martes, 1 de agosto de 2023

8. 3. De la diversité de l' ancienne langue Françoise, avecques celle du jourd'huy.

De la diversité de l' ancienne langue Françoise, avecques celle du jourd'huy.

CHAPITRE III.

J' ay dit au premier Chapitre de ce Livre, que tout ainsi que selon la diversité des temps on change d' habits, voire de Magistrats en une Republique, aussi se changent les langues par une taisible alluvion. Pierre Crinit en ses livres de l' honneste discipline, dit que l' on avoit peu autres-fois observer dans Rome quatre ou cinq diversitez de langues. La vieille des Saliens, qui pour sa longue ancienneté n' estoit presque entenduë, laquelle puis apres s' eschangea au Latin des douze Tables, qui receut quelque polisseure, sous le Poëte Ennius & Caton le Censeur, jusques à ce que petit à petit elle attaignit à sa perfection du temps de Ciceron, Cesar & Saluste, & depuis alla tousjours en telle decadence, qu' en fin elle fut ensevelie dedans l' Italienne. 

Je ne fais point de doute que le semblable ne soit advenu à nostre langue Françoise, laquelle selon la diversité des siecles, a pris diverses habitudes, mais de les vous pouvoir representer, il est mal aisé. Parce qu' anciennement nous n' eusmes point une langue particulierement courtizane, à laquelle les bons esprits voulussent attacher leurs plumes. Et voicy pourquoy. Encores que nos Rois tinssent la superiorité sur tous autres Princes, si est-ce que nostre Royaume estoit eschantillonné en pieces, & y avoit presque autant de Cours que de Provinces. La Cour du Comte de Provence, celle du Comte de Tholose, celle du Comte de Flandres, du Comte de Champagne, & autres Princes & Seigneurs, qui tous tenoient leurs rangs & grandeurs à part, ores que la plus part d' eux recogneussent nos Rois pour leurs souverains. De là vint que ceux qui avoient quelque asseurance de leurs esprits, escrivoient au vulgaire de la Cour de leurs Maistres, qui en Picard, qui Champenois, qui Provençal, qui Tholozan, tout ainsi que ceux qui estoient à la suite de nos Rois, escrivoient au langage de leur Cour. Aujourd'huy il nous en prend tout d' une autre sorte. Car tous ces grands Duchez & Comtez, estans unis à nostre Couronne, nous n' escrivons plus que en un langage, qui est celuy de la Cour du Roy, que nous appellons langage François. Et ce qui nous oste encore d' avantage la cognoissance de cette ancienneté, c' est que s' il y eust un bon livre composé par nos ancestres, lors qu' il fut question de le transcrire, les copistes les copioient non selon la naïfve langue de l' Autheur, ains selon la leur. Je le vous representeray par exemple: entre les meilleurs livres de nos devanciers, je fais estat principalement du Roman de la Roze. Prenez en une douzaine escrits à la main, vous y trouverez autant de diversité de vieux mots, comme ils sont puisez de diverses fontaines. J' adjousteray que comme nostre langue prenoit divers plis, aussi chacun copiant changeoit l' ancien langage à celuy de son temps. Cela s' observe non seulement en ce vieux Roman de la Roze, mais aussi en l' ordonnance de sainct Louys de l' an mil deux cens cinquante quatre sur les Baillifs, Seneschaux, Prevosts, Viguiers, & autres choses concernans la police generale de la France: Ordonnance que je voy diversifiee en autant de langages, comme il y a eu de diversité de temps. Si vous veux-je dedans cette obscurité mettre en veuë un eschantillon qui merite d' estre recogneu.

L' un des vieux Autheurs François que nous ayons, est Geoffroy de Villardoüin Mareschal de Champagne du temps de Philippe Auguste, lequel nous redigea par escrit tout le voyage d' outre-mer de Baudoüin Comte de Flandres. Chose dont il pouvoit fidelement parler, comme celuy qui fut de la partie. Or voila le commencement de son œuvre dont Blaise Viginelle nous a fait present.

Sçachiez que mille cent quatre vingts & dix-huict ans apres l' Incarnation de nostre Seigneur Jesu-Christ, al temps Innocent III. Apostoille de Rome, & Philippe Roy de France, & Richard Roy d' Angleterre, ot un sainct homme en France, qui ot nom Folque de Nuilly, Cil Nuiliz si est entre Laigny sor Marne, & Paris, & il ere Prestre, & tenoit le Paroiche de la ville: & Cil Folque dont je vous dy, commença au parler des Diex par Frances, & par les autres terres & entre nostre Sire, fit mains miracles par luy. Sçachiez que la renommee de cel sainct homme alla tant qu' elle vint à l' Apostoille de Rome Innocent, & l' Apostoille envoya un sien Cardinal, Maistre Perron de Chappes Croisie, & manda par luy le pardon tel comme vous diray. Tuit Cil qui se croiseroient, & feroient le service deu, un an en l' ost, seroient quittes de tous les pechez qu' ils avoient faits. Porce que cil pardon fu issy gran, si sen esmeurent mult li cuers des gens, & mult s' en croißierent, porce le pardon ere si grand.

Viginelle qui a retrouvé cette Histoire, & opposé à chaque page le vieux langage au nouveau, l' a rendu en cette façon:

L' an mille cent quatre-vingts dix & huit, apres l' incarnation de nostre Seigneur Jesus-Christ, au temps du Pape Innocent troisiesme, de Philippe Auguste Roy de France second de ce nom, & de Richard Roy d' Angleterre, il y eut un Sainct homme en France appellé Foulques de Nuilly, Prestre & Curé du mesme lieu, qui est entre Laigny sur Marne & Paris. Cestuy-cy se meit à prescher la parole de Dieu par la France, & les terres circonvoisines, & nostre Seigneur fit tout plein de miracles par luy, tant que la renommee en alla jusques au sainct Pere, lequel envoya ce preudhomme à ce que sous son nom & authorité, il eust à prescher la Croisade, & bien tost apres il y depescha un sien Cardinal Maistre Pierre de Cappes Croisé, pour y inviter les autres à son exemple, avec les Indulgences & Pardons que je vous vois dire: Que tous ceux qui se croiseroient pour servir à Dieu un an durant en l' armee qui se dressoit pour conquerir la terre Saincte, avroient planiere absolution de tous leurs pechez dont ils feroient confez & repens: Et pource que ces Indulgences furent si grandes, s' en esmeurent fort les cœurs des personnes, & plusieurs se croiserent à ceste occasion.

Je ne vous baille pas le passage de Villardoüin pour naïf François, car estant né Champenois, & nourry en la Cour du Comte de Champagne, je veux croire qu' il a escrit selon le ramage de son pays. Toutes-fois conferez son ancienneté à ce qui est de nostre temps, vous direz que ce qu' a fait Viginelle est plus une traduction, qu' imitation. Celuy de nos Autheurs anciens que je voy suivre de plus pres Villardoüin est Guillaume de Lorry qui fut du temps de S. Louys, & apres luy Jean de Mehun sous le regne de Philippes le Bel. Voyez les anciennes coppies de leur Roman, & les parangonnez au langage que Clement Marot leur donna du temps du Roy François premier, vous en direz tout autant. Vray que par une grande prudence il y voulut laisser quelques vieilles traces en la fin de plusieurs vers, pour ne sortir du tout des termes de la venerable ancienneté.

