viernes, 4 de agosto de 2023

8. 14. Plus resolu que Bartole, ou bien resolu comme un Bartole.

Plus resolu que Bartole, ou bien resolu comme un Bartole

CHAPITRE XIV.

Je pense qu' il n' y ait plus grand Philosophe au monde, ny plus veritable, que la voix du peuple, qui confluë en mesme sujet. De moy je confesseray franchement n' avoir jamais veu homme estre jugé bon, ou mauvais par la commune opinion, qu' il n' y eust en luy quelque brin de l' un ou de l' autre, mais c' est quand ses exterieurs & continuels deportemens, nous servent en cecy de leçon. Je voy le Proverbe dont je fais maintenant estat estre assez souvent mis en usage par des simples femmelettes, & autres idiots de la populace, lesquels voulans representer la suffisance & capacité de quelqu'un, le disent tantost plus resolu que Bartole, tantost Resolu comme un Bartole, & neantmoins ne sçavent ny qui estoit celuy dont ils parlent, ny de quel bois il se chauffoit. Pourquoy doncques le jugeons nous un proverbe, veu que la plus part de ceux qui en usent, ne sçavent ce qu' ils font en cecy? De ma part je ne fais aucune doubte, que le commun dire ne soit provenu de ceux, qui premierement jetterent sous bons gages leurs yeux & estudes sur les textes des Jurisconsultes, & en apres sur les Docteurs de Droict, entre lesquels ils firent principal fonds sur les decisions de Bartole. Et cet arrest estant diversement passé d' une bouche à autre, tomba par succession de temps en celles de quelques uns du menu peuple. Je dy à quelques uns seulement: Car il n' est pas familier à tous. Proverbe que je vous veux defricher, mais avant que de passer outre, permettez moy je vous prie de donner carriere à ma plume, à la charge de me retrouver sur la fin, la part dont je sortiray maintenant.

Nous avons deux Facultez, la Jurisprudence, & la Medecine, esquelles la plus grande partie des gens de robbe longue gaignent leurs vies. Et combien que ce soient diverses professions, toutes-fois elles symbolisent en un point; Qui est que de tout temps & ancienneté, les Medecins ont deux grands Autheurs, en Grec Hypocrat & Gallien, desquels comme de deux grandes fontaines, ils puisent les Aphorismes & Theoresmes generaux de leur Medecine. Toutes-fois sur le moyen aage vint une nouvelle maniere de Medecins, que l' on appelloit Arabes, qui exercerent en cet Art une practique, non auparavant cognuë, lesquels escrivirent leur Medecine en langage barbare. Et neantmoins les Medecins qui sont depuis arrivez, empruntans leurs beaux discours d' uns Hypocrat, ou Gallien, s' arrestent principalement en la guerison de leurs Malades, à la practique des Arabes; & specialement d' Avicenne.

Le semblable est-il advenu à nostre Jurisprudence, en laquelle les Juges & Advocats tirent leurs principales maximes des Jurisconsultes, qui ont escrit d' un stile non inelegant. A la suite desquels le temps produisit une infinité de Docteurs qui descouvrirent leurs conceptions en un Latin goffe & grossier, dont les Juges font souvent leur profit. Mais de tous ceux-là Bartole fut par l' ancienneté le Capitaine general, qui avoit autant d' avantage sur tous les autres Docteurs, comme eux sur leurs escoliers.

