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lunes, 22 de mayo de 2023

CHAPITRE XII. Des Normans, nouveau peuple de la Germanie, qui occuperent quelque partie de nostre Gaule.

Des Normans, nouveau peuple de la Germanie, qui occuperent quelque partie de nostre Gaule. 

CHAPITRE XII. 

Il sembloit que l' Allemaigne deust demourer quoye dans ses fins, & limites: ayans au declin de l' Empire les Alains, Vandales, Bourguignons, Visegots, Ostrogots, François, Anglois, & Lombards (car je voy qu' indifferemment l' on confond ces pays soubs la Germanie, encores qu' il y en eust quelques uns qui en fussent seulement voysins) jetté leur feu & donné plusieurs tesmoignages de leur vaillantise, toutesfois restoient encor les Daciens ou Danois à faire monstre de leur vertu. Ceuxcy du temps de Theodebert Roy de Mets, feirent quelques courses contre les Thoringiens. Depuis ce temps leur nom ne fut grandement renommé en la France, jusques au regne de Charles le grand, auquel temps ils n' attenterent aucune chose contre la France. Bien est vray, qu' ils degasterent en la Germanie ou Allemagne (ces mots nous sont pour le jourd'huy indifferens) quelques pays de noz appartenances: mais craignans la fureur de nostre grand Roy, meirent bride à leurs entreprises, espians temps plus opportun, qui se trouva soubs le regne de Charles le Chauve, auquel ceste grande ardeur des Martels se trouvoit ja toute refroidie. Et encor d' avantage soubs Carloman, qui fut contrainct pour obtenir d' eux quelque relasche, par une paix ignominieuse leur promettre douze mille liures de tribut. Durant laquelle saison pour les partialitez qui voguoyent entre les Roys d' Angleterre, donnerent plusieurs affaires aux Anglois, le plus du temps rapportans d' eux plusieurs belles despoüilles & victoires, & quelquesfois s' enfuyans avecques leur courte honte, selon que le vent de guerre leur donnoit en pouppe, ou non. En quoy ils poursuivirent leurs desseins avecques telle, opiniastreté, qu' en fin de jeu, ils demeurerent maistres du tablier, c' est à dire paisibles du Royaume d' Angleterre, par l' espace de vingt & huict ans, soubs leur Roy Suenon & son fils Danut. Les heureux succés, qu' ils avoient en ceste coste d' Angleterre, occasionnerent quelques autres de leur nation à semblable ravage en la France. Partant soubs la conduite de Raoul s' achemina à ce degast une grande quantité de Danois appellez Normans pour autant qu' au pays de Dace, ils tenoient le quartier du Septentrion. C' estoit chose assez familiere aux Germains de se forger nouveaux noms, selon les bandes qui se liguoient ensemblemment pour entreprendre nouveaux voyages: comme j' ay discouru cy-dessus du François & de l' Alemant: qui est la cause, pour laquelle les anciens n' ont eu aucune cognoissance de ces Normans, non plus que des François & Allemans. Vray qu' Adon Evesque de Vienne, qui attoucha presque ce temps là, & qui a conclud son Histoire en la vie de Charles le Simple, faict mention souz Charlemaigne d' un Vvitigincg Prince Saxon, lequel, pour evader le courroux de ce grand Roy, s' enfuit avec quelque trouppe des siens, en Normandie: Et en la vie du Chauve il tesmoigne qu' il eut plusieurs grands affaires à demesler, avec les Danois & Normans. Qui me faict esbahir pourquoy Raphaël Volaterran (homme en toutes choses de grande leçon toutesfois) ne veut extraire de la Germanie, ou de Dace, les Normans, ains les dict être venus du païs mesmes de la Gaule, d' un peuple par les anciens appellé Romanduens: ayans comme il dict, faict de ce nom Romand, par corruption de langue, un Normand. Estant doncques les Normans (pour retourner au premier fil de mon propos) arrivez en ceste contree avecques leur Capitaine Raoul, si oncques la France se trouva faschee par le trouble de gens estrangers, certainement ce fut lors. Et encores la chose qui plus nous donnoit à penser estoit, que nous estions maniez par un Prince environné de toutes pars, d' affaires, mesmes contre les siens, d' ailleurs, un Prince, qui pour son peu de sens & conduitte, feut de nous appellé le Simple. Au moyen dequoy entre tant de divorces il ne feut mal-aisé aux Normans de nous donner mille traverses. Ils coururent toute la riviere de Loire: prindrent les villes de Nantes, Tours, & Angers, saccagerent toute la Guyenne, fourragerent une partie de la Bourgongne & des environs de Paris, meirent soubz leur obeïssance Rouen: tellement que le Roy estonné de tels degasts & ravages, feut contrainct par personnes interposees de leur demander la paix, en mariage faisant d' une sienne fille, nommee Gillette, avecques Raoul, qui moyennant ce, prendroit le sainct caractere de Baptesme: & à tant luy donnoit le Roy & à ses gens pour assiette le pays de Neustrie, lequel il recognoistroit tenir en foy & hommage de la Couronne de France. Les peuples de ceste Neustrie (afin qu' avant que m' esloigner plus loing, je discoure quelque peu sur ce nom) n' estoient par les anciens Romains appellez d' un seul mot, mais compris soubz plusieurs petites sortes de peuples, comme Lexobiens, Aulerciens, Eburociens, par le nom de chaque cité. Depuis les François arrivans en la Gaule, pour la grandeur de leur Royaume, voulurent designer leurs peuples soubz deux noms, dont les uns s' appellerent Ostriens, qui vouloit dire François Orientaux, & estoient ceux qui tenoient les parties du Rhin: & les autres Vvestriens (Westriens), c' estoient François Occidentaux qui resseoient en ceste Gaule: en la mesme façon que nous voyons que des Gots, les aucuns s' intitulerent Ostrogots, & les autres Vvisegots (Wisegots). 

