majesté: Et la cause qui fut traittee devant Philippes de Valois sur la reformation des entreprises de l' Eglise contre l' authorité du Roy, Maistre Pierre de Congneres Advocat du Roy en son Parlement de Paris prit ce theme, Reddite Caesari quae sunt Caesaris, & quae sunt Dei, Deo. Et messire Jean Bertrand Archevesque de Sens, qui plaidoit pour le Clergé, Deum timete, Regem honorificate. De la mesme façon en un plaidoyé notable qui fut tenu en plein Parlement 1432. pour les privileges de l' Université de Paris, commença l' Advocat d' icelle de cette façon: Tu es qui restitues haereditatem meam mihi. Quand maistre Jean Petit vint au Parlement pour justifier le Duc de Bourgongne de l' assassin qu' il avoit fait faire à Louys Duc d' Orleans, il commença par ce verset le 4. Mars 1407. Proximi ad proximum. Et quelques jours apres maistre Jean Cousinot plaidant pour la veufve & enfans du deffunct, prit son theme par ces mots. Haec vidua erat, quam cum vidisset dominus, misericordia commotus est super eam. Chose qui fut non seulement observee par les Advocats, mais aussi és solemnelles harangues: Comme en une question qui se presenta contre le Pape Benedict tenant son siege en Avignon, sur ce que plusieurs des Prelats de la France estoient d' avis qu' il se falloit soustraire de sa puissance, si volontairement il ne se vouloit démettre du Pontificat, Maistre Jean Juvenal des Ursins Advocat du Roy commença par ce Psalme: Viriliter agite, confortetur cor vestrum, omnes qui speratis in Domino. Concluant pour la puissance du Roy, & adherant avec l' Université de Paris. En ce mesme temps apres l' accord fait en la ville de Bourges entre la maison d' Orleans, & celle de Bourgongne, les estats estans assemblez pour confirmer cette union, & neantmoins requerir argent pour faire teste aux Anglois, Maistre Benoist Gentian Advocat envoyé par les Parisiens, commença, Imperavit ventis & mari, facta est tranquillitas. Aussi apres la malheureuse journee d' Azincour, pendant que les Bourguignons rodoient devant Paris, Maugier premier President proposa devant Louys Dauphin pour le fait des gendarmes, & pour la desolation du Royaume par le moyen des Anglois, commençant son theme par ces mots: Domine salva nos. Et aux Estats tenus en la ville de Tours devant le Roy Charles huictiesme, maistre Jean de Reilly Docteur en Theologie, & Chanoine de Nostre Dame de Paris, eleu & deputé pour porter la parole pour les trois Estats, commença le theme de sa harangue par ce verset d' Esdras, Benedictus Deus qui dedit hanc voluntatem in cor Regis: Comme semblablement en une autre harangue faicte par maistre Jean Gerson, Chancelier de l' Université de Paris, proposant pour l' Université devant le Roy Charles VI. il commença par ces mots, Vivat Rex, Vivat Rex, Vivat Rex, Tertio Regum, primo. Laquelle coustume combien que pour le jourd'huy soit demeuree seulement aux Prescheurs en leurs sermons, si est-ce qu' encores y en restoit-il quelques traces sous le regne du Roy François premier de ce nom, devant lequel maistre Jean Bouchard Advocat en la Cour de Parlement de Paris plaidant pour les Eglises conventuelles contre le Concordat fait avecques le Pape Leon, commença par ce verset addressant à Dieu sa parole. Domine scis quia dilexi, scis quia non tacui, scis quia ex animo dixi, scis quia fleus, cum dicerem, & non audirer. Remonstrant sur ce theme avec une hardiesse admirable, la desolation & desbauche qui adviendroit en l' Eglise par la rupture de la pragmatique Sanction, & extermination des Elections, qui estoient de droict divin. Soustenant qu' il n' estoit en la puissance d' homme vivant, quelque dignité qu' il eust, de les pouvoir supprimer. La suitte des ans a depuis apporté autres façons aux plaidoyez dont je ne parleray.

Bien veux-je avant que clorre ce chapitre vous discourir dont sont venuës les harangues que les Advocats du Roy font deux fois l' an aux ouvertures generales de plaidoyez en la Cour de Parlement de Paris. Car c' est une chose dont j' ay veu la naissance & accroissement de mon temps. Lors que je vins au Palais (qui fut au mois de Novembre, 1549.) cette façon de haranguer n' estoit en usage. Mais en ouvrant le pas aux octaves de la S. Martin, & de Pasques, si entre les deux Parlemens, les gens du Roy avoient observé quelques fautes aux Advocats, Procureurs, ou Solliciteurs en l' exercice de leurs charges, le premier Advocat du Roy, apres la lecture des Ordonnances, remonstroit sommairement tout ce qu' il pensoit estre de ce suject: prenant conclusions convenables. Alors le President se levoit pour prendre l' advis des Conseillers, & apres avoir fait quelque Remonstrance, prononçoit l' Arrest sur la reformation requise. Ce fait les autres Advocats venoient aux prises, & plaidoient tout ainsi qu' aux autres jours ordinaires. Car cette ceremonie estoit courte, de laquelle encores nous retenons une remarque. D' autant que combien que l' Advocat du Roy contente quelquesfois plus ses opinions, que celles du Barreau, si est-ce que le President se leve tout ainsi qu' anciennement, pour recueillir les voix des Conseillers, comme s' il estoit question de faire un Arrest, & neantmoins son project n' est que de respondre aux discours faits par l' Advocat du Roy.