Nostre langue commença grandement à se polir de cette ancienne rudesse, vers le milieu du regne de Philippes de Valois, si les Registres de nostre Chambre des Comptes ne sont menteurs, esquels vous voyez une pureté qui commence de s' approcher de nostre aage. Vous y trouverez encores uns Enformer, pour informer, non contrestant, pour nonobstant, Diex, pour Dieu. Mais au demeurant tout le contexte des paroles ne s' esloigne gueres des nostres. Comme aussi en tous les Romans qui furent depuis faits en prose. Et plus nous allasmes en avant, plus nostre langue receut de polisseure: tesmoins les œuvres de Maistre Alain Chartier, en son Quadrilogue, Curial, & Poësies (que je ne reprendray icy, pour luy avoir cy-dessus donné Chapitre particulier au 5. Livre de ces Recherches) & successivement Philippes de Commines en son Histoire des Rois, Louys XI. & Charles VIII. Et apres luy, Maistre Jean le Maire de Belges, du temps du Roy Louys XII. Claude Seissel tant en son Apologie du Roy Louys XII. & discours de la Loy Saiique, qu' és traductions de Thucidide, Eusebe, & Appian. Je trouve sous le regne de François I. une plus grande naïfveté de langage en Jacques Amiot, ores qu' il ait principalement paru soubs Henry II. qui sembla avoir succé sans affectation tout ce qui estoit de beau, & de doux en nostre langue: Tous les autres qui sont depuis survenus se licencierent ou en paroles, ou en abondance de metaphores trop hardies, ou en une negligence de stile. Quoy que soit il me semble que je voy en luy cette belle fleur qui estoit aux autres, se ternir.

Il n' est pas dit que tout ce que nous avons changé de l' ancienneté, soit plus poly, ores qu' il ait aujourd'huy cours. Nos ancestres avoient pris de Verus, & Vera, Voir, & Voire, dont il ne nous est resté que les adverbes, voire, & voirement: Nous en avons fait uns vray, & vraye, qui sont beaucoup plus rudes, & de difficile prononciation que les premiers. Nous disions aux preterits parfaicts de ces Verbes, Tenir & Venir, Tenit & Venit, lesquels on eschangea depuis en Tiensit, & Viensit, finalement nous en avons fait Tint & Vint, en ces mutations allans tousjours en empirant: car il ne faut faire de doute que Tenit, & Venit ne fussent selon les reigles de la Grammaire meilleurs, & plus naturels.

J' ay remarqué plusieurs belles paroles anciennes, dont les aucunes sont du tout perduës par la nonchalance, & les autres changees en pires par l' ignorance des nostres. Nos ancestres userent de Barat, Guille, & Lozange, pour Tromperie, & Barater, Guiller, & Lozanger, pour tromper: Dictions qui nous estoient naturelles, au lieu desquelles nous en avons adopté des Latines, Dol, Fraude, circonvention: Vray qu' encores le commun peuple use du mot de Barat: A fin cependant que je remarque icy en passant que comme nos esprits ne sont que trop fertils, & abondans en tromperie, aussi n' y a-il parole que nous ayons diversifiee en tant de sortes que cette-cy: Parce que Guille, Lozange, Barat, Malengin, Dol, Fraude, Tromperie, Circonvention, Deception, Surprise, & Tricherie, denotent cette mesme chose. Le Roman de Pepin dit Enherber, nous Empoisonner. Le mesme Roman, & encores le Comte Thibaut de Champagne en ses Amours Maleir, pour ce que nous disons Mauldire. Le vieux valoit bien le nouveau, si nous voulons nous arrester à l' analogie de beneir, qui est son contraire. Nos predecesseurs dirent grigneour puis grigneur, dont encores est faite frequente mention dans quelques anciennes coustumes: Nous disons plus grande, & meilleure part, rendans en deux mots ce qu' ils comprenoient sous un seul. Nous disons aujourd'huy Magistralement, Hugues de Bersy Maistrement, qui est moins Latin. Nous usons du mot adjourner, quand nous faisons appeller un homme en justice par la semonce d' un Sergent, le Roman de Pepin en a usé pour dire que le jour estoit venu, Qui n' estoit pas trop mal propre: nous en avons perdu la naïfveté, pour la tourner en chicanerie. Dans le mesme Autheur, Hosteler, pour loger, qui n' estoit pas moins bon que le nostre: Malotru est dedans Hugues de Bersy: barguigner, mot aussi familier entre les marchands, que chicaner entre les praticiens, est dans Huon de Mery en son Tournoy de l' Antechrist, ces deux se sont perpetuez entre nous jusques à huy. Le Latin a dit Ambo & Duo, pour denoter le nombre de deux: De ces deux mots l' Italien a fait un ambedue, & dans le Roman de la Roze je trouve pour pareille signification ambedeux, mot qui n' est plus à nostre usage: Endementiers avoit eu vogue jusques au temps de Jean le Maire de Belges, car il en use fort souvent, pour ce que nous disons par une Periphrase, en ce pendant, Joachim du Bellay dans sa traduction des quart, & sixiesme livres de Virgile le voulut remettre sus, mais il n' y peut jamais parvenir. Nessum pour nul, Ades pour maintenant. Nous les avons resignez à l' Italien aussi bien que lozenger, qui estoit à dire tromper, en ces mots Nessuno, Adesso, *Lozingar. Le Cattivo Italien, & le chetif François symbolizerent, comme semblablement Albergar, & heberger, je ne sçay si l' Italien le tient de nous, ou nous de luy. L' Italien dit Schifar pour ce que nous dismes anciennement Eschever, & aujourd'huy Esquiver. Ce que nos anciens appellerent Heaume (Helm, helmet, elm, yelmo), on l' appella sous François premier, Armet, nous le nommons maintenant Habillement de teste. Qui est une vraye sottie de dire par trois paroles ce qu' une seule nous donnoit. Ainsi est-il de Tabour, que les soldats appellent maintenant Quesse, sans sçavoir dire pourquoy. Ainsi de l' Estendart, Banniere, ou Enseigne, que nous disons aujourd'huy Drapeau. Vray qu' il est plus aisé d' en rendre la raison que de l' autre: Cela estant provenu d' une hypocrisie ambitieuse des Capitaines, qui pour paroistre avoir esté aux lieux, où l' on remuoit les mains, veulent representer au public leurs enseignes deschirees, encores que peut-estre il n' en soit rien. Dans les livres de la discipline Militaire de Guillaume de Langey vous ne trouverez ny corps de garde, ny sentinelle, ains au lieu du premier il l' appelle le Guet, & le second estre aux escoutes. Ces deux qui estoient de tres-grande & vraye signification, se sont eschangez en corps de garde, & sentinelle: & nommément le mot d' escoute estoit plus significatif que celuy de sentinelle, dont nous usons. De mon temps j' ay veu plusieurs mots mis en usage, qui n' estoient recogneus par nos devanciers. Et peut estre le mesme mot de Devancier. Le premier qui mist en œuvre Avant-propos pour Prologue, fut Louys le Charond en ses Dialogues, dont on se mocquoit du commencement: Et depuis je voy cette parole receuë sans en douter: Non sans cause. Car nous avons plusieurs mots de mesme parure, Avant-garde, avant-jeu, avant-bras, & croy qu' il y avoit plus de raison de dire Avant-chambre, que ce que nous disons Antichambre. Il voulut aussi d' un Jurisconsulte Latin, faire en nostre langue un Droict-conseillant, mais il perdit son François. Piafer, que l' on approprie à ceux qui vainement veulent faire les braves, est de nostre siecle, comme aussi aller à la Picorée, pour les gensd'armes qui vont manger le bon homme aux champs, faire un affront pour braver un homme, la populace, mot qu' avons esté contrainct d' innover par faute d' autre pour denoter un peuple sot. Le premier où j' ay leu Courtizer, est dans la Poësie d' Olivier de Maigny. Parole qui nous est pour le jourd'huy fort familiere. Je n' avois jamais leu Arborer une enseigne, pour la planter, sinon aux ordonnances que fit l' Admiral de Chastillon, exerçant lors la charge de Colonnel de l' infanterie, mot dont Viginelle a usé en l' histoire de Villardoüin. Nous avons depuis trente ou quarante ans emprunté plusieurs mots d' Italie, comme Contraste pour Contention, Concert, pour Conference, Accort, pour Advisé, En conche, pour en ordre, Garbe, pour je ne sçay quoy de bonne grace, faire une supercherie à un homme, quand on luy fait un mauvais tour à l' impourveu. En l' escrime nous appellons Estramassons, des coups de taille. Le Pedant, pour un Maistre és arts mal appris, & façon Pedantesque, en consequence de ce mot. Comme aussi nous avons quitté plusieurs mots François qui nous estoient tres-naturels, pour enter dessus des bastards. Car de Chevalerie nous avons fait Cavallerie, Chevalier, Cavalier, Embusche, Embuscade, attacher l' escarmouche, attaquer, au lieu de bataillon, nous avons dit Escadron: Et pour nos pietons ou avanturiers anciens, nous ne serions pas guerriers si nous ne disions Infanterie, mots François que nos soldats voulurent Italianiser, lors que nous possedions le Piedmont, pour dire qu' ils y avoient esté: & de mal-heur aussi quittasmes nous nos vieux mots de fortification, pour emprunter des nouveaux Italiens. Parce qu' en telles affaires les Ingenieurs d' Italie sçavent mieux debiter leurs denrees que nous autres François. Il n' est pas que n' ayons mis sous pieds des paroles, qui estoient de quelque honneur, pour donner cours à d' autres de moindre valeur. Le mot de Valet anciennement s' adaptoit fort souvent à titre d' honneur pres des Rois: Car non seulement on disoit Valets de Chambre, ou Garderobe, mais aussi Valets Trenchans, & d' Escurte. Et maintenant le mot de Valet se donne dans nos familles à ceux qui entre nos serviteurs sont de moindre condition, & quasi par contemnement, & mespris. Vray est qu' il avoit un valet, Qu' on appelloit nihil valet, diz Marot en se mocquant. La Chambriere estoit destinee pour servir sa maistresse en la chambre: Maintenant les Damoiselles prendroient à honte d' appeller celles qui les suivent Chambrieres: ains les appellent Servantes. Mot beaucoup plus vil que l' autre que l' on approprie à celles qui servent à la cuisine. Le nom de Grand Bouteiller estoit un Office de la Couronne, comme celuy de Connestable: Aujourd'huy non seulement la memoire en est oubliee en la Cour du Roy, mais il n' y a rien de si bas que la charge de Bouteiller. Et pour cette cause ceux qui sont aujourd'huy en telles charges, sont appellez Sommeliers. Une vieille dotation faite à l' hospital de Mascon en May 1323. par Barthellemy de Chevriere eschanson du Roy, l' appelle en Latin Bartholomeus Caprarij Scancio domini nostri Regis. Qualité qui succeda à celle du grand Bouteiller. Nous avons accreu nostre langue de plusieurs nouvelles dictions tirees de nous mesmes, comme pour exemple, de Chemin, nos predecesseurs firent acheminer, de compagnon, accompagner, de raison arraisonner: Comme au contraire une negative en adjoustant De, Car ils dirent desaison, desaisonner, mais de nostre temps nous y apportasmes plus de liberté: Parce que d' Effect, Occasion, Violent, Diligent, Patient, Medicament, Facile, Neceßité, Tranquille, nous fismes: Effectuer, Occasionner, Violenter, Diligenter, Patienter, Medicamenter, Faciliter, Necessiter, Tranquilliser. Je n' ay point encores leu poßibiliter, de poßible: Il n' est pas que Montagne en ses Essaiz, & Ronsard en la derniere impression de ses œuvres (avant qu' il mourut) n' ayent par une nouveauté fait un nouvel ainsin: Car lors que ce mot est suivy d' une voyelle immediate, ils mettoient une N, derriere, pour oster la Cacophonie: Si ces nouveautez enrichissent ou embellissent nostre langue, j' en laisse le jugement à la posterité, me contentant de marquer ces chaches, pour monstrer je ne sçay quoy de particulier en nous, qui n' estoit point en nos ayeuls.