Ce grand personnage nasquit l' an 1309. il eut pour son premier Precepteur frere Pierre des Assises, depuis appellé dedans Venise frere Pierre de la Pieté, parce qu' il y fonda un Hospital, pour les enfans perdus. Cestuy eut en si grande recommandation la jeunesse de Bartole, apres luy avoir enseigné les premiers Rudimens de son art, auquel il le voyoit emporter le dessus de ses compagnons, qu' il donna ordre de le faire estudier à Perouse en l' aage de quatorze ans, soubs le grand Docteur Cynus de Pistorio, où il se rendit si capable, qu' en la vingtiesme annee il disputa publiquement de Droict, contre tous ceux qui se presenterent dedans la ville de Boulongne la Grasse, & l' annee d' apres obtint le bonnet de Docteur avec l' applaudissement de tous. De là il suivit le barreau de la ville dont il estoit né. Pendant lequel temps il eut le loisir de recueillir quel estoit l' usage commun des causes. Depuis fut fait Lieutenant criminel, & luy estant advenu de condamner un homme innocent à mort par surprise, pour penitence, de sa faute, il quitta son estat, & reprist les premiers arrhemens de son estude, premierement en la ville de Pise, où il enseigna le Droict, avecques une admiration de tous: Puis en celle de Perouse, en laquelle il rendit l' ame à Dieu le quarantiesme de son aage mil trois cens cinquante & cinq. Il escrivit sur tout le cours de Droict civil. Et furent ses commentaires tant estimez, que Paule de Castre faisant pareils commentaires sur les Textes, ne pensa faire tort à sa renommee, de commenter par mesme moyen les commentaires de Bartole: & long temps apres luy, Jason, qui fit plusieurs grandes colomnes, esquelles vous verrez un Bartole plus expliqué, que les Textes des Jurisconsultes. Quand je vous nomme Paule de Castre, & Jason, je puis dire que c' estoient deux luminaires de Droict entre les autres Docteurs. Parce que le judicieux Alciat, au livre second de ses Parerg. chapitre quatriesme, faisant mention de ceux qui à meilleures enseignes mirent la main sur le Droict, fait compte principalement de Bartole, Balde, Paule de Castre, Alexandre, & Jason. Et sur le commencement de son Epigramme il baille le premier lieu à Bartole en ces mots:

In iure primas, comparatus caeteris,

Partes habebit Bartolus,

Decisiones ob frequentes.

Et à la suite, il vous propose les quatre autres de mesme ordre que je vous ay touché: Puis adjouste sur la fin.

His si quis alios addiderit interpretes,

Onerat, quam honorat verius.

Et n' advient à Alciat de s' aider de l' authorité de Bartole que ce ne soit avec preface d' honneur. En la loy Quidam de decur. lib. 10. c. Bartolus qui inter iuris interpretes longè primus est. Et au tiltre De vestib. holot. eodem. Bartolus qui sine controversia, primas inter recentiores Iurisprudentes habet. Ce grand Bartole avoit un air general de tout le Droict civil en sa teste, meslé avec l' usage de son temps és causes qu' il avoit peu recueillir, pendant le temps qu' il sejourna au barreau, estant retourné aux estudes de Droict, meslant la Theorique & Pratique ensemblement, & moula ses resolutions non communes aux particulieres des uns & des autres Jurisconsultes. Resolutions toutesfois ausquelles se rapportent plusieurs arrests de nos Cours souveraines. Et ainsi vous puis-je dire l' avoir observé en nostre Cour de Parlement de Paris, soit ou que Bartole luy ait servy en cecy de guide, ou que le sens commun des Juges se rapportast à celuy de Bartole: De là est venu le proverbe entre nous, quand par un taisible consentement general de tout le peuple, nous disons, Plus resolu que Bartole, ou Resolu comme un Bartole. Et à la mienne volonté que tout ainsi qu' un Lacuna nous a reduit au petit pied en la Medecine les fascheux, & superflus discours de Gallien, aussi en la Jurisprudence, quelque belle & riche plume voulust faire le semblable sur Bartole, & choisir seulement la mouelle de ses œuvres. 

8. 13. Des mots, de Clerc, & Secretaire, & du Proverbe, Parler Latin devant les Clercs.

Des mots, de Clerc, & Secretaire, & du Proverbe, Parler Latin devant les Clercs.

CHAPITRE XIII.