Le premier qui y apporta de la façon fut maistre Baptiste du Mesnil, en l' an 1557. personnage de singuliere recommandation. Il me souvient qu' il nous entretint une demie matinee de quelques passages d' Asconius Pedianus, pour monstrer la difference qu' il y avoit dedans Rome entre l' Advocat, & le Procureur. Quelque temps apres deceda maistre Aimond Boucherat son compagnon, & par son decés fut pourveu de son Estat, maistre Guy du Faur, seigneur de Pibrac dont le nom depuis a esté en grande vogue par la France. Cettuy ayant obtenu de monsieur du Mesnil, par forme de courtoisie, de faire l' ouverture du Parlement le lendemain d' une Quasimodo, se voulut donner plus ample carriere que n' avoit fait son compagnon. Et lors ces deux beaux esprits commencerent de haranguer à l' envy l' un de l' autre, à qui mieux mieux. Du Mesnil à la Sainct Martin, & Pibrac apres Pasques. Chose depuis tournee en coustume en leurs successeurs. Au sieur de Pibrac par sa demission maistre Barnabé Brisson, homme de profonde lecture, succeda, qui le voulut renvier sur son resignant, mais d' une eloquence plus sombre, & moins relevee. Il resigna son estat à maistre Jacques Faye, Seigneur d' Espesse, lequel bien qu' il manquast aucunement en l' action, si ne devoit il rien aux autres. Il estoit d' un cerveau solide, & avoit beaucoup veu, leu, & retenu, & les passoit en belles similitudes esquelles il estoit inimitable. Tous ces braves esprits furent diversement conviez à cette nouvelle eloquence par messire Christofle de Tou premier President: qui prenoit une infinité de plaisir à les escouter, & leur respondre. Simbolizans tous en un point, qui estoit de remplir leurs harangues d' eschantillons de divers Autheurs. Chose du tout incognuë aux anciens Orateurs, tant Grecs, que Romains: & dont me plaignant un jour à monsieur d' Espesse (duquel j' estois voisin & amy) il en fit une à l' antique en l' an 1586. qui est la neufiesme des siennes, sur la loüange & recommandation de l' Eloquence: Et me dit apres que cette seule luy avoit plus cousté à faire, que trois des autres precedentes, qu' il avoit rapiecees de plusieurs passages. Le sieur de Pibrac fit imprimer de son vivant, deux des siennes: Et apres le decés du sieur d' Espesse, ses amis firent imprimer toutes les siennes, qui sont dix en nombre, plus belles paraventure, à lire, qu' elles n' avoient esté à prononcer. En l' an 1585. Maistre Jacques Mangot luy fut baillé pour compagnon, par la promotion de Maistre Augustin de Tou en l' estat de President. Cettuy au sortir de son enfance avoit esté mis par ses pere & mere en la garde de maistre Pierre Picheret, Docteur en Theologie, grand personnage, tant en mœurs, qu' erudition: lequel pour bannir de soy toute ambition s' estoit confiné en un arrierecoin de la Champagne. Là ce jeune enfant ayant eu pour miroir ce sainct object, eut depuis pour precepteur aux lettres Grecques & Latines, maistre Denis Lambin professeur du Roy en l' Université de Paris, & en Jurisprudence le grand Cuias. Il estoit fils de Maistre Claude Mangot l' un des premiers Advocats de nostre temps: sous lequel apres son retour des Universitez, il voüa un silence quatre ans entiers assidu en toutes ses consultations sans mot dire: & depuis se jettant au barreau, fit reluire en luy une jeunesse admirable entre les Advocats. Quelque peu apres il fut maistre des Requestes de l' Hostel du Roy, & en mesme temps Procureur general de la Chambre des Comptes de Paris. Par le moyen desquels deux estats, il eut entree au Conseil privé du Roy, Cour de Parlement, & Chambre des Comptes. C' est pourquoy luy qui avoit beau jugement, grande memoire, les inventions en main, la lecture des autheurs Grecs, Latins, & François, mesmes des memoriaux les plus signalez de la Chambre des Comptes, dont il avoit fait fidelles extraicts, il se rendit universel, & se forma une habitude des affaires d' Estat, de la Justice, & bonnes lettres tout ensemble. De maniere que les vertus qui reluisoient particulierement en chacun des autres, se trouverent generalement accomplies en luy. N' y ayant qu' un vice dont on le pouvoit reprendre, de ne se pouvoir estancher, mais vice qui provenoit de l' abondance de son esprit. Parler trois heures continuës ne luy estoit rien: aussi frais au partir de là, qu' au commencement. A l' ouverture d' un Parlement il fit une longue harangue, (premiere & derniere des siennes, car il fut depuis prevenu de mort) laquelle bien menagee par un autre, il en feroit à bonne mesure, trois & quatre. C' estoit pour bien dire un grand vin dedans un fraisle vaisseau, qui ne pouvoit estre de duree: Tout ainsi que je le vous pleuvy pour tel, aussi soudain, apres son decés, ce grand & judicieux d' Espesse, qui l' avoit comme son compagnon d' armes haleiné vingt mois au Parquet, ne douta de faire l' ouverture du Parlement à la sainct Martin ensuyvant, l' an mil cinq cens quatre-vingts & sept, sur la seule commemoration des vertus de cette belle ame. Ce qui n' avoit jamais esté faict pour nul autre. Estimant ne pouvoir proposer plus beau miroir aux Advocats que celuy-là. A quoy Messire Achilles de Harlay premier President, sceut fort bien repartir par une belle contrebaterie. Je ne vous parleray de ceux qui ont survescu ces Seigneurs: Leur presence me recommande d' en plus penser, & moins dire. Me contentant de vous avoir monstré au doigt, comme cette coustume s' est plantee. Peut-estre adviendra-il que tout ainsi qu' elle s' insinua inesperément entre nous, aussi se deffera elle de soy-mesme. Quoy que soit je sçay par la bouche de feu monsieur l' Advocat Marion, personnage de grand esprit, & admirable en belles pointes, qu' il desiroit pour son regard reprendre les anciens arrhemens du Parquet.