Chacun se fait accroire que la langue vulgaire de son temps est la plus parfaite, & chacun est en cecy trompé. De ma part je ne doute point que Hugue de Bersy, Huon de Mery, Jean de S. Cloct, Jean le Nivelet, Lambert Licors, & tous nos vieux Poëtes, n' eussent jamais mis la main à la plume, s' ils n' eussent estimé rendre leurs œuvres immortelles: Lesquelles neantmoins ont esté ensevelies dans les ans par le changement du langage. Ne restans plus de tous leurs escrits qu' une carcasse. Et Lorry mesmes, & Clopinel fussent aussi au tombeau, si Marot ne les en eust garentis par le langage de nostre temps qu' il leur donna. Quoy doncques? Dirons nous que les langages ressemblent aux rivieres, lesquelles demeurans tousjours en essence, toutes-fois il y a un continuel changement des ondes: aussi nos langues vulgaires demeurans en leur general, il y ayt changement continu de paroles particulieres, qui ne reviennent plus en usage? Je vous diray ce que j' en pense. Je croy que l' abondance des bons Autheurs, qui se trouvent en un siecle, authorise la langue de leur temps par dessus les autres: On a recours à leurs conceptions originaires, qu' il faut puiser d' eux. Le vulgaire de Rome fut en sa perfection sous Ciceron, Cesar, Saluste & Virgile. Le Toscan sous Petrarque, & Bocace: Et combien que le temps apportast changement à ces deux langues, toutes-fois leur perfection a esté tousjours rapportee au temps de ces grands Maistres. De faire un prognostic de la nostre, il me seroit tres-malaisé, y voyant mesmes quelques changemens, qui se peuvent mieux penser, que exprimer en ceux qui se sont donnez diversement les premiers lieux. Clement Marot fut le premier de sa volee sous le grand Roy François. Lisez Ronsard, qui vint sous Henry II. il le passe d' un long entrejet. Jettez l' œil dessus du Bertas, qui se fit voir sous Henry III. encores y a-il dedans ses 2. Sepmaines je ne sçay quelle sorte de vers, & conceptions, plus enflees que dans Ronsard, vray qu' entre le peu du premier, & le trop du dernier, il me semble que Ronsard tient le lieu de la mediocrité. Je diray doncques que s' il y a rien qui perpetuë la langue vulgaire qui est aujourd'huy entre nous, ce seront les braves Poëtes qui ont eu vogue de nostre temps. Car pour bien dire, je ne pense point que Rome ait jamais produit un plus grand Poëte que Ronsard, lequel fut suivy de quelques autres fort à propos. Nostre parler de l' un à l' autre prendra diverses habitudes, mais ceux qui voudront escrire, seront bien aises de se proposer un si grand personnage pour miroüer. Les Autheurs qui se sont disposez de traicter discours de poids, & estoffe, pourront servir à mesme effect, & moy-mesme faisant en ma jeunesse mon Monophile, puis mes dix Livres des lettres Françoises, & ces presentes Recherches, les ay exposees en lumiere sous cette mesme esperance.

