viernes, 28 de julio de 2023

7. 12. Que nostre langue est capable des vers mesurez, tels que les Grecs & Romains.

Que nostre langue est capable des vers mesurez, tels que les Grecs & Romains.

CHAPITRE XII.

Ovide en quelque endroict de ses Regrets, qu' il intitule De Tristibus, dit qu' estant banny en la Scythie, pour tromper son malheur, avoit appris de faire des vers à la Romaine, en ce langage goffe, & barbare. Je ne dispute point si la forme des vers Latins avecques pieds longs & courts est meilleure, que nos rimes. Ce que j' entends maintenant deduire est de sçavoir si nostre langue Françoise en est capable. Quant à cela il n' en faut point faire de doubte, mais je souhaite que quiconque l' entreprendra soit plus né à la Poësie, que celuy qui de nostre temps s' en voulut dire le maistre. Cela a esté autresfois attenté par les nostres, & peut estre non mal à propos. Le premier qui l' entreprit fut Estienne Jodelle en ce distique qu' il mist en l' an mil cinq cens cinquante trois, sur les œuvres Poëtiques d' Olivier de Maigny.

Phoebus, Amour, Cypris, veut sauver, nourrir, & orner, 

Ton vers, & chef, d' umbre, de flamme, de fleurs. 

Voila le premier coup d' essay qui fut fait en vers rapportez, lequel est vrayement un petit chef d' œuvre. Ces deux vers ayans couru par les bouches de plusieurs personnages d' honneur, le Comte d' Alcinois en l' an mil cinq cens cinquante cinq, voulut honorer la seconde impression de mon Monophile de quelques vers Hendecasyllabes, dont les cinq derniers couloient assez doucement.

Or quant est de l' amour amy de vertu,

Don celeste de Dieu, je t' estime heureux

Mon Pasquier, d' en avoir fidellement faict,

Par ton docte labeur, ce docte discours,

Discours tel que Platon ne peut refuser. 

Quelques annees apres devisant avecques Ramus, personnage de singuliere recommandation, mais aussi grandement desireux de nouveautez, il me somma d' en faire un autre essay de plus longue haleine que les deux precedens. Pour luy complaire je fis en l' an 1556. cette Elegie en vers Hexametres & Pentametres.

Rien ne me plaist sinon de te chanter, & servir & orner

Rien ne te plaist mon bien, rien ne te plaist que ma mort. 

Plus je requiers, & plus je me tiens seur d' estre refusé, 

Et ce refus pourtant point ne me semble refus. 

O trompeurs attraicts, desir ardent, prompte volonté,

Espoir, non espoir, ains miserable pipeur. 

Discours mensongers, trahistreux œil, aspre cruauté,

Qui me ruine le corps, qui me ruine le cœur. 

Pourquoy tant de faveurs t' ont les Cieux mis à l' abandon,

Ou pourquoy dans moy si violente fureur? 

Si vaine est ma fureur, si vain est tout ce que des cieux

Tu tiens, s' en toy gist cette cruelle rigueur: 

Dieux patrons de l' amour bannissez d' elle la beauté,

Ou bien l' accouplez d' une amiable pitié: 

Ou si dans le miel vous meslez un venimeux fiel,

Vueillez Dieux que l' amour r'entre dedans le Chaos: 

Commandez que le froid, l' eau, l' Esté, l' humide, l' ardeur:

Brief que ce tout par tout tende à l' abisme de tous, 

Pour finir ma douleur, pour finir cette cruauté,

Qui me ruine le corps, qui me ruine le cœur,  

Non helas que ce rond soit tout un sans se rechanger,

Mais que ma Sourde se change, ou de face, ou de façons: 

Mais que ma Sourde se change, & plus douce escoute les voix,

Voix que je seme criant, voix que je seme, riant. 

Et que le feu du froid desormais puisse triompher, 

Et que le froid au feu perde sa lente vigueur:

Ainsi s' assopira mon tourment, & la cruauté

Qui me ruine le corps, qui me ruine le cœur.

Je ne dy pas que ces vers soient de quelque valeur, aussi ne les mets-je icy sur la monstre en intention qu' on les trouve tels: mais bien estime-je qu' ils sont autant fluides que les Latins: & à tant veux-je que l' on pense nostre Vulgaire estre aucunement capable de ce subject.

Cette maniere de vers ne prit lors cours, ains apres en avoir faict part à Ramus, je me contentay de les mettre entre les autres joyaux de mon estude, & les monstrer de fois à autres à mes amis. Neuf ou dix ans apres, Jean Antoine de Baïf marry que les Amours qu' il avoit premierement composez en faveur de sa Meline, puis de Francine, ne luy succedoient envers le peuple de telle façon qu' il desiroit, fit vœu de ne faire de là en avant que des vers mesurez, (ainsi appellons nous ceux ausquels nous voulons representer les Grecs & Latins) toutesfois en ce subject si mauvais parrain que non seulement il ne fut suivy d' aucun: mais au contraire descouragea un chacun de s' y employer. D' autant que tout ce qu' il en fit estoit tant despourveu de cette naïfveté, qui doit accompagner nos œuvres, qu' aussi tost que cette sienne Poësie veit la lumiere, elle mourut comme un avorton.

Or ces vers par moy cy dessus recitez, representent en nostre langue les vers Grecs & Latins, esquels on considere la proportion des pieds longs & briefs seulement: toutesfois je ne sçay comment la douceur de la rime s' est tellement insinuee dedans nos esprits, que quelques uns estimerent que pour telle maniere de vers agreable, il y falloit encores adjouster par supplément la rime au bout des mots: Le premier qui nous en monstra le chemin fut Claude Butet dedans ses œuvres Poëtiques, mais avec un assez malheureux succés.

Prince des Muses, Joviale race,

Vien de ton beau mont, subit de grace, 

Monstre moy les jeux de la Lire tienne 

Dans Mitilenne, 

Le demeurant de cette Ode contient sept couplets que je ne vous veux icy representer, par ce que je ne la trouve pas bonne. Et de fait en ce premier couplet vous y trouvez deux fautes notables. L' une qu' il fait l' E feminin long par la rencontre de deux consonantes qui le suivent: en quoy il s' abusoit: par ce que cest E n' est qu' un demy son que l' on ne peut aucunement rendre long: l' autre que quand cest E tombe en la fin du vers, il n' est point compté pour une syllabe, comme il a voulu faire. 

Il me suffit seulement de vous dire qu' il fut le premier autheur de nos vers mesurez rimez. Bien vous diray-je qu' il choisit sagement les vers Saphiques. Car si nous avions à transplanter en nostre vulgaire quelques vers Latins, il faudroit que ce fussent principalement ceux qui sont d' unze syllabes, que nous appellons tantost Phaleuces, tantost Saphiques. Il n' y a rien de si mignard que tels vers. Chose que l' Italien recognoissant a formé toute sa Poësie sur eux. Vray que ç'a esté sans consideration des syllabes briefves, ou longues: Car cela luy eust trop cousté, se contentant seulement de la rime au bout des unze syllabes. Ce que Ronsard a voulu representer en une Ode qui se commence, 

Belle, dont les yeux doucement m' ont tué 

Par un doux regard qu' au cœur ils m' ont rué, 

Et m' ont en un roc insensible mué 

En mon poil grison. 

Et en une autre, dont le premier couplet est tel:

N' y l' aage, ny sang ne sont plus en vigueur, 

Les ardents pensers ne m' eschauffent le cœur, 

Plus mon chef grison ne se veut enfermer 

Sous le joug d' aimer. 

