De trois chaires publiques fondées en l' Université de Paris, sur le modelle des Royales, par trois personnages de privée condition.
CHAPITRE XIX.
Le Roy François premier de ce nom par son introduction nouvelle des Professeurs, fit un trait digne de soy, & apres nostre Roy Henry le grand. Maintenant vous en veux-je raconter un autre d' un simple escolier, que trouverez digne de Roy. Celuy dont j' enten parler est Pierre de la Ramée, qui en Latin voulut estre appellé Ramus, lequel par son testament du 8. Aoust 1568. d' un cœur Royal ordonna un lecteur és Mathematiques en nostre Université. Ce docte homme avoit par un long travail de quarante cinq ans tiré de son espargne cinq cens liures de rente à prendre sur l' Hostel de ville de Paris, dont il legua cent liures à un sien Oncle maternel, cent autres à un sien nepueu enfant de sa sœur uterine, & les cinq cens liures restans à celuy qui par son sçavoir se trouveroit le plus digne de la Chaire de Mathematiques. Vray que tout ainsi que pendant la vie il avoit entretenu ses Estudes par diverses contentions d' esprit, tantost contre Aristote par ses Animadversions Aristoteliques, tantost contre Ciceron, par ses questions Brutines, tantost contre Euclide, luy voulant enseigner une plus seure methode que celle qu' il avoit observée en ses œuvres, aussi fit il le semblable par son testament. Car il voulut que de trois en trois ans par nouvelles disputes qui seroient faites au College de Cambray, cette place fust adjugée à celuy qui se trouveroit emporter le dessus. Disputes (dy-je) qui seroient faites, Praesentibus, aut certe rogatis atque invitatis, Senatus Praeside primo, primoque Oratore regio, tum mercatoram praefecto, deinde professoribus Regijs, omnibusque omnino quibus interesse libuerit.
Et peu apres. Ex omnibus examinatis, qui iudicio professorum Regiorum, omniumque Matheseon peritorum, aptißimus ad Mathematicam Profeßionem videbitur in triennium proximum, deligitor.
Et au bout de tout cela il baille la charge de son execution testamentaire à Maistre Nicolas Bergeron & Anthoine Loisel, Discipulis quondam meis (porte le texte) modo advocatis in Senatu. Quibus quod ad quingentarum librarum vectigal attinet, decanum Regij Collegij adiungo, & mortuis substituo. Brave, grande, & magnifique ordonnance, qui merite d' estre gravée en lettres d' or au plus haut du temple d' Honneur. Toutesfois pour vous en dire librement ce que j' en pense, je crains qu' elle ne se tourne en friche. Et de ce en ay-je quelque appercevance. Car quelque diligence que Loisel y ait voulu apporter depuis le decez de son compagnon, & y apporte encores aujourd'huy, je voy les assemblees qui se sont faites à sa poursuite, reüssies presque à neant, tant sont les volontez refroidies en l' Estude des Mathematiques.