8. 2. De combien d' idiomes nostre langue Françoise est composee,

De combien d' idiomes nostre langue Françoise est composee, & si la Gregeoise y a telle part comme l' on pretend, ensemble de quelques anciens mots Gaulois, & François, & autres qui sont purs Latins en nostre Langue.

CHAPITRE II.

Il y a bien peu de gens lettrez qui n' estiment que nostre langue soit composee de la Grecque & Latine, & que de l' ancienne Gauloise, ensemble de celle des François Germains il y en a quelques particulieres remarques: Qu' elle est presque toute Latine, comme j' ay n' agueres discouru, mais qu' à sa suite elle est infiniement redeuable à la Gregeoise. De cette opinion ils ont une conjecture tresgrande qu' ils tirent de Strabon au sixiesme livre de sa Geographie. Disant que les Phocenses, peuple de Grece, ayans esté conseillez par l' oracle de la Deesse Diane d' Ephese de mettre la voile au vent, apres avoir longuement vogué, vindrent surgir à Marseille, où ils establirent leur seigneurie pleine de bonnes loix, & entr'autres choses y fonderent une Université en langue Grecque: laquelle ils sçevrent si bien faire provigner, que la plus grande partie des Contracts que l' on dressoit és Gaules estoient faicts en Grec. Au moyen dequoy il ne faut point trouver estrange si dedans nostre Vulgaire nous avons transplanté une infinité de mots Grecs, dont sous le regne de François premier, Bouilie Chanoine de Noyon fit un brief inventaire, & apres luy Perion, & de fraische memoire Henry Estienne, ausquels le lecteur pourra avoir recours si bon luy semble. Je ne veux point desdire tous ces gens d' honneur, ny cette commune opinion. Bien diray-je, comme chose tres-veritable, que du temps de Jules Cesar on ignoroit du tout la langue Grecque dans les Gaules: Veu qu' au cinquiesme de ses Memoires des guerres de la Gaule, il nous tesmoigne que voulant donner quelque advis à Ciceron qui estoit assiegé dedans une ville, il luy escrivit des lettres en Grec, a fin (dit il) que si elles estoient interceptées, elles ne peussent estre entenduës par les Gaulois. Si le langage Grec y eust esté si familier, comme Strabon nous donne à entendre, Cesar se fust bien donné garde d' user de ce langage pour chiffre contre les Gaulois. Quelques-uns pour oster cette contrarieté disent qu' il escrivit, non en langage Grec, ains en lettres Grecques que les Gaulois n' eussent peu cognoistre. Qui seroit une explication ridicule d' estimer que le Gaulois eust entendu la langue Grecque, & qu' il n' eust pas cogneu les lettres. Joint que le mesme Cesar en un autre endroict nous enseigne que les Helvetiens usoient de caracteres Grecs en leurs communs escrits, tout ainsi que les Gaulois. Et si nous croyons Pline au septiesme livre de son histoire naturelle, il n' y avoit nation en l' Europe qui ne peignist en lettre Jonique, c' est à dire en lettre Grecque. Chose dont nous pouvons recueillir que combien que les Gaulois usassent lors de caracteres Grecs, toutesfois la langue leur estoit incognuë, & n' est pas hors de propos d' estimer qu' elle eust en la Provence telle part que Strabon pleuvit, mais non en tout le demeurant des Gaules. Provence, dis je, qui pour estre long temps auparavant du tout affectionnee aux Romains, avoit bien peu de communication avec nous. Il faut doncques que c' ait esté depuis que les Gaulois furent reduicts sous la servitude de Rome, qu' ils frequenterent l' Université de Marseille, & que par cette mutuelle frequentation, ils emprunterent plusieurs mots Grecs, & dont ils embellirent leur langue. Ce que j' ayme mieux croire que de me rendre en cest endroit partial contre la commune: Encores que j' aye assez d' argumens pour me divertir de cette opinion, & croire que cette symbolisation & rencontre de mots Grecs vienne plus d' une incertitude & hazard, que d' un discours. Nous demeurerons doncques ferme en cette opinion, comme les autres, que nostre langue doit quelque chose à la Gregeoise, je ne veux pas dire des paroles que nous tenons en foy & hommage de l' Eglise ou des Universitez fondees en cette France depuis trois cens ans, mais de celles que nous avons renduës nostres, comme les Latines, le tout sans Grecaniser, ou Latiniser, permettez moy d' ainsi le dire. 

Je viendray maintenant à quelques dictions que j' ay remarquees estre de l' ancien estoc des Gaulois, & commenceray par ce brave mot de Soldat: que nos ancestres appellerent souldoyer puis Souldart. Quand je ly dans Jules Cesar en ses Memoires, que les Gentils-hommes Gaulois avoient sus eux plusieurs vassaux, & gens à leur devotion, qui immoloient leurs vies pour eux, quos Galli Soldurios vocant, j' ayme mieux puiser ce mot de nos Gaules, que de Rome, comme font quelques Escoliers Latins, quand ils le disent prendre sa source à Solidis, quasi Solidarijs, & que de la soulde qu' ils prennent vient qu' ils soient ainsi nommez: Comme si les Gaulois qui n' avoient auparavant aucune habitude avec les Romains eussent esté emprunter de leur langue un nom de leur principale police: De moy je veux croire que du Souldart Gaulois vient celuy de Soulde, souldoyer, & souldoyement: Par ce que nous n' employons le mot de Soulde que pour les Soldarts, & si on l' avoit emprunté du Latin, il iroit aussi pour toute autre sorte de payement qui se feroit en argent, ce que nous ne pratiquons pas. La solde doncques fut ainsi dite, par ce que le Souldart s' employant pour son Seigneur en la guerre, & meritant quelque recompense, on appella cette recompense soulde, ou souldoyement. Jules Cesar au rapport de Suetone en sa vie, estant és Gaules dressa une nouvelle legion, à laquelle il donna le nom Gaulois d' Alloüette, parce que comme dit Pline livre unziesme chapitre trente sept, elle portoit une creste sur son armet, comme l' Alloüette sur sa teste. Suetone en la vie de Vitelle dit que Beccus significabat Rostrum apud Gallos: C' est ce que nous disons Bec, dont est venu Becquer, & par Metaphore Rebecquer. Le mesme autheur dit que Galba és Gaules signifioit un homme gras: Voyez s' il ne sera pas meilleur de rapporter la terre Glase à ce mot par une corruption de langage, que de dire que gras vienne de Crassus, ains que de Gras nous ayons fait Glas. Marcellin au quinziesme livre dit que Galli metiebantur spatia itinerum per leucas, c' est ce que nous appellons lieuës: Et en ce mesme passage il nous enseigne que le fleuve qui passe à Lyon, que les Latins appelloient Arar, estoit par nous appellé Saone, qui est la Saulne. L' Ausone representé par Helie Vinet use en deux divers endroicts de Minare, pour mener, mot que j' arrangerois volontiers entre les Gaulois, n' estoit que je trouve dans Festus Agasones equos agentes, id est bene minantes. Reginon au premier livre de son Histoire use du mot d' Aripennis, pource que nous appellons Arpent. Flodoart dit que sainct Remy donna à Clovis, allant combattre les Visegots, une bouteille de vin par luy benite, & adjouste ces trois mots, quam flasconem vocant, l' advertissant que tant que ce vin luy dureroit, il avroit bon succés encontre ses ennemis. Luy mesme use du mot de Complice: Rodulphus Rex Divionum castrum quod *Basso comes ceperat, eiusque complices retinebant, obsidet. Je le repute Gaulois, pour n' estre François, Grec, ny Latin. Il n' est pas que le mot de Braye, & par consequent Brayette, ne vienne de ce mesme fonds, au moins le tiré-je en conjecture par nostre Gallia Braccata. Et à ce propos Suetone, in Caesare, Galli in Curia bracchas deposuerunt, latum clavum sumpserunt. Le docte Baïf remarque que Gallicae, estoient une espece de soulliers dont les Gaulois usoient pendant la pluye, nous les appellons encore aujourd'huy Galloches. D' un mesme fonds vint le mot de Bouge, & Boulgette, selon le tesmoignage de Nonius: Bulga est, (dit-il) Folliculus omnis, quem & crumenam veteres Galli appellarunt, & est sacculus ad brachium pendens. Lucillius, Satyra sexta, dit Aulugulle: Cui neque iumentum est, nec servus, nec comes ullus, Bulgam & quicquid habet nummorum secum habet ipse. De là nous disons encores qu' un homme qui s' est fait riche, a bien mis dedans ses Bouges, pour dire dedans sa bource. Dun en vieux langage Gaulois signifioit une montagne, & de cela en avons nous encores quelques remarques, en ce que la plus grande partie des villes qui sont assises en crouppe de montagnes, ou attenantes d' icelles se terminent en Dunum, Lugdunum, Verodunum, Laudunum, Melodunum. Et les Dunes encores qui sont les Levees des environs de la Mer, nous en tesmoignent quelque chose.