Au temps passé sous le departement des Gaules furent compris trois especes de gens, dont les aucuns commis au faict & exercice des armes, furent appellez Chevaliers, les autres Druydes qui avoient la charge des bonnes lettres, & de la Religion, & le dernier Ordre fut le commun peuple qui estoit tenu à nomprix. Si de bien pres nous y advisons, quoy que le temps se soit changé, toutes-fois les mesmes façons se sont tousjours maintenuës entre nous, & pour les Chevaliers avons eu en nostre France la Noblesse, au lieu des Druydes, le Clergé, pour le commun peuple les Roturiers, qu' en quelques lieux on appelle gens de pote condition, pour le peu d' estime que l' on en faisoit, & comme si ils eussent tousjours esté exposez sous la puissance de Seigneurs, qui se dit du mot Latin Potestas. Et tout ainsi qu' au temps passé appartenoit aux Chevaliers Gaulois le deduit de la guerre, aussi fait-il à nostre Noblesse Françoise: & comme la Cavalerie Gauloise estoit estimee par dessus toutes autres, aussi l' a tousjours esté nostre Noblesse de France. Voire pour venir à nostre ordre Ecclesiastic, ny plus ny moins que les Druydes prindrent les clefs tant de leur Religion, que des lettres, aussi se lotirent nos Prestres & Religieux, de ces deux articles entre nous, encore que pour bien dire, ils n' en eussent provision que pour leurs portees, n' estant nostre Noblesse aucunement ententive à si loüable subject. Qui fut cause que Maistre Alain Chartier en son Curial accusant la neantise de son siecle: Il y a plus (disoit-il) car ce fol langage court aujourd'huy entre les Curiaux (il entend les Courtisans) que noble homme ne doit point sçavoir les lettres, & tient on à reproche de gentillesse, de bien lire, & bien escrire. Chose mesme que Baltazar de Chastillon Italien improperoit à nostre France en son Courtisan, sous le regne de Louys douziesme. Vray qu' il se promettoit que François Duc d' Angoulesme banniroit cette ignorance quand il seroit arrivé à la Couronne: Prognostic qui fut veritable. Or de cette asnerie ancienne advint que nous donasmes plusieurs façons au mot de Clerc, lequel de sa naïfve & originaire signification appartient aux Ecclesiastics. Et comme ainsi fust qu' il n' y eust qu' eux qui fissent profession des bonnes lettres, aussi par une metaphore nous appellasmes grand Clerc l' homme sçavant, Mauclerc celuy que l' on tenoit pour beste, Clergie pour science, & forgeasmes de là ce proverbe François, Parler Latin devant les Clercs, pour denoter presque ce que les Romains vouloient dire par cet Adage. Sus Minervam. Es grandes Croniques dediees à Charles huictiesme, chapitre 2. parlant de Boëce: L' art de Dialectique, Arithmetique, Geometrie, & Musique qu' il translata, monstrent bien la grande Clergie. Hugue de Bersy, en sa Bible Guyot se mocquant des Advocats de son temps. Et bien sçachez que grand Clergie est en telles gens morte & perie. Et fut appellé Pierre Duc de Bretagne Mauclerc par les siens, comme beste & ignorant, pour le grand prejudice qu' il fit à ses successeurs, par les soubmissions non accoustumees qu' il fit au Roy S. Louys, luy faisant la foy, & hommage. Et est digne d' estre icy remarqué ce que le sire de Joinville en dit: Mais je ne sçay si à juste cause les Bretons luy donnerent tel nom (fait-il) veu qu' il devoit estre bien sage, puis qu' il avoit si long temps estudié à Paris. Jules Cesar n' en avoit pas moins dit de Sylla, que les Bretons firent de leur Duc, quand ayant quitté de son gré, la Souveraineté que les armes luy avoient donnee sur l' Estat de Rome, il dit que Nesciebat litteras: Voulant dire qu' il estoit une beste & ignorant: Mais pour ne perdre de veuë ce que je me suis icy mis en bute, encore passa-l'on plus outre au mot de Clerc: Car il ne fut pas seulement approprié aux bonnes lettres, mais aussi à ceux qui par le ministere de leurs estats faisoient profession particuliere de la plume, comme ceux que nous appellons aujourd'huy Secretaires du Roy, estoient anciennement appellez Clercs, & Notaires du Roy, & de la Couronne de France: Et ne se peut mieux representer la varieté qui se trouva en cette diction que par une Chambre des Comptes, laquelle de tout temps estoit composee de Maistres, Auditeurs, & Greffiers. Des Maistres les aucuns estoient de robbe courte, & les autres de robbe longue, que l' on appelloit autrement Clercs: parce que du commencement ils estoient Ecclesiastics. Les Auditeurs estoient aussi appellez Clercs, chose à mon jugement de tant que de leur premiere escole ils demeuroient au logis des Maistres, pour leur servir de leurs plumes, comme j' ay deduit ailleurs. Et les deux Greffiers aussi Clercs, parce qu' il falloit qu' ils fussent Secretaires du Roy, que l' on appelloit alors Clercs. Il n' est pas que le Controlleur du Thresor ne fust aussi appellé Clerc du Thresor. Car n' y ayant auparavant qu' un Changeur du Thresor, qui estoit celuy auquel aboutissoient toutes les receptes ordinaires de France, on luy bailla en l' an 1316. un homme pour le controller, qui fut appellé Clerc du Thresor. On usa encore du mot de Clergie aussi bien pour escriture, comme pour science. Par l' ordonnance du 6. de Mars 1388. Charles VI. ordonne que les seaux, & les Offices de Clergie des Bailliages & Seneschaussez soient baillez à ferme: Et tout ainsi que les Secretaires du Roy estoient ainsi appellez Clercs, aussi les Seigneurs appellerent leurs Clercs ceux qui avoient en leurs maisons la charge d' escrire sous eux, jusques à ce que ce mot est finalement demeuré à ceux qui escrivent sous les Advocats, Greffiers, Notaires & Procureurs, & commença l' on d' appeller premierement les Clercs du Roy, puis ceux des Princes, & grands Seigneurs, ceux que depuis avec le temps nous avons appellez Secretaires. Car c' est une inepte, & miserable ambition des Seigneurs, qu' avec le temps ils veulent transplanter en leurs familles, & maisons, sinon les dignitez, pour le moins les noms dont les Officiers de nos Rois s' accommodent. Je trouve dedans Monstrelet chapitre 175. Clerc pour Secretaire, & au chapitre 139. il parle d' un Secretaire du Duc de Bourgongne.

