De quelques memorables Bastards qui ont esté en ceste France, & autres discours de mesme subject.
CHAPITRE XLIV.
L' opinion de quelques uns est, que les Bastards sont naturellement plus forts & plus vigoureux, que les enfans procreez en loyal mariage: & rendent raison de cecy, d' autant que la grande, & continuë frequentation qu' il y a du mary à la femme, les rend plus tiedes & nonchalans au mestier de faire enfans, comme chose à quoy ils doivent satis-faire plus par maniere d' acquit qu' autrement. Au contraire les autres qui n' y vont que par emprunt y apportent leurs corps, leurs esprits, & leurs ames sans exception & reserve. Que ceste raison soit vraye ou non, je m' en rapporte à ce qui en est, pour le peu d' interest que j' y ay: Mais tout ainsi que j' ay voüé la fin du precedent Chapitre à une grande Dame, je veux aussi donner cestuy à quelques genereux Bastards. Grande chose, que la plus part des grandes Monarchies ayent pris leur commencement, ou advancement des Bastards. De ceste marque furent Romule fondateur de l' Empire de Rome, Theodoric Ostrogot Roy d' Italie, Gentzeric Roy des Vandales, Artaxerxes, qui du temps de l' Empereur Alexandre transporta la Monarchie des Parthes aux Perses, Artus Roy de la grand Bretagne. Or entre les nostres je vous mettray premierement Theodebert Roy de Mets, lequel premier de tous les François fit trembler l' Italie: en apres Clotaire second, fils de Fredegonde: Car encores qu' il fust conceu pendant le mariage d' elle avecques le Roy Chilperic, & que pour cette cause il ait esté reputé enfant legitime par toute la posterité: Toutes-fois ny Gontran Roy d' Orleans, frere du deffunt Roy, ny plusieurs autres du mesme temps ne le pouvoient bonnement croire. Comme vous le trouverez en mots couverts rapporté par Gregoire de Tours, encores que par la conduite & magnanimité de sa mere tout le Royaume luy fut depuis conservé. Le troisiesme Bastard dont nous ne faisions point de doute fut Charles Martel, lequel bien qu' il ne portast jamais tiltre de Roy, si sceut-il commander aux Roys, & est celuy auquel la seconde lignee de nos Roys doit sa promotion en grandeur: Car quant à Guillaume Duc de Normandie, qui conquit l' Angleterre, la qualité de Bastard que nos anciennes Histoires luy baillerent, monstre qu' il n' estoit extraict de loyal mariage, & en dernier lieu nous ne sçavrions assez haut loüer Jean Comte de Dunois, Bastard d' Orleans, auquel nous devons la closture du restablissement de l' Estat sous Charles VII. Mais oserois-je adjouster avec tous ceux-cy, ce grand Clovis, qui nous fut un autre Hercule? Nos anciens le couchent entre les legitimes, toutes-fois ils ne s' advisent pas qu' en faisant le recit de sa vie, ils chantent tout le contraire. Qu' il ne soit vray, ils sont tous d' accord que Childeric ayant esté chassé du Royaume pour ses extorsions & tyrannies, se retira à Toringe, où ayant esté honorablement accueilly du Roy, il devint amoureux de la Roine Bazine sa femme: Tellement qu' estant depuis rappellé par les François, il l' enleva, & espousa, violant par ce moyen tout droict de gens, & d' hospitalité: toutes-fois de ce mariage nasquit ce grand Clovis, & paravanture que cette Dame fut à ce faire induite par une taisible cognoissance qu' elle avoit des choses futures, prevoyant le grand bien qui devoit provenir de ce mal: D' autant que tous nos Historiographes sont d' accord qu' à la requeste de cette Princesse leur premiere nuict se passa sans aucun jeu de mariage. Priant son mary de vouloir considerer ce qu' il pourroit voir en la Cour de leur Palais: Ce à quoy condescendant, il rapporta à sa femme avoir veu trois diversitez d' animaux, dont les premiers estoient Licornes, & Lyons, les deuxiesmes Ours, & Loups ravissans, & les troisiesmes des petits Chiens qui s' entremordoient l' un l' autre. Lesquelles visions rapportees par le mary à sa femme, elle luy dit que tout cela representoit l' image de la posterité qui descendroit d' eux: parce que les premiers, d' un cœur genereux representeroient des Lyons, & bien que les seconds fussent forts & puissans, toutes-fois il n' y avroit en eux le cœur, & la valeur des premiers, & les derniers par leur neantise succomberoient. Et ainsi comme elle predit, il advint: Car la France, comme j' ay dit, ne porta jamais plus grand Prince que Clovis, & se trouve que ses descendans allerent en ravalant selon la prediction de cette Princesse. Qui me fait dire que prevoyant le grand Prince qui devoit provenir de ce mariage, elle abandonna son premier mary, pour adherer au second. Voila le jugement que j' en fais, un autre fera jugement du mien tel qu' il luy plaira. Bien vous veux-je reciter icy une autre Histoire, qui ne s' esloigne de cette-cy, encores que ce ne fust entre personnes de pareille estoffe. On trouve aux Histoires de Perse (j' entends durant l' Empire de Rome) qu' un Panachius pauvre couroyeur, qui avoit quelque cognoissance des choses à venir, ou par les astres, ou par la familiarité qu' il avoit avec les Demons, un jour entr'autres, passant un advanturier par sa maison, nommé Samnes, il cogneut que de sa semence devoit issir un enfant, qui arriveroit à la Monarchie, & comme cestuy hebergeant en sa maison, ils familiarisassent ensemble, Panachius se plaignit à luy qu' il ne pouvoit avoir enfans de sa femme, & contre tout devoir marital le sollicita de prendre pour une nuict son lict, ce qu' ayant esté gayement accepté par le soldat, il engrossa sa femme d' un enfant, qui fut nommé Artaxerxes, lequel depuis par son heur & vaillance se fit couronner Roy, & transporta l' Empire des Parthes aux Perses dont il estoit. Je ne veux asseurément dire que cette mesme science fust en la Roine Bazine: Mais tant y a que je n' ay point dit cy-dessus sans cause qu' elle nous produisit un autre Hercule: Car tout ainsi que Hercule Gregeois extermina les monstres du monde, aussi Clovis d' une mesme hardiesse chassa les Romains des Gaules sans esperance de retour, rendit les Bourguignons à soy tributaires, expulsa de l' Aquitaine les Visigots, & reduisit sous son obeïssance toute l' Allemagne. Chose auparavant attentee, mais non jamais mise à fin par le Romain: & à peu dire, il n' y eut oncques un tout seul de ses successeurs, qui vint au parangon de luy. Car quelque valeur qui depuis fut en Charlemagne sous la seconde lignee, mon opinion est qu' il n' eust osé s' apparier à luy, s' ils fussent tombez en mesme temps.