Pausanias disoit que Mark apud Celtas signifioit un Cheval. Si vous prenez le mot de Celte, en sa vraye signification il entendoit parler des Gaulois. Toutes-fois quelques uns sont d' advis qu' il vouloit parler des Francs ou François. Je m' en rapporte à ce qui en est, bien vous diray-je, qu' en ancien langage Allemant, Mark se prenoit pour un Cheval. Ainsi l' apprenons nous des loix d' Allemagne, inserees à la suite de nostre loy Salique, tiltre septante un. Si quis equo quem Mark dicunt, oculum excusserit, & c. S' il est ainsi, nous devons au François qui symbolisoit de langage avec l' Allemant, le mot de Mareschal qui est chef de la chevalerie, & encore le Mareschal celuy qui pense & guerit les chevaux. Puis qu' il m' est advenu en ce mot de Mark de parler des François, je toucheray quelques paroles que nous tenons d' eux. Ces mots de Ban, Bannie, Forbannie, Banniere, ausquels je donneray leur place parlant du mot d' Abandonner, sont tous François. Mesme nous en avons composé quelques vocables, tantost du Gaulois & François, comme Banlievë: tantost du Latin & François, comme Heriban, dont nous avons fait Arriereban. Man signifioit homme en la Germanie, dont est encores venu le Norman, qui est à dire homme du North: & dans nostre vieille Loy Salique il y a quelques articles où Mannire, est pris pour ce que nous disons adjourner un homme en Justice. Marche pour limite & borne est de cette mesme marque, comme je deduiray en son lieu. Somme & Sommier, qui signifie charge, dont aussi à mon jugement est venu Sommelier, parce qu' ordinairement ceux qui ont la charge de la beuvette des Princes & grands Seigneurs, font porter une somme, & charge de bouteilles par les champs, pour ne defaillir à leurs Maistres. Franc pour libre: franchise pour azile, & affranchissement pour la manumission Latine, viennent du mesme mot de François. 

Je mets en ce mesme rang le mot de Troupe. Ainsi je trouvay-je dans les loix d' Allemagne le tiltre 73. estre tel, De eo qui in tropo de iumentis ductricem involaverit. Leudes dans Gregoire de Tours & Aimoïn, est pris pour sujet. Flodoart les nomme Allodes, Heribertus, & Hugo, contra Bossonem Rodulphi fratrem proficiscuntur, propter quosdam Rotildis Allodes, nuper defunctae, quos à Bossone pervasos, repetebat Hugo gener ipsius Rotildis. De ce mot est venu Alleud, qui est la recognoissance censuelle que nous faisons à nos Seigneurs, en consequence dequoy nous disons tenir des terres en Franc alleud, quand nous n' en payons nulle redevance. Et aussi les lots, qui sont les droits, & devoirs que nous devons aux Seigneurs, quand nous avons acquis un heritage censuel. Eschevins & Vassaux qui viennent de Serbint (chassé & avec X), & Vaßi, dont est faite frequente mention dans la Loy ancienne des François: Bourg, pour ville, & de là Bourgeois pour citoyens, Bourgeoisie & Forbourgs, que nous avons adoucy du mot de Fauxbourgs, qui sont toutes les maisons hors l' enceinte de la ville. Got en langue Germanique & Françoise signifioit Dieu, & de là nous tirons les mots de Bigot & Cagot, pour denoter ceux qui avec une trop grande superstition s' adonnent au service de Dieu. Il n' est pas que les pitaux de village pour couvrir leurs blasphemes n' ayent autres-fois composé des vocables, où ce mot de Got est tourné en Goy: Car quand ils dirent Vertugoy, Sangoy, Mortgoy, ils voulurent sous mots couverts dire tout autant que ceux qui disent Vertu Dieu, Sang Dieu, Mort Dieu, encores en firent-ils un plus impie, quand ils dirent un Jarnigoy, qui est tout autant comme s' ils eussent dit, Je renie, & c. Comme les paroles se tournent avec le temps en abus, nous ne pensons point mal faire usans de ces mots corrompus, non entendus, toutes-fois il y va de l' honneur de Dieu. Au contraire nous avons tiré en mauvaise part le nom de Bigot, qui n' estoit tel sur son premier advenement. Parce que Guillaume de Nangy recite que sous le Roy Charles le Simple les Normans desirans estre Chrestiennez, s' escrierent devant luy Bigot, Bigot, Bigot, qui valoit autant (dit cet Autheur) comme s' ils eussent voulu dire de par Dieu. Ce Chapitre ne reçoit point de closture à ceux qui pourront trouver dans les anciens, quelques dictions Gauloises ou Françoises, dont ils se pourront accommoder si bon leur semble en leurs estudes particulieres.