Or quant au mot de Secretaire, on l' appropria du commencement à ceux qui pour estre prests des Rois recevoient leurs commandemens, qui furent appellez Clercs du Secré. Ainsi l' apprenons nous d' un reiglement de l' an 1309. par lequel le Roy ordonne qu' il y ait trois Clercs du Secré pres de sa personne, Maistres Raoul de Perreaux, Amy d' Orleans, & Jean de Belut, & 27. Clercs & Notaires. Me faisant cela resouvenir du formulaire, que Cassiodore Chancelier de Theodoric Roy d' Italie mettoit aux provisions des Secretaires du Roy. Imitari debent armaria quae continent monumenta Chartarum. Depuis au lieu de Clercs du Secré on

en fit un mot de Secretaire, furent dits avec le temps les Clercs & Notaires du Roy, comme aussi les Clercs des Seigneurs, vrais Cinges des Rois usurperent: Tellement que de là en avant ces Clercs du Secré furent contraints d' apporter une autre qualité au mot de Secretaire, & s' appellerent Secretaires des commandemens, à la difference des autres: Ce qui fut continué en eux jusques vers la fin du regne de Henry II. lors que nous traitasmes la paix avec Philippe Roy d' Espagne vers l' an 1559. Parce que ceux qui la negotierent, oyans que les Secretaires des commandemens de l' Espagnol, s' appelloient Secretaires d' Estat, comme naturellement les François sont soucieux de nouveautez, nous quittasmes le mot de commandement en ces Secretaires, & commençasmes de les nommer Secretaires d' Estat, ainsi que nous les appellons encores aujourd'huy, ayans laissé ce qui estoit de nostre creu.