Vray que pour la proximité que l' N & l' V avoient ensemble, mesmement aux anciens caracteres des François, comme il est facile de voir aux plus vieilles Chartres de plusieurs Eglises, il fut aisé par succession de temps au lieu de deux Vv, n' y en mettre qu' un, & puis d' une Vestrie faire Neustrie. De ceste ancienne division vient que vous voyez si frequente mention dans nos autheurs, du Roiaume d' Austrasie: & mesmement quand le Roy Dagobert mourut, l' on recite qu' à son aisné Sigisbert escheut le Royaume d' Austrasie, & à son puisné Clovis celuy de France Occidentale. De laquelle division y avoit encor apparence, au moins pour le regard de Neustrie, du temps de nostre Debonnaire, quand par accord faict entre ses enfans, à Lothaire escheut Rome, avec l' Italie, Provence & une partie de Lorraine: à Louys, le Royaume d' Austrasie, c' est à dire toute la Germanie jusqu'au Rhin, & quelques autres de delà: à Charles, toute la Neustrie, qui fut le pays, qui depuis luy se continuant de main en main à ses successeurs, fut par nous appellé le Royaume de France. En quoy noz Historiographes faillent assez lourdement, pour autant que parlant en ce partage de la Neustrie, ils estiment que ce soit seulement le pays que nous appellons Normandie: & neantmoins ils sont d' accord que le Debonnaire ayant laissé à son puisné la Neustrie, ses deux autres fils faschez de cet advantage, apres le decés de leur pere, luy feirent une tres-cruelle guerre, en laquelle mourut en une journee toute l' ancienne fleur des François. Comme s' il fust à presumer que Lothaire & Louys, qui estoient si richement assortis, fussent entrez en jalousie pour une si petite piece de terre, comme est la Normandie: petite, dy-je, au regard d' une Italie, ou Germanie. Parquoy falloit necessairement que soubz le nom de Neustrie, feust lors entenduë la plus grande partie des pays que nous avons depuis le regne du Chauve tousjours compris souz la France. Bien est vray que par traicte de temps, comme toutes choses se changent, d' un nom de pays general, nous en feismes un particulier, qui est celuy qui par la venuë des Normans fut appellé Normandie: estant de là en avant reiglé par Ducs (Ducs toutefois, qui recognoissoient le Roy de France pour souverain) desquels le premier fut Raoul, qui au sainct Sacrement de Baptesme eschangea son nom en celuy de Robert, Prince de grande recommandation, soit que nous considerions ses memorables faicts d' armes, soit que nous ayons esgard au commun cours de justice qu' il establit en son pays: bref, tel qu' il falloit pour donner longue continuation à sa posterité & lignee. Auquel succeda Guillaume, secondant assez en vertus & bonnes complexions sou feu pere, mais comme voulut son malheur, il fut tué par les aguets & embusches d' Arnould Comte de Flandres: qui apporta depuis quelques mutations à la Normandie. Car Louys Roy de France prenant à son advantage que cestuy avoit laissé pour heritier un sien fils aagé seulement de deux ans, pretendoit le deposseder premierement par menees, puis par inimitiez ouvertes. Dont s' esmeurent apres grandes querelles, qui s' assopirent par les frequentes desconvenuës de Louys, & finalement par sa mort. Et comme ce Duc eut deux enfans, l' un masle nommé Richard, l' autre femelle appellee Emme: à son Duché succeda Richard, qui fut second de ce nom: & pour le regard d' Emme elle fut conjoincte par mariage avec un Roy d' Angleterre: affinité, qui accreut depuis grandement la puissance des Normans. Ce Richard eut pour successeur un autre Richard sien fils, qui fut troisiesme de ce nom. Lequel estant assez tost allé de vie à trespas, le Duché tomba par droict d' heritage és mains de son frere Robert. Cestuy fut pere naturel de Guillaume, qui pour ses grandes conquestes fut surnommé le Conquerant. Lequel, ayant subjugué l' Angleterre, apprit à ses successeurs le chemin & moyen de tenir une nation mutine en bride, combien que quelque Latineur de nostre temps, qui a redigé les vies des Roys d' Angleterre par escrit, luy vueille tourner ceste grande rudesse à blasme, ne cognoissant le naturel du pays, duquel il entreprenoit l' Histoire. A la verité, encores qu' il semble que nous autres François (picquez des anciennes querelles que eusmes avecques les Normans) leurs voulions naturellement mal, & qu' en commun propos