En ces deux pieces que l' on poura lire tout au long dans le 5. de ses Odes la rime est tres-riche sans pieds, & neantmoins vous voyez qu' ils ne sont pas sans quelque grace: En l' Ode de Butet la faute visible qui s' y trouve est que tous ses vers clochent du pied. Et c' est pourquoy en l' an mil cinq cens septante huict, dedans mes œuvres Poëtiques, qui estoient adjoustees au bout de mon Monophile, je voulus faire ces Hendecasyllabes en vers rimez, & mesurez.

Tout soudain que je vis Belonne voz yeux, 

Ains vos rais imitans cet astre des Cieux, 

Vostre port grave-doux, ce gracieux ris, 

Tout soudain je me vis Belonne surpris, 

Tout soudain je quitay ma franche raison, 

Et peu caut je la mis à vostre prison:

Mais soudain que je vis Felonne tes yeux, 

Ains tes deux Baselics etincelans feux, 

Ton port plein de venin, ce traistre soubris, 

Tout soudain je cogneu de m' estre mespris, 

Tout soudain je repris ma serve raison, 

Et plus caut la remis dedans sa maison:

Et si comme ton œil premier me lança 

Un feu, aussi ton œil second me glaça. 

Or Adieu sot Amour, Adieu je m' en voy, 

Si le froid, & le chaud tu couvres en toy,

En vain veux-je du feu d' Amour me chauffer,

En vain vieil de l' Amour je veux trionfer, 

En vain veux-je mener l' Amour à douceur, 

En vain fais-je voyage avecques luy seur, 

Et constant en amour me veux-je ronger. 

S' il est jeune, cruel, aveugle, leger.

De tout cet Epigramme je ne demanderay pardon au lecteur sinon du mot Leger, dont j' ay faict la premiere syllabe longue, combien que je la pense briefve: faute toutesfois excusable, & en laquelle j' ay plustost choisi de tomber, que de perdre la pointe du dernier vers, qui se rapporte aux quatre precedens. Depuis Jean Passerat, homme duquel on ne sçavroit assez honorer les vers, soient Latins, ou François, quand il en a voulu faire, fit une Ode en vers Saphiques, qui est telle.

On demande en vain que la serve raison 

Rompe pour sortir l' amoureuse prison,

Plus je veux briser le lien de Cypris, 

Plus je me voy pris. 

L' esprit insensé ne se paist que d' ennuis, 

Plaintes, & sanglots, ne repose les nuits

Pour guerir ces maux que l' aveugle vainqueur 

Sorte de mon cœur. 

Pren pitié des tiens, tire hors de mon flanc

Tant de traits lancez, enyurez de mon sang, 

Moindre soit l' ardeur de ton aspre flambeau 

Archerot oiseau. 

Ou si mon tourment renouvelle tousjours, 

Il me faut trencher le filet de mes jours, 

Sur ce traistre enfant je seray le plus fort,

Quand je seray mort.

Le mesme Passerat fit une autre Ode telle qu' est celle d' Horace, qui se commence, Miserarum est neque amori dare ludum.

Ce petit Dieu colere, Archer, leger Oiseau, 

A la parfin ne me lairra que le tombeau, 

Si du grand feu que je nourry ne s' amortit la vive ardeur. 

Un Esté froid, un Hyver chaud, me gele, & fond, 

Mine mes nerfs, glace mon sang, ride mon front,

Je me meurs vif ne mourant point, je me seiche au temps de ma verdeur.

Sote trop tard à repentir tu te viendras, 

De m' avoir faict ce mal à tort tu te plaindras, 

Tu attens donc à me cercher remede un jour que je mourray.

D' un amour tel meritoit moins la loyauté, 

Que de gouster du premier fruict de ta beauté, 

Je le veux bien, tu ne veux pas, tu le voudras, je ne pourray. 

Nicolas Rapin Lieutenant Criminel de robbe courte dans Paris, homme qui sçait aussi bien s' ayder de la plume en vers Latins, & François, que de l' espee, quand la necessité de son estat le requiert, entre autres Epitaphes faits en l' honneur de Pierre de Ronsard, le voulut honorer de cestuy que je veux icy inserer tout de son long: Car c' est une piece qui me semble le meriter, tant en l' honneur de celuy qui l' a faite, que pour celuy qu' elle fut faicte.

ODE SAPHIQUE RIMEE.

Vous qui les ruisseaux d' Helicon frequentez,

Vous qui les Jardins solitaires hantez,

Et le fonds des bois, curieux de choisir

L' ombre & le loisir.

Qui vivant bien loing de la fange & du bruit,

Et de ces grandeurs que le peuple poursuit,

Estimez les vers que la Muse apres vous,

Trempe de miel doux. 

Eslevez vos chants, redoublez vostr' ardeur, 

Soustenez vos voix d' une brusque verdeur, 

Dont l' accord montant d' icy jusques aux Cieux,

Irrite les Dieux. 

Nostre grand Ronsard, de ce monde sorty, 

Les efforts derniers de la Parque a senty: 

Ses faveurs n' ont peu le garentir en fin

Contre le destin: 

Luy qui put des ans, & de l' aage vaincus 

Susciter Clovis, Pharamond, & Francus, 

Qu' un pareil cercueil receloit, & leur los

Moindre que leurs os: 

Luy qui put des morts ralumer le flambeau, 

Et le nom des Roys retirer du tombeau, 

Imprimant ses vers par un art maternel,

D' un style eternel.

Bien qu' il eust neuf sœurs qui souloient le garder, 

Il ne put les trois de là bas retarder, 

Qu' il ne fust forcé de la fiere Clothon,

Hoste de Pluton: 

Maintenant bien prés de la troupe des grands 

Fondateurs, guerriers de la gloire des Francs, 

On le voit pensif paravant qu' aborder

Son Luth accorder:

Mais si tost qu' on l' oit reciter de ses vers,

Virgile au combat cede les Lauriers verds, 

Orphee, & Linus, & Homere font lieu,

Ainsi qu' à un Dieu.

Il va leur contant comme lors de son tans

Nos civils discords alumez de vingt ans,

Par tout ont remply le voyaume d' erreur,

D' armes & d' horreur.

Il va leur chantant le peril, & danger

Du Troyen Francus, valeureux estranger,

Qui devoit aux bords de la Seine à bon port

Eslever un fort. 

Ja le Rhin forchu se couvroit de vaisseaux,

Et le Loir enfloir le canal de ses eaux, 

Sous ce grand guerrier, qui d' Hiante avoit pris 

L' ardeur à mespris. 

Ja Paris monstroit le sommet de ses tours,

Quand le sort rompit le milieu de son cours,

Il ne pleut aux Dieux que d' un homme fust fait

Oeuvre si parfait: 

Ainsi d' Apelles de la Parque surpris 

Fut jadis laissé le tableau de Cypris,

Nul depuis n' osant sa besongne attenter,

Pour la remonter.

Quel de nous pourra renoüer ce tissu, 

Concevant l' ardeur que son ame a conceu:

Quel de nous pourra de ce docte pourtraict

Contrefaire un traict?

Grand Daimon François, digne chantre des Dieux, 

Qui premier passas la loüange des vieux,

Sans second, sans pair, de la Grece vainqueur,

Prince du sainct choeur. 

Vandomois harpeur, qui mourant ne mourras, 

Mais de loing nos pleurs à ton aise verras, 

Oy ce sainct concert, & retiens avec toy

L' ombre de ton Roy. 

Puisse ton tombeau leger estre à tes os, 

Et pour immortel monument de ton los, 

Les Oeillets, les Lys, le Lierre à maint tour,

Croißent à l' entour.