4. 26. De la fatalité qui se trouve quelquesfois és noms.

De la fatalité qui se trouve quelquesfois és noms. 

CHAPITRE XXVI.

Paravanture semblera-il à aucuns que le present discours soit plus digne de risee, que d' observation, si ne le veux je passer sous silence, parce que l' on trouve quelques exemples en nostre France qui concernent telle matiere. Et neantmoins je ne veux pas soustenir qu' il y ait presage aux noms. Bien puis-je dire qu' il y a eu quelques rencontres, esquelles la fortune du temps a voulu que sous le mesme nom de Prince, les Royaumes, ou Empires prinssent leurs commencemens, & pareillement leurs fins. Un Brutus moyenna au peuple Romain la liberté par l' extermination des Roys, & un autre de mesme nom voulut la conserver, quand en plain Senat il tua Jules Cesar, usurpateur d' une nouvelle tyrannie. Auguste, comme chacun sçait, premier à banniere desployee se fit proclamer Empereur de Rome: & la fortune voulut que sous un autre Auguste, qui fut communement appellé Augustule, ce nom se perdit dans la mesme ville, & au lieu du mot d' Empereur, on appella ceux qui y commandoient Patrices. Constantin le Grand, fils d' Heleine, fut fondateur & de l' Empire des Grecs, & de la ville de Constantinople: & sous Constantin Paleologue fils d' une autre Heleine, la ville, & l' Empire de Constantinople furent reduits sous la puissance des Turcs. Tout de la mesme façon en est il souvent advenu aux nostres. Car tout ainsi que sous Charles Martel sa lignee prit premier accroissement de grandeur, & que sous un Charles le Grand son petit fils, elle vint en toute extremité, aussi sous Charles le Simple commença elle à perdre sa force, & sous un Charles que Hugues Capet frustra du Royaume qui luy appartenoit, elle perdit toute authorité. Philippes Auguste gagna sur les Anglois, & reünit á sa couronne la Normandie, l' Aquitaine, l' Anjou, Touraine, le Maine, & Poictou contre un Roy Jean, dit Sans-terre, & les Anglois en contr' eschange faillirent de nous ruiner, pendant qu' un autre Jean regnoit en France. La ville de Hierusalem fut prise par les François à la suscitation du Pape Urbain second, & au contraire durant le siege d' Urbain troisiesme elle retourna en la servitude des Turcs, & infidelles. Voire que tout ainsi que Baudoüin fut le premier des Roys de Hierusalem qui chargea la couronne sur sa teste (car Godefroy de Boüillon son frere n' avoit pris la hardiesse de ce faire, encores qu' il fust appellé Roy) aussi sous Baudoüin le Lepreux vint le premier choc de fortune à ce Royaume, 

