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domingo, 30 de julio de 2023

De l' origine de nostre Vulgaire François, que les anciens appelloient Roman, & dont procede la difference de l' orthographe, & du parler.

LIVRE HUICTIESME

De l' origine de nostre Vulgaire François, que les anciens appelloient Roman, & dont procede la difference de l' orthographe, & du parler.

De l' origine de nostre Vulgaire François, que les anciens appelloient Roman, & dont procede la difference de l' orthographe, & du parler.

CHAPITRE I.

Nostre France appellee au temps passé Gaule, eut sa langue originaire qui se continua longuement en son naïf, comme toute autre. Or est-il qu' en la mutation des langues il y a deux propositions generales que l' on peut recueillir des evenemens: La premiere est un changement qui procede de nos esprits, comme ainsi soit que selon la diversité des temps, les habits, les magistrats, voire les Republiques prennent divers plis sous un mesme peuple: aussi combien qu' en un pays il n' y ait transmigration de nouvelles peuplees, toutesfois successivement en mesme ordre que toute autre chose, se changent les langues par une taisible alluvion. Et pour cette cause disoit un ancien Poëte de Rome que beaucoup de paroles renaistroient, desquelles l' usage estoit perdu: Et au contraire que quelques autres perdroient leur vogue qui avoient esté en credit.

Outre cette mutation qui se presente sans y penser, il s' en trouve une autre que quelques uns appellent corruption, lors qu' un pays estant par la force des armes subjugué, il est contraint pour complaire au victorieux d' apprendre sa langue. Et reçoit cette forme encores autre consideration, d' autant que quelquesfois le pays vaincu est tellement nettoyé des premiers habitateurs, que les nouvelles colonies y plantent du tout leurs langues. Quelquesfois aussi n' y a si universelle mutation, ains advient, ou que pour la necessité des affaires qui s' offrent en un pays vaincu avec le victorieux, ou pour luy agreer par une servitude taisible, & si ainsi me le faut dire, par une volontaire contrainte, nous apprenons avec les loix de nostre Seigneur, par un mesme moyen son langage. De celles cy quant est des langues dont nous avons cognoissance, sont la Françoise, & l' Espagnole, & lors ne se fait generale mutation, ains entons sur nostre langue ancienne la plus grande partie des mots, ou manieres de dire de l' estranger, nous les faisans par longue traite de temps propres, tout ainsi que leurs façons: Le Latin estoit la langue premiere de l' Italien: Ce neantmoins par laps de temps, le Got, le Lombard, le François, & de nostre temps l' Espagnol y ont tellement mis du leur, que vous la voyez estre composee de ces cinq: & toutesfois n' y a rien qui soit pur Latin, pur Got, pur Lombard, pur François, pur Espagnol. Et l' Anglois (que les anciens appellerent Anglosaxon) bien qu' il apportast nouveau parler au pays, où il fit sa residence, si est-ce que pour le present encores se ressent-il de grande quantité de nos mots par la domination qu' entreprist sur luy le Normand. Et qui plus est n' ayant totalement, & si ainsi je l' ose dire, de fonds en comble desraciné sa vieille langue, encores retient-il plusieurs dictions Latines, que les Romains avoient semees en la grand Bretagne, lors qu' ils y planterent leurs victoires. Ce qu' à grand peine recognoistrez vous en l' Allemant sur lequel le Romain ne sceut que bien peu enjamber: De cette mesme façon nos anciens Gaulois (comme recite nostre Langey) accreurent leur Vulgaire jusques vers les parties du Levant, où ils firent plusieurs conquestes. De maniere que cette proposition semble estre du tout necessaire, si de plusieurs particularitez nous alambiquons un universel, que selon la diversité des conquestes & remuemens de nouveaux menages, les Langues reçoivent corruption plus ou moins, selon la longueur du temps, que les conquereurs demeurent en possession du pays par eux conquis.

Ces reigles generales presupposées, qui semblent par un discours de nature estre veritables & infaillibles, nostre Gaule eut semblablement sa langue originaire, toutesfois ny plus ny moins que l' Italienne, & l' Espagnole, aussi a elle receu ses mutations, & a l' on basty un nouveau langage sur les fondemens de l' ancien. Les mots toutesfois empruntez ou des nouvelles flottes de gens estrangers, qui desbonderent dans les Gaules, ou des victorieux qui s' en impatroniserent: je dy des nouvelles flottes de gens estrangers, comme des Grecs, & Phocenses, qui prindrent terre ferme à Marseille, ainsi que plusieurs estiment. Je dy des victorieux, comme premierement des Romains, puis des François: Ainsi la langue dont nous usons aujourd'huy selon mon jugement est composée, part de l' ancienne Gauloise, part de la Latine, part de la Françoise, & si ainsi le voulez, elle a plusieurs grandes symbolisations avec la Gregeoise. Et encores le trafic & commerce que nous eusmes sous les regnes du Roy François I. & Henry II. avec l' Italien, nous apporta aussi plusieurs mots affectez de ce pays là. Tous les termes neantmoins de ces Langues estrangeres accommodez au cours de l' ancienne Gauloise. Mais sur tout est infiniement nostre Vulgaire redeuable aux Romains, voire le peut-on dire plustost Romain qu' autrement, encores qu' il retienne grande quantité de mots & du Gaulois & du François.

