sábado, 5 de agosto de 2023

8. 23. De quelques proverbes François tirez des Monnoyes.

De quelques proverbes François tirez des Monnoyes.

CHAPITRE XXIII.

A tout seigneur, tout honneur, dit le peuple: A la mienne volonté que tous ceux qui prendront, ou apprendront de moy quelque chose, y procedent de mesme rondeur que je fay. Car desja ay-je senty en mon ame quelque affliction de ceux qui se son faits riches dans leurs œuvres à mes despens sans me nommer. J' ay ouy dire maintesfois qu' un homme est marqué à l' A, quand on le veut qualifier tres-homme de bien, & si sçavois bien que cela estoit emprunté des monnoyes: Mais par ce que Henry Estienne en son livre de la Precellence de la langue Françoise en a fait estat, je ne seray marry d' en faire icy mention. En toutes les villes esquelles il est permis de forger monnoyes, on les marque par l' ordre abecedaire selon leurs primautez, a fin que si elles se trouvent trop foibles d' alloy, ou de poids, on se puisse addresser contre les Maistres des monnoyes des lieux. Paris pour estre la Metropolitaine de la France, est la premiere, & pour cette cause la monnoye que l' on y forge est marquee à l' A. Et d' autant que les Monnoyeurs de ce lieu là peuvent estre esclairez de plus pres par les Generaux des monnoyes qui y resident, on y a tousjours fait monnoye de meilleur alloy, & poids qu' és autres villes. Qui a donné cours à cest adage. De mesme façon disons nous que celuy qui forge la fausse monnoye donne un souflet au Roy, plus par une metaphore, que proverbe: Et encores, il est descrié comme la vieille monnoye, pour un homme qui est en mauvaise reputation parmy le peuple: Mais je diray pour ce dernier, que le Proverbe ne me plaist point: Car comme nos affaires vont par la France, la vieille monnoye est meilleure que la nouvelle, laquelle depuis une centaine d' ans va tousjours en affoiblissant.

Les Monnoyes d'or & d'argent

8. 22. De ce que par maniere de gausserie on appelle Puceaux ceux qui au soufle de leur haleine r'allument une chandelle esteinte.

De ce que par maniere de gausserie on appelle Puceaux ceux qui au soufle de leur haleine r'allument une chandelle esteinte.

CHAPITRE XXII.