Je veux maintenant parler des mots purs Latins. J' ay dit au precedant Chapitre de ce Livre, que nous avions enté sur la langue Gauloise, la Latine, dont nous fismes un langage mety, que l' on appella Roman. Je feray maintenant plus hardy, & diray qu' il y a plusieurs paroles non corrompuës, ains pures Latines, dont nous usons, comme Françoises. Nostre vulgaire est un langage racourcy du Latin és paroles de deux, trois, & quatre syllabes. Mais aux monosyllabes, qui ne pouvoient recevoir racourcissement, nous en usons tout de la mesme façon que le Romain sans rien immuer, Si, Non, Tu, Plus, Es, Est, Et, Qui, Os. J' adjousteray Los, & Sont: car encores que l' orthographe en soit diverse, si est-ce que la prononciation n' est pas grandement esloignee de Laus & Sunt Latins. Nos anciens en eurent pareillement d' autres, ausquels ils n' avoient rien changé, Mons, Frons, Fons, Pons, Dens, Ars, Pars. Vray que par succession de temps, nous changeasmes S, en T, & dismes, Mont, Front, Font, Pont, Dent, Art, Part. Il y en a d' autres de deux, & de trois, & de quatre syllabes, Quasi, Item, Instar, Cadaver, Examen, Animal, Contumax, Tribunal, Recepisse, & encore Imperatrix. Mot qui a esté tousjours mis en œuvre par des Essars, en son Amadis de Gaule, combien que nous eussions Emperiere & Imperatrice. J' adjousterois volontiers Ab intestat, mais il reçoit une sincope. Il n' est pas que chaque Faculté qui manie la plume n' en ait plusieurs dont elle use, comme purs François, que je ne vous veux icy representer. 

D' une chose principalement m' esmerveillé-je en nostre langue (& c' est sur quoy je veux clorre ce Chapitre) dont vient que tout ainsi que les Latins eurent leur verbe substantif, Sum es, est, que l' on accommodoit selon les occurrences, à toutes sortes d' autres Verbes, aussi avons nous le nostre, qui est Avoir, que nous employons aussi à tous autres verbes François. Il a fait cela, il a aymé, il a esté là, & ainsi des autres: Car je n' ay jamais leu dans un vieux livre que sur le dechet de la langue Latine on usast du mot Habere en cette façon. Et qui m' appreste davantage à penser, c' est que combien que l' Italien & Espagnol eussent leurs langues originaires autres que la nostre, si se conforment elles avec nous en la rencontre de ce Verbe. J' oubliois de vous dire que depuis les guerres que nous eusmes en Italie, nous empruntasmes plusieurs mots, mais je reserve cela au Chapitre suivant.

domingo, 30 de julio de 2023

De l' origine de nostre Vulgaire François, que les anciens appelloient Roman, & dont procede la difference de l' orthographe, & du parler.

LIVRE HUICTIESME

De l' origine de nostre Vulgaire François, que les anciens appelloient Roman, & dont procede la difference de l' orthographe, & du parler.

De l' origine de nostre Vulgaire François, que les anciens appelloient Roman, & dont procede la difference de l' orthographe, & du parler.

CHAPITRE I.

Nostre France appellee au temps passé Gaule, eut sa langue originaire qui se continua longuement en son naïf, comme toute autre. Or est-il qu' en la mutation des langues il y a deux propositions generales que l' on peut recueillir des evenemens: La premiere est un changement qui procede de nos esprits, comme ainsi soit que selon la diversité des temps, les habits, les magistrats, voire les Republiques prennent divers plis sous un mesme peuple: aussi combien qu' en un pays il n' y ait transmigration de nouvelles peuplees, toutesfois successivement en mesme ordre que toute autre chose, se changent les langues par une taisible alluvion. Et pour cette cause disoit un ancien Poëte de Rome que beaucoup de paroles renaistroient, desquelles l' usage estoit perdu: Et au contraire que quelques autres perdroient leur vogue qui avoient esté en credit.

Outre cette mutation qui se presente sans y penser, il s' en trouve une autre que quelques uns appellent corruption, lors qu' un pays estant par la force des armes subjugué, il est contraint pour complaire au victorieux d' apprendre sa langue. Et reçoit cette forme encores autre consideration, d' autant que quelquesfois le pays vaincu est tellement nettoyé des premiers habitateurs, que les nouvelles colonies y plantent du tout leurs langues. Quelquesfois aussi n' y a si universelle mutation, ains advient, ou que pour la necessité des affaires qui s' offrent en un pays vaincu avec le victorieux, ou pour luy agreer par une servitude taisible, & si ainsi me le faut dire, par une volontaire contrainte, nous apprenons avec les loix de nostre Seigneur, par un mesme moyen son langage. De celles cy quant est des langues dont nous avons cognoissance, sont la Françoise, & l' Espagnole, & lors ne se fait generale mutation, ains entons sur nostre langue ancienne la plus grande partie des mots, ou manieres de dire de l' estranger, nous les faisans par longue traite de temps propres, tout ainsi que leurs façons: Le Latin estoit la langue premiere de l' Italien: Ce neantmoins par laps de temps, le Got, le Lombard, le François, & de nostre temps l' Espagnol y ont tellement mis du leur, que vous la voyez estre composee de ces cinq: & toutesfois n' y a rien qui soit pur Latin, pur Got, pur Lombard, pur François, pur Espagnol. Et l' Anglois (que les anciens appellerent Anglosaxon) bien qu' il apportast nouveau parler au pays, où il fit sa residence, si est-ce que pour le present encores se ressent-il de grande quantité de nos mots par la domination qu' entreprist sur luy le Normand. Et qui plus est n' ayant totalement, & si ainsi je l' ose dire, de fonds en comble desraciné sa vieille langue, encores retient-il plusieurs dictions Latines, que les Romains avoient semees en la grand Bretagne, lors qu' ils y planterent leurs victoires. Ce qu' à grand peine recognoistrez vous en l' Allemant sur lequel le Romain ne sceut que bien peu enjamber: De cette mesme façon nos anciens Gaulois (comme recite nostre Langey) accreurent leur Vulgaire jusques vers les parties du Levant, où ils firent plusieurs conquestes. De maniere que cette proposition semble estre du tout necessaire, si de plusieurs particularitez nous alambiquons un universel, que selon la diversité des conquestes & remuemens de nouveaux menages, les Langues reçoivent corruption plus ou moins, selon la longueur du temps, que les conquereurs demeurent en possession du pays par eux conquis.

Ces reigles generales presupposées, qui semblent par un discours de nature estre veritables & infaillibles, nostre Gaule eut semblablement sa langue originaire, toutesfois ny plus ny moins que l' Italienne, & l' Espagnole, aussi a elle receu ses mutations, & a l' on basty un nouveau langage sur les fondemens de l' ancien. Les mots toutesfois empruntez ou des nouvelles flottes de gens estrangers, qui desbonderent dans les Gaules, ou des victorieux qui s' en impatroniserent: je dy des nouvelles flottes de gens estrangers, comme des Grecs, & Phocenses, qui prindrent terre ferme à Marseille, ainsi que plusieurs estiment. Je dy des victorieux, comme premierement des Romains, puis des François: Ainsi la langue dont nous usons aujourd'huy selon mon jugement est composée, part de l' ancienne Gauloise, part de la Latine, part de la Françoise, & si ainsi le voulez, elle a plusieurs grandes symbolisations avec la Gregeoise. Et encores le trafic & commerce que nous eusmes sous les regnes du Roy François I. & Henry II. avec l' Italien, nous apporta aussi plusieurs mots affectez de ce pays là. Tous les termes neantmoins de ces Langues estrangeres accommodez au cours de l' ancienne Gauloise. Mais sur tout est infiniement nostre Vulgaire redeuable aux Romains, voire le peut-on dire plustost Romain qu' autrement, encores qu' il retienne grande quantité de mots & du Gaulois & du François.