Et a fin que l' on ne pense que je jette cette pierre à coup perdu, jamais peuple ne fut si jaloux de l' auctorité de sa Langue, comme fut l' ancien Romain. Valere le grand au deuxiesme livre de ses histoires, parlant de la grandeur de Rome, dit que l' on peut bien recueillir combien les anciens Magistrats de cette ville avoient eu la Majesté du peuple, & de l' Empire en recommandation, de tant qu' entre toutes les coustumes tres-religieusement par eux observees ils avoient avec une perseverance infinie accoustumé de ne respondre aux Ambassadeurs de la Grece qu' en Latin, & les contraignoient mesmement de parler Latin à eux par truchemens, & non seulement dans la ville de Rome, mais aussi au milieu de la Grece & de l' Asie, jaçoit que d' ailleurs entre tous les peuples la Langue Grecque eut grand credit. Et faisoient cela (dit Valere) a fin que l' honneur de la langue Latine s' espandist par tout l' Univers. Plutarque en la vie de Caton, dit que luy passant par Athenes, ores qu' il sçeust parler le Grec, si voulut-il haranguer aux Atheniens en Latin, se faisant entendre par son truchement. Suetone raconte que Tibere portoit tel respect à sa Langue, que voulant user en plain Senat du mot de Monopole, qui estoit emprunté du Grec, ce fut avecque une certaine preface, demandant congé de ce faire: & luy mesme une autresfois fit effacer d' un Decret du Senat le mot d' Embleme, comme estant mandié d' une autre Langue que de la Latine, enjoignant tres-estroitement que si l' on ne pouvoit trouver diction propre qui peust representer celle-là en Latin, pour le moins que l' on en usast par un contour de langage: En cas semblable Claudius l' un des successeurs de Tybere fit non seulement razer de la matrice des Juges un personnage d' honneur, mais qui plus est luy osta le nom & tiltre de Citoyen de Rome: parce que combien qu' il sçeust fort bien parler Grec, toutesfois il estoit ignorant de la Langue Latine. De cette mesme opinion vint aussi que les Romains ayans vaincu quelques Provinces, ils y establissoient Preteurs, Presidens, ou Proconsuls annuels, qui administroient la Justice en Latin. Bref sainct Augustin au 19. livre de la Cité de Dieu nous rend tres-asseurez de ce discours, quand il dit au chap. 7. Opera data est ut imperiosa civitas non solum iugum, verum etiam Linguam suam domitis gentibus imponeret. Qui est à dire, on besongna de telle façon, que cette superbe ville non seulement ne se contenta d' asservir, mais aussi voulut espandre sa langue par toutes les nations subjuguees. Cela fut cause que les Gaulois sujects à cest Empire s' adonnerent, qui plus, qui moins, à parler, & entendre la Langue Latine, tant pour se rendre obeïssans, que pour entendre leur bon droit. Et à tant emprunterent des Romains une grande partie de leurs mots, & trouverez és endroicts ausquels le Romain establit plus longuement son Empire (comme en un pays de Provence & contrees circonvoisines) le langage approcher beaucoup plus de celuy de Rome. Ainsi s' eschangea nostre vieille Langue Gauloise en un Vulgaire Romain, tellement que là où nos vieux Gaulois avoient leur propre langage que l' on appelloit Walon, ceux qui leur succederent appellerent le langage plus moderne, Roman: parce qu' il sembloit avoir pris son origine des mots Romains, que l' on avoit, ou adoptez, ou naturalisez en ce pays avec l' ancienne Grammaire Gauloise. Vous commencerez de recognoistre cela dés le temps de Sidonius Apollinaris Evesque de Clermont, lequel au troisiesme de ses lettres congratuloit à Hecdice Gentil-homme Auvergnac que la Noblesse d' Auvergne contemnoit le langage Gaulois pour s' addonner à un autre beaucoup plus exquis: c' estoit vraysemblablement le Romain que nous affectasmes de telle façon, que quelquesuns parlans de nostre pays, l' appelloient quelquesfois Romanie, & nous pareillement Romains. Au deuxiesme Concil de Tours, Ne quis Britannum, aut Romanum in Armorico sine Metropolitanorum comprovincialium voluntate, aut litteris Episcoporum ordinare praesumat: Auquel passage le mot de Romanus est pris pour François, ou Gaulois demeurant en la Bretagne. Luithprand en son premier livre parlant de Guy Comte de Spolete, & Berenger Comte de Fourjule, qui d' une esperance affamee dés le vivant de Charles le Chauve Empereur, partageoient ses Provinces entr'eux, dit que Berenger se donnoit pour son lot l' Italie, & Guy Franciam, quam Romanam vocat. Au supplément de Rheginon, où il est parlé de Louys d' Outremer, qui estoit en Angleterre pendant la prison de Charles le Simple son Pere. Interim Ludovicus, Rex Galliae Romanae filius Caroli, &c. Et quand vous voyez au trente-septiesme tiltre de la Loy Salique deux articles portans, Si Romanus Francum ligaverit sine caussa MCC. den. qui faciunt solidos XXX. culpabilis iudicetur. Si verò Francus Romanum ligaverit sine caussa DC. den. qui faciunt solidos XV. culpabilis iudicetur. Sous ce mot de Romanus, on entend parler du Gaulois. De là vint aussi qu' on appella Roman nostre nouveau langage. Vray que pource qu' il estoit corrompu du vray Romain, je trouve un passage où on l' appelle Rustique Roman. Au Concil tenu en la ville d' Arles l' an 851. article dix-septiesme l' on commande aux Ecclesiastics de faire des Homilies contenans toutes instructions qui appartenoient à l' edification de nostre Foy. Et easdem Homilias quisque transferre studeat in Rusticam Romanam, aut Theodoscam, quò facilius cuncti poßint intelligere quae dicuntur. C' estoit qu' il vouloit qu' on translatast ces Homilies en la langue Françoise, ou Germanique, que les Italiens appellent encores aujourd'huy Tudesque: par ce que nous commandions lors à l' Allemagne, ainsi qu' à la France. Depuis par un long succés de temps parler Roman n' estoit autre chose que ce que nous disons parler François. J' ay veu une vieille traduction qu' une Damoiselle fit des Fables d' Esope, portant ces vers:

Au finement de cest escrit 

Qu' en Romans ay tourné, & dit, 

Me nommeray par remembrance, 

Marie ay nom, si suis de France, 

Per l' amour le Comte Guillaume,

Le plus vaillant de ce Royaume, 

M' entremis de ce livre faire, 

Et de l' Anglois en Roman traire. 

Isope appelle-l'on cil livre, 

Qu' on translata, & fit escrire, 

De Griu en Latin le tourna, 

Et li Roy Auvert qui l' ama 

Le translata puis en Anglois, 

Et je l' ay tourné en François.