Et certes si ces deux beaux esprits, j' entens Rapin, & Passerat, eussent entrepris cette querelle, tout ainsi comme fit Baïf, ils en fussent venus à chef. Il n' y a rien en tout cela que beau, que doux, que poly, & qui charme malgré nous nos ames. Paravanture arrivera-il un temps, que sur le moule de ce que dessus, quelques uns s' estudieront de former leur Poësie. Vray qu' il y a un point qui m' en fait desesperer, c' est que la douceur de nostre langue despend tant de l' E masculin que feminin: Or pour rendre cette Poësie accomplie, il faut du tout bannir de la fin des vers, l' E feminin, autrement il sera trop long ou trop court. 

jueves, 27 de julio de 2023

7. 11. Que nos Poëtes François, imitans les Latins, les ont souvent esgalez, & quelques-fois surmontez.

Que nos Poëtes François, imitans les Latins, les ont souvent esgalez, & quelques-fois surmontez.

CHAPITRE XI.

Il n' est pas que de fois à autres, nos Poëtes n' ayent en mesmes sujets esgalé les Latins, & quelques-fois surpassé. Je vous prie de considerer ces beaux vers de Catulle en ses Argonautes, où il introduit les trois Parques filandieres, joüans de leurs quenoüilles & fuzeaux.

At roseo niveae residebant vertice vittae,

Aeternumque manus carpebant rite laborem,

Laeva colum molli lana retinebat amictam,

Dextera tum leviter deducens fila supinis

Formabat digitis: tum prono in pollice torquens

Libratum tereti formabat turbine fusum,

Atque ita decerpens aequabat semper opus dens,

Laneaque acidulis haerebant morsa labellis,

Quae prius in laevi fuerant extantia filo.

Il est impossible de mieux faire, & toutes-fois nostre Ronsard ne luy a cedé en rien, quand en l' Hymne de l' Automne, il represente sa nourrice qui filoit.

Un jour que sa nourrice estoit toute amusee 

A tourner au Soleil les plis de sa fuzee, 

Et qu' ores de la dent, & qu' ores de la main, 

Esgalloit le filet pendu prés de son sein, 

Pinçant des premiers doigts la filace soüillee

De la gluante main de sa leure moüillee: 

Puis en piroüettant, allongeant, & virant, 

Et en racourcissant, reserrant & tirant

Du fuzeau bien enflé les courses vagabondes, 

Arangeoit les filets, & les mettoit par ondes.

Voyons la description du vieux Chaos dans Ovide, & la conferons avec celle de nostre du Bertas.

Unus erat toto naturae vultus in orbe, 

Quem dixere Chaos, rudis indigestáque moles, 

Nec quicquam nisi pondus iners, congestáque eodem

Non bene iunctarum discordia semina rerum. 

Nullus adhuc mundo praebebat lumina Titan, 

Nec nova crescendo reparabat cornua Phoebe, 

Nec circumfuso pendebat in aëre tellus 

Ponderibus librata suis, nec brachia longo 

Margine terrarum porrexerat Amphitrite. 

Quaque erat & tellus, illic & pontus, & aër,

Sic erat instabilis tellus, innabilis unda, 

Lucis egens aër, nulli sua forma manebat,

Obstabatque alijs aliud, quia corpore in uno

Frigida pugnabant calidis, humentia siccis, 

Mollia cum duris, sine pondere habentia pondus. 

Du Bertas au premier jour de sa premiere sepmaine. 

Ce premier monde estoit une forme sans forme, 

Une pile confuse, un meslange difforme,

D' abismes un abisme, un corps mal compassé, 

Un chaos de Chaos, un tas mal entassé, 

Où tous les elemens se logeoient pesle mesle, 

Où le liquide avoit avec le sec querelle, 

Le rond avec l' aigu, le froid avec le chaud, 

Le dur avec le mol, le bas avec le haut, 

L' amer avec le doux: brief durant cette guerre, 

La terre estoit au ciel, & le ciel en la terre, 

Le feu, la terre, l' air se tenoient dans la mer, 

La mer, le feu, la terre estoient logez en l' air, 

L' air, la mer & le feu dans la terre, & la terre

Chez l' air, le feu, la mer. Car l' archer du tonnerre

Grand Mareschal du camp n' avoit encor donné

Quartier à chacun d' eux, le ciel n' estoit orné

De grands touffes de feux, les plaines esmaillees

N' espandoient leurs odeurs, les bandes escaillees 

N' entrefendoient les flots, des oiseaux les souspirs

N' estoient encor portez sur l' aisle des Zephirs. 

Je veux que les plus hardis Aristarques interposent icy leur arrest, pour juger lequel des deux Poëtes a rapporté l' honneur de cette description. Car encore que Bertas ait voulu en quelques vers imiter Ovide, si s' est-il rendu inimitable en ces quatre.

Le feu, la terre, l' air se tenoient dans la mer,

La mer, le feu, la terre estoient logez dans l' air,

L' air, la mer, & le feu dans la terre, & la terre

Chez l' air, le feu, la mer.

Ja Dieu ne plaise que je mette facilement nostre Ronsard au parangon du grand Virgile: Car ce seroit blasphemer (si ainsi voulez que je le die) contre l' ancienneté, toutes-fois je vous prie ne trouver mauvais si je vous apporte icy des pieces de l' un & de l' autre sur mesmes sujets, par lesquelles vous verrez que s' il emprunta quelques belles inventions de Virgile, il les luy paya sur le champ à si haut interest, qu' il semble que Virgile luy doive de retour. L' aube du jour dedans Virgile.

Roseis Aurora quadrigis 

Iam medium aethereo cursu confecerat orbem, 

Et iam prima novo spargebat lumine terras 

Titoni croceum linquens Aurora cubile. 

Ronsard au premier livre de la Franciade.

Incontinent que l' Aube aux doigts de roses 

Eut du grand Ciel les barrieres descloses. 

Et au quatriesme livre.

Quand le Soleil perruqué de lumiere 

Eut de Tethys sa vieille nourriciere, 

En se levant abandonné les eaux, 

Et fait grimper contremont ses chevaux, 

Et que l' Aurore à la main saffranée 

Eut annoncé la clarté retournee.

Voyons la nuict representee par Virgile.

Nox erat, & placidum carpebant feßa soporem 

Corpora per terras, sylvaeque, & saeva quierant 

Aequora, cum medio voluuntur sydera cursu, 

Cum tacet omnis ager, pecudes, pictaeque volucres, 

Quaeque laecus latè liquidos, quaeque aspera dumis 

Rura tenent, somno positae sic nocte silenti, 

Lenibant curas, & corda oblita laborum.

Et certes je ne pense point qu' en tous les Poëmes de Virgile, il y ait pour ce subject, une plus belle marquetterie que cette-cy, qui a esté imitee par Ronsard de cette façon.

Il estoit nuict, & le charme du somme 

Silloit par tout les paupieres de l' homme, 

Qui demy mort par le repos lié 

Avoit du jour le travail oublié: 

Tous animaux, ceux qui dans l' air se pendent, 

Ceux qui la mer à coup d' eschine fendent, 

Ceux qui les monts & les bois enfermoient 

Pris du sommeil à chefs baissez dormoient.

Les sept vers de Virgile sont beaux, les huit de Ronsard ne sont laids. Repassons sur l' embarquement d' Aenee & de sa suite.

Inde ubi prima fides pelago, placatáque venti 

Dant maria, & lenis crepitans vocat Auster in altum, 

Deducunt socij naveis, & littora complent: 

Prouchimur portu, terraeque, urbesque recedunt.

Peu apres. 