Et a fin que l' on ne pense que je jette cette pierre à coup perdu, jamais peuple ne fut si jaloux de l' auctorité de sa Langue, comme fut l' ancien Romain. Valere le grand au deuxiesme livre de ses histoires, parlant de la grandeur de Rome, dit que l' on peut bien recueillir combien les anciens Magistrats de cette ville avoient eu la Majesté du peuple, & de l' Empire en recommandation, de tant qu' entre toutes les coustumes tres-religieusement par eux observees ils avoient avec une perseverance infinie accoustumé de ne respondre aux Ambassadeurs de la Grece qu' en Latin, & les contraignoient mesmement de parler Latin à eux par truchemens, & non seulement dans la ville de Rome, mais aussi au milieu de la Grece & de l' Asie, jaçoit que d' ailleurs entre tous les peuples la Langue Grecque eut grand credit. Et faisoient cela (dit Valere) a fin que l' honneur de la langue Latine s' espandist par tout l' Univers. Plutarque en la vie de Caton, dit que luy passant par Athenes, ores qu' il sçeust parler le Grec, si voulut-il haranguer aux Atheniens en Latin, se faisant entendre par son truchement. Suetone raconte que Tibere portoit tel respect à sa Langue, que voulant user en plain Senat du mot de Monopole, qui estoit emprunté du Grec, ce fut avecque une certaine preface, demandant congé de ce faire: & luy mesme une autresfois fit effacer d' un Decret du Senat le mot d' Embleme, comme estant mandié d' une autre Langue que de la Latine, enjoignant tres-estroitement que si l' on ne pouvoit trouver diction propre qui peust representer celle-là en Latin, pour le moins que l' on en usast par un contour de langage: En cas semblable Claudius l' un des successeurs de Tybere fit non seulement razer de la matrice des Juges un personnage d' honneur, mais qui plus est luy osta le nom & tiltre de Citoyen de Rome: parce que combien qu' il sçeust fort bien parler Grec, toutesfois il estoit ignorant de la Langue Latine. De cette mesme opinion vint aussi que les Romains ayans vaincu quelques Provinces, ils y establissoient Preteurs, Presidens, ou Proconsuls annuels, qui administroient la Justice en Latin. Bref sainct Augustin au 19. livre de la Cité de Dieu nous rend tres-asseurez de ce discours, quand il dit au chap. 7. Opera data est ut imperiosa civitas non solum iugum, verum etiam Linguam suam domitis gentibus imponeret. Qui est à dire, on besongna de telle façon, que cette superbe ville non seulement ne se contenta d' asservir, mais aussi voulut espandre sa langue par toutes les nations subjuguees. Cela fut cause que les Gaulois sujects à cest Empire s' adonnerent, qui plus, qui moins, à parler, & entendre la Langue Latine, tant pour se rendre obeïssans, que pour entendre leur bon droit. Et à tant emprunterent des Romains une grande partie de leurs mots, & trouverez és endroicts ausquels le Romain establit plus longuement son Empire (comme en un pays de Provence & contrees circonvoisines) le langage approcher beaucoup plus de celuy de Rome. Ainsi s' eschangea nostre vieille Langue Gauloise en un Vulgaire Romain, tellement que là où nos vieux Gaulois avoient leur propre langage que l' on appelloit Walon, ceux qui leur succederent appellerent le langage plus moderne, Roman: parce qu' il sembloit avoir pris son origine des mots Romains, que l' on avoit, ou adoptez, ou naturalisez en ce pays avec l' ancienne Grammaire Gauloise. Vous commencerez de recognoistre cela dés le temps de Sidonius Apollinaris Evesque de Clermont, lequel au troisiesme de ses lettres congratuloit à Hecdice Gentil-homme Auvergnac que la Noblesse d' Auvergne contemnoit le langage Gaulois pour s' addonner à un autre beaucoup plus exquis: c' estoit vraysemblablement le Romain que nous affectasmes de telle façon, que quelquesuns parlans de nostre pays, l' appelloient quelquesfois Romanie, & nous pareillement Romains. Au deuxiesme Concil de Tours, Ne quis Britannum, aut Romanum in Armorico sine Metropolitanorum comprovincialium voluntate, aut litteris Episcoporum ordinare praesumat: Auquel passage le mot de Romanus est pris pour François, ou Gaulois demeurant en la Bretagne. Luithprand en son premier livre parlant de Guy Comte de Spolete, & Berenger Comte de Fourjule, qui d' une esperance affamee dés le vivant de Charles le Chauve Empereur, partageoient ses Provinces entr'eux, dit que Berenger se donnoit pour son lot l' Italie, & Guy Franciam, quam Romanam vocat. Au supplément de Rheginon, où il est parlé de Louys d' Outremer, qui estoit en Angleterre pendant la prison de Charles le Simple son Pere. Interim Ludovicus, Rex Galliae Romanae filius Caroli, &c. Et quand vous voyez au trente-septiesme tiltre de la Loy Salique deux articles portans, Si Romanus Francum ligaverit sine caussa MCC. den. qui faciunt solidos XXX. culpabilis iudicetur. Si verò Francus Romanum ligaverit sine caussa DC. den. qui faciunt solidos XV. culpabilis iudicetur. Sous ce mot de Romanus, on entend parler du Gaulois. De là vint aussi qu' on appella Roman nostre nouveau langage. Vray que pource qu' il estoit corrompu du vray Romain, je trouve un passage où on l' appelle Rustique Roman. Au Concil tenu en la ville d' Arles l' an 851. article dix-septiesme l' on commande aux Ecclesiastics de faire des Homilies contenans toutes instructions qui appartenoient à l' edification de nostre Foy. Et easdem Homilias quisque transferre studeat in Rusticam Romanam, aut Theodoscam, quò facilius cuncti poßint intelligere quae dicuntur. C' estoit qu' il vouloit qu' on translatast ces Homilies en la langue Françoise, ou Germanique, que les Italiens appellent encores aujourd'huy Tudesque: par ce que nous commandions lors à l' Allemagne, ainsi qu' à la France. Depuis par un long succés de temps parler Roman n' estoit autre chose que ce que nous disons parler François. J' ay veu une vieille traduction qu' une Damoiselle fit des Fables d' Esope, portant ces vers:

Au finement de cest escrit 

Qu' en Romans ay tourné, & dit, 

Me nommeray par remembrance, 

Marie ay nom, si suis de France, 

Per l' amour le Comte Guillaume,

Le plus vaillant de ce Royaume, 

M' entremis de ce livre faire, 

Et de l' Anglois en Roman traire. 

Isope appelle-l'on cil livre, 

Qu' on translata, & fit escrire, 

De Griu en Latin le tourna, 

Et li Roy Auvert qui l' ama 

Le translata puis en Anglois, 

Et je l' ay tourné en François.