Auquel lieu vous voyez que cette Damoiselle use du mot de Roman, & François indifferemment pour une mesme signification. Chose qui estoit encores en usage du temps de Charles le Quint, sous lequel frere Guillaume de Nangy, ayant traduit en François l' Histoire de France, qu' il avoit composee en Latin, dit ainsi sur le commencement de son œuvre. Je frere Guillaume de Nangy ay translaté de Latin en Roman à la requeste des bonnes gens ce que j' avois autresfois fait en Latin, & comme ainsi soit que le Roman fut le langage Courtisan de France, tous ceux qui s' amusoient d' escrire les faicts heroïques de nos Chevaliers, premierement en Vers, puis en Prose, appellerent leurs œuvres Romans, & non seulement ceux-là, mais aussi presque tous autres, comme nous voyons le Roman de la Roze, où il n' est discouru que de l' Amour, & de la Philosophie. Cela apporta entre nous une distinction de deux langages, l' un comme j' ay dit, appellé Roman, & l' autre Walon, qui approchoit plus pres de la naïveté du vieux Gaulois; distinction qui s' est transmise jusques à nous: car aux pays bas ils se disent parler le Walon, & que nous parlons le Roman.

Or advient-il ordinairement que nos langages tant en particulier comme en general, accompagnent la disposition de nos esprits: car si vous vous arrestez au particulier, mal-aisément trouverez-vous un homme brusque en ses mœurs, qui n' ait la parole de mesme, & peu de personnes tardives, & Saturniennes, qui n' ayent aussi un langage morne, & lent. Le general va de mesme: Ainsi voyez-vous entre nous autres François, le Normand assez advisé en ses affaires trainer quelque peu sa parole, au contraire le Gascon escarbillat par dessus tous, parler d' une promptitude de langue, nom commune à l' Angevin & Manceau, de quelque peu, ains de beaucoup moins eschauffez en leurs affaires. & l' Espagnol haut à la main produit un Vulgaire superbe & plain de piaffe. L' Allemant esloigné du luxe parle un langage fort rude. Et lors que les Italiens degenerans de l' ancienne force du Romain, firent plus profession de la delicatesse que de la vertu, aussi formerent-ils peu à peu de ce langage masle Romain, un Vulgaire tout effeminé & molasse. Parce que presque tous leurs mots se terminent és cinq voyelles, & d' avantage voulurent racler la rencontre de deux consonantes qui estoient trop rudes à leurs aureilles delicates, de ces mots de optimus, maximus, factus, firent uns ottimo, maßimo, fatto: ainsi en prit-il à nos Gaulois, non pas quant à la delicatesse de laquelle ils furent tousjours esloignez, mais eschangeans leur langue Walonne en la Romaine, comme ceux qui avoient l' esprit plus brusque & prompt que les Romains, & par consequent le langage vray-semblablement plus court: aussi transplantans la langue Romaine chez eux, ils accourcirent les paroles de ces mots, CorpusTempusAsperum, & autres semblables dont ils firent, Corps, Temps, & Aspre, avec une prononciation (comme il est à croire) de toutes les lettres. Or que l' ancien Gaulois eust un langage court nous l' apprenons, entr'autres, de Diodore, & de cette mesme brieueté (briefveté) de langage prit son origine & essence entre nous l' E feminin incognu à toutes autres nations: lettre qui est moitoyenne entre la voyelle & la consonante prononcee trop affectément en la fin d' une diction. Car elle n' est plaine voyelle en la fin d' un vers où les deux syllabes ne sont comptees que pour une, & qui prononcera à la fin d' un mot le T, ou S, trop affectément, il tombera fort aisément sans y penser en l' affectation d' un E, feminin: Et pour autant que nos Gaulois apprenoient malaisément de Latin comme une langue non accordante avec la leur, de ces mots, Scribere, Schola, Stabiliter, Species, & autres qui de soy estoient de difficile prononciation, pour la rencontre des deux consonantes, a fin de se la rendre facile, ils dirent, Escripre, Escole, Establir, Espece, en la mesme façon que nous voyons encore le Gascon, & Auvergnac pour Schola, & Stephanus dire Eschola, & Estephanus: Ainsi s' estudiant le Gaulois de parler au moins mal qu' il luy estoit possible son Roman, d' un multum, il façonna un moult, d' un ultra, un oultreLupusLoupdulcis, douls, comme nous voyons l' Escossois voulant representer nostre langue par un escorche, ou pour mieux dire par un Escoce François, pour Madame, dire Moudam. Enquoy il n' est pas encore hors de propos, ny impertinent de remarquer en passant que l' v, ainsi que nous le prononçons maintenant en François, nous est du tout propre, & pareillement venant de l' ancien estoc des Gaulois, comme ne se trouvant nation en tout le Ponant qui le prononce de telle façon que nous: Tous les autres, je veux dire, l' Allemant, l' Italien, l' Espagnol, l' Anglois, l' Escosssois, le Polonois, le prononçans en forme de la diphthongue Grecque *gr, le tout en la mesme maniere que les Latins mesmes en userent sur le declin de leur Empire, encores que je sçache bien que quelques-uns se rendent d' advis contraire. Par ainsi nos anciens Gaulois empruntans, comme j' ay dit, du Romain leurs paroles, & les naturalisans entre eux selon la commodité de leurs esprits & de leur Langue, les redigeoient vray-semblablement par escrit comme ils les prononçoient, toutesfois comme toutes choses s' amendent, voyant le monde par un jugement plus delicat tels mots proferez avec toutes leurs lettres estre un peu trop rudes au son des aureilles, on reforma au long aller cette grossiere façon de parler en une plus douce, & au lieu d' Escripre, Eschole, Establir, Temps, Corps, Aspre, douls, outre, mout, Loup, avec prononciation de chaque lettre, & element, l' on s' accoustuma de dire, école, etablir, Tans, Cors, âpre, doux, outre, mout, Lou: vray que tousjours est demeuré l' ancien son en ces mots Espece, & Esperer, mais peut estre que quelque jour viendront-ils au rang des autres, aussi bien que de nostre temps ce mot d' honneste (auquel en ma jeunesse j' ay veu prononcer la lettre de S,) s' est maintenant tourné en un E, fort long. Ainsi se changea cette aspreté qui resultoit du concours & heurt des consonantes, toutesfois parce que l' escriture n' offençoit point les aureilles, elle demeura tousjours en son entier, prenant la prononciation autre ply: & delà à mon jugement voyons nous l' escriture ne se rapporter à la prononciation. Chose qui a excité grandement quelques notables esprits du commencement du regne du Roy Henry II. Car comme ainsi soit que le temps eust lors produit une pepiniere de braves Poëtes, aussi chacun diversement prit cette querelle en main, les aucuns estans pour le party qu' il falloit du tout accorder l' escriture au parler, s' y rendans mesmement extremes. Les autres nageans entre deux eaux, voulurent apporter quelque mediocrité entre les deux extremitez. Ce nonobstant apres plusieurs tracassemens, en fin encores est on retourné à nostre vieille coustume, fors que de quelques paroles on en a osté les consonantes trop esloignees de la prononciation, comme la lettre de P, des mots de Temps, Corps, & Escripre, ayant en cecy pratiqué ce que Ciceron disoit en son Orateur, qu' il avoit laissé l' usage de parler au peuple, & s' en estoit reservé la science. Question certes qui n' est pas à negliger, & sur laquelle je me donnay carriere en une Epistre que j' escrivois à feu Monsieur Ramus, qui est au second livre de mes Lettres. Quintilian au chap. 13. du second livre de ses Institutions Oratoires parlant des anciens Romains. Peut-estre (dit-il) parloient-ils, tout ainsi comme ils escrivoient. Qui monstre que de son temps, on en usoit autrement. Maintenant il me suffit d' avoir discouru dont est provenuë la diversité qui se trouve en nostre langue entre le Parler & l' Orthographe.