pour le moins qui soit de grande marque. Depuis lequel les Roys de Hierusalem ne se peurent oncques relever ains de là en avant alla tousjours le Royaume en ruine, jusques à ce qu' il ne demeura aux Roys de toutes leurs possessions, que le tiltre. Lesquels exemples se sont encores manifestez de nostre temps en une ville de Calais, laquelle fut premierement fortifiee par Philippes Comte de Boulongne, oncle de sainct Louys, en la façon que depuis elle s' est renduë admirable, perduë par Philippes de Valois, depuis assiegee l' espace de quatre mois sans rien faire par Philippes deuxiesme de ce nom Duc de Bourgongne, & finalement regagnee en l' an mil quatre (cinq) cens cinquante sept, contre Philippes d' Austriche Roy d' Espagne, lors mary de Marie Royne d' Angleterre. Jean Duc de Bourgongne fut le premier promoteur de la ruine de France, quand pour donner plus aisément lieu à son ambition detestable il fit tuer en l' an mil quatre cens sept Louys Duc d' Orleans à la porte Barbette dans Paris: Parce que depuis ce temps les troubles, guerres, & divisions regnerent en France, & sous deux personnes de mesme nom fut le Royaume estably: premierement par la venuë de Jeanne la Pucelle, & pour accomplissement par Jean bastard d' Orleans, Comte de Dunois, qui reduisit en fin la Normandie & la Guyenne sous l' obeïssance de Charles VII. Exemples certes sinon beaucoup profitables, pour le moins quelque peu delectables, & qui nous peuvent apprester à penser sur les mysteres de Dieu.

4. 25. Contre l' opinion de ceux qui estiment que l' invention du Quadrant des Mariniers, est moderne.

Contre l' opinion de ceux qui estiment que l' invention du Quadrant des Mariniers, est moderne.

CHAPITRE XXV.

Le Quadrant des Mariniers, appellé par les Italiens Boussole, est une invention admirable qui court sur mer pour se recognoistre lors que l' on a perdu tout jugement de son adresse. Or quel moyen ils y tiennent, je le vous diray. L' estoile Polaire, qui fait la queuë de la petite Ourse, ainsi nommee, pour estre la plus prochaine de celles qui sont pres du Pole Artique, est appellee en la mer Mediterranee, par les Italiens Tramontane. L' Aimant est une pierre noire tirant sur la nature du fer. Et a en soy un esprit vif respondant aux quatre parties du monde, ainsi que les Philosophes estiment. De sorte que l' aiguille de fer frotee de la pierre d' Aimant, tourne, & vire incessamment dans son Quadrant, ou Boussole, jusques à ce que la pointe ait esté opposee à la Tramontane: Car lors elle demeure toute coye. Qui fait que les Mariniers usans de cette estoille fixe, comme d' un centre, auquel s' addresse toute la circonference de leur navigation, apres avoir jugé où est le Septentrion, ils jugent tout d' une suitte où est leur midy, qui luy est opposite: & pareillement le Levant, & le Couchant. Chose qui leur sert de guide certain à leur navigation. Cette aiguille se met chez nous dans une figure quarree. Qui est la cause pour laquelle nous l' appellons Quadrant. Les Italiens la mettent dans une petite boüette, qu' ils appellent en leur langage Boussole. Quelques uns estiment que ce soit invention moderne trouvee par les Portugois, depuis leurs grandes navigations és terres incogneuës à nos anciens Geographes: Toutesfois la verité est qu' ils s' abusent. Car dés le temps mesme de Jean de Mehun cette invention estoit en usage, comme nous apprenons de ces trois vers.

Un Marinier, qui par mer nage, 

Cherche mainte terre sauvage, 

Tant il a l' œil en une estoille.

Cela est dit par luy en passant, & comme nous monstrant au doigt que

dés lors les Nautonniers avoient recours à cette estoille, pour s' asseurer de leurs addresses. Mais Hugues de Bercy, qui estoit sous le regne de S. Louys, nous en fait une ample description en sa Bible Guyot, quand il souhaitte que le Pape ressemblast a cette Estoille.

De nostre Pere l' Apostoile

Voulsisse qu' il semblast l' Estoile, 

Qui ne se muet, moult bien le voyent 

Le Maronniers qui s' y avoyent: 

Par celle Estoille vont & viennent, 

Et lor sens, & lor voye tiennent, 

Celle est attachee, & certaine, 

Ils l' appellent la Tremontaine

Toutes les autres se remuent,

Et lor lieux rechangent, & muent,

Mais cette Estoille ne se muet.

Un art font qui mentir ne puet,

Par vertu de la Mariniere,

Une pierre laide, & noiriere,

Où le fer volontiers se joint,

Et si regardent le droit point,

Puis que l' aiguille l' a touchié,

Et en un festu l' ont fichié.