Idem omnes simul ardor habet, rapiuntque ruuntque, 

Littora deservere, latet sub classibus aequor, 

Annixi torquent spumas, & littora verrunt.

Postquam altum tenuere rates, nec iam amplius ullae 

Apparent terrae, coelum undique, & undique coelum, 

Certatim socij feriunt mare, & aequora verrunt.

Nullum maris aequor arandum.

Il semble n' y avoir rien de plus beau que les Metaphores icy rapportees à l' usage des Nautonniers. Ronsard n' y est pas voulu demeurer court, ains en imitant Virgile y a apporté je ne sçay quelle grace merveilleusement agreable: voire il semble l' avoir voulu r'envier sur luy.

A tant Francus s' embarque en son Navire,

Les avirons à double rang on tire,

Le vent pouppier qui fortement soufla

Dedans la voile à plein ventre l' enfla, 

Faisant siffler antennes & cordage:

La nef bien loing s' escarte du rivage,

L' eau souz la pouppe aboyant fait un bruit

Qu' un train d' escume en tournoyant poursuit.

Qui vit jamais la brigade à la danse

Frapper des pieds la terre à la cadance, 

D' un ordre esgal, d' un pas juste & compté

Sans point faillir d' un ny d' autre costé,

Quand la jeunesse aux danses bien apprise

De quelque Dieu la feste solemnise, 

Il a peu voir les avirons égaux

Frapper d' accord la campagne des eaux.

Cette Navire également tiree

S' alloit trainant deßus l' onde azuree

A dos rompu, ainsi que par les bois, 

Sur le printemps au retour des beaux mois, 

Va la chenille errante à toute force

Avec cent pieds sur le plis d' une escorce: 

Ainsi qu' on voit la trouppe des Chevreaux

A petits bonds suivre les pastoureaux, 

Devers le soir au son de la Musette:

Ainsi les Nefs d' une assez longue traite

Suivoient la nef de Francus, qui devant

Coupoit la mer souz la faveur du vent

A large voile à my cercle entonnee,

Ayant de fleurs la poupe couronnee.

L' eau se blanchit sous les coups d' avirons, 

L' onde tortuë ondoye aux environs 

De la carene, & autour de la proüe 

Maint tourbillon en escumant se roüe, 

La terre fuit, seulement à leurs yeux 

Paroist la mer, & la voute des Cieux.

Ce bel esprit pouvoit en cet embarquement se contenter des huit premiers vers, avec les six derniers, toutes-fois il se voulut lascher la voile, & les accompagner de ces trois belles comparaisons de la danse, de la chenille, & des chevreaux, qu' il enfila tout d' une liaison. Et sur le commencement du second livre, où il rend les Dieux spectateurs de cette navigation.

Ils contemployent la Troyenne jeunesse 

Fendre la mer d' une prompte allegresse:

Flot dessus flot la Navire voloit, 

Un trac d' escume à boüillons se rouloit 

Sous l' aviron qui les vagues entame, 

L' eau fait un bruit luitant contre la rame. 

Tempeste & orage sur mer.

Una Eurusque, Nothusque ruunt, crebérque procellis 

Africus, & vastos voluunt ad littora fluctus: 

Insequitur clamorque virum, stridorque rudentum, 

Eripiunt subito nubes coelumque, diemque 

Teucrorum ex oculis, ponto nox incubat atra, 

Intonuere poli, & crebris micat ignibus Aether, 

Praesentemque viris intentant omnia mortem.

Ne desrobons rien à ce grand Poëte.

Tum mihi caeruleus supra caput adstitit imber,

Noctem, hyememque ferens, & inhorruit unda tenebris:

Continuo venti voluunt mare, magnaque surgunt

Aequora, diversi iactamur gurgite vasto:

Involvere diem nimbi, & nox humida coelum

Abstulit, ingeminant abruptis nubibus ignes,

Excutimur cursu, & caecis erramus in undis,

Ipse diem, noctemque negat discernere coelo.

Nec meminisse viae, media Palinurus in unda.

Vix haec ediderat, cum effusis imbribus atra 

Tempestas sine more ruit, tonitruque tremescunt 

Ardua terrarum & campi, ruit aethere toto 

Turbidus imber aqua, densisque nigerrimus Austris, 

Impleturque super puppes, semiusta madescunt Robora. 

Jettons l' œil sur pareil sujet de nostre Ronsard.

Tandis les vents avoient gaigné la mer 

Qu' à gros boüillons ils faisoient escumer, 

La renversant du fonds jusques au feste. 

Une importune outrageuse tempeste

Sifflant, bruyant, grondant, & s' eslevant

A monts bossus sous le souffler du vent,

Bransle sur bransle, & onde dessus onde,

Entr'ouvroit l' eau d' une abisme profonde, 

Tantost enflee aux astres escumoit.

Tantost baissee, aux enfers abismoit,

Et forcenant d' une escumeuse rage,

De flots armez couvroit tout le rivage:

Un sifflement de cordes, & un bruit

D' hommes s' esleve, une effroyable nuit

Cachant la mer d' une poisseuse robbe,

Et jour & mer aux matelots desrobbe.

L' air se creua de foudres & d' esclairs

A longue pointe estincelans & clairs,

Drus & menus, & les pluyes tortuës

Par cent pertuis se creuerent des nuës,

Maint gros tonnerre ensouffré s' esclatoit,

De tous costez la mort se presentoit. 

Et quelques vers apres.

Des vieux patrons la parole espanduë

Sans estre oüye, en l' air estoit perduë,

L' un court icy, l' autre court d' autre part,

Mais pour neant: le mal surmonte l' art

Si estonnez qu' ils n' ont pour toutes armes,

Que les sanglots, les souspirs, & les larmes,

Les tristes vœux, extreme reconfort

Des mal-heureux attendus de la mort.

L' une des plus belles pieces esquelles Virgile s' est pleu: c' est lors qu' il fait travailler les Cyclopes forgerons des Tonnerres de Jupiter en la grotte de Vulcain.

Ferrum exercebant vasto Cyclopes in antro, 

Brontesque, Steropesque, & nudus membra Pyracmon. 

His informatum manibus iam parte polita 

Fulmen erat, toto genitor quae plurima coelo

Deijcit in terras, pars imperfecta manebat. 

Treis imbris torti radios, treis nubis aquosae

Addiderant, rutili tres ignis, & alitis Austri. 

Fulgores nunc terrificos, sonitumque, metumque

Miscebant operi, flammisque sequacibus iras. 

Parte alia Marti, currumque, rotasque volucres 

Instabant, quibus ille viros, quibus excitat urbes:

Aegidaque horrificam, turbatae Palladis arma 

Certatim squamis serpentum, auroque polibant:

Connexosque angues, ipsamque in pectore Divae

Gorgona deserto vertentem lumina collo.

Tollite cuncta (inquit) coeptosque auferte labores, 

Aetnaei Cyclopes, & huc advertite mentem:

Arma acri facienda viro, nunc viribus usus,

Nunc manibus rapidis, omni nunc arte magistra,

Praecipitate moras, nec plura effatus. At illi

Ocyus incubuere omnes, pariterque laborem

Sortiti, fluit aes rivis, aurique metallum:

Vulnificusque chalybs vasta fornace liquescit.

Ingentem clypeum informant, unum omnia contra

Tela Latinorum, septenosque orbibus orbes

Impediunt, alij ventosis follibus auras

Accipiunt, redduntque: alij stridentia tingunt

Aera lacu, gemit impositis incudibus antrum.

Illi inter sese multa vi brachia tollunt

In numerum, versantque tenaci forcipe massam.