miércoles, 31 de mayo de 2023

3. 1. De la preseance du sainct Siege de Rome, sur l' Eglise Catholique.

De la preseance du sainct Siege de Rome, sur l' Eglise Catholique. 

CHAPITRE I. 

Qui voudra considerer quel fut le premier plant de nostre Religion Chrestienne, apres que nostre Seigneur eut satisfait à tous les mysteres cachez, qui avoient esté long temps auparavant de luy predicts, il trouvera que le dernier, & plus solemnel commandement qu' il donna à ses Apostres, & quasi comme un fideicommis general de son testament: ce fut qu' ils espandissent par tout l' Univers les semences de la saincte parole qu' il leur avoit annoncee. Depuis estant monté au Ciel, & ayant en eux imprimé le caractere du sainct Esprit, la premiere chose qu' ils eurent en recommandation, apres avoir ordonné des affaires de l' Eglise de Hierusalem, ce fut de partager entr' eux par commune devotion tout ce monde. Et leurs estans, & à leurs disciples escheuës diverses Provinces pour cultiver, il seroit impossible de dire, combien fructifia en peu de temps ce nouveau fruict, par la devotion, diligence, & hardiesse de ces bons & vertueux jardiniers. Et encores que chacun diversement selon le pays qu' il avoit à traitter, introduisit diverses ceremonies, & coustumes, si est-ce qu' eux tous raportoient leur creance à une unité de principes. 

Ceux-cy du commencement estoient indifferemment appellez Evesques, ou Prestres. Ainsi l' aprenons nous de sainct Luc, au chapitre 15. & 16. des Actes des Apostres, & au 25. où sainct Paul prenant congé des Ephesiens en la harangue qu' il leur feit, appelle sur la fin Evesques, ceux que sur le commencement il avoit appellez Prestres: Vray que ceste police ne dura pas entr' eux longuement: Voire prit changement dés le temps mesme des Apostres, comme nous aprenons du venerable Beda sur le 10. chap. de S. Luc, disant. Sicut duodecim Apostolos, formam Episcoporum praemonstrare nemo est qui dubitet, sic & hos septuaginta discipulos, figuram Presbyterorum, id est, secundi ordinis Sacerdotes gessisse sciendum est. Tametsi primis Ecclesiae temporibus, ut Apostolica scriptura testis est, utrique Presbyteri, utrique vocabantur Episcopi. Quorum unum, sapientiae maturitatem, alterum, industriam curae pastoralis significat: Passage que l' on ne peut assez solemnizer pour ceste ancienneté. Comme aussi est-ce la verité, que depuis à l' imitation de ceste saincte police, la Religion Chrestienne provignant, & la necessité requerant divers Ministres, non seulement sur les Provinces, mais aussi sur les villes, bourgs, & bourgades, l' on commença petit à petit, d' y establir difference. De là vint que ceux qui avoient l' œil & intendance generale sur les Provinces, furent appellez Evesques: & les autres qui particulierement avoient la charge des quantons des villes, & bourgades, estoient seulement appellez Prestres. C' estoient ceux, qui par la permission de l' Evesque, avoient puissance d' administrer la parole de Dieu, & les saincts Sacremens de l' Eglise, la part qui leur estoit distribuee. Chose qui estoit observee dés le temps mesmes de Tertulian, comme il nous enseigne en son traicté du Baptesme. Nous les avons depuis nommez Curez. Toutesfois, pour autant qu' anciennement l' on ne donnoit l' ordre de Prestrise qu' à ceux qui devoient avoir charge d' ames, & consequemment quelque tiltre: depuis noz Evesques par leur avarice ayans converty en abus ceste honorable coustume, distribuans à toutes occurrences, & sans acception de personnes, ceste charge à uns & autres, entre toutes ces corruptions, encores nous est demouree une image de ceste belle ancienneté. D' autant que nous disons que l' on ne peut appeller aucun aux ordres de Prestrise, qu' il n' ait tiltre, rapportans à je ne sçay quoy de temporel, ce que ces saincts Peres rapportoient au spirituel: & nommons encores Presbitaires les maisons destinees pour l' hebergement des Curez. Aussi entre les Cardinaux de Rome l' on en appelle les aucuns, Prestres, c' est à dire, les Cardinaux qui sont pourveuz des anciennes Cures de Rome, à la difference de ceux qui sont Cardinaux Diacres. On appella par succession de temps le ressort que tenoient les Evesques, Dioceses. Mot dont les anciens Romains usoient quelquefois sur le declin de l' Empire, pour Province: & celuy des Prestres, ou Curez, parroisses, combien que je trouve les Evesques avoir assez souvent appellé leurs Dioceses du nom de paroisses, comme s' ils eussent voulu dire que leur charge estoit une grande Prestrise, & que les Prestres estoient petits Evesques en leurs charges, par une reduction que l' on appelle du grand au petit pied.