J' avois achevé ce Chapitre, & mis entre mes memoriaux, en attendant de le faire voir au peuple, lors qu' en reimprimant mes Recherches, je les augmenterois de ce neufiesme livre, quand voicy deux nouveaux guerriers qui se sont mis sur les rangs, en bonne devotion de terrasser nos adversaires, Maistre Claude Pelgé cy devant Conseiller du Roy, & Maistre en sa Chambre des Comptes de Paris, & Maistre Jean de Rouan à present proviseur du College du Thresorier de nostre Dame de Rouen. Celuy là qui apres avoir fait plusieurs longs services à nos Roys, s' estant demis de son estat, & espousé une vie, sinon solitaire pour le moins esloignée de l' ambition & avarice en cette honneste retraite, voyant, ainsi que luy mesme m' a dit, que plusieurs se detraquoyent du vray chemin de nostre foy & Religion, par faute d' entendre la saincte escriture, pour remedier à ce mal a voulu fonder une lecture en Theologie, aux Escoles exterieures du College de Sorbonne, pour y lire le vieux & nouveau testament, selon l' exposition des Peres & saincts Docteurs de l' Eglise, Hebrieux, Grecs, & Latins: à cette fin a donné six cens liures de rente au denier seize, les cinq cens pour celuy qui seroit appellé à cette charge, & les cent liures restans pour le College de Sorbonne, à condition qu' il seroit tenu d' eslire un Docteur de la maison, capable de faire cette leçon, par contract fait le 26. Septembre 1606. & par autre du 14. Aoust. 1612. Et neantmoins cette fondation n' a lieu qu' apres le decés du fondateur. Vray que dés à present il a choisi du consentement de Messieurs de Sorbonne, Maistre Jean Dautruy, lors Bachelier de la premiere Licence, & maintenant Docteur en Theologie, pour commencer cette lecture, moyennant certaine moderee pension. Docteur en Theologie, vous dis-je, jeune de reception, mais ancien d' erudition, comme l' on peut recueillir, tant des leçons par luy faictes en sa nouvelle profession és Escoles de Sorbonne, que par ses predications aux Eglises. Car à Maistre Jean de Rouan, apres avoir regenté & enseigné la jeunesse en divers Colleges, l' espace de quarante ans, que plus, que moins: & specialement les quatre dernieres annees à Harcour, avecques un applaudissement de trois ou quatre cens Escoliers, en fin creé proviseur du College du Thresorier, il l' a voulu renvier, & pousser de sa reste sur les deux premiers. Dautant que par contract passé pardevant sainct Wast & Fardeau, Notaires au Chastelet de Paris le 20. Octobre 1612. entre Messieurs de la Sorbonne & luy, il instituë tout ainsi que Pelgé, un Docteur de leur societé (je vous insereray icy mot pour mot les mots substantiaux du contract) qui soit tenu d' enseigner en leurs Escoles les cas de conscience, & non autre partie de la Theologie, mais d' une liberalité admirable eu esgard à sa qualité, leur paye & deliure content la somme de mille six cens liures, dont ils seroient tenus de faire six cens livres de rente au denier seize, suivant l' Edict; a sçavoir cinq cens liures en faveur du professeur, qui disent par chacun quartier cent vingt cinq liures, & les cent liures restans, appliquables au profit de la societé, & congregation de Sorbonne, laquelle recognoist avoir receu de luy manuellement sur le champ aux especes plus amplement specifiees, cette somme de neuf mille six cens liures. Et moyennant ce promet payer la rente de cinq cens liures aux termes accoustumez à ceux qui par cy apres seront appellez à cette chaire. Lequel de Rouan cognoissant l' experience qu' avoit Maistre Pierre le Clerc, Docteur en Theologie de la dite societé de Sorbonne, pour avoir depuis plusieurs annees continué la lecture des cas de conscience, le dit fondateur l' a nommé pour Lecteur & Regent de la profession par luy fondée, pour lire chacun an les dits cas de conscience, & non autre partie de la Theologie. Veut & entend que mesme lecture facent ceux qui succederont apres le dit sieur le Clerc à la profession & regence du dit sieur de Rouan. Et le cas advenant que le dit sieur le Clerc vienne à deceder, ou se desister de sa dite profession, le dit sieur fondateur ordonne, qu' il soit pourveu par le Prieur, Senieur, & autres de la societé de la dite maison & College de Sorbonne, d' un autre Docteur pris de la dicte maison & non d' ailleurs, qu' ils jugeront suffisant & capable en leurs consciences, sans faveur ny brigue aucune: qu' à la dite election apres le decés du dit fondateur, soit appellé le proviseur du College du dit Thresorier, qui sera lors en charge. Et finalement que cette profession & regence soit par la posterité appellée la chaire ou profession du sieur du Rouan fondateur, & que ces termes soyent portez par les elections qu' on fera à la pluralité de voix sans brigue ny faveur, d' un docte & sçavant Theologien entre les Docteurs de la dite maison & societé de Sorbonne. Car ainsi a esté convenu entre les parties.