En liau le mettent sans plus,

Et li festus li tient dessus:

Puis se tourne la pointe toute

Contre l' Estoille, si sans doute

Que iaper rien ny faussera,

Ne Maronniers n' en doubtera:

Quand la nuict est obscure & brune,

Qu' on ne voit Estoille, ne Lune,

Lors font a l' aiguille allumer, 

Puis ne peuvent-ils s' esgarer:

Contre l' Estoille va la pointe,

Perce sont li Maronniers cointe

De la droitte voye tenir:

C' est un ars qui ne puet mentir:

Là prennent la forme, & le molle,

Que celle Estoille ne se crolle,

Moult est l' Estoille belle, & claire: 

Tel devroit estre le Sainct Pere,

Clercs deveroit estre, & estable.

Là vous voyez que Bercy appelle l' Aimant la pierre Mariniere, comme unique, quoy que soit principal instrument de leur conduite, & la Tramontaine, cette Estoille que l' on appelle autrement le North: Puis nous enseigne qu' une aiguille de fer ayant esté frottee de cet Aimant, tourne tousjours jusques à ce qu' elle ait arresté sa pointe vers cette Estoille. Tellement que quand pour l' obscurité de la nuict les Nautonniers ne voyans ny Ciel, ny terre, ny mer, ont perdu toute cognoissance de leur route, apres avoir fait allumer une chandelle & dressé leur Quadrant, ou Boussole, ils jugent là estre le North, où ils voyent la pointe de leur aiguille s' arrester: & de là ils font jugement de la voye qu' ils doivent tenir. Toutesfois il faut noter qu' en cette description il y a une particularité qui n' est aujourd'huy en usage: Par ce que lors on mettoit trois ou quatre festus l' un sur l' autre dans l' eau, & sur iceux asseoit-on l' aiguille: maintenant nous la mettons sur une petite pointe de leton dans nostre Quadrant: Mais tant y a que de ce passage vous pouvez recueillir que l' usage de la Tramontane, & Boussole, n' est une invention nouvelle, ains tres-ancienne sur la marine.

Contre l' opinion de ceux qui estiment que l' invention du Quadrant des Mariniers, est moderne.


4. 24. Invention de l' Artillerie, & Imprimerie.

Invention de l' Artillerie, & Imprimerie.

CHAPITRE XXIV. 

Encores que l' invention de ces deux manufactures ne soit nostre, si est-ce que leur usage nous estant familier & commun, de l' une pour le fait de la guerre, & de l' autre pour la paix, je croy que l' on ne trouvera point mauvais, si je vous touche icy deux mots de ceux qui en furent les inventeurs & en quel temps. En quoy je vous puis dire cela estre advenu de mesme façon, que j' ay veu advenir en la France sous le regne de Henry deuxiesme, quand il envoya à Rome, Malras autresfois marchant Tholozan, & depuis maistre d' hostel de la Royne sa femme, & l' Evesque d' Aix a Constantinople. Celuy-là pour estre Ambassadeur pres de nostre S. Pere le Pape, & cestuy-cy, pres du grand Turc. Vous jugerez par cette premiere demarche que je me mocque. Non fay certes. Le semblable est-il advenu sur le suject qui se presente. D' autant que l' inventeur de l' Artillerie, fut un Moine, & de l' Imprimerie un Chevalier: l' un & l' autre Allemans. N' est-ce pas en cecy vrayement l' histoire d' un monde renverse? Le Moine se nommoit Bertold Scuvards de l' Ordre de S. François, qui vivoit en l' an mil trois cens cinquante quatre. Et pense en ma conscience qu' il estoit yssu de ce malheureux Salmonee, lequel pour avoir voulu representer les foudres de Jupiter, est despeint par les Poëtes anciens tres-mal traitté en leurs enfers. Hé vrayement il ne fut pas dit sans raison par un grand Philosophe, qu' il falloit que celuy qui se voüoit à la solitude, fust, ou un Dieu, ou un diable: ny par les nostres en commun proverbe, que l' habit ne faict pas le Moine.