Or eurent-ils une coustume fort familiere: car ayans entrepris de gaigner par leurs sainctes exhortations, tout le monde, ils avoient accoustumé de deleguer les plus capables & suffisans aux principales villes de chaque Province: Dont est venu que par une police Ecclesiastique, s' estant nostre Eglise divisee en Patriarches, Archevesques & Evesques, vous voyez les noms des Patriarchats, & Archeveschez és villes, où la domination temporelle avoit plus de lieu: & ceste mesme raison apporta puis apres de grands troubles à la grandeur de l' Evesque de Rome, ainsi qu' il sera dit en son lieu. Cecy à mon jugement, fut cause que Rome estant du temps des Apostres, le siege de l' Empire & ressort general de tout l' Univers: & S. Paul' s' estant transporté en ceste ville par necessité, pour respondre de son faict devant l' Empereur, l' on deputa depuis avec sainct Pierre pour y venir annoncer la doctrine de Dieu: Auquel lieu, comme chacun sçait, apres y avoir faict plusieurs grands miracles, en fin ils porterent un tres-vertueux tesmoignage de leur foy par leurs martyres. Lors se faisoient & long temps apres les assemblees des Chrestiens en cachete, pour eviter la fureur du Magistrat. Car encores que par traitte de temps quelques Empereurs feissent contenance de n' exercer leurs cruautez contre nous, si est ce que telles douceurs n' estoient qu' une amorce pour nous surprendre. D' autant que ceux qui sous cest appast s' estoient trop descouverts en leurs deportemens, à la premiere mutation d' Empereur, il se trouvoit un successeur qui recommençoit de seuir, comme au precedent encontre eux. Tellement que chacun estoit contrainct d' être retenu en ses actions. Et certes l' Eglise Romaine se rend grandement recommandable en ce point cy. Par ce que depuis S. Pierre jusques à Silvestre, qui fut du temps de l' Empereur Constantin, n' y eut Evesque dedans Rome qui ne seellast de son sang le tesmoignage de sa foy. Et encores que quelques uns se trouvassent plus foibles à supporter le premier heurt des persecutions, si est-ce que revenans à leur mieux, & second penser, ils embelissoient leur memoire de quelque beau & brave traict. Comme nous voyons qu' il advint à Marcelin Pape, lors de la grande boucherie & persecution de Diocletian, lequel pour caller la voile à la tempeste qui lors couroit, ayant par crainte immolé aux Idoles, en fit depuis penitence publique aux pieds de l' Eglise. Et non content de ceste confession, pour satisfaire d' avantage à sa conscience, se presenta devant Diocletian, luy reprochant ses cruautez, & sur ce reproche receut volontairement la couronne de martyre. 

Je ne trouve qu' adoncques tombast la Primauté de l' Eglise en dispute, ains quelque temps apres que les Apostres furent passez de ce monde en l' autre, le premier ordre de l' Eglise estoit des Evesques, le second des Prestres, & le dernier des Diacres. Et entre les Evesques on faisoit grand estat de ceux qui avoient leurs sieges és lieux, ausquels les Apostres, ou leurs disciples avoient presidé, & entre iceux, de celuy de Rome principalement pour la dignité de la Chaire Sainct Pierre, comme nous l' apprenons expressement de Tertullian en son livre contre les heretiques. Ceste primauté commença d' être aucunement enviee en ce grand Concil de Nice sous Constantin, quand l' exercice de nostre Religion commença d' être faict à huys ouvert. Car lors se trouva l' Evesque d' Alexandrie qui voulut concurrer en seance, avecques celuy de Rome. Depuis ce temps, je ne voy point que le Romain n' ait tenu le premier lieu sur les autres, sans exception ou reserve. A ceste cause trouvons nous dans Optat, qui fut soubs les Empereurs Valens, & Valentinian, en son premier livre, encontre les Donatistes, que Donat heretique, ayant presenté requeste à Constantin pour faire juger sa cause par trois Evesques des Gaules, l' Empereur luy ayant baillé pour juges, Materne Evesque de Colongne, Rhetice Evesque d' Autun, & Marin Evesque d' Arles, ils s' acheminerent à Rome pour decider par expres ceste affaire sous l' auctorité de Militiades Evesque du lieu. Et le mesme Optat, au deuxiesme livre, pressant de pres ses adversaires, qui s' estoient divisez de l' union de l' Eglise, & avoient creé sur eux un Evesque: Vous ne pouvez nier (dit-il) qu' en la ville de Rome ne fust premierement donnee à Sainct Pierre, la chaire Episcopale, en laquelle il a tenu le siege, comme chef de tous les Apostres. Puis il recite par honneur d' une longue suitte, l' un apres l' autre, tous les successeurs de S. Pierre, desquels avoit despendu l' union de l' Eglise universelle. Chose que fait en cas semblable Sainct Augustin en la cent soixante cinquiesme Epistre à Generose. Et Amian Marcellin mesmes, qui fut Ethnique, au quatorziesme livre de son histoire, faisant mention d' une sentence decretale, qui avoit esté donnee contre Athanaise Evesque d' Alexandrie par ses mal-vueillans, à la suscitation & pourchas de l' Empereur Constance, qui estoit Arien, recite que cest Empereur desira sur toutes choses que ceste sentence fut signee de Libere, qui lors siegeoit à Rome: Le passage estant de telle substance. Combien que cest Empereur eust attaint au dessus de son entreprise, & qu' il ne doutast point qu' Athanaise ne fust destitué de son Evesché, toutesfois pour l' authorité que tenoient lors les Evesques de Rome, il eust grandement desiré que Libere souz-signé avecques les autres Evesques contre luy. 