Clause derniere en laquelle je trouverois je ne sçay quoy de vanité, n' estoit que cette ambition est fondée sur une noble institution, à laquelle selon mon jugement peu d' autres de l' Université se peuvent apparier, qu' un simple Escolier (car ainsi veux-je appeller celuy qui n' eut jamais plus ample qualité, que de proviseur d' un petit College) se soit pendant sa vie, suum defraudans genium, despoüillé du peu d' espargne qu' il avoit faite par ses longues vielles & lectures. Et vrayement cest honneste homme en se deterrant s' est basty non un tombeau, ains un Colosse, par lequel il se voit dés son vivant jouïr du fruit de la gloire immortelle, dont la posterité l' honorera apres son decez. Et qui est une observation par moy faite qui ne doit estre escoulée sous silence, c' est que le premier College de l' Université est celuy de Sorbonne esclos l' an 1253. & le second celuy du Thresorier fondé l' an 1269. Or est-ce la verité qu' entre les traits dont Maistre Robert de Sorbonne nous fit part, le plus celebre fut celuy où il discourt les cas de nos consciences, duquel je vous ay representé un eschantillon au Chapitre du College de Sorbonne. Et maintenant apres plusieurs revolutions d' années par une sainte fatalité, le proviseur du second College a institué un Docteur particulier, pour nous en elaguer les chemins. En honorant ce troisiesme je n' entens en rien deroger à l' honneur ny du premier ny du second. Chacun d' eux merite son laurier: mais par ce que la pleine execution du second contract demeure en suspens jusques apres le decez de Pelgé, je parleray seulement du premier & du dernier.
On ne sçavroit assez trompeter la memoire de Ramus, qui par une hardiesse royalle ouvrit le premier la porte aux particuliers, pour les semondre & inviter à creer des Professeurs publics, mesme ait choisi la profession des Mathematiques: toutesfois si j' en suis creu, le dernier s' estant mis en bute la Theologie, se peut vanter d' avoir un advantage sur luy, de tant que le ciel est par dessus la terre. Ramus par son testament ordonna la chaire des Mathematiques pour jouïr de cinq cens liures de rente apres son decez: qui est selon le jugement des Sagemondains, disposer du bien de ses hoirs, non du sien. Et ce dernier a mis dés son vivant sa liberalité à effect. Le premier assigna la pension annuelle de son Professeur sur les rentes courantes de l' Hostel de Ville de Paris. Qui peuvent à la longue selon la calamité des temps faire faillite, ainsi que nous en avons senti quelque espreuve, par le moyen de nos derniers troubles. Or le dernier a assigné sa liberalité sur le fonds du College de Sorbonne, laquelle partant ne peut prendre fin que par la fin du mesme College. Et finalement cettuy-cy veut que son Professeur soit esleu par la Societé de Sorbonne, & jouïsse du benefice de leur election tout le demeurant de sa vie. Qui n' est pas un petit secret pour bannir les brigues tumultuaires. Et au regard de Ramus, il voulut, que de trois en trois ans on procedast à l' election d' un Mathematicien, n' apportant moins de zele que le dernier, en la police par luy ordonnee. Mais de malheur je ne voy qu' en la sienne il y ait Juges competans pour juger des coups. Et qui est l' accomplissement du mal, c' est qu' apres le trespas de ses deux executeurs testamentaires, il leur surroge le Doyen des Professeurs du Roy; Doyenné qui ne s' acquiert, ny par le merite des lettres, ny de la preudhommie, ains par l' ancienneté de promotion. Place que je voy non seulement tomber en decadence, ains celles mesmes des Professeurs du Roy, lesquelles sur leur commencement se bailloient à personnages de choix, qui par leurs livres, ou longues leçons, avoient acquis reputation, & depuis par le malheur du temps c' a esté un autre discours. Et dont est ce desarroy procedé, je le vous discourray en peu de paroles par le Chapitre suivant.