Au regard de l' Impression, si vous parlez à celuy qui à fait l' histoire du Royaume de Chine, és Indes Orientales, il vous dira que de toute ancienneté l' impression y estoit en usage, & long temps auparavant qu' elle prist pied en l' Europe. Ce que l' on ne peut dire de tout le demeurant de l' Univers. Et par especial en nostre Christianisme nous n' avions (si ainsi voulez que je le die) autres Imprimeurs que les Monasteres, aux Librairies desquels avions recours, comme magasins des livres manuscripts, qui plus, qui moins, selon le zele & devotion que les Religieux avoient apporté à l' estude des bonnes lettres. Le premier qui nous garentit de cette necessité, fut Jean Guttemberg Gentil homme demeurant en la ville de Majence, fassant profession des armes. Ainsi nous l' enseigne Polydore Virgile, en son second livre des inventeurs des choses. Munster en sa Cosmographie y adjouste cette particularité, qu' ayant inventé la maniere d' imprimer il ne la voulut tout aussi tost esventer, ains demeura plusieurs ans, l' estoufant de toutes façons, a fin que son invention voyant l' air ne s' esvanouyt point en fumee: & dit le mesme autheur qu' il la divulgua l' an 1457. Nostre docte Veigner (Vignier), au second tome de sa Bibliotheque historiale est de mesme opinion, & neantmoins dit que quelques uns en attribuoient l' invention à un Joannes Faustius. Je veux croire qu' il y a faute en l' impression, & qu' au lieu de Faustius, il faut lire Fustius. Qui ne seroit pas sans propos. Parce qu' il est autresfois tombé entre mes mains un livre des Offices de Ciceron, imprimé sur du parchemin, à la fin duquel livre estoit ce placard: Praesens Marci Tullij clarissimum opus, Ioannes Fust. Maguntinus civis, non atramento, non plumali canna, neque aerea, sed arte quadam pulchra, manu Petri Genriseni pueri mei, foeliciter effeci. Finitum anno mill. iiiic.lxvi. quarta die Februarij. Eloge duquel vous pouvez recueillir qu' en ce livre fut fait le premier coup d' essay de l' impression, lors fraischement inventee. Autrement il eust esté un grand sot d' en faire un si grand fanfare. Et à tant pour ne me detraquer de l' opinion commune, je me fay accroire qu' à Jean Guttemberg est deuë la premiere invention de l' Imprimerie, & que Jean Fust est celuy qui en fit la premiere espreuve sur la leçon qu' il avoit apprise de l' Autheur. Ces deux inventions sont en tout & par tout l' une à l' autre contraires, l' Artillerie estant inventee pour la guerre, l' Imprimerie pour la paix: celle là faisant mourir les hommes illustres qui vivent: & cette cy leur redonnant la vie apres qu' ils sont morts.

4. 23. Des Epithetes que nos ancestres donnerent à quelques uns de nos Roys par honneur, aux autres par attache.

Des Epithetes que nos ancestres donnerent à quelques uns de nos Roys par honneur, aux autres par attache. Depuis quel temps apres leurs decez leurs Epithetes se sont tournez en ceremonie, ensemble sommaire discours sur les surnoms.

CHAPITRE XXIII.

Ceux qui nous ont laissé par escrit les anciennetez des Egyptiens, nous racontent que lors que leur Roy estoit allé de vie à trespas, c' estoit une coustume ordinaire d' exposer son corps à la veuë de tout le peuple, a fin qu' il fust loisible à chacun de le loüer ou accuser publiquement des choses que l' on estimoit avoir esté par luy bien ou mal faites. Et si par cas d' adventure il se trouvoit qu' en cette balance de loüange & d' accusation, la pluralité des voix passast pour ceux qui se plaignoient de ses extorsions & tyrannies, alors luy estoit toute sepulture interdite. Qui estoit l' une des choses qu ils redoutoient le plus, non seulement pour l' ignominie qui leur estoit faite par ce moyen: mais aussi que la commune opinion estoit que leurs ames estoient sans cesse vagabondes, jusques à ce que leurs corps fussent mis au cercueil selon leurs ceremonies. Cela fut cause que les Princes estoient semonds de n' extravaguer hors les bornes de leur devoir, pour la peine qu' ils voyoient leur estre preparee apres leur mort: laquelle n' estoit, ce leur sembloit, passagere, ains duroit à perpetuité. Quant à nous qui sommes nourris en la vraye doctrine de Dieu, encores que ne devions avoir autre crainte pour nous inviter à bien faire que celle que nous rapportons des Evangiles: toutesfois voyant que la plus grande partie des Nobles, & grands Seigneurs s' enyurent tellement de l' honneur mondain, que sans l' alechement d' iceluy, ils oublieroient plusieurs choses de leur devoir: si j' osois employer mon souhait à l' endroit de nos Roys, je voudrois non pas qu' ils fussent exposez de la façon des Egyptiens: mais bien que sans flaterie on leur donnast tiltres, aussi bien tirez de leurs vices, que de leurs vertus, a fin que tout ainsi que les tiltres d' honneur seroient envers leurs successeurs, comme un esperon de vertu, aussi les taches leur servissent comme d' une bride pour les destourner de mal faire.