Ce qui fit passer condemnation plus facile à l' Evesque d' Alexandrie, en faveur de l' Evesque de Rome (j' useray de ce mot maintenant, en attendant l' occasion selon l' ordre des temps que je le nommeray Pape tout à faict) ce fut la desunion qui se trouva entre les Eglises du Levant. Deslors mesmes que l' Eglise commença de n' être plus affligee, par la puissance seculiere, elle s' affligea d' elle mesme. Il y avoit un Prestre dans la ville d' Alexandrie, nommé Arius, qui avoit esté degradé de l' ordre de Prestrise, lequel indigné de ce rebut, commença de se faire chef de part. Et de fait, il sema une grande zizanie en Egypte, sur le mystere de la Trinité, dont depuis sourdirent grands troubles, partialitez, & divisions en la Religion Chrestienne, speciallement entre les Eglises du Levant. Presque en ceste mesme saison, Donat remua une autre nouvelle erreur, qui partialisa tous les Afriquains, s' estans ces premiers & seconds heretiques tellement authorisez, qu' ils avoient leurs Evesques à part, les uns Ariens, les autres Donatistes. Il seroit impossible de dire quelle desolation il en vint: par ce que les Evesques está (estan, estant) divisez en sectes, se forgeans Concils sur Concils, & defaisans par un Concil ce qui avoit esté arresté par l' autre, la vraye definition de la foy s' esvanouit presque entr' eux. Et qui est encores un plus grand malheur, pendant que les Prelats n' avoient autres desseins que de ruiner leurs adversaires, au lieu de s' estudier à une reconciliation Chrestienne, & que le Catholic estoit excommunié par l' Arien, & cestuy-cy par le Catholic, division qui continua par une tres-longue traite de temps: Mahommet se meit aux aguets, & sur ce seul divorce, prit argument d' envahir sur nous la plus grande partie de nostre Chrestienté, & des deux Religions en forma une troisiesme, de plus pernicieux effect, & consequence que n' estoit l' Arianisme.

Pendant ces divisions, toutainsi que durant les tribulations premieres de nostre Religion, tous les Evesques de Rome furent martyrs, aussi est-ce un autre poinct tres-grandement loüable, qu' il ne se trouva jamais aucun d' eux, lequel parmy ces dissensions Ecclesiastiques, fut infecté ny de l' heresie Arienne ny de celle des Donatistes, ains demourerent perpetuellement en leur ancienne Religion fermes & stables, ainsi qu' un roch au milieu des vagues. D' avantage lors que les Evesques Catholiques du Levant, ou d' Afrique, contre lesquels on ioüoit à boute hors, estoient exterminez de leurs sieges par les heretiques, ils n' avoient autre plus seur refuge, que par devers l' Evesque de Rome, lequel leur estoit comme leur dernier & souverain port de salut. Or entre les villes qui en furent les plus affligees, ce fut celle d' Alexandrie, où l' heresie d' Arius avoit pris son commencement, en laquelle neantmoins y eut de vertueux Evesques, comme Alexandre, Athanaise, & autres qui porterent vaillamment les chocs, & efforts des ennemis de la foy. Si n' y peurent-ils si bien resister, qu'ls ne fussent tantost bannis de leurs Eglises, tantost restablis, puis chassez comme devant, selon que le bras seculier favorisoit plus ou moins le party Catholic.

La ville de Rome estant la plus asseuree retraitte de tous ces Evesques, comme celle, en laquelle n' estoit ceste des-union: au contraire la ville d' Alexandrie estant combatue de ces flots, cela petit à petit fit choir l' Evesque d' Alexandrie d' un degré, lequel au Concil de Nice s' estoit voulu aucunement apparier à l' autre: & à vray dire, la decroissance de l' un, fut l' augmentation de l' autre. A maniere que de là enavant vous trouverez la grandeur de l' Evesque de Rome beaucoup plus recogneuë qu' elle n' estoit auparavant. De là vient qu' Athanaise est accusé devant Jules Pape, qui donne assignation aux parties pour comparoir devant luy à Rome. Aussi commencerent les Catholics au Levant de faire grand rapport de luy encontre les Ariens. Pour ceste cause ne voulurent-ils point soubsigner les Decrets du Concil tenu à Arimini, par ce entre autres choses que l' Evesque de Rome n' y avoit presté consentement & assistance. Et Socrate historien Ecclesiastique, pour montrer qu' un Concil, qui avoit esté tenu en Anthioche sous l' authorité d' Eusebe Evesque de Nicomedie, lequel avoit grand credit pres de l' Empereur Constance, ne devoit être aprouvé par l' Eglise: Mais a ce Concil (dit-il, au livre I. de son histoire) ne se trouva Jules Evesque de la grande Rome, ny aucun Legat de sa part, combien que la reigle Ecclesiastique commande qu' il ne faille celebrer les Concils outre sa volonté, & sentence. En cas semblable Sosomene au livre troisiesme, dit qu' il y avoit une loy generale en l' Eglise, qui vouloit tous actes estre anullez, qui s' estoient passez au deceu de l' Evesque de Rome. Et le mesme autheur racontant peu apres, qu' Athanaise avoit esté contrainct de se retirer à Rome par la calomnie de ses ennemis, comme pareillement Paul Evesque de Constantinople, Marcel Evesque d' Aurice, Asclepas Evesque de Gaze, nous enseigne que Jules Evesque de Rome ayant entendu les accusateurs des uns, & des autres, & cognoissant que tous ces Evesques fuitifs simbolisoient unanimement au Concil de Nice, les receut tous en sa communion, comme ayant soin d' eux. Et ce à cause de la dignité speciale de son siege (faict-il) & à chacun d' eux rendit son Eglise. Accusant par lettres les Evesques Orientaux de ce qu' à tort ils avoient chassé ces preud'hommes de leurs Eglises, mesmes qu' ils observoient les Decrets du Concil de Nice, & enjoignit à quelques uns d' entr' eux de comparoir par devant luy, pour leur monstrer que le jugement par luy prononcé, estoit juste. Les menaçant au surplus de ses censures s' ils ne vouloient se deporter de tels troubles & novalitez. A quoy les Evesques Ariens firent responce qu' ils recognoissoient l' Eglise Romaine tres-liberale envers tous, comme celle qui tousjours avoit vescu apostoliquement, & qui de tout temps & ancienneté avoit esté destinee mere de pieté: toutesfois qu' il ne les falloit point postposer à elle pour n' avoir ny tant ny de si grandes Eglises, comme elle, veu qu' ils ne luy cedoient nullement en qualité. Desquelles choses l' on peut recueillir que les Catholics portoient lors l' Evesque de Rome sur leurs espaules, pour faire teste aux Ariens: & qu' à l' opposite les Ariens s' en defendoient comme ils entendoient. Car peu après ce mesme autheur nous tesmoigne que les Evesques Orientaux scismatiques excommunierent l' Evesque de Rome, par ce qu' il avoit receu en sa communion Athanaise: & toutesfois que la sentence de l' Evesque de Rome fut de tel poids, que par le moyen d' icelle, Athanaise & Paul r' entrerent dans leurs Eveschez. Et depuis ayant esté Athanaise suivy par les ennemis, & s' estant rendu fuitif à Rome, Jules blasma rigoureusement ceux, qui contre son sceu s' estoient assemblez dans la ville d' Antioche, veu qu' ils sçavoient, ou devoient sçavoir que les saincts Canons defendoient de decreter rien aux Concils, sans son consentement & authorité. Qui est pour revenir à ce que Socrate avoit dit comme cestuy-cy.

