Laisser le Monstier où il est.
CHAPITRE XII.
Il n' y a rien qu' il faille tant craindre en une Republique que la nouveauté: Le grand Legislateur Charondas, en l' une des Loix qu' il bailla aux Thoriens, ordonna par article exprés, que si quelqu'un vouloit apporter quelque Loy nouvelle, il y vint avec le licol, c' estoit à dire que si la loy estoit refusee du peuple, il se tint asseuré d' estre pendu & estranglé, pour avoir voulu innover à l' ancienneté: Qui estoit une grande bride à l' encontre des novalitez. Licurge apres avoir faict publier, & recevoir ses Ordonnances aux Lacedemoniens, s' en alla, & avant que de partir, prist le serment de tous ses citoyens, qu' ils ne changeroient nulle de ses Loix qu' il ne fust de retour, & sur ce serment fit vœu de ne retourner jamais dedans Sparte: voire mourant ordonna que son corps fust ensevely dedans les flots de la mer, craignant que si le peuple eust recueilly ses os, il eust pensé estre affranchy du serment qu' il avoit fait. La question en est fort belle dans Aristote au second de ses Politiques, où il discourt le pour, & contre avec une infinité de raisons. Pour le party du changement, il dict que si en toutes sciences on voit les opinions se changer, selon la diversité des rencontres, à plus forte raison doit-on faire le semblable en une discipline politique. Les Loix (dit-il) estoient anciennement barbares, & conformes aux mœurs du vieux temps. On ne sçavoit rien que les armes, ils achetoient les femmes l' un de l' autre. Bref toutes leurs loix estoient brusques & farouches. Ces vieux pitaux, soit qu' ils fussent engendrez de la terre, ou de quelque putrefaction, aussi furent-ils esloignés de toute civilité. Et à tant seroit chose fort absurde, les mœurs ayans receu polissure avec le temps, de s' arrester aux vieilles loix: Par ce que chacun doit approuver non ce qui s' observoit en son pays, ains ce qui se devoit observer. Partant il ne falloit trouver estrange qu' avec le changement des mœurs, on changeast par mesme moyen de loix: Toutesfois il se ferme en fin au party contraire, disant qu' il n' y a rien que le Magistrat doive tant craindre, que d' estre mesprisé des siens: Inconvenient auquel il peut aisément tomber, introduisant nouvelles loix, ausquelles le peuple ne se pouvant aisément accommoder, il s' accoustumoit aussi de n' obeyr. Davantage que les vieilles loix s' estans tournees en coustume, elles se tournoient tout d' une suite en nature, joint que ce qui estoit d' une longue main empraint dedans nous, estoit beaucoup plus aisé à digerer, ores que moins bon, & les ordonnances, quelque fruict qu' elles nous promissent, coustoient infiniement à un peuple, avant que de pouvoir tomber en usage.
Or si cette proposition est bonne pour la loy commune, encore est elle plus requise en ce qui concerne la venerable Religion, laquelle se doit au jugement des sages, plus soustenir par une longue ancienneté, que par toutes les raisons mondaines des hommes: Au contraire il faut le plus qu' il est possible en deffendre au commun peuple la dispute: Ainsi le tenoit le divin Platon au 12. de ses Loix, & sans aller rechercher autre authorité que de nostre grand Maistre: Quand nostre Seigneur Jesus-Christ demandoit au peuple s' il croyoit, il se contentoit d' un ouy, & ne vouloit point que l' on entrast en plus grande information de sa creance, respondant, Ta seule foy t' a sauvé. De cette mesme proposition est venu que nous disons en France, Laisser le Monstier où il est, c' est à dire, ne rien eschanger des anciennes constitutions de l' Eglise: Car encore que Monstier vienne de Monasterium, que nous disons maintenant Monastere, qui est le sejour & habitation des Moines: si est-ce que nos ancestres en userent indifferemment pour toutes Eglises Parrochiales, comme de fait vous voyez que l' on dit ordinairement Mener l' Espousee au Monstier, quand on meine une fille en l' Eglise pour estre espousee par son Curé. Proverbe que nous appliquons generalement à toutes mutations: Parce que toutes & quantes fois que l' on ne trouve bon quelque changement de l' ancienneté, on dit que le meilleur est de laisser le Monstier où il est. Nous devons doncques honorer ce commun dire, & nous souvenir que la ville de Marseille fut honoree entr'autres choses, de ce qu' ayant un vieux glaive enroüillé sur l' une de ses portes, il n' estoit permis au bourreau d' en prendre un autre pour decapiter ceux qui estoient condamnez à mort. Il ne faut rien eschanger de ce que une longue ancienneté a approuvé en une Religion, voire jusques aux paroles mesmes. De nostre temps Sebastian Castalion pensant mieux parler Latin que les autres en sa traduction du vieux & nouveau Testament, voulut mettre en usage le mot de Genius, au lieu de celuy d' Angelus, & son œuvre en fut condamné par tous. Il n' y a rien en cela qui puisse estre mieux descouvert qu' en ce mot de Verbe, qui nous est si familier, voulant exprimer la grandeur incomprehensible de Dieu en nostre Eglise: Quand en l' Evangile de S. Jean on usa du mot de *grec (Sophos), cette diction avoit beaucoup plus grande energie que celle de Verbum Latin que le traducteur mist en œuvre. Et de fait Lactance Firmian au 9. livre de ses Institutions divines, n' a douté d' en faire un chapitre exprés qui est le 3. Quod melius (porte le tiltre) à Graecis *grec quam à Latinis Verbum, & à la suitte de cela. Sed melius Graeci *grec dicunt, quam Verbum sive sermonem: *grec enim & sermonem significat, & rationem: Quia ille est vox & sapientia Dei. Le traducteur ne pouvant rendre en Latin un mot autant significatif que le Grec, y employa seulement celuy de Verbum, beaucoup moindre que l' autre. Toutes-fois le temps luy a donné telle façon, & emphase en nostre Religion, qu' il n' y a mot Grec, Latin, François, Italien, ou Espagnol, qui arrive à la grandeur de cestuy-cy: & qui voudroit user du mot de Sapientia pour Verbum, il gasteroit tout. Le semblable adviendroit en celuy qui voudroit appeller le vieux & nouveau Testament, vieille & nouvelle Alliance: Car la verité est que le mot Hebrieu signifie vrayement Alliance, & le lieu qui nous a enseigné de dire Testament, a esté par la traduction des huit, 9. & 16. chapitres de l' Epistre de S. Paul aux Hebrieux, où le traducteur a usé du mot de Testament, non d' Alliance: Paradventure pour autant que l' une & l' autre Alliance se fit par le sacrifice premierement que Dieu voulut estre fait d' Isaac par Abraham son pere (vray qu' il luy retint la main) puis de Jesus-Christ son fils, & qu' en telles occurrences nos dernieres volontez sont appellees Testamens: Tant y a que ce mot ayant gaigné cours, & credit par succession de temps entre nous qui voudroit aujourd'huy traduire soit en langue Latine, ou Françoise le mot Hebrieu en sa naïfve signification, qui dit Alliance, il seroit reputé Schismatique. A peu dire, jamais chose ne fut mieux dite que ce que disoit Quintilian en son premier livre, de ces paroles, qu' une ancienne Religion a authorisees. Ea mutari vetat Religio, & consecratis utendum.
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