Introduction des Professeurs du Roy, autre plant des Escoles de l' Université de Paris.
CHAPITRE XVIII.
Je vous ay cy-dessus discouru deux diverses manieres de leçons qui se firent en l' Université de Paris: L' une qui gisoit és grandes Escoles, & lors les Escoliers estoient espandus par la ville, avecques permission de vaguer où il leur plaisoit: L' autre aux Colleges, dans lesquels la jeunesse fut depuis enfermee pour y estudier. Et n' est pas certes une question petite, de sçavoir laquelle des deux est meilleure. La premiere a pour ses garends les Estudes d' Athenes, esquelles on voyoit les Escoles publiques des Academiciens, Peripateticiens, Stoïques, Epicuriens, & plusieurs autres, sous la conduite de ceux qui par une abondance, ou presomption de leurs sens, se faisoient chefs de part en leurs Sectes. Que cela mesme fut soigneusement observé, lors que les bonnes lettres quittans leur sejour d' Athenes, se vindrent loger dedans Rome: specialement sous les Empereurs, & entr'eux sous l' Empire d' Alexandre Severe, lequel ordonna Auditoires publics, non seulement à ceux qui enseignoient les Arts Liberaux, ains aux Mechaniques mesmes, quand ils se trouvoient exceller en leurs manufactures: Et à peu dire, les anciennes villes, esquelles les sciences furent en vogue, n' eurent jamais cognoissance des Colleges, tels que nous avons dedans Paris, desquels on pourroit dire ce que disoit le Demea de Terence, que le tout bien calculé, l' aage, le temps, & l' usage, nous faisoit souvent trouver mauvaises les choses qu' avions auparavant embrassees, & bonnes celles que vilipendions. Que cecy se verifie au cas qui s' offre: qu' en l' institution de la jeunesse, il n' est pas seulement question des lettres, ains des mœurs. Que celuy qui est logé en chambre par la ville, peut plus aisément lascher la bride à sa desbauche: Partant que le Conseil des peres & meres fut plus sage, d' enfermer leurs enfans dedans les Colleges, qui par ce moyen seroient contraincts de s' accoustumer à l' estude, & tout d' une main imprimer l' image des bonnes mœurs en leurs ames. Mais à quel propos tout cecy? Non pour autre, sinon pour me condamner, & vous dire que ce sont de beaux propos dressez mal à propos: car comme les affaires de nostre Université sont composees, nous y exerçons l' une & l' autre police. Enfermans les enfans de bas aage dedans les Colleges pour y estudier, & s' estans par quelques annees accreus d' aage, & de sçavoir, nous les envoyons aux leçons publiques des Professeurs du Roy: qui est le sujet du present chapitre, dans lequel & autres suivans je me delibere discourir de fonds en comble comme les choses se sont pour cet esgard passees & conduites jusques à huy. Nous eusmes sur nos jeunes ans un Roy François I. de ce nom, zelateur des bonnes lettres, lequel le renvia non seulement sur tous ses ancestres, ains en rapporta le laurier. Le malheur du temps avoit voulu qu' ores que l' Université de Paris fust en honneur par dessus toutes les autres de l' Europe, toutesfois on n' y cognoissoit la langue Hebraïque que de nom: Et quant à la Grecque, bien que l' on en fist quelque estat, c' estoit plus par contenance, que d' effect. Car mesmes lors qu' il estoit question de l' expliquer; ceste parole couroit en la bouche de plusieurs ignorans, Graecum est, non legitur: Et au regard de la Latine (exercice ordinaire des Regens) c' estoit un langage goffe & grossier. Ce Roy estoit, comme j' ay dit naturellement adonné aux lettres, dont dés sa jeunesse (portant le seul titre de Duc d' Angoulesme) il avoit fait si belles preuves, que le gentil Baltazard de Chastillon en son Courtizan, se promettoit de luy, qu' estant Roy il restabliroit les bonnes lettres dedans son Royaume. Esperance dont il ne fut trompé; car quelques annees apres que ce Prince fut arrivé à la Couronne, il pourpensa d' eriger un nouveau College de doctes hommes, par lesquels les langues Grecque, & Latine, ensemble les sciences seroient diversement enseignees.