Ainsi croissoit de jour en jour à veuë d' œil l' authorité du sainct Siege, luy ayant l' Evesque d' Alexandrie en toutes choses cedé: & neantmoins belle fut la contention de ces deux sieges, par ce que ce qui avoit en ceste façon, authorisé l' Alexandrin entre les autres, estoit que deslors de l' advenement de S. Marc, premier Evesque d' Alexandrie, tousjours avoit esté ceste Eglise autant bien edifiee en bonnes & sainctes institutions, que nulle autre. Et de faict, en icelle furent premierement introduicts les precepteurs, & maistres d' escoles, & nourris aux despens de l' Eglise. Pareillement en ceste ville se poussa une pepiniere de gens Religieux & devots, dont depuis sourdirent les Ordres des Monasteres & Religions, qui entreprindrent d' introduire entre eux une forme de gouvernement, à l' instar de la Republique, qui fut du commencement entre les Apostres. Et vrayement ceste dispute estoit honorable. Par ce que ces deux grands Evesques picquez d' une belle & saincte ambition, ioüoient chacun à qui mieux mieux, l' un pour être collateral, & l' autre pour n' avoir point de compaignon & pareil. Ce que je deduiray maintenant à quelque peu plus de l' homme. 

J' ay dict cy dessus que plus les villes estoient grandes, plus y estoient grands les Evesques, soit que la grandeur & authorité des lieux en fust cause, ou bien que la necessité leur apprit d' y commettre gens, non seulement nourris aux affaires de l' Eglise, ains du monde, lesquels estans tels, gaignoient avec le temps de grands advantages sur les autres. Je trouve sur le declin de l' Empire trois villes, qui devindrent fort grandes par le remuement de menage que fit Constantin de la ville de Rome en Grece: Constantinople, Milan, & Ravenne. Constantinople, pour autant que les Empereurs y establirent leur principal sejour: Milan, par ce que quand l' on trouvoit deux Empereurs fraternisans, dont l' un prit la protection du Levant, l' autre, celle de l' Occident, celuy qui s' habituoit en Italie sejournoit ordinairement à Milan, ou bien passoit les monts pour venir demourer aux Gaules: Ravenne, d' autant que les nations Barbares s' estans desbordees contre l' Empire, & les Ostrogots faits maistres de l' Italie, Theodoric leur premier Roy y constitua sa demeure: & depuis estant ceste nation chassee, & l' Italie commençant d' être gouvernee par un gouverneur, qu' ils appellerent Exarque, il choisit son habitation en la mesme ville. Cela fut cause que les Evesques qui presidoient en ces trois villes, voulurent aussi faire leur profit de l' amplitude & dignité de leurs sejours. Et tout ainsi que leurs villes chacune à leur tour, avoient precedé en superiorité temporelle, aussi soustenoient-ils chacun en leur endroict, le Constantinopolitain devoir precede, ou pour le moins s' apparier avec celuy de Rome, & les deux autres, de ne le recognoistre pour superieur, ains estre francs & exempts de la puissance spirituelle. Voyez je vous prie comme la diversité des siecles apporta diversité de mœurs & d' humeurs. Lors que l' Evesque Alexandrin vouloit estre conservé en sa grandeur, c' estoit en consideration de sa longue ancienneté, & maintenant ces trois villes cy vouloient être authorisees pour leur nouveauté. 