Toutes & quantesfois qu' il advient qu' une chandelle, ou bougie esteinte est r'allumee par l' un de nous au soufle de nos haleines, une, deux, ou trois fois selon la force de la meche, ou luminon, où il reste quelque peu de feu, nous disons en gaussant que si c' est une homme, qu' il est puceau; si une femme, qu' elle est pucelle: Mais dont peut proceder cette drolerie de langage? Car ainsi suis-je contrainct de l' appeller. Il ne faut rechercher ne livre, ne histoire pour en rendre raison. Mon opinion est que quiconque donna cours à cette rencontre, estoit tout de contraire advis à celuy de Tertullian, lequel au premier livre qu' il escrit à sa femme, dit que la veufve a plus de peine de maintenir sa chasteté, que la pucelle, sa virginité. D' autant qu' il est aisé de ne souhaiter ce que vous ne sçavez & tout d' une suitte de resister à ce que ne desirastes jamais: Au contraire qu' il y a plus de gloire en celle qui sent son mal pour avoir fait experience du bien. En bon langage il en parle comme si une vierge ne sentoit les aiguillons de la chair, pour n' avoir esté mise en œuvre. Leçon qu' elle aprend de soy mesmes, par les instincts de la nature avec la promotion de ses ans. Quant à moy je pense qu' encores qu' en la copulation charnelle de l' homme & femme, il y a grande volupté, toutesfois que celuy qui ne l' a esprouvee que par imagination, la pense cent & cent fois plus grande qu' elle n' est. Pour le moins le recognoist-on en ces amoureux transis, lesquels apres avoir fait mille tours de cinges devant leurs maistresses, pour parvenir au poinct par eux pretendu, quelque temps apres qu' ils y ont attaint, se trouvent plus refroidis, qu' ils n' avoient esté auparavant eschauffez à la poursuitte de leur sottie. Et de fait le mesme Tertullian ne s' esloigne pas beaucoup de mon opinion, quand en son exhortation à la chasteté, il dit que la premiere felicité de la femme gist en sa premiere virginité, c' est à dire de n' avoir cognoissance de ce dont on est puis apres bien aise d' estre deliuré: comme s' il eust voulu dire qu' apres que ces premiers feux sont esteins en nous par l' attouchement mutuel, nous commençons de les mespriser. Ce qui n' advient pas à ceux qui mesurent ce plaisir par la seule imagination. Il n' y a rien en quoy Nature ait esté si sage, qu' és semences de cest appetit furieux, qu' elle espandit dans nos cœur. Remettez devant vos yeux les incommoditez enchainees qui se trouvent au mariage, une liberté que l' on captive soubs la servitude de tel, ou telle, que ne cognoissiez que d' un mois, qu' il faut que vostre vie soit attachee aux imperfections d' un autre, & les supporter dissimulément pour viure en paix. Que vostre honneur despende de la folie d' une femme au contraire que la sagesse d' une femme soit le plus du temps exposee soubs la tyrannie d' un sot, la grande despence necessaire qui est à la suitte de ce mesnage, beaucoup plus grande que d' un garçon. Brief que le plus grand fruict de vostre mariage despend des enfans, lesquels plus vous aymez, plus produisent-ils d' amertumes dedans vos ames, par leurs desbauches, leurs morts, le soing de leurs advancemens. Et au bout de cela, que c' est à la vie, & la mort qu' il en faut estre logé là. Remettez dis-je d' un esprit calme, toutes ces perplexitez devant vos yeux, vous fuyrez le mariage comme un escueil, ou precipice de vostre bien en malaise, & faudra vous y allecher par privileges, ou contraindre par amendes extraordinaires. Qui nous y semond doncques, & nous faict oublier tout cela? Cette furieuse apprehension du plaisir de l' homme à la femme, vray chef d' œuvre de la Nature, pour s' immortaliser en ses especes mortelles par une surrogation de l' un à l' autre: & cette apprehension estant beaucoup plus violente devant l' effect, qu' en apres: aussi est-il plus facile de le renouveller de jour à autre dedans nous, ores, ou que par la crainte de Dieu, ou de nostre honneur, nous les voulions amortir: Et tout ainsi que ce renouvellement advient aux feux interieurs de nos ames, par les objects qui se presentent devant nous, aussi pour venir au subject de ce present chapitre par une belle metaphore voulut-on appeller puceaux, ou pucelles ceux, ou celles, qui en souflant r'allument une chandelle esteinte, en laquelle il reste quelque feu en la meche

De ce que par maniere de gausserie on appelle Puceaux ceux qui au soufle de leur haleine r'allument une chandelle esteinte.

8. 21. Sainct Denis Mont-joye

Dont vient ce cry public, Sainct Denis Mont-joye, que l' on dit avoir esté autresfois usurpé par nos Roys en champ de bataille.

CHAPITRE XXI.