Je vous ay dit que cette piece estoit l' une des plus belles qui soit en Virgile, & le disant je n' en veux autre tesmoignage que de luy, lequel au quatriesme de ses Georgiques, avoit inseré les cinq derniers vers qu' il reprend icy mot pour mot au huictiesme de son Aeneide. Je vous veux mettre maintenant sur la monstre les bucherons, charpentiers, & matelots embesongnez pour les navires de Francus lors qu' il se preparoit de faire voile à sa fortune.

Incontinent par toute Chaonie

Se respandit une troupe infinie

De bucherons, pour renverser à bas

Maint chesne vieil touffu à large bras.

Par les forests s' esquarte cette bande, 

Qui ore un Pin, ore un Sapin demande,

Guignant de l' œil les arbres les plus beaux,

Et plus duisants à tourner en vaisseaux.

Contre le tronc sonne mainte congnee,

D' un bras nerveux à l' œuvre embesongnee,

Qui mainte playe, & mainte redoublant,

Coup dessus coup contre l' arbre tremblant,

A chef branlé, d' une longue traverse

Le fait tomber tout plat à la renverse

Avec grand bruict. Le bois estant bronché

Fut par le fer artisan detranché,

Fer bien denté, bien aigu, qui par force

A grands esclats fit enlever l' escorce

Du tronc du Pin sur la terre estendu,

En longs carreaux, & en poutres fendu.

Pleine de bois la charrette attelee, 

Va haut & bas par mont & par vallee: 

Qui gemissant enroüé souz l' effort 

Du pesant faix le versoit sur le bord.

Le manouvrier ayant matiere preste, 

Or' son compas, ores sa ligne apreste, 

Soigneux de l' œuvre, & congnant à grands coups 

Dedans les aiz, une suitte de clouz, 

D' un art maistrier les vieux Sapins transforme,

Et de vaisseaux leur fait prendre la forme 

Au ventre creux, & d' artifice pront 

D' un bec de fer leur aiguise le front. 

L' un allongeant le chanure à toute force 

Ply dessus ply, entorce sur entorce,

Menant la main ores haut, ores bas,

Fait l' atelage, & l' autre pend au mas 

A double rang des aisles bien venteuses, 

Pour mieux voguer sur les vagues douteuses, 

Et pour passer sur l' eschine de l' eau 

Plus tost que l' air n' est coupé d' un oiseau. 

Incontinent qu' accomply fut l' ouvrage, 

Devant la prouë on beche le rivage 

Comme un fossé large & creux pour passer 

Les nefs qu' on veut dans le haure pousser.

Là maints rouleaux à la course glissante,

Joints l' un a l' autre, au milieu de la sente 

Sont estendus, affin qu' en se suivant 

Les grands vaisseaux glissassent en avant 

Dessus le bord, qui craquetant se vire 

En rond chargé du faix de la navire. 

Les matelots à la peine indomptez,

D' eçà, delà rangez des deux costez, 

En trepignant du pied contre la place, 

De mains, de bras, d' espaules, & de face

Poussoient les nefs pour les faire rouler:

Une sueur ne cesse de couler 

Du front moiteux, une pantoise haleine 

Bat leurs poulmons, tant ils avoient de peine,

A toute force en heurtant d' esbranler 

Ces gros fardeaux paresseux à couler: 

Mais à la fin les navires poissees 

Dedans la mer tomberent eslancees: 

La mer son ventre en s' ouvrant leur presta, 

Puis l' anchre croche au bord les arresta.

Je ne veux pas dire que cette piece vienne au parangon de l' autre, si n' est elle point à rejetter, qui voudra balancer toutes les particularitez d' icelle. Mais si en contr'eschange j' ozois franchir le pas, & vous dire que nostre Poëte a eu quelquesfois le dessus du Romain, m' estimeriez-vous heretique? Jupiter courroucé qu' Enée aneanty par les delices de Cartage, oublioit les advantages que le destin luy promettoit, & à sa posterité dedans l' Italie, luy envoya Mercure son Ambassadeur ordinaire, pour le tanser aigrement de sa part, & luy faire retrouver ses premieres brisees.

Dixerat: ille patris magni parere parabat

Imperio, & primum pedibus talaria nectit

Aurea, quae sublimem alis, sive aequora supra,

Seu terram, rapido pariter cum flumine portant.

Tum virgam capit: hac animas ille evocat Orco

Pallentes, alias sub tristia tartara mitit,

Dat somnos, adimitque, & lumina morte resignat:

Illa fretus agit ventos, & turbida tranat

Nubila. Iamque volans apicem, & latera ardua cernis

Atlantis duri, coelum qui vertice fulcit,

Atlantis cinctum assiduè cui nubibus atris

Piniferum caput, & vento pulsatur, & imbri:

Nix humeros infusa tegit, tum flumina mento

Praecipitant senis, & glacie riget horrida barba.

Hic primum paribus nitens Cyllenius alis 

Constitit, hinc toto praceps se corpore ad undas 

Misit, aui similis quae circum littora, circum

Piscosos scopulos, humilis volat aequora iuxta:

Haud aliter terras inter coelumque volabat, 

Littus arenosum Libiae, ventosque secabat, 

Materno veniens ab auo Cyllenia proles.

Marguerite Royne de Navarre ayant toute sa vie combatu par sa vertu les venimeuses morsures de la chair, estant sur le point de mourir, Ronsard au cinquiesme livre de ses Odes introduit l' Ange qui par le commandement de nostre Seigneur Jesus Christ descend en la terre pour enlever au Ciel l' ame de cette sage & vertueuse Princesse. En quoy il voulut en tout imiter le passage de Virgile par moy cy-dessus recité, & encores comme il estoit homme qui faisoit sagement son profit de tout ce qu' il lisoit, representant l' Ange habillé comme le Mercure de Virgile, il emprunta les mots de Talonnier, Capeline, & Verge, de Maistre Jean le Maire de Belges, qui affectoit de Poëtiser dans sa prose, introduisant Mercure pour juger de la pomme d' or entre les trois Deesses. Oyons doncques maintenant Ronsard.

L' ange adonques s' est lié, 

Pour mieux haster sa carriere, 

A l' un & à l' autre pié, 

L' une & l' autre talonniere, 

Dont il est porté souvent 

Egal aux souspirs du vent, 

Soit sur la terre, ou sur l' onde, 

Quand sa roideur vagabonde 

L' avalle outre l' air bien loing, 

Puis sa perruque divine 

Coiffa d' une capeline 

Prenant sa verge en son poing.

De celle il est defermant 

L' œil de l' homme qui sommeille, 

De celle il est endormant 

Les yeux de l' homme qui veille.

De celle en l' air soustenu 

Nagea tant qu' il est venu 

S' aprocher sur la montagne 

Qui defend la France & l' Espagne,

Mont que l' orage cruel 

Bat tousjours de sa tempeste, 

Tousjours en glaçant sa teste

D' un frimas perpetuel. 

Delà se laissant pancher

A corps elancé grand erre

Fondoit en bas pour trencher

Le vent qui raze la terre,

Deçà & delà vaguant,

A basses rames voguant,

Ores coup sur coup mobiles,

Ores quoyes & tranquiles,

Comme l' oiseau qui pend bas,

Et l' aisle au vent il ne plie, 

Quand pres des eaux il espie

Le hazard de ses appas.