Grande & ambitieuse fut la contention de l' Evesque de Constantinople contre le Romain. Celuy là alleguoit la Noblesse de sa ville, pour avoir esté tousjours illustree de la presence de l' Empereur. Que de toutes les villes de l' Empire cette cy se pouvoit dire vrayement Chrestienne: Par ce que deslors que Constantin y avoit planté, & son nom, & son siege, à l' instant mesmes y avoit-il aussi planté la foy & la Religion Chrestienne. Et ne pouvoit-on depuis remarquer temps, sous lequel on eust faict exercice de l' idolatrie, fors quelques mois sous Julian l' Apostat: mais soudain s' estoit cela, par la mort de luy, evanouy en fumee. Soustenant pour ces considerations l' Evesque de Constantinople, qu' il devoit preceder, ou à tout le moins esgaler en tout & par tout, l' Evesque de Rome. Toutes fois contre tout cecy le Romain avoit grandes defences: l' authorité de sainct Pierre entre les Apostres, duquel il estoit successeur, la reverence des saincts Peres de Rome, qui tous avoient esté exposez à mort pour le soustenement du nom de leur maistre, la continuation de leurs successeurs en leur foy sans varier, lors des scismes & divisions de l' Eglise, les preeminences qui luy avoient esté accordees tant au Concil de Nice, qu' autres: & à peu dire, combien que la ville de Constantinople fust reparee de la presence de l' Empereur, si est-ce que la seule memoire de la grandeur ancienne de Rome (bien qu' elle fust lors comme ville-gaste) effaçoit la dignité de ceste ville nouvelle. Aussi voyons nous infinis passages dans les anciens, ausquels parlans de la ville de Rome, ils l' appelloient urbem aeternam, parole qui sortit de la bouche des Payens mesmes, comme si Dieu eust voulu par leur organe predire une autre nouvelle grandeur qu' elle couuoit dans son sein, telle que nous avons depuis veüe. Ce different fut terminé au Concil general de Constantinople, dessous l' Empereur Theodose, où apres avoir condamné l' heresie de Macedonius, il fut arresté que la premiere seance appartenoit à l' Evesque de Rome. Et combien qu' auparavant apres luy, eut lieu l' Evesque d' Alexandrie, puis d' Antioche, puis de Hierusalem, toutesfois il fut ordonné qu' immediatement, apres le Romain, seroit l' Evesque de Constantinople, les trois autres descheans par ce moyen chacun en leur endroict, d' un degré. Cela fut cause que depuis Sozomene, Evagre, & autres autheurs Ecclesiastics parlans de ces cinq sieges, comme des chefs de la Chrestienté, ils suivent tousjours ce mesme ordre d' Evesque de Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche, & Hierusalem. Concil que l' on ne peut dire sans calomnie, n' avoir esté tres-sainct & tres-juste en ce jugement, de tant que l' Evesque de Rome n' y estoit, ny autre pour luy, par l' entremise duquel il eust peu sous main se conserver ceste authorité. Et neantmoins fut ceste primauté confirmee sans contredict par le commun suffrage de 15. Evesques qui y assisterent, comme aussi fut elle ratifiee par l' Empereur Justinian, en sa cent trente & uniesme nouvelle constitution. Grande pitié: l' ambition en cecy fut telle, que les Grecs pour gratifier à leur Patriarche falsifierent ce Concil: & se trouverent quelques uns si impudens de dire, que par ce Concil le premier lieu de l' Eglise fut adjugé à l' Evesque de Constantinople, & le second à celuy de Rome.

Jusques icy tout le different de ces deux Prelats estoit sans plus de la Primauté, & non de la Principauté, & ne s' estoit encores insinué en nostre Eglise à face ouverte le tiltre d' oecumenique, ou universel. Voicy à mon jugement, qui en donna l' ouverture. En ce Concil de Constantinople furent arrestez des degrez Ecclesiastics entre les Prelats, & à ceste fin trouvez nouveaux mots, peu, ou point usitez au precedent. Car au lieu où l' ancienneté respectoit par honneur ces cinq grands sieges, on commença depuis ce Concil à les honorer par police. Car si nous croyons Nicephore, l' on ordonna lors les ordres de Patriarchats, Archeveschez, & Eveschez, c' est à sçavoir que ces cinq grands sieges seroient erigez en Patriarchats, qui auroient sous eux divers Archeveschez, & les Archeveschez des Eveschez. Laquelle police, bien que specieuse, si ne pouvoit elle être du commencement goustee par plusieurs Eglises, craignans que ce nom venerable de Primauté, tant honoré par la primitive Eglise, se tournast en quelque extraordinaire puissance sous le nom de Principauté: & de fait, au Concil de Chartage, qui fut celebré par 217. Evesques, 30. ans apres, auquel fut condamnee l' heresie de Pelagius: entre autres articles, il fut par expres defendu aux Prelats, qui tenoient lieu de Primace, de ne s' intituler Princes des Evesques, ains seulement Primats. Toutesfois ce Decret demoura sans effect, & avec le nouveau nom de Patriarche, qui signifie Prince des Peres, nasquit aussi en l' Eglise une nouvelle puissance. Car au lieu, où auparavant on pourvoyoit aux Archeveschez & Eveschez, par l' advis des Prelats comprovinciaux, les Patriarches commencerent à se donner loy d' en ordonner comme ils trouvoient bon de faire, sans prendre autre advis que d' eux-mesmes. Ainsi lisons nous que S. Jean Chrisostome, Patriarche de Constantinople, voyant qu' il y avoit 13. Evesques en la Licie & Phrygie, qui par voye Symoniaque estoient parvenus à leurs Eveschez, les en priva de tout poinct, & en instala d' autres: voire establit Heraclide en l' Archevesché d' Ephese, & Pansophie en celle de Nicomedie, apres en avoir chassé Geronce. Et à l' exemple de luy Procle l' un de ses successeurs, le siege de Cesaree vacquant au pays de Capadoce, qui estoit l' un des premiers du Levant, & en pourveut Thalasie. Qui estoient traits, non de Primauté, ains de Principauté souveraine. De là vint que quelques uns des patriarches prindrent depuis par succession de temps le tiltre d' oecumeniques, c' est à dire universels, non que par cela ils pretendissent avoir commandement sur toutes les Eglises de l' Univers: mais bien qu' en ce qui dependoit de leurs patriarchats, ils estoient universels, je veux dire qu' ils avoient universellement autant de puissance sur tous les Archeveschez & Eveschez, comme particulierement chaque Evesque dans le destroict de son Diocese: & de fait, c' est à mon jugement errer en l' histoire, d' estimer que depuis le Concil de Constantinople, tenu soubs Theodose le grand, le patriarche de Constantinople eust opinion de donner la loy au Pape de Rome, encores qu' il se feist appeller universel, comme aussi voyons nous qu' au 6. Concil de Constantinople, tenu sous Constantin Pogonat, le Pape de Rome, & le patriarche de Constantinople, sont tous deux diversement appellez Evesques Oecumeniques & universels, dans les mandemens qui leur sont envoyez par l' Empereur. Chose qui eut esté inepte, si on ne les eust estimez universels, chacun en leur endroit dedans leurs destroits & ressorts: toutesfois a fin de n' enjamber sur l' ordre du temps, & que ceste histoire qui depuis a engendré plusieurs divorces en quelques esprits contumax, soit recogneuë de poinct en poinct & par le menu, il me semble qu' elle merite bien son chapitre particulier, pour faire reprendre haleine au lecteur.