Il y a en chaque Republique plusieurs histoires que l' on tire d' une longue ancienneté, sans que le plus du temps l' on en puisse sonder la vraye origine, & toutesfois on les tient non seulement pour veritables, mais pour grandement auctorisees, & sacrosaintes. De telle marque en trouvons nous plusieurs tant en Grece, qu' en la ville de Rome: Et de cette mesme façon avons nous presque tiré entre nous, l' ancienne opinion que nous eusmes de l' Auriflame, l' invention de nos fleurs de lys, que nous attribuons à la Divinité, & plusieurs autres telles choses, lesquelles bien qu' elles ne soient aidees d' autheurs anciens, si est-ce qu' il est bien seant à tout bon citoyen de les croire pour la majesté d' un Empire. Et sous cette mesme creance, à mon jugement s' est insinuée entre nous l' opinion que le commun peuple a, que nos Roys anciennement en une affaire presente, & au meillieu d' une bataille avoient accoustumé quasi pour un mot solemnel de dire Sainct Denis Mont-joye. Comme mesmes Jeanne la Pucelle respondit à ses Juges, lors qu' ils luy improperoient qu' apres qu' elle fut blecee devant Paris, elle fit une offrande de ses armes à S. Denis, par forme de gloire & orgueil, elle respondit sagement que ce qu' elle en avoit fait, estoit par devotion seulement. D' autant que sainct Denis estoit le commun cry de la France en la bouche de ceux qui se trouvoient en telles meslees, Sainct Denis Mont-joye. Or dont ce mot ait pris son origine, je ne l' ay jamais leu dans les vieux autheurs, j' entends de ceux qui nous sont de quelque merite. Maistre Raoul de Presles en la preface qu' il a faite sur les livres de S. Augustin de la Cité de Dieu, par luy traduict, qu' il addresse au Roy Charles sixiesme, dit sur le subject qui s' offre telles paroles: Clovis premier Roy Chrestien combattant contre le Roy Dandat, qui estoit venu d' Allemagne aux parties de France & qui avoit mis & ordonné son siege à Conflans saincte Honorine, dont combien que la bataille commencee en la vallee, toutesfois fut-elle achevee en la montaigne, en laquelle est à present la tour de Mont-joye, & là fut pris premierement, & nommé vostre cry en armes c' est à sçavoir Mont-joye S. Denis. Ces paroles sont mal couchees, lesquelles je ne vous ay rapportees à autre fin, que pour monstrer que du temps de Charles sixiesme cecy estoit tenu pour familier en la bouche de nos Roys. Et au surplus que maistre Raoul le rapportoit au Roy Clovis, comme aussi font tous les autres. Vray que plusieurs sont en doute de l' occasion pour laquelle Clovis usa de ce mot Mont-joye: & semble aucunement que cest autheur le vueille attribuer à cette montagne, en laquelle il dit estre situee cette tour. Toutesfois quelques uns sont d' advis que Clovis ayant esté par plusieurs fois admonnesté de sa femme Clotilde de recevoir le S. Sacrement de Baptesme; finalement s' acheminant à la guerre qu' il eut contre les Allemans, il luy promist qu' en cas de bon succés de ses affaires, il accompliroit son vouloir. Parquoy se trouvant pendant le conflict & pesle mesle de la journee de Tolbiac en grand danger de sa personne, reclama soudainement le sainct grandement reveré en France, & que nous appellons nostre Apostre, qui est S. Denis, disant S. Denis mon Iouecomme s' il eust voulu dire, qu' en cas que S. Denis eust favorisé son entreprise, il l' eust de là en avant reveré comme son Jupiter (Ioue, Jove, Iovis, Jovis), que lors comme Ethnique il adoroit sur tous les autres Dieux: Et que depuis on avroit fait de Mon Jove, un Mont-joye comme par succession de temps il est aisé d' eschanger plus estrangement les paroles. Cettecy est l' opinion de Messire Robert Cenal Evesque d' Auranches en ses Perioques de la Gaule. Toutesfois si en cecy la divination est excusable, je croirois (si tant est toutesfois que Clovis ait esté premier autheur de cette parole) que si lors de cette necessité (qui fut certes l' une des plus grandes que courut jamais ce brave Roy) il invoqua l' aide de S. Denis, il usa du mot de Mont-joye sans aucun changement, comme s' il eust voulu dire que S. Denis estoit sa joye, son espoir, & consolation, & auquel il avoit toute sa fiance, usant toutesfois d' un article impropre de mon pour ma, ainsi que nous voyons les Allemans, Anglois, Escossois pratiquer assez souvent, lors qu' ils n' ont parfaite information de nostre Langue, comme il est à presumer qu' estoit Clovis, qui jamais n' avoit fait estat que des armes entre ses gend'armes François, la plus part desquels estoient extraicts du pays de la Germanie: Ainsi ayant esté mis ce mot en avant par Clovis, par le moyen duquel il pensa que ses affaires demy desesperees, luy reussiroient à bon effect: Les Roys qui de luy furent successeurs, s' attachans estroictément à cette parole, comme sacree & pleine de grand mystere, la mirent semblablement en œuvre, lors qu' ils se trouverent pressez en quelque rencontre de guerre, sans juger s' il falloit dire ma joye, plustost que mon-joye