Je vous prie ne soyons vous & moy preoccupez, vous d' un respect que par fois avec trop de superstition nous portons l' ancienneté: Moy d' un amour extraordinaire que chacun porte naturellement à sa patrie: Que si vous me permettez d' en dire ce que j' en juge, Ronsard en ces trois couplets voulut representer, par le premier ce que Virgile avoit attribué à Mercure, par le second soubs la description du mont Pirené, celle de la montagne d' Atlas, & par le troisiesme l' oiseau qui voltige dessus les eaux: & en ces trois couplets, si j' en suis creu, je diray qu' entant que touche le premier, Ronsard va de pair & compagnon avecques Virgile: par le second il luy cede: mais quant au troisiesme, il passe d' un grand vol le vol de Virgile. J' adjousteray que l' oiseau de proye ne sçavroit mieux jouër de ses aisles en l' air, quand il aguette les poissons, que Ronsard a fait de sa plume pour figurer & mettre devant les yeux cest aguet. Vous me direz que Virgile en a esté l' inventeur, & Ronsard l' imitateur, & qu' il est aisé en adjoustant aux inventions de les rehausser. J' en suis d' accord, mais si j' ay cette recognoissance de vous, je demeure satisfaict & content. Parce qu' en ce faisant il faut tout d' une suite recognoistre que nostre langage François ne manque de rien, non plus que le Latin, pour exprimer les belles conceptions, quand il tombe en bonne plume. C' est une chose familiere aux meilleurs Poëtes d' imiter ceux qui les ont devancez: Ainsi le fit Virgile à l' endroit d' Homere, ainsi l' a fait Ronsard à l' endroit du mesme Virgile: & cela mesme fut cause, que Macrobe anciennement ne douta de faire comparaison des vers de Virgile avecques ceux d' Homere les tenant diversement en balance. Et de nostre temps Jules Scaliger en son Critique, livre non à autre fin composé, que pour contrecarrer la Poësie de Virgile, non seulement aux autres Poëtes, mais aussi à celle d' Homere: Et toutesfois ne pensez que sans user de Virgile pour patron, nous ne trouvions une infinité de belles pieces en Ronsard dont je me contenteray d' en reciter une ou deux pour toutes, & encores crain-je qu' en les recitant je n' attedie le Lecteur par la longueur de ce chapitre. Au chant Pastoral qu' il fit sur le partement de Madame Marguerite sœur du Roy Henry deuxiesme, lors nouvellement mariée au Duc de Savoye, il depeint le Printemps, & la posture d' un pastre joüant de sa musette.

Au mois de May que l' Aube retournee 

Avoit esclose une belle journee, 

Et que les voix d' un million d' oiseaux, 

Comme à l' envy du murmure des eaux, 

Qui haut, qui bas contoient leurs amourettes

A la rozee, aux vents, & aux fleurettes:

Lors que le ciel au Printemps se sourit, 

Quand toute plante en jeunesse fleurit, 

Quand tout sent bon, & que la riche terre 

Ses riches biens de son ventre desserre, 

Toute joyeuse en son enfantement.

Errant tout seul, tout solitairement, 

J' entre en un pré, du pré en un bocage, 

Et du bocage en un desert sauvage, 

Où j' advisay un pasteur qui portoit 

Dessus le dos un habit qui estoit

De la couleur des plumes d' une grue,

Sa panetiere à son costé penduë, 

Estoit d' un loup, & l' effroyable peau 

D' un Ours pelu luy servoit de chappeau. 

Lors appuyant un pied sur la houlette, 

De son bissac aveint une musette, 

La met en bouche, & ses leures enfla, 

Puis coup sur coup en haletant soufla 

Et resoufla d' une forte halenee, 

Par les poulmons reprise & redonnée. 

Ouvrant les yeux, & dressant le sourcy. 

Mais quand par tout le ventre fut grossi 

De la Chevrette, & qu' elle fut egale 

A la rondeur d' une moyenne bale,

A coups de coulde en repousse la voix,

Puis ça, puis là, faisant saillir ses doigts 

Sur le pertuis de la musette pleine, 

Comme saisi d' une angoisseuse peine, 

Pasle & pensif avec le trister son

De sa musette ourdit cette chanson. 

Je deffie toute l' ancienneté de nous faire part d' une piece mieux relevee, & de plus belle estoffe que cette cy. Entre tous les Poëmes de nostre Poëte je fais grand compte de ses Hymnes, & entre elles de celles des quatre saisons de l' annee, & encores de celle de l' Or, & en cette cy de ce placard qui m' a semblé tres-beau.

On dit que Jupiter pour vanter sa puissance

Monstroit un jour sa foudre, & Mars monstroit sa lance,

Saturne sa grand faux, Neptune ses grands eaux,

Apollon son bel arc, Amour ses traits jumeaux,

Bacchus son beau vignoble, & Ceres ses campagnes,

Flora ses belles fleurs, le Dieu Pan ses montagnes,

Hercule sa massue, & brief les autres Dieux

L' un sur l' autre vantoient leurs biens à qui mieux mieux.

Toutesfois ils donnoient par une voix commune

L' honneur de ce debat au grand Prince Neptune,

Quand la terre leur mere espointe de douleur

Qu' un autre par sur elle emportoit cest honneur, 

Ouvrit son large sein, & au travers des fentes 

De sa peau leur monstra les mines d' or luisantes, 

Qui rayonnent ainsi que l' esclair du Soleil 

Quand il luit au midy, lors que son beau resueil 

N' est point environné de l' espais d' un nuage, 

Ou comme l' on voit luire au soir le beau visage 

De Vesper la Cyprine, allumant les beaux crins 

De son chef bien lavé dedans les flots marins.

Incontinent les Dieux eschauffez confesserent 

Qu' elle estoit la plus riche, & flattans la presserent 

De leur donner un peu de cela radieux 

Que son ventre cachoit pour en orner les cieux.

Ils ne le nommoient point: car ainsi qu' il est ores 

L' or pour n' estre cognu ne se nommoit encores.

Ce que la terre fit, & prodigue honora

De son Or, ses enfans, & leurs cieux en dora. 

Adoncques Jupiter en fit jaunir son throne, 

Son sceptre, sa couronne, & Junon la matrone

Ainsi que son espoux son beau throne en forma,

Et dedans ses patins par rayons l' enferma.

Le Soleil en crespa sa chevelure blonde, 

Et en dora son char qui donne jour au monde:

Mercure en fit orner sa verge qui n' estoit

Auparavant que l' If: & Phoebus qui portoit

L' arc de bois, & la harpe, en fit soudain reluire

Les deux bouts de son arc, & les flancs de sa lyre:

Amour en fit son traict, & Pallas qui n' a point

La richesse en grand soin, en eut le cœur espoint, 

Si bien qu' elle en dora le groin de sa Gorgonne,

Et tout le Corcelet qui son corps environne:

Mars en fit engraver sa Hache, & son Bouclier.

Les Graces en ont faict leurs demiceints boucler,

Et pour l' honneur de luy, Venus la Cytherée

Tousjours depuis s' est faite appeller la doree:

Et mesmes la Justice a l' œil si refrongné,

Non plus que Jupiter ne l' a pas desdaigné:

Mais soudain cognoissant de cest or l' excellence

En fit broder sa robbe, & faire sa balance.

Je laisse une infinité d' autres beaux traicts qui se trouvent espandus par ses œuvres, lesquels font contrecarre à l' antiquité. Mais à quel propos tout ce que dessus? Pour vous dire que nostre langue, graces à Dieu, n' est non plus souffreteuse que la Latine en tous les subjects qui se peuvent offrir: & au surplus que si nous avions beaucoup de Ronsards nostre Poësie Françoise ne cederoit en rien à l' ancienne des Romains: veu que luy seul s' est diversifié en autant de genres de Poësie qu' il luy a pleu par un privilege special non commun à tous les autres Poëtes: En tous lesquels il s' est rendu admirable, & si je l' ose dire l' outrepasse de tous les autres. Pour cette cause dix ans auparavant son decés, je fis pour luy cest eloge qui est dedans le premier livre de mes Epigrammes Latins. 