8. 12. Laisser le Monstier où il est.

Laisser le Monstier où il est.

CHAPITRE XII.

Il n' y a rien qu' il faille tant craindre en une Republique que la nouveauté: Le grand Legislateur Charondas, en l' une des Loix qu' il bailla aux Thoriens, ordonna par article exprés, que si quelqu'un vouloit apporter quelque Loy nouvelle, il y vint avec le licol, c' estoit à dire que si la loy estoit refusee du peuple, il se tint asseuré d' estre pendu & estranglé, pour avoir voulu innover à l' ancienneté: Qui estoit une grande bride à l' encontre des novalitez. Licurge apres avoir faict publier, & recevoir ses Ordonnances aux Lacedemoniens, s' en alla, & avant que de partir, prist le serment de tous ses citoyens, qu' ils ne changeroient nulle de ses Loix qu' il ne fust de retour, & sur ce serment fit vœu de ne retourner jamais dedans Sparte: voire mourant ordonna que son corps fust ensevely dedans les flots de la mer, craignant que si le peuple eust recueilly ses os, il eust pensé estre affranchy du serment qu' il avoit fait. La question en est fort belle dans Aristote au second de ses Politiques, où il discourt le pour, & contre avec une infinité de raisons. Pour le party du changement, il dict que si en toutes sciences on voit les opinions se changer, selon la diversité des rencontres, à plus forte raison doit-on faire le semblable en une discipline politique. Les Loix (dit-il) estoient anciennement barbares, & conformes aux mœurs du vieux temps. On ne sçavoit rien que les armes, ils achetoient les femmes l' un de l' autre. Bref toutes leurs loix estoient brusques & farouches. Ces vieux pitaux, soit qu' ils fussent engendrez de la terre, ou de quelque putrefaction, aussi furent-ils esloignés de toute civilité. Et à tant seroit chose fort absurde, les mœurs ayans receu polissure avec le temps, de s' arrester aux vieilles loix: Par ce que chacun doit approuver non ce qui s' observoit en son pays, ains ce qui se devoit observer. Partant il ne falloit trouver estrange qu' avec le changement des mœurs, on changeast par mesme moyen de loix: Toutesfois il se ferme en fin au party contraire, disant qu' il n' y a rien que le Magistrat doive tant craindre, que d' estre mesprisé des siens: Inconvenient auquel il peut aisément tomber, introduisant nouvelles loix, ausquelles le peuple ne se pouvant aisément accommoder, il s' accoustumoit aussi de n' obeyr. Davantage que les vieilles loix s' estans tournees en coustume, elles se tournoient tout d' une suite en nature, joint que ce qui estoit d' une longue main empraint dedans nous, estoit beaucoup plus aisé à digerer, ores que moins bon, & les ordonnances, quelque fruict qu' elles nous promissent, coustoient infiniement à un peuple, avant que de pouvoir tomber en usage. 