Et vrayment si nous voulons icy remarquer l' ancienneté de la France és Epithetes que nous donnons à nos Roys apres leurs trespas, nous trouverons que du commencement ils se donnoient sans aucune solemnité, par un taisible consentement de tout le peuple, selon les merites ou demerites qu' on avoit veu regner en eux. De là vint que par la voix commune de tous, ce grand guerrier Charles, pere de Pepin, fut surnommé Martel, du nom de Mars, & son petit fils Charles le grand, autrement Charlemagne, d' un mot François, & my-Latin. Et sous la troisiesme lignee de nos Roys, Hugues Capet, pour le bon sens qui estoit en luy: Philippes II. le Conquerant, parce qu' il avoit conquis & reüny à sa Couronne tout ce que les Anglois possedoient en & au dedans de la France. Et si nous fusmes liberaux en ces loüables Epithetes envers ceux qui le meritoient, nous ne feusmes non plus avaricieux de leur donner des attaches sur les defaux qui estoient en eux. Nous appellasmes un Charles le Simple, & un Louys le Faineant. Quelques uns estiment que Louys VII. pere de Philippes le Conquerant eust esté surnommé le Jeune, parce que sur un umbrage tel quel, il avoit repudié Leonor sa femme, seule heritiere du Duché de Guyenne, & Comté de Poictou, laquelle se maria depuis à Henry II. Roy d' Angleterre: accroissant grandement par ces deux pieces son Estat, au grand dommage de la France: Mais en cette opinion ils s' abusent, d' autant qu' il fut appellé le Jeune à la difference de Louys le Gros son pere. Ayant esté du vivant de luy fait & couronné Roy de France. Chose que l' on voit à l' œil par le privilege de la Regale qu' il octroya à l' Archevesque de Bourdeaux, portant ces mots. Ego Ludovicus iunior, Magni Ludovici filius, duquel j' ay cy-dessus parlé au troisiesme Livre. Et neantmoins il meritoit vrayement le tiltre de Jeune, par la repudiation par luy faite. Voyla quant aux Epithetes concernans les fautes de l' esprit. Car quant à ceux qui touchoient les vices du corps, je souhaitterois que ne les eussions remarquez, comme quand nous dismes Pepin le Brief, Charles le Chauve, Louys le Begue, Louys le Gros.

Or n' estoient tous ces Epithetes donnez par ceremonie. Nos Roys en joüissoient lors par la voix commune du peuple en bien, ou en mal faisant, & dura cela jusques à Philippes de Valois: Car comme Philippes quatriesme fut appellé Philippes le Bel, & de ses trois enfans, l' un Hutin, l' autre le Long, l' autre encores le Bel, remarques que l' on tiroit en eux ou du corps, ou de l' esprit, le premier pour lequel commença cette ceremonie d' Epithetes par flaterie, fut Philippes de Valois, lequel du commencement fut appellé le Fortuné par tout le peuple: Parce que Fortune l' avoit ce sembloit conduit par la main à ce haut tiltre de Roy par la mort de ses trois Cousins qui estoient decedez sans hoirs masles, luy qui sembloit lors du decez de Philippes le Bel estre grandement esloigné de la Couronne. Depuis il fut nommé l' Heureux, pour la grande victoire qu' il avoit euë contre les Flamans: Toutesfois tous ces tiltres d' honneur s' esvanouirent avec sa vie, & luy en resta seulement un seul. Il avoit esté solicité, ainsi que j' ay deduit ailleurs, par Maistre Pierre de Congneres lors son Advocat en la Cour de Parlement, de refrener les Jurisdictions Ecclesiastiques, en ce qu' elles entreprenoient sur les droits du Roy & de ses sujets: Et de fait cette cause fut solemnellement plaidee d' une part & d' autre devant luy au bois de Vincennes: Toutesfois apres avoir oüy les parties, il declara que pour lors il ne remueroit rien de nouveau, ains lairroit (laissoit) les Ecclesiastics en leur ancienne possession. Chose qui leur fut si aggreable qu' ils commencerent à le haut loüer sur tous les autres: tellement qu' apres qu' il fut decedé, comme si la foy Chrestienne eust despendu de la manutention de telles Jurisdictions, il fut par cry public surnommé le Catholique, lequel tiltre ne luy est point depuis tombé, voire fut engravé sur sa sepulture, comme l' on peut voir en l' Eglise des Jacobins de Paris, dans laquelle fut son cœur ensevely: Et toutes-fois à prendre sans hypocrisie les choses, luy mesme durant sa vie se surnomma tel qu' il estoit. Car apres la mal-heureuse journee de Cressy, s' enfuyant de la bataille au Chasteau de la Broye, le Chastelain voulant sçavoir qui estoit celuy qui luy demandoit l' entree, parce qu' il estoit ja nuict close, il luy respondit que c' estoit la Fortune de la France: Et certes non sans grande raison: Car depuis cette deffaicte n' advindrent que toutes miseres au Royaume.