Ad Petrum Ronsardum.

Seu tibi numeri Maroniani, 

Seu placent Veneres Catullianae, 

Sive tu lepidum velis Petrarcham, 

Sive Pindaricos modos referre, 

Ronsardus numeros Maronianos, 

Ronsardus Veneres Catullianas, 

Nec non Italicum refert Petrarcham, 

Nec non Pindaricum refert leporem: 

Quin & tam bene Pindarum aemulatur, 

Quin & tam variè exprimit Petrarcham, 

Atque Virgilium, & meum Catullum, 

Hunc ipsum ut magis aemulentur illi. 

Rursus tam graviter refert Maronem, 

Ut nullus putet hunc Catullianum: 

Rursus tam lepide refert Catullum,

Ut nullus putet hunc Maronianum. 

Et cum fit Maro, totus & Catullus, 

Totus Pindarus, & Petrarcha totus, 

Ronsardus tamen est sibi perennis. 

Quod si nunc redivivus extet unus 

Catullus, Maro, Pindarus, Petrarcha, 

Et quotquot veteres fuere vates, 

Ronsardum nequeant simul referre 

Unus qui reliquos refert Poëtas.

Et encores luy fis je present de son Epitaphe quatre ans devant qu' il decedast.

Has tibi viventi, magne ô Ronsarde, sacramus,

Quas nos defunctis solvimus inferias. 

Haud aliter poteras donari hoc munere, ut in quem, 

Invida mors nullum vendicat imperium.

Inventions dont je suis tres-aise de vous faire part, combien qu' elles soient ailleurs enchassees. Il nasquit le 11. Septembre 1524. mourut le 27. Decembre 1585. en son Prioré de Sainct Cosme pres de Tours, où il fut enterré à costé senestre de l' autel, si vous entrez dedans l' Eglise, sans qu' il y ait aucune remarque de tombeau, fors une vingtaine de carreaux neufs de brique, au millieu de plusieurs autres vieux. Qui fut cause qu' un jour Sainct Marc mil cinq cens octante neuf, oyant vespres en ce lieu, poussé de son influence, ou bien d' un juste despit de voir ce grand personnage en une sepulture si pauvre, je luy fey sur le champ cest autre Epitaphe, qui ne peut estre approprié qu' à luy.

Si Latiis mundus, Graijs qui *Kosmos habetur,

Atque tuus toto floret in orbe labor,

Dignius hoc, nullum poteras sperare sepulchrum, 

In Cosmi sancta qui requiescis humo. 

Et à l' instant mesme le traduisy en cette façon. 

Si Cosme en Grec denote l' univers, 

Et que ton nom embelly par tes vers, 

Passe bien loin les bornes du Royaume, 

Tu ne pouvois choisir manoir plus beau,

Pour te servir, mon Ronsard de tombeau,

Que ce Sainct lieu, ainçois que ce Sainct Cosme.

Je devois cela, & à sa memoire, & à l' amitié que nous nous portions l' un à l' autre: Encores ne me veux je estancher en luy. De toute cette grande compagnie qui mist la main à la plume sous le Roy Henry II. ils en restoient quatre, Theodore de Beze, Pontus de Tiard, Louys le Charond & moy, si toutesfois je merite d' estre enrollé en ce catalogue. De ces quatre les deux premiers sont de fraische memoire decedez, & les deux derniers pleins de vie. Et par ce que les deux premiers eurent quelques conformitez de rencontres, toutesfois sous diverses Religions, je ne douteray de donner icy à chacun d' eux son Eloge. 

Beze pendant sa jeunesse fit divers Poëmes François & Latins, qui furent tres-favorablement embrassez par toute la France: Et singulierement ses Epigrammes Latins dedans lesquels il celebroit sa maistresse sous le nom de Candide. Et l' an 1548. changeant de Religion il fit contenance de les mespriser, & s' habitua à Lozanne où pour trouver moyen de viure il enseigna la langue Grecque & lettres humaines aux gages de la ville. Quelques annees apres appellé au Ministeriat de Geneve, il fut employé aux principales charges, tant de la ville, que de leur Religion, & de fait lors qu' elle commença d' estre preschee à face ouverte en cette France, ce fut luy qui ouvrit le pas au grand Colloque de Poissy, devant le Roy Charles neufiesme. Depuis retiré à Geneve il composa plusieurs livres à sa guize sur la Saincte Escriture. Et encores eut cest honneur de baiser les mains de nostre Grand Roy Henry IIII. de ce nom lors de la demolition du fort de Saincte Catherine, fascheuse bride aux habitans de Geneve. En fin mourut aagé de quatre vingts six ans, le 13. Octobre mil six cens six, lendemain de la grande Eclipse du Soleil. Quant à nostre Pontus de Tiard il composa en sa jeunesse ses Erreurs amoureuses, se joüant sur ce mot d' erreurs, à cause de son nom de Pontus. Et sous ce gage acquit tel credit entre les Poëtes que Ronsard luy donnoit l' honneur d' avoir esté le premier introducteur des Sonnets en cette France: & moy mesme au second livre de mon Monophile l' agregeay en tiers pied avec Ronsard & Bellay: Toutesfois depuis il quitta la Poësie, & en son lieu embrassa, tant la Philosophie, que Mathematiques. Et sur cette opinion traduisit en nostre langue les Dialogues de Leon Hebrieu de l' Amour. Livre qui sous les discours de l' amour comprend toute la Philosophie: Et pareillement composa son Solitaire, ou de l' Univers, plein de tresgrande erudition & doctrine. Continuant ses estudes de cette façon, il fut fait Evesque de Chalon sur Saone en l' an 1571. & de là en avant adonna tout son esprit à nostre Theologie, sur laquelle il fit quelques livres que j' ay eu autresfois en ma possession, entre lesquels est l' Homilie tres-belle sur la Patenostre. Employé en toutes les affaires du Clergé de la Province de Bourgongne, où son Evesché estoit assise. Et sur tout il me souvient qu' estant le premier des Deputez du Clergé de sa Province en l' assemblee des Estats qui fut tenuë dedans la ville de Blois l' an 1588. luy seul se roidit pour le service du Roy, contre le demeurant du Clergé, lequel en ses communes deliberations ne respiroit que rebellion, & avilissement de la Majesté de nos Roys. J' en puis parler comme celuy qui le voyois lors de deux ou trois jours l' vn (an). Et parce qu' il voyoit une tempeste generale à laquelle nous estions de nous mesmes par nostre malheur portez, il estima, comme le sage nautonnier, devoir caller la voile en l' ancienneté de son aage: Partant sous le bon plaisir du Roy Henry III. il se demist de son Evesché entre les mains de Messire Cesar de Tiard son nepueu, personnage de singuliere recommandation & merite. Menant de là en avant une vie quoye & tranquille au milieu des troubles. En fin mourut aagé de quatre vingts trois ans au mois de Septembre en l' annee mesme que Beze: Ayant gaigné le devant sur luy en l' autre monde, d' un mois. Theodore de Beze pour le grand rang qu' il tenoit entre les siens, n' a point manqué de paranymphes apres sa mort, mesmes Antoine Faye l' un de ses compagnons au Ministeriat, à escrire amplement sa vie en beau Latin, au bout de laquelle il y a plusieurs Epitaphes en langues Hebraïque, Grecque & Latine. Et vrayement je serois ingrat si je ne rendois pareil devoir à nostre Ponthus de Tiard, qui m' aimoit & que j' honorois. C' est pourquoy je luy ay voulu dresser ce Tombeau, tant en vers François que Latins, avec l' anagramme de son nom.