Or si cette proposition est bonne pour la loy commune, encore est elle plus requise en ce qui concerne la venerable Religion, laquelle se doit au jugement des sages, plus soustenir par une longue ancienneté, que par toutes les raisons mondaines des hommes: Au contraire il faut le plus qu' il est possible en deffendre au commun peuple la dispute: Ainsi le tenoit le divin Platon au 12. de ses Loix, & sans aller rechercher autre authorité que de nostre grand Maistre: Quand nostre Seigneur Jesus-Christ demandoit au peuple s' il croyoit, il se contentoit d' un ouy, & ne vouloit point que l' on entrast en plus grande information de sa creance, respondant, Ta seule foy t' a sauvé. De cette mesme proposition est venu que nous disons en France, Laisser le Monstier où il est, c' est à dire, ne rien eschanger des anciennes constitutions de l' Eglise: Car encore que Monstier vienne de Monasterium, que nous disons maintenant Monastere, qui est le sejour & habitation des Moines: si est-ce que nos ancestres en userent indifferemment pour toutes Eglises Parrochiales, comme de fait vous voyez que l' on dit ordinairement Mener l' Espousee au Monstier, quand on meine une fille en l' Eglise pour estre espousee par son Curé. Proverbe que nous appliquons generalement à toutes mutations: Parce que toutes & quantes fois que l' on ne trouve bon quelque changement de l' ancienneté, on dit que le meilleur est de laisser le Monstier où il est. Nous devons doncques honorer ce commun dire, & nous souvenir que la ville de Marseille fut honoree entr'autres choses, de ce qu' ayant un vieux glaive enroüillé sur l' une de ses portes, il n' estoit permis au bourreau d' en prendre un autre pour decapiter ceux qui estoient condamnez à mort. Il ne faut rien eschanger de ce que une longue ancienneté a approuvé en une Religion, voire jusques aux paroles mesmes. De nostre temps Sebastian Castalion pensant mieux parler Latin que les autres en sa traduction du vieux & nouveau Testament, voulut mettre en usage le mot de Genius, au lieu de celuy d' Angelus, & son œuvre en fut condamné par tous. Il n' y a rien en cela qui puisse estre mieux descouvert qu' en ce mot de Verbe, qui nous est si familier, voulant exprimer la grandeur incomprehensible de Dieu en nostre Eglise: Quand en l' Evangile de S. Jean on usa du mot de *grec (Sophos), cette diction avoit beaucoup plus grande energie que celle de Verbum Latin que le traducteur mist en œuvre. Et de fait Lactance Firmian au 9. livre de ses Institutions divines, n' a douté d' en faire un chapitre exprés qui est le 3. Quod melius (porte le tiltre) à Graecis *grec quam à Latinis Verbum, & à la suitte de cela. Sed melius Graeci *grec dicunt, quam Verbum sive sermonem: *grec enim & sermonem significat, & rationem: Quia ille est vox & sapientia Dei. Le traducteur ne pouvant rendre en Latin un mot autant significatif que le Grec, y employa seulement celuy de Verbum, beaucoup moindre que l' autre. Toutes-fois le temps luy a donné telle façon, & emphase en nostre Religion, qu' il n' y a mot Grec, Latin, François, Italien, ou Espagnol, qui arrive à la grandeur de cestuy-cy: & qui voudroit user du mot de Sapientia pour Verbum, il gasteroit tout. Le semblable adviendroit en celuy qui voudroit appeller le vieux & nouveau Testament, vieille & nouvelle Alliance: Car la verité est que le mot Hebrieu signifie vrayement Alliance, & le lieu qui nous a enseigné de dire Testament, a esté par la traduction des huit, 9. & 16. chapitres de l' Epistre de S. Paul aux Hebrieux, où le traducteur a usé du mot de Testament, non d' Alliance: Paradventure pour autant que l' une & l' autre Alliance se fit par le sacrifice premierement que Dieu voulut estre fait d' Isaac par Abraham son pere (vray qu' il luy retint la main) puis de Jesus-Christ son fils, & qu' en telles occurrences nos dernieres volontez sont appellees Testamens: Tant y a que ce mot ayant gaigné cours, & credit par succession de temps entre nous qui voudroit aujourd'huy traduire soit en langue Latine, ou Françoise le mot Hebrieu en sa naïfve signification, qui dit Alliance, il seroit reputé Schismatique. A peu dire, jamais chose ne fut mieux dite que ce que disoit Quintilian en son premier livre, de ces paroles, qu' une ancienne Religion a authorisees. Ea mutari vetat Religio, & consecratis utendum.