Je voy quelques uns discourans par advis de pays sur cette affaire, attribuer ce nouveau mesnage, les aucuns au docte Guillaume Budé seulement, les autres à Messire Jean du Bellay Cardinal, & Jean Lascary, & que par leur advis le Roy fut induit à ce faire. Non, il n' eut en cecy autre instigateur que soy mesme. Il estoit (comme j' ay dit) naturellement adonné aux lettres, aussi fut-il naturellement de soy-mesme inspiré à cette noble devotion. Bien recognoistray-je que depuis Budé servit de fidele instrument au public pour l' y maintenir. Et a fin que l' on ne pense que je parle maintenant par cœur, ains par livre, Christofle de Longueil, l' autre Ciceron de son temps, ayant sommé Budé par lettres, de luy mander comme il gouvernoit ses estudes. Elles sont (luy respondit-il) en friche; J' ay quitté ma maison de Marly (qui estoit leur sejour ordinaire) pour m' habituer à la Cour & suite de mon Roy: Que si je voulois maintenant reprendre la route de ma maison, l' on diroit que par une fetardise de moy, je serois deserteur de mon devoir envers ma patrie. Sçavoir pourquoy? Depuis que j' ay eu cet honneur d' haleiner le Roy, il luy est souvent advenu de declarer publiquement, non par hazard, ains de bon sens & propos deliberé qu' il vouloit bastir dedans Paris, les villes de Rome, & d' Athenes, pour y planter à bon escient la langue Latine, & la Grecque, & tout d' une main immortalizer sa memoire dedans la posterité. Voyant cette belle opinion nee en luy, je n' ay depuis doubté en le gouvernant, de la luy ramantevoir, non une, ains plusieurs fois, selon que les occasions s' offroient. Chacun se repaist de cette belle promesse, elle court par la bouche de tous, & chacun par un vœu & souhait commun me promet la conduite & direction de cet ouvrage, se faisant accroire que j' en estois le premier autheur. Au moyen dequoy si maintenant je m' absentois tant soit peu de la Cour sans le congé de mon Maistre, on m' imputeroit cela à une faute inexcusable: d' autant qu' il pourroit advenir que cependant l' ardeur Royale & Divine du Roy se tiediroit tout à fait. Quoy faisant on diroit que j' avois sous faux gages gaigné la faveur d' un Prince, lequel ayant de son propre mouvement & instinct embrassé ceste sainte institution, je me devois du tout dedier à l' entretenement & augmentation d' icelle. Ce que n' ayant fait, je tomberois en la malebouche de tous, si tant estoit (ce que ja à Dieu ne plaise) que ce beau projet reüssist à neant.
A tant Budé. Je me suis estudié d' habiller à la Françoise, & rendre, non mot pour mot, ains à ma guise, le sens de ce passage que j' ay extraict de la premiere du troisiesme livre de ses lettres Latines. Et parce qu' elle porte seulement la date du mois & du jour, non de l' annee, cette faute est suppleee par une autre subsequente du mois de Decembre 1520. qu' il adressa à Jacques Tusan, depuis Professeur du Roy en la langue Grecque, de laquelle le commencement est tel. Je croy facilement ce que m' escrivez, que la promesse faite par le Roy d' eriger un nouveau College, dont je vous ay donné advis par mes lettres, a resveillé en vous, & vos semblables un desir indicible d' estude. Et combien que depuis on n' en ait rien fait ny parlé, toutesfois je ne fais aucune doute que ce nouveau project sortira son effect tel que je souhaiterois, sinon qu' il advienne quelque desastre generalement à la France, & à moy particulierement, & à ceux qui avec moy ont embrassé cette affaire.
De ces deux missives je recueille, premierement que le Roy fut induit à cette noble entreprise de son propre instinct, puis entretenu en icelle par Budé & quelques autres Seigneurs; & finalement que ce College n' estoit encore creé en l' annee mil cinq cens vingt. Les coadjuteurs de Budé furent ainsi qu' est la commune voix, Messire Jean du Bellay Cardinal, & Jean de Lascary de la famille des derniers Empereurs de Constantinople.