Apres avoir chanté d' un doux utile vers 

De ton jeune Printemps les Erreurs amoureuses, 

De là sur ton esté par œuvres plantureuses 

Representé au vif tout ce grand univers:

Depuis creé Prelat, changeant de ton divers, 

Tu combatis hardy par armes genereuses, 

De ce siecle maudit les erreurs malheureuses, 

Grand Hercule meurtrier de nos Monstres pervers.

Orateur non pareil, admirable Poëte,

Divin Prelat tu fis sur ton Hyver retraitte, 

Choisissant successeur l' honneur de nostre tans.

Voila comment Ponthus tu menas vie calme, 

Et comme des Prelats tu emportas la Palme, 

Ayant heureux vescu quatre vingts & trois ans.

Je pense avoir par ce Sonnet discouru tout au long le cours de sa vie: 

Ce quatrain Latin en fera autant, mais en moins de paroles.

Ponthus Tïardeus. 

Tu Dei pastor unus.

Mellito iuvenis versu qui lusit amores, 

Inde Mathematicis artibus emicuit, 

Idem etiam sanctis excelluit ordine libris:

Hospes nil mirum est, omnia Ponthus erat. 

Je ne pouvois graver dans un marbre plus seur & fidelle que cestuy l' honneur que je porte à sa memoire.

7. 10. Que nostre langue Françoise n' est moins capable que la Latine de beaux traits Poëtiques.

Que nostre langue Françoise n' est moins capable que la Latine de beaux traits Poëtiques.

CHAPITRE X.

J' ay longuement marchandé avecques moy avant que passer le Rubicon, maintenant le veux-je franchir, & sans m' aheurter au vulgaire Italien, soustenir en plus forts termes, que nostre langue n' est moins capable que la latine des traits Poëtiques hardis. Car quant à moy je ne voy rien en quoy le Romain nous face passer la paille devant les yeux. Nous celebrons avec admiration un Virgile, quand il a representé une gresle qui bond à bond sur les maisons craquette. 

Tam multa in terris crepitans salit horrida grando. 

Et les vents qui tout à coup, en flotte vont sortans.

Qua data porta ruunt. 

Ce brave Poëte fait joüer tel personnage qu' il veut à Aeole Roy des vents, en faveur de la grande Junon, & en apres nous sert de ces trois vers, que j' ay voulu, non representer, ains imiter en nostre vulgaire, au moins mal qu' il m' a esté possible.

Haec ubi dicta: cavum conversa cuspide montem 

Impulit in latus, ac venti velut agmine facto, 

Qua data porta ruunt, & terras turbine perstant.

Ce dit: d' un fer les flancs du mont creux il transperce, 

Et en piroüettant, le monde il bouleverse, 

Les vents horriblement dans l' air mutin bruyants, 

Tout à coup vont la terre à l' envy baloyants.

Ou bien qu' il introduit un Sinon Gregeois, lequel amené devant les Troyens, pour leur rendre raison de sa venuë dedans Troye, se donne un certain temps (avant que de parler) pour recognoistre l' assistance, en ces deux mots.

Agmina circumspexit.

Et ailleurs un Procumbit humi bos, pour nous faire voir à l' œil dans ce demy vers la pesanteur d' un Boeuf qui tombe mort sur la place. Et en un autre endroit un cheval gaillard qui gratte de son pied la terre.

Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum.

Repassons sur nostre langue, & voyons un Coursier aller le pas, puis se donner carriere. Clement Marot en l' Epitaphe du Cheval qu' il appelle Edart, où par une licence Poëtique il le fait parler.

J' allay curieux 

Aux chocs furieux,

Sans craindre astrapade:

Mal rabotez, lieux, 

Passay à clos yeux 

Sans faire chopade. 

La vite virade, 

Pompante pennade, 

Le saut soulevant, 

La roide ruade, 

Prompte petarrade,

J' ay mis en avant.

Escumeur bavant,

Au manger sçavant, 

Au penser tres-doux, 

Relevé devant,

Jusqu' au bout servant

J' ay esté sur tous.

Je laisse tous les autres couplets de cet Epitaphe plein d' artifice, par lequel vous voyez un cheval bondir sur du papier, & estre mené à courbette, tantost au galop, tantost au trot, tout ainsi que s' il estoit en plein manegge, picqué par un Escuyer: Jacques Pelletier par divers Chapitres a depeint les quatre saisons de l' annee, & en celuy de l' Hyver figuré quatre batteurs dedans une grange.

Consequemment vont le bled battre

Avecques mesure & compas, 

Coup apres coup, & quatre à quatre,

Sans se devancer d' un seul pas. 

Sçavriez vous mieux voir des pitaux de village battans le bled dans une grange, que vous les voyez par ces vers? Et en la description du Printemps sur le chant de l' Alloüette, sans innover aucun mot fantasque, comme fit depuis du Bartas, sur pareil sujet. 

Elle guindee du Zephire,

Sublime en l' air vire & revire,

Et y declique un joly cry,

Qui rit, guerit, & tire l' ire

Des esprits, mieux que je n' escry.

Moy mesme me suis voulu quelques-fois joüer sur le chant du Rossignol, en faveur d' une Damoiselle qui portoit le surnom de du Bois. 

Dessus un tapis de fleurs, 

Mon cœur arrousé de pleurs, 

Se blotissoit à l' umbrage, 

Quand j' entens dedans ce bois 

D' un petit oiseau la voix, 

Qui desgoisoit son ramage.

Il me caresse tantost 

D' un Tu tu, puis außi tost 

Un Tot tot, il me besgaye:

Ainsi d' amour mal mené

Le Rossignol obstiné

Dedans son torment s' esgaye. 

Ha! dis-je lors à part moy,

Voila vrayement l' emoy

De l' amour qui me domine, 

Parquoy je veux comme luy

Gringuenoter mon ennuy,

Pour consoler ma ruine.

Je te requiers un seul don,

Tu' tu' tu' moy Cupidon,

Tost, tost, tost, que je m' en aille,

Il vaut mieux viste mourir, 

Que dans un bois me nourrir

Qui jour & nuict me travaille. 

Voulez vous voir la posture d' un Archer lors que de toute sa force il veut brandir un dard? Voulez vous encore voir l' eslancement d' une fuzee de la foudre? vous trouverez l' un & l' autre admirablement representé en la divine Ode de Ronsard, à Messire Michel de l' Hospital, où il descrit la guerre des Geans contre les Dieux.

Adonc le Pere puissant

Qui d' os & de nerfs s' efforce, 

Ne meit en oubly la force

De son foudre punissant:

Micourbant son sein en bas,

Et dressant bien haut le bras,

Contr'eux guigna la tempeste,

Laquelle en les foudroyant,

Siffloit aigu tournoyant

Comme un fuzeau sur leur teste.

Je ne veux pas coucher du pair avecques luy, car le faisant je serois un autre Geant qui me voudrois attaquer aux Cieux, mais comme je nourry dedans ma plume une liberté honneste, aussi me suis-je essayé sur le mesme sujet de vouloir representer l' esclat du tonnerre par ces quatre vers. 

Jupin pour parer à l' outrage,

Et à la detestable rage

De ces furieux lougaroux,

S' esclattant d' un cry craqua tous. 

Je vous touche par exprés toutes ces particularitez, pour vous monstrer que nostre Poësie Françoise n' est moins accomplie de gentillesses que la Latine.