Depuis que le Clergé eut faict cette ouverture, on tira cela en Coustume, & chercha-l'on apres le decez de nos Roys dans leur vie passee, la plus grande vertu qui eust reluy en eux pour les en surnommer, à cry public & son de trompe, comme nous voyons que Jean fils de Philippes de Valois, fut apres son decez appellé le Bon. Charles V. le Sage & le Riche: parce que l' on remarquoit en luy, qu' il avoit eu des affaires de guerre autant & plus qu' aucun autre de ses devanciers: davantage avoit construit plusieurs grands bastimens tant en Eglises que Chasteaux: Et outre ce avoit fait plusieurs belles donations & fondations: Et neantmoins se trouvoit qu' au bout de toutes ses affaires & despences, il avoit laissé apres son decez un fonds infiny de deniers: Au moyen dequoy, à bonne raison sembloit-il que l' on le deust appeller Sage & Riche: combien que pour le regard de la Sagesse il fit un grand pas de Clerc, lors qu' il espousa pour son plaisir Jeanne de la maison de Beau-jeu, estant en son choix d' espouser la fille & unique heritiere de Flandres, qu' il laissa espouser à son frere Philippes Duc de Bourgongne. En cas semblable fut Charles VI. surnommé le Bien-aimé, parce comme je croy, que le hazard du temps ne luy donna jamais le loisir de se faire hayr de son peuple: D' autant qu' il entra au Royaume en aage de minorité, & estant sous le gouvernement des Ducs d' Anjou & de Berry ses oncles, & peu apres se trouvant alteré de son bon sens, l' on remettoit les fautes qui estoient commises plustost sur ses Gouverneurs que sur luy. Louys XII. Pere du peuple, François I. le Clement, & Zelateur des bonnes Lettres: Henry son fils le Belliqueux. Nous ne sçavrions assez honorer nos Roys. Bien diray-je que quand par flaterie nous voulusmes honorer leurs memoires, les affaires de nostre France ne s' en sont pas mieux portees.

Or n' emportent tels Epithetes aucune remarque des surnoms, ains sont seulement tiltres honorables, dont on revest nos Roys apres leurs decez. Aussi ne se trouve-il point qu' ils ayent jamais usé de surnoms, ny mesmes les Princes, qui leur attouchoient de quelque degré de consanguinité en ligne masculine. Car ce que nous appellasmes la ligne des Roys n' agueres regnans sous le surnom de Valois, & nostre Roy à present regnant HENRY DE BOURBON, comme aussi tous les autres Princes qui luy attouchent de proximité de lignage, ce sont surnoms tirez de leurs principales Seigneuries. Et est cecy cause que nos Roys & tous les Princes ne sous-signent que de leurs noms. Et certes il n' y a rien où je me trouve tant empesché, qu' en la varieté qui s' est rencontree aux surnoms. Repassez par la Republique de Rome auparavant qu' elle fust asservie sous la puissance d' un Empereur, ils avoient quelques-fois trois noms, comme Marcus Tullius Cicero, & d' ordinaire deux. Descendez quelques deux ou trois cens ans sous l' Empire, vous n' y en trouverez le plus souvent qu' un seul. Mesmes tous ces grands personnages, dont les uns firent profession des armes sous l' Empereur Justinian, les autres du droict, ne se trouvent qualifiez que d' un nom, Belissaire, Joannes Tribonian, Theophile, Dorothee: & peut-estre n' est-il hors de propos d' estimer que nos premiers François n' usoient non plus de surnoms: au moins n' en trouverez vous aucuns en tous nos livres anciens. N' estoit que nous voulussions dire que nos ancestres n' eussent voulu inserer leurs surnoms par contemnement & mespris, ains se contentassent sans plus d' estre designez par leurs noms. Car nous voyons un Jean de Mehun avoir seulement pris celuy de la ville en laquelle il estoit né, combien qu' il fust surnommé Clopinel. En cas semblable le Sire de Joinville qui nous escrivit la vie de sainct Louys, semble avoir voulu oublier le sien au commencement de son œuvre, posé que par son Histoire il face mention d' un sien frere appellé Messire Jean le Brun Connestable de France: & tout de cette mesme façon ces doctes Religieux qui florirent en l' Abbaye de sainct Victor joignant Paris, se contenterent de mettre au lieu de leurs surnoms, le nom du Monastere, auquel ils faisoient profession tant de la Religion, que des disciplines, comme nous voyons que Hugues, Adam, & Richard, personnages celebrez en leur siecle, pour tout surnom s' appellerent de S. Victor. Toutesfois c' est une chose esmerveillable qu' en tous ces bons vieux autheurs, dans un Gregoire, Adon, Aimoïn, Reginon & autres, vous ne trouvez un seul nom accompagné de surnom. Et plus encores comme il soit depuis advenu qu' il n' y ait aujourd'huy famille Roturiere en nostre France, qui n' ait son surnom. Si vous parlez à du Tillet, il vous dira que ces surnoms ont esté donnez à uns & autres par forme de sobriquets. Il faut doncques qu' ils soient tous intelligibles, & neantmoins de cent mille, il n' y en a pas cent qui ayent aucune signification: Tellement qu' il semble que ce soit un, je ne sçay quel Daimon qui nous les ait imposez.