La fuitte du Connestable de Bourbon, l' expedition en Italie pour le recouvrement du Milannois, la prise du Roy François premier, sa prison en Espagne, Ostages de Messieurs ses enfans, allees & venuës pour la negociation de sa rançon, tout cela dis-je, fut cause de mettre en surseance ce beau dessein, jusques à ce que les affaires de France s' estans par un Traicté de paix assez fascheux, aucunement r'affermies de mal en bien, & de bien en mieux; le Roy en fin se trouvant deliuré de corps & d' esprit, revenant à son premier penser, ouvrit la porte à ce College, non toutes-fois tout d' un coup, ains selon & à mesure que Budé (sur lequel il se reposoit) trouvoit gens sortables pour luy presenter, sur la nomination duquel ils obtenoient leurs lettres de provision, chacun aux gages de deux cens escus, valans quarante cinq sols pour piece. Son premier dessein n' estoit pour le fait dés langues, que de la Grecque,
& Latine, comme vous voyez par le passage de Budé, toutesfois mettant la main à l' œuvre il y adjousta l' Hebraïque. Chose dont Vulteius, qui lors avoit acquis quelque nom de Poëte, congratuloit à la France au second livre de ses Epigrammes, escrivant à Estienne Dolet.
Nunc ubi gymnasium, Schola nunc ubi, quaeso, trilinguis?
Gallia nunc habet hoc nobile Regis opus.
Et en quelque Epigramme suivante, qu' il adresse au Roy.
Barbaries, Latij quicquid sermonis habebant,
Abstulerat Gallis rusticitate sua.
Iussisti renovare artes, & crescere linguas,
Te duce ius retinet lingua Latina suum.
Ausonias, Graecas, resonat gens Gallica voces,
Hebraeasque tuo munere docta colit.
Hoc miratur opus terrarum maximus orbis,
Et loquitur mores Barbara terra tuos.
Caesaris Augusti cecinit miracula Marcus,
Augusto nobis Caesare maior eris.
Iamque Minerva suos te praeside iactát honores,
Exultat Pytho nomine clara tuo.
Barbaries contempta gemit, te Principe victus
Exulat impostor, monstráque cuncta jacent.
Vive diu foelix Francisce, hoc nomine Regem
Quem primum nostro fata dedere bono.
Vive iterum, atque iterum foelix Francisce, Minerva
Ut vivas foelix, & moriare, cupit.
Epigramme que je vous estale tout de son long, non que j' y trouve aucun nez, ains seulement d' autant que vous y trouvez l' establissement des trois langues en ce college, par celuy qui escrivoit en ce temps-là: car ses Epigrammes furent imprimees à Lyon l' an 1537.
Au demeurant il n' y eut sous le regne de François I. qu' unze places destinees à ce noble & Royal exercice, & la 12. erigee à la postulation & requeste de Charles Cardinal de Lorraine par le Roy Henry second, en faveur de Pierre Ramus, sous le titre de Professeur du Roy en l' Oratoire & Philosophie. Et le premier de tous fut Pierre Danes, depuis Evesque de la Vaur, & Ambassadeur pour le Roy, au Concil de Trente, lequel fut enterré l' an 1577. en l' Eglise sainct Germain des Prez aux Faux-bourgs de Paris, combien que son Epitaphe le qualifie premier Lecteur Royal és lettres Grecques: Ce qui pourroit apporter quelque obscurité sur le fait de cette primauté, pour dire qu' il fut seulement le premier au faict de cette profession, non des autres. Toutesfois la verité est qu' il fut le premier de tous les autres Professeurs, pourveu par le Roy François. Et voicy comment: Budé directeur de ceste compagnie, faisoit singuliere profession de la langue Grecque, comme vous peuvent tesmoigner les 5. livres de ses Epistres Latines, qu' il parseme ordinairement, non d' une simple parole Gregeoise, ainsi que faisoit anciennement Ciceron escrivant à son bon amy Atticus, ains de 12. & 15. lignes, & quelquesfois d' une page entiere: chose fort familierement par luy exquise & affectee; Mesme composa un livre de depesche en Grec, & finalement nous fit part de ses Commentaires de la langue Grecque. C' est pourquoy il meit premierement cette profession en avant, & par mesme moyen en fit pourvoir Danes de la premiere place de Lecteur. Quoy que soit nous ne luy revoquasmes jamais en doute cette primauté sur tous les autres pendant nostre jeunesse, ny mesme Monentueil Professeur du Roy, ancien és Mathematiques l' an 1594. apres la reduction de Paris en la harangue qu' il fit en l' honneur des Professeurs du Roy, à la premiere ouverture de les leçons: Et pour ne m' esloigner du temps de leurs creations, encore en trouverez vous quelque remarque dedans le mesme Vulteius, par moy cy-dessus allegué au premier livre de ses Epigrammes: où ayant dressé une Epigramme à Budé comme port