mesmement nous detestions ceux qui leur ont succedé, si faut-il que je recognoisse franchement, qu' entre toutes les nations du Ponant, depuis que les autres demeurerent calmes & tranquilles, ceste cy principalement s' adonna d' un cœur gay & magnanime, à nouvelles conquestes. En quoy fortune la favorisa tellement que de ce tige, quasi comme d' un grand sep, se provignerent deux Royaumes: en l' un desquels, qui est l' Angleterre, leur posterité dure encor: & en l' autre, qui est la Pouille & la Calabre, se continua longuement. Et qui plus est, ne tint qu' à Robert Duc de Normandie au premier voyage d' outremer, que les Roys de Hierusalem ne prinssent leur commencement de luy. Quant au Royaume d' Angleterre, la conqueste qu' en feit Guillaume, & l' Escosse qu' il reduisit soubz son vasselage, nous en rendent assez asseurez. Et posé le cas qu' en Henry son fils defaillit sa lignee aux hoirs masles, si reprit-elle racine en Mathilde fille de Henry, de laquelle sortit un autre Henry, qui tant de la succession de ses pere & mere, que du costé de sa femme, se veit en un temps Roy d' Angleterre, Duc de Normandie, & de l' Aquitaine, Comte d' Anjou, Poictou, Maine, & Touraine: qui causa depuis grands travaux à nostre France, jusqu' à la venuë de nostre Philippe Auguste, que Dieu, ce semble, envoya expressemment pour faire retrouver aux François les forces, qui sembloient être à demy esgarees par la defaillance de cœur de la plus part de noz Roys. A ce Guillaume le Bastard, combien que le Duché n' appartint, ains aux plus proches lignagers issuz de loyal mariage: ce neantmoins pour autant que Robert son pere, allant veoir le sainct Sepulchre, l' avoit recommandé à Henry Roy de France, la chose fut conduite de façon, que Robert estant decedé avant son retour, Guillaume par l' entremise de Henry succeda à tous les honneurs de son pere. Qui fut cause (voyez comme un mal-heur nous engendre quelquefois un heur) que Guischard, qui estoit selon le branchage, vray & legitime heritier, fasché du tort qu' on luy tenoit, s' achemina avec quelques compagnies Françoises & Normandes vers la Calabre & Sicile. Ces pays, comme plusieurs autres, estoient lors grandement degastez par les Sarrasins, lesquels (depuis que l' Empereur Romain eut par force osté des mains de Constantin son pupille l' Empire de Constantinople) s' estoient mis en possession de toute ceste marche: feignans de vouloir aider à Rhomain, de la subjection duquel s' estoient soubstraits les Siciliens. A cause dequoy Guischard, soubz umbre de porter faveur à nostre Chrestienté, s' acconduit à ceste entreprise avec un vent si propice, qu' au grand plaisir de tout le monde il recovrut de la main des Sarrazins toute la Pouille & Sicile. En luy prindrent commencement par une nouvelle police, les Rois de Naples & de Sicile: laquelle forme s' est perpetuee jusques à nous. Peu apres le decés de Guischard, fut à Clairmont arrestee la grande & premiere Croisade à l' instigation du Pape Urbain second. Parquoy Robert fils de Guillaume le Bastard, esmeu d' un juste devoir, engagea son Duché de Normandie à Guillaume le Roux son frere, pour entreprendre avec Godefroy de Boüillon & autres Princes Chrestiens, le voyage. Auquel il se porta si vaillamment, qu' apres la conqueste de la terre saincte il feut creé premier Roy de Hierusalem. 

Ce qu' il ne voulut accepter, pour l' esperance qu' il avoit de rentrer & en son Duché & au Royaume d' Angleterre, qui luy appartenoit de droict fil: tellement qu' à son refus Boüillon emporta seulement ce tiltre. Qui ne sont pas traicts de petite loüange, pour les Normans. Afin que ce pendant je ne passe soubz silence, que Richard, duquel Guillaume estoit trisayeul, au voyage de Hierusalem conquesta le Royaume de Chipre, dont il investit les Roys de Hierusalem, lors que leur authorité & puissance se trouva du tout anichilee, par le moyen de Saladin. En maniere qu' en un peuple Normand se trouvent presque quatre couronnes Royales, desquelles il a esté par sa vaillance possesseur: tant eut de vertu & puissance ce sang Normand, conjoinct avec l' illustre sang de France.

domingo, 21 de mayo de 2023

Chapitre VII. Des courses que firent les François és Gaules ...

Des courses que firent les François és Gaules, & comment et en quel temps ils s' en impatroniserent.

CHAPITRE VII.

La pluspart des autheurs d' Allemaigne qui se sont amusez à discovrir sur ce poinct, pensent faire grande banniere encontre nous, lors qu' ils se vantent que les François issus de la Germanie, ont pour quelque fois reduit sous leur obeïssance les Gaules. Veritablement, il faut que nous tous d' un commun accord recognoissions & confessions que ces vieux François furent gens aguerris au possible, & qui de leur proüesse donnerent maintes espreuves, non toutesfois telles, qu' il nous en faille desavantager d' aucun poinct. Et de moy, discovrant ceste affaire en mon esprit, il me semble que toutes les choses de ce monde se reglent par une entresuitte, ou pour mieux dire, par un eternel jugement de la volonté divine: tellement que tantost nous voyons les Empires être demourez en un lieu, tantost avoir forchangé de main, comme il plaist au souverain maistre: Et ceux qui furent bien grands par succession de temps être venus bien petits. Si que l' on pourroit approprier aux Royaumes, ce que le commun peuple dit des maisons nobles, qu' elles sont en cent ans bannieres, & cent ans civieres. Non toutesfois que pour cela il faille mesestimer les nations, qui curent pour quelque temps du pis: leur estant ce pis de fois à autres procuré par une generale ordonnance des affaires de ce monde. Voire qu' il semble qu' en cecy se descouvrent les justes jugemens de Dieu, qui permet, que selon la proportion & mesure que l' on a traicté ses voisins, on reçoive puis apres mesme traictement. Ce que nous voyons être advenu au peuple Romain: lequel tout ainsi qu' au temps de sa vogue se donna toute autre nation en proye, aussi luy bastant puis apres mal la fortune, se trouva être la proye de toute nation estrangere. En ceste façon nous en prit-il en la Gaule: Car tout ainsi que quelquefois du temps d' Ambigat Roy de Bourges (comme nous avons dit cy dessus) nous nous desbordasmes, tant contre l' Italie sous la conduitte de Bellovese, que contre la Germanie sous Sigovese, plantans en l' un & l' autre pays nos demeures: aussi par succession de temps l' Italien usant premierement de revange, occupa la domination sur les Gaules, & puis apres le Germain. Parquoy c' est mal balancer les affaires de rapporter à nostre deshonneur la superintendance que les François usurperent en la Gaule: veu qu' ils ne iouoyent que la revange du tort, que nous leur avions, ou à leurs compagnons, long temps auparavant pourchassé. Et au surplus il se trouvera (je dy cecy par un privilege peculier, qui nous a esté octroyé par la fortune) que l' heur de la Gaule a esté tel, que de la mesme main qu' elle a esté subjuguee par l' Italien ou Germain, ceste victoire s' est tournee à la foule & opression, voire entiere servitude de l' Italie ou Germanie, qui se vantoit être de nous victorieuse. Qu' il soit vray, n' est-il certain que Jules Cesar, qui rendit les Gaules tributaires, soudain au retour de sa grande conqueste envahit l' Empire Romain, au grand dommage & ruine de toute la liberté, ainçois de toute la chose publique Romaine? Voire jusques à favoriser le Gaulois au desavantage des siens, luy donnant contre l' advis de tous, entree au Senat & commun Parlement d' affaires? De mesme façon voyez-vous que ce grand Clovis Germain estant venu à chef d' une partie de nos Gaules, non content de telle victoire, ou, peut-être, induit par une destinee Gauloise, s' attacha au mesme pays, duquel il estoit descendu, c' est à dire à la Germanie, lors possedee en la plus grand part par l' Alleman: soubmettant le tout par une brave victoire, qu' il eut à la journee de Tolbyac, sous sa puissance: usant de là en avant de la Gaule comme de son vray manoir, & rendant l' Allemagne à soy tributaire, comme si elle luy eust esté estrangere. Qui est une consideration qui tourneroit grandement à l' honneur de nostre pays, n' estoit que les victoires estans journalieres, c' est, à mon jugement, une querelle assez mal fondee, de s' estimer de plus ou moins, pour avoir esté quelquesfois ou vaincu ou victorieux, quand la vertu n' a failly d' une part & d' autre au besoin. Les Gaulois usurperent premierement une partie de la Germanie. Les Germains depuis nous rendirent, par la venuë des François, le semblable. Et depuis sous Clovis, & assez long temps apres sous Charlemagne, la Germanie fut reduite en toute extremité d' obeïssance sous la Gaule, & dura ceste Monarchie jusques vers le temps des Othons. Ainsi changent de main les Royaumes, sans que pour cela, ils doivent être vilipendez. Chose, que j' ay voulu deduire en passant, afin de coupper la broche aux estrangers de se haut loüer dessus nous, & à quelques-uns des nostres de s' excuser, lesquels soustiennent (comme fait François Conam honneur de nostre Paris) que ces François estoient encores du vieil estoc des Gaulois, qui sous le Prince Sigovese avoient choisi leur demeure és environs de la forest Hercinienne.

Mais pour venir à mon poinct, & parler du temps, auquel les François s' emparerent de la Gaule, qui est le principal but & proget de ce chapitre, il faut que je me plaigne de la fortune & du temps, laquelle semble s' estre du tout formalisee en cest endroict encontre nous. D' autant que la pluspart des choses anciennes du temps de devant & apres l' entree des François, a eu ses historiographes, desquels on peut tirer quelque estincelle des faicts de nos François. Mais lors qu' ils entrerent és Gaules pour s' y habituer à jamais, avecques un general bannissement des Romains (qui est tout l' entrejet de temps depuis l' Empire de Valentinian premier, jusques à Zenon Empereur de Constantinople) il semble qu' avecques le declin de l' Empire, les histoires fussent totalement taries. Car de plusieurs endroicts nous pouvons diversement recueillir une grande opiniastreté qu' ils eurent à s' empieter de la Gaule. Parce que devant mesmes qu' Aurelian fust investy de l' Empire, c' est à dire, sous Valerian & Galien, ils faisoient plusieurs ravages en ce pays, si nous croyons Vopisque. Et Eutrope, comme j' ay deduict au chapitre dernier passé, raconte que sous Diocletian, ils escumoient toute la mer de la Gaule Belgique & de la petite Bretagne. Aussi Nazare en un sien Panegiric tesmoigne, que sous Constance pere de Constantin, ils avoient occupé tout le pays de Holande, duquel ils furent par luy dechassez. Et Marcellin en quelque lieu est tesmoin, que Julian l' Apostat, estant empesché aux affaires de la Germanie, à son retour les trouva s' estre faicts seigneurs de deux villes. Et peu apres il dict que le mesme Julian, voulant tourner tout son esprit à la guerre des Germains, la premiere recommandation qu' il eut, fut de s' addresser aux François, qui avoient maintesfois osé entreprendre sur les marches du Romain. Qui sont tous tesmoignages apparens que les François de tout temps s' estoient opiniastrez à l' envahissement de la Gaule. Mesmement (comme tesmoigne encor' Marcellin) nouvelles vindrent à Valentinian premier, ainsi que n' agueres je disois, que les François & Saxons, avecques plusieurs gens de guerre, estoient descendus contre nous. Ce neantmoins qui nous ait depuis dict ny quoy ny comment les choses allerent, au moins des autheurs anciens, il est fort malaisé d' en trouver, ains demeurerent les histoires acrochees depuis ce gentil Marcellin, jusques vers un Procope & Agathie, l' un desquels commence son narré à Theodoric Roy des Gots, qui regnoit en l' Italie du temps de Clovis, & l' autre, à Childebert, Clotaire, Clodomire, & Theodoric fils de Clovis. De sorte qu' entre ces deux temps s' escoulent les quatre premiers Princes, que nous ennombrons entre les anciens Roys de France: Pharamond, Clodion, Meroüee, & Childeric: & faut presque que du demourant nous jugions par conjectures. Au surplus d' attribuer toute la venuë des François sous un Valentinian premier ou dernier, comme je voy plusieurs Historiens d' Italie maintenir, ce sont certainement abus: d' autant qu' ils n' occuperent les Gaules d' un premier effort ou desbord, ains par un assez long progrez & apres avoir donné plusieurs eschecs à l' Empire, finalement le materent. Et pour autant que de la venuë & advenement des François & autres peuples provint la ruine de l' Empire Romain, il me semble qu' il ne sera hors de propos de discovrir en ce lieu les moyens par lesquels ces nations estrangeres eschantillonnerent en parcelles l' Estat de Rome, parce qu' encores que le periode du mal-heur vint vers l' Empire d' Arcade, Honore, & Valentinian le tiers, si est-ce que qui voudra rapporter chaque piece à son vray poinct, certainement il trouvera que la mutation de l' Estat prenoit ses racines de plus loing. Car pour vray dire les Republiques simbolisent en cecy avecq' les corps humains, lesquels bien qu' ils rendent l' ame en certain temps, toutesfois ce definement leur advient par les humeurs peccantes qu' ils ont de longue main amassees en eux. Aussi se treuve le semblable en tout ordre politic, lequel ayant commencemens & promotions favorables, vient apres à defaillir par certains accidens, desquels on peut infailliblement presagir sa fin par demonstrations politiques qui ne sont pas moins palpables que celles de Mathematique à ceux qui en font profession.

De ma part discovrant en moy tous les derniers deportemens de l' Empire, je me suis tousjours fait accroire que l' un des premiers acheminemens de sa ruine provint de Constantin (encores qu' il ait esté par les nostres surnommé le Grand) qui depuis se continua sans interruption jusques au dernier souspir. Car qui remarquera les guerres civiles, qui furent durant son Empire entre luy, Lycinius, & Maxence: le transport de l' Estat qu' il fit de l' ancienne Romme, en la nouvelle, qu' il appella de son nom Constantinople: la nouvelle mutation par luy faite des legions establies sur les limites & frontieres pour faire teste aux courses des Barbares: les transportant de leurs anciennes garnisons au cœur de l' Empire, où il n' en estoit nul besoing: De la qui repassera à la continuation des guerres civiles qui se trouverent entre les enfans de Constantin: & que le tout estant depuis reduit & advenu en la personne de Constance, encores eut-il à guerroyer quelques Princes & grands Seigneurs de ses sujects, voire que pour closture de ses actions Julian mesme (qui auparavant, luy avoit esté un seur & fort rampart és Gaules contre les advenuës des Germains) se rebella encontre luy: Qui avec ce adjoustera la neantise de Jovinian qui fit une paix si honteuse avec les Perses, que jamais depuis la puissance Romaine ne s' en peut remettre sus au Levant: Neantize aconsuivie de pres par celle de Valentinian & Valens successeurs de Jovinian: Princes certainement de peu, & dont les effects firent paroistre qu' ils n' estoient non plus duits à l' exercice des armes, que des bonnes lettres. Qui considerera en apres la molesse de Theodose, & les grandes & excessives surcharges qu' il imposa sur son peuple, pour fournir a sa despense extraordinaire: & qu' à Theodose succederent deux jeunes garçons ses enfans, Arcade & Honore, commandez, ou pour mieux dire gourmandez, pendant leurs minoritez, par Ruffin & Stilicon, leurs gouverneurs: Qui iettera encores l' œil sur les meurtres & assassins que les Princes faisoient faire de leurs favoris & mieux aimez, sans cognoissance de cause, lors qu' ils en estoient las & attediez, (car aussi bien fut tué ce grand & brave Capitaine Etius, par le commandement de Valentinian dernier, comme Ruffin & Stilicon par Arcade & Honore) & que ceux qui entroient en leur lieu n' estoient de plus grand merite que les meurdris & homicidez, ains qu' ils joüoyent à qui mieux mieux au boute-hors, sans porter aucun zele, ny à leur souverain seigneur, ny au public, & que les gouvernements des Provinces se vendoient, si ainsi le faut dire, à l' enquant au plus offrant & dernier encherisseur: Qui pesera davantage les changemens des Estats, & offices anciens en nouveaux, la multiplication d' iceux qui se firent à la foule & oppression du peuple sous Constantin & Theodose: La mutation de Religion qui advint à huis ouvert sous l' un & l' autre de ces deux Princes: Et outre ce, les sectes, divisions & partialitez qui estoient mesmes entre ceux qui par nouvelle permission de leurs Princes, avoient empieté quelque authorité dessus l' ancienne: & qui avecques tout cecy ramenera en memoire les peuples estrangers, dont pendant les troubles & guerres civiles, l' Empereur estoit contrainct de s' aider, voire les adopter dans ses legions comme naturels Romains, se les rendant comme domestics: Bref que les affaires de l' Empire estoient arrivees en tel desarroy par la pusillanimité & nonchallance de quelques Princes, que les villes estoient contrainctes de se liguer & soudoyer elles-mesmes, & s' exempter de la puissance ancienne des Empereurs, pour s' opposer à ceux qui par un droict de bien seance vouloient usurper nouvelle tyrannie: Comme nommément il advint tant és Gaules, qu' en la grand Bretagne, quand un autre nommé Constantin, nouveau tyran voulut occuper ces deux contrees, au prejudice d' Arcade & Honore: car lors ces deux jeunes Empereurs defaillans de garends à leurs subjects, la plus grande partie des villes & citez, voyans d' un costé qu' elles n' estoient soustenuës de leurs Princes naturels, d' un autre ne pouvans souffrir un illegitime seigneur: sans faire estat de là en avant de la Majesté Imperiale, ny des Visempereurs qui gouvernoient les Provinces, s' en firent accroire elles-mesmes, & à leurs propres cousts & despens, soustindrent le deffroy de la guerre: s' affranchissans par ce moyen par voyes sombres & couvertes, de l' ancienne obeïssance qu' elles avoient en leurs Empereurs, lors qu' elles faisoient contenance de les supporter & favoriser: Qui di-je meslera toutes ces rencontres ensemble; il jugera fort aisément que tout ce grand Cahos & meslange d' affaires couvoit dans soy, toute la mutation de la Republique: qui ne s' escloït pas tout d' un coup, ains par traicte de temps, selon que les occasions enseignerent à l' estranger de choisir son apoinct. Comme aussi n' y a-il la moindre de toutes ces particularitez, qui ne soit suffisante pour subvertir un Estat. 

A fin que je n' obmette en passant, que ces Empereurs usoient, si je ne m' abuse, plus de la Religion pour la commodité de leurs affaires, que par zele ou devotion: & que les plus advisez se rangeoient du party le plus affligé, à ce que le prenant sous sa garde & protection, il peust faire fonds plus asseuré de luy contre leurs ennemis. Ainsi trouverez-vous que Constantin le Grand ayant à guerroyer un Licinius ennemy juré de nostre Chriftianisme, commença d' attirer à soy les Chrestiens, lors grandement rebutez, par le moyen desquels il obtint depuis une infinité de victoires encontre ses corrivaux. Et neantmoins ne receut le sainct Sacrement de Baptesme, qu' un ou deux jours auparavant son decez. Et comme ainsi fut que dedans nostre Religion le diable eust planté un schisme trespernicieux par la damnable doctrine d' Arius Prestre d' Alexandrie, & que sous Constantin le party Arien eust esté grandement terrassé par les Catholiques, Constance son fils pour subvenir à la necessité de ses guerres civiles, commença de l' embrasser contre ses adversaires: & d' un mesme conseil Julian son successeur reprit les anciennes brisees du Paganisme, qui estoit lors aussi grandement avily, par la puissance & authorité que les Chrestiens avoient occupé sur eux, bien que sous deux diverses Sectes. Et seroit mal-aisé de dire combien & l' un & l' autre firent de braves exploits d' armes sous cet artifice, usant de la Religion par discours. Ne s' advisans pas toutesfois que pendant qu' ils se ioüoient en ceste façon de Dieu & de sa Religion, Dieu aussi se ioüoit d' eux à meilleures enseignes, lequel desirant être adoré par un zele interieur de vraye foy, & non par discours politiques, tenoit nud entre ses mains le glaive de vengeance sur eux, qu' il desploya depuis par l' entremise de toutes ces nations estrangeres, lesquelles butinerent entre-elles la plus grande & meilleure partie de l' Empire. Car pendant que Constance estoit empesché à ses guerres civiles, les François, Allemans, & Saxons (comme nous apprenons de Zosime) pillerent quarante villes assises l' oree du Rhin, & enleverent en leurs pays une infinité de pauvres ames, qu' ils reduisirent en servitude. Pour à quoy donner ordre l' Empereur depescha en Gaules Julian l' Apostat avecq' quelques legions: Jeune Prince qui accompagna sa fortune d' une si sage conduite, que tant & si longuement qu' il commanda, ce fut un fort boulevert contre toutes les avenuës des François. Et neantmoins quelque heureux succés qu' il encontre eux, si fut-il contraint de caller la voile à leur tempeste, & mesmes esperant de les gagner par douceur, il en prit plusieurs à sa soulde, les enroulant dedans ses legions: Qui ne fut pas une petite place à la longue. Parce que depuis il y eut des plus grands Capitaines de France, qui commanderent sous l' authorité des Empereurs, aux trouppes Romaines, comme uns Mellobaudes, Bandon & Arbogaste: Arbogaste, dy-je, qui non seulement tua impunément l' Empereur Gratian, mais aussi fit tomber la Couronne de l' Empire és mains d' Eugene. D' aprivoiser au milieu de nous, une nation estrange, belliqueuse & convoiteuse de bien & d' honneur, c' est une chose de tres-perilleuse consequence & plus dangereux effet. Or tout ainsi que la presence de Julian grand guerrier contint quelque temps tous les peuples de la Germanie dans leurs bornes, aussi apres son decez, ils recommencerent de se desborder plus licentieusement, qu' ils n' avoient faict auparavant. Et specialement contre Valentinian premier du nom, lequel pour leur faire teste renforça ses garnisons le long du Rhin, nonbstant lesquelles il fut desconfit en bataille rangee, dont il sçeut apres avoir fort bien sa revange: Car il les desfit en une autre journee avecq' tel carnage & boucherie, qu' il sembloit qu' ils ne s' en deussent jamais relcuer. Mais les victoires que les Empereurs obtenoient contre eux, ressembloient à celles d' Hercule contre l' Hydre, à laquelle ayant couppé une teste, il luy en renaissoit sept autres. C' estoit une fourmiliere de peuples que l' on ne pouvoit desenger. Valentinian estant mort delaisse Gratian son fils Empereur, & depuis Theodose appellé à la couronne, & apres luy Arcade & Honore ses enfans. Tout cet entregect de temps fut un pesle-mesle d' affaires, non seulement en la Gaule, mais en plusieurs autres pays. La paix honteuse de Jovinian avecques le Roy de Perse, excita un contemnement commun & acheminement à une infinité de nations encontre l' Empire: dont les grands efforts vindrent fondre au temps d' Arcade & Honore jeunes Empereurs. Sainct Hierosme qui lors florissoit, & partant spectateur de ceste tragedie, disoit en la harangue funebre qu' il fit de Nepotian, que les cheveux luy dressoient en teste toutes & quantesfois qu' il se mettoit devant les yeux, les ruines generales de l' Estat de Rome. Qu' il y avoit vingt ans & plus que le sang Romain estoit espandu, & que les ames franches & nobles servoient de joüet aux Barbares. Que la Scythie, Thrace, Macedoine, la Dardanique, Dace, la Thessalonique, Achaye, Epire, Dalmatie, & toutes les Pannonies estoient ravagees par les Gots, Sarmates, Quadiens, Alains, Huns, Vandales & Marcomannes. Et en vue Epistre à Gerontia veusue, où il luy descrit l' honneur de la Monogamie, tombant incidemment sur les mal-heurs, qui estoient en Gaule, dit que tout ce qui estoit enclos dedans l' enceinte du Pyrené, jusques aux Alpes, & du Rhin jusques à l' Ocean, estoit covru & fourragé par les Gots, Quadiens, Vandales, Sarmates, Alains, Hecubiens, Saxons, Bourguignons, Allemans: & les villes de Majence, Spire, Amiens, Rheims, Arras, Terouenne, Strasbourg par eux pillees, & la plus grande partie de l' Aquitaine, & des Provinces Lyonnoise & Narbonnoise de nouveau prises & occupees. En ce passage nulle mention du François, qui toutesfois s' estoit auparavant fait assez cognoistre aux Romains à bonnes enseignes. Mais la verité est qu' en ceste desbauche generale, le Visegot & le Bourguignon s' estoient impatronisez devant luy, celuy-là d' une partie de l' Aquitaine & du Languedoc, & cestuy du pays que nous appellons la Bourgongne, jusques bien avant dans le Lyonnois. Bien est-il à presumer que Pharamond premierement, puis son successeur Clodion, voyans l' Empire en tel desordre, ne demouroient ce temps pendant engourdis, estans d' un naturel instinct, comme tous leurs devanciers, adonnez à entreprises hautaines. Aussi qu' ils estoient à cela taisiblement semonds (qui fut la consommation du mal-heur de tout l' Empire) par les factions & intelligences de Stilicon beaupere de l' Empereur Honore, lequel ayant toute son entente fichee à faire tomber la couronne de l' Empire, de son gendre en la personne de son fils Euchere, brassoit souz main avec les nations estranges toutes manieres de troubles, afin que plus aisément il peust venir au dessus de ses attaintes, quand Honore de toutes parts seroit reduit à l' estroict & angustie d' affaires. Tellement que de ce temps là, c' est à dire souz Honore, il ne fut mal-aisé à Pharamond, puis à Clodion occuper quelques terres que tenoient auparavant les Romains le long du rivage du Rhin, desquels Roys le dernier feit quelques courses sur le Cambresy. Car quant à Pharamond, il est certain, & sont toutes doctes personnes d' advis, qu' il ne penetra jamais jusques à nous: comme il est assez facile de recueillir de Paul le Diacre (afin que, peust être, on ne pense que je parle par cœur de cecy) en la vie de Gratian: auquel lieu deduisant les menees sourdes de Stilicon avecques les Sueves, Bourguignons, Allains, & Vandales, pour moyenner par leurs troubles l' Empire du Ponant à son fils: Parquoy (dit-il) l' Espaigne Betique escheut aux Vandales: le pays de Galice, aux Allains & Sueves : aux Gots, le Tholosain & Languedoc: aux Cattiens & Allains, la Catelongne. Pendant lesquelles mutations, Ætius gouverneur des Gaules (qui n' estoient tombees en la puissance du Got ou Bourguignon) entretint tousjours en devoir dessouz l' Empire, le Tourangeois, Angeuin (Angevin), & le Breton. Ce neantmoins entre ces grandes revoltes les François commencerent à lever la reste. Et ores que pour quelques fois ils eussent esté repoussez par Ætius en leurs païs, ce neantmoins voyans leur apoint soubz la conduite de Cleon & Neronee radoubans leur force & puissance, commencerent à covrir les Gaules, & dresser leur siege & Royaume és villes d' Orleans & Paris. Là où, à mon jugement, au lieu de Cleon & Neronee, il faut lire Clodion & Merovee; & à tant peut-on à plus pres voir par là, de quel temps les François aborderent en ce pays, & que Pharamond ne passa de gueres les bornes du Rhin, ains sans plus Clodion son fils, & apres luy Merovee, qui entre les autres François se donna la premiere loy de se promener hardiment par la Gaule, soit que par force d' armes, il s' ouvrit la voye en ce pays, ou que par capitulation faicte avec les Romains luy feut donnee assiette en ceste Gaule. D' autant que du temps de Valentinian le tiers, il se trouva avec Aetius en la bataille, qui fut donnee vers Chaalons contre Attille Roy des Huns. Et pour ceste cause noz ancestres le recognoissans quasi comme premier Roy, qui passa en ce pays, appelloient de luy les François, Merovingiens. Depuis luy regna Childeric, qui fut chassé: puis remis, & enjamba assez avant en la Gaule. Pendant lequel temps Boniface, gouverneur du pays d' Afrique, pour quelque maltalent qu' il avoit conceu contre Valentinian Empereur troisiesme de ce nom, donna entree en son gouvernement à Genseric Roy des Vandales, qui lors estoient mal menez des Visegots en Espaignes. Ainsi ayant d' un costé les Visegots defalqué l' Aquitaine, & Espaigne de l' Empire, les Bourguignons toute la coste fertile de la Gaule, possedee devant eux par les Sequanois, les Vandales l' Afrique, les François premierement du temps d' Honore soubz Pharamond, les places ioignantes au Rhin, puis soubz Valentinian le tiers, quelques villes de la Belgique & Celtique, finalement nasquit entre ces Eclipses, vers le temps de Leon & Zenon Empereurs de Constantinople ce grand Roy Luduith, ainsi nommé par les Allemans, ou Luduin (en la façon qu' il est appellé és Epistres de Cassiodore) lequel nous avons, selon la commodité de nostre langue nommé Clovis, auquel, à bien dire, nous devons rapporter la vraye entree, & ensemble la promotion des François en ceste Gaule: d' autant que les quatre premiers se tenans tousjours clos & couverts, & ayans la grandeur du nom de cet Empire Romain pour suspecte, n' avoient faict que temporiser, espians (comme je croy) leur opportunité pour s' avancer: Laquelle se trouva par la magnanimité & proüesse de ce grand Roy, qui extermina de tout poinct toute la puissance des Romains, sans que depuis ils y ayent eu aucun regrés. Et pour autant qu' il luy restoit encor à gaigner tout le pays que tenoient les Bourguignons & Visegots, pour le regard des Bourguignons ils furent par deux subsecutives defaictes rendus à luy tributaires, & finalement leur Royaume du tout aboly par ses quatre fils. Et quant aux Visegots, ne povant demourer de requoy qu' il n' eust la souveraineté entiere de la Gaule, il leur liura dure guerre, en laquelle Alaric leur Roy fut en champ de bataille mis à mort de ses propres mains. Au moyen dequoy apres telle roupte luy fut aisé d' usurper une grande partie de ses pays : le reste demourant és mains de Theodoric Roy d' Italie, comme tuteur d' Amalaric fils d' Alaric, lequel Amalaric, ayant pris à femme l' une des filles de Clovis, & luy donnant mauvais traictement, feut finalement tué en champ de bataille par Childebert, avec si grande perte des siens, que depuis la memoire des Visegots s' esvanouït en la France, tout le peu qui restoit de ceste bataille, prenant la suitte vers les Espaignes. Ainsi n' y avoit plus qu' une partie de la Provence, qui soubz umbre d' une curatelle, estoit demouree és mains des Ostrogots successeurs aux pays d' Italie, de Theodoric: toutesfois fut le tout remis és mains des enfans de Clovis, lors que l' Empereur Justinian, par l' entremise de Belissaire, liura la guerre à Theodaat, puis à Vitige leur Roy: craignans iceux Ostrogots, qu' estans d' une part empeschez contre l' Empereur, les François (qui lors estoient fort redoutez) ne leur donnassent d' un autre costé à dos. En effect, voila comment les François se feirent universels possesseurs de ceste Gaule: ayans premierement par diverses courses donné mille algarades aux Romains: de là soubz Valentinian premier, s' estans mis en tout devoir de fourrager ceste Gaule: puis à meilleures enseignes avec leur Roy Pharamond ayans occupé, du temps d' Honoré, les appartenances du Rhin: & soubz Valentinian le tiers, une partie de la Gaule, jusques à la venuë de Clovis, qui meit fin à leurs longs projects. Toutesfois pour autant que nous avons n' agueres faict mention des Ostrogots & Visegots, qui tindrent par un temps quelques parties des Gaules, il ne sera, peut être, hors propos, si nous deduisons sommairement ce qui en fut, estant une histoire, qui tombe ordinairement en propos, neantmoins non de tous entenduë.