Auquel lieu vous voyez que cette Damoiselle use du mot de Roman, & François indifferemment pour une mesme signification. Chose qui estoit encores en usage du temps de Charles le Quint, sous lequel frere Guillaume de Nangy, ayant traduit en François l' Histoire de France, qu' il avoit composee en Latin, dit ainsi sur le commencement de son œuvre. Je frere Guillaume de Nangy ay translaté de Latin en Roman à la requeste des bonnes gens ce que j' avois autresfois fait en Latin, & comme ainsi soit que le Roman fut le langage Courtisan de France, tous ceux qui s' amusoient d' escrire les faicts heroïques de nos Chevaliers, premierement en Vers, puis en Prose, appellerent leurs œuvres Romans, & non seulement ceux-là, mais aussi presque tous autres, comme nous voyons le Roman de la Roze, où il n' est discouru que de l' Amour, & de la Philosophie. Cela apporta entre nous une distinction de deux langages, l' un comme j' ay dit, appellé Roman, & l' autre Walon, qui approchoit plus pres de la naïveté du vieux Gaulois; distinction qui s' est transmise jusques à nous: car aux pays bas ils se disent parler le Walon, & que nous parlons le Roman.

Or advient-il ordinairement que nos langages tant en particulier comme en general, accompagnent la disposition de nos esprits: car si vous vous arrestez au particulier, mal-aisément trouverez-vous un homme brusque en ses mœurs, qui n' ait la parole de mesme, & peu de personnes tardives, & Saturniennes, qui n' ayent aussi un langage morne, & lent. Le general va de mesme: Ainsi voyez-vous entre nous autres François, le Normand assez advisé en ses affaires trainer quelque peu sa parole, au contraire le Gascon escarbillat par dessus tous, parler d' une promptitude de langue, nom commune à l' Angevin & Manceau, de quelque peu, ains de beaucoup moins eschauffez en leurs affaires. & l' Espagnol haut à la main produit un Vulgaire superbe & plain de piaffe. L' Allemant esloigné du luxe parle un langage fort rude. Et lors que les Italiens degenerans de l' ancienne force du Romain, firent plus profession de la delicatesse que de la vertu, aussi formerent-ils peu à peu de ce langage masle Romain, un Vulgaire tout effeminé & molasse. Parce que presque tous leurs mots se terminent és cinq voyelles, & d' avantage voulurent racler la rencontre de deux consonantes qui estoient trop rudes à leurs aureilles delicates, de ces mots de optimus, maximus, factus, firent uns ottimo, maßimo, fatto: ainsi en prit-il à nos Gaulois, non pas quant à la delicatesse de laquelle ils furent tousjours esloignez, mais eschangeans leur langue Walonne en la Romaine, comme ceux qui avoient l' esprit plus brusque & prompt que les Romains, & par consequent le langage vray-semblablement plus court: aussi transplantans la langue Romaine chez eux, ils accourcirent les paroles de ces mots, CorpusTempusAsperum, & autres semblables dont ils firent, Corps, Temps, & Aspre, avec une prononciation (comme il est à croire) de toutes les lettres. Or que l' ancien Gaulois eust un langage court nous l' apprenons, entr'autres, de Diodore, & de cette mesme brieueté (briefveté) de langage prit son origine & essence entre nous l' E feminin incognu à toutes autres nations: lettre qui est moitoyenne entre la voyelle & la consonante prononcee trop affectément en la fin d' une diction. Car elle n' est plaine voyelle en la fin d' un vers où les deux syllabes ne sont comptees que pour une, & qui prononcera à la fin d' un mot le T, ou S, trop affectément, il tombera fort aisément sans y penser en l' affectation d' un E, feminin: Et pour autant que nos Gaulois apprenoient malaisément de Latin comme une langue non accordante avec la leur, de ces mots, Scribere, Schola, Stabiliter, Species, & autres qui de soy estoient de difficile prononciation, pour la rencontre des deux consonantes, a fin de se la rendre facile, ils dirent, Escripre, Escole, Establir, Espece, en la mesme façon que nous voyons encore le Gascon, & Auvergnac pour Schola, & Stephanus dire Eschola, & Estephanus: Ainsi s' estudiant le Gaulois de parler au moins mal qu' il luy estoit possible son Roman, d' un multum, il façonna un moult, d' un ultra, un oultreLupusLoupdulcis, douls, comme nous voyons l' Escossois voulant representer nostre langue par un escorche, ou pour mieux dire par un Escoce François, pour Madame, dire Moudam. Enquoy il n' est pas encore hors de propos, ny impertinent de remarquer en passant que l' v, ainsi que nous le prononçons maintenant en François, nous est du tout propre, & pareillement venant de l' ancien estoc des Gaulois, comme ne se trouvant nation en tout le Ponant qui le prononce de telle façon que nous: Tous les autres, je veux dire, l' Allemant, l' Italien, l' Espagnol, l' Anglois, l' Escosssois, le Polonois, le prononçans en forme de la diphthongue Grecque *gr, le tout en la mesme maniere que les Latins mesmes en userent sur le declin de leur Empire, encores que je sçache bien que quelques-uns se rendent d' advis contraire. Par ainsi nos anciens Gaulois empruntans, comme j' ay dit, du Romain leurs paroles, & les naturalisans entre eux selon la commodité de leurs esprits & de leur Langue, les redigeoient vray-semblablement par escrit comme ils les prononçoient, toutesfois comme toutes choses s' amendent, voyant le monde par un jugement plus delicat tels mots proferez avec toutes leurs lettres estre un peu trop rudes au son des aureilles, on reforma au long aller cette grossiere façon de parler en une plus douce, & au lieu d' Escripre, Eschole, Establir, Temps, Corps, Aspre, douls, outre, mout, Loup, avec prononciation de chaque lettre, & element, l' on s' accoustuma de dire, école, etablir, Tans, Cors, âpre, doux, outre, mout, Lou: vray que tousjours est demeuré l' ancien son en ces mots Espece, & Esperer, mais peut estre que quelque jour viendront-ils au rang des autres, aussi bien que de nostre temps ce mot d' honneste (auquel en ma jeunesse j' ay veu prononcer la lettre de S,) s' est maintenant tourné en un E, fort long. Ainsi se changea cette aspreté qui resultoit du concours & heurt des consonantes, toutesfois parce que l' escriture n' offençoit point les aureilles, elle demeura tousjours en son entier, prenant la prononciation autre ply: & delà à mon jugement voyons nous l' escriture ne se rapporter à la prononciation. Chose qui a excité grandement quelques notables esprits du commencement du regne du Roy Henry II. Car comme ainsi soit que le temps eust lors produit une pepiniere de braves Poëtes, aussi chacun diversement prit cette querelle en main, les aucuns estans pour le party qu' il falloit du tout accorder l' escriture au parler, s' y rendans mesmement extremes. Les autres nageans entre deux eaux, voulurent apporter quelque mediocrité entre les deux extremitez. Ce nonobstant apres plusieurs tracassemens, en fin encores est on retourné à nostre vieille coustume, fors que de quelques paroles on en a osté les consonantes trop esloignees de la prononciation, comme la lettre de P, des mots de Temps, Corps, & Escripre, ayant en cecy pratiqué ce que Ciceron disoit en son Orateur, qu' il avoit laissé l' usage de parler au peuple, & s' en estoit reservé la science. Question certes qui n' est pas à negliger, & sur laquelle je me donnay carriere en une Epistre que j' escrivois à feu Monsieur Ramus, qui est au second livre de mes Lettres. Quintilian au chap. 13. du second livre de ses Institutions Oratoires parlant des anciens Romains. Peut-estre (dit-il) parloient-ils, tout ainsi comme ils escrivoient. Qui monstre que de son temps, on en usoit autrement. Maintenant il me suffit d' avoir discouru dont est provenuë la diversité qui se trouve en nostre langue entre le Parler & l' Orthographe.