Du Proverbe, Faire (bien) la barbe à quelqu'un.
CHAPITRE X.
Nous usons de ce Proverbe quand nous voulons dire que nous avons bravé quelqu'un. Proverbe qui eust esté ridicule lors que nous portions barbes razes, tout ainsi que maintenant celuy dont j' ay discouru au precedant chapitre: Toutesfois il ne faut point faire de doute qu' autresfois cela se tournoit en une bien grande injure. Dedans les anciennes loix d' Allemagne, au tiltre 66. il estoit deffendu de tondre un homme libre, ou luy raire sa barbe, contre sa volonté, sous les peines qui y sont portees. Nous lisons dedans nos Annales, que Dagobert jeune Prince se voulant venger d' un sien Gouverneur, luy fit raire sa barbe, pour un despit qu' il avoit conceu contre luy: Chose qui se descouvre avoir esté en usage par un autre exemple autant & plus exprés que cestuy-là, en un vieux Roman intitulé La jeunesse d' Ogier le Danois, où parlant des Ambassadeurs que Charlemagne avoit envoyez en Dannemarc, vers Geofroy pere d' Ogier, pour recevoir le tribut qui estoit deu à l' Empereur, & deduisant l' indignité dont la femme de Geofroy avoit usé envers eux.
Advise soy de grand diversité
De mes Charlons n' anessum honoré,
Chacun fait raire sa barbe outre son gré,
Pource que Charles qui tant a de fierté,
Ait si son cuer de despit allumé,
Quand li Mes Charles furent à ce mené,
Qu' ils se veirent ainsi defiguré,
Bien pouvez croire que ce leur a grevé.
Et les Ambassadeurs de retour vers Charlemagne, luy dirent.
En voz despit feumes si mal tenus,
Que sans noz barbes sommes cy revenus.
Et de là faict un discours que Charlemagne vouloit entreprendre contre Geofroy une forte guerre. Qui nous est une leçon, soit que ce compte soit vray ou non, que pour le moins l' autheur du Roman estimoit estre grande injure, de faire la barbe à quelqu'un contre sa volonté, & paravanture de cela est procedé que par un commun Proverbe nous disons, Faire la barbe à quelqu'un, quand on l' a bravé de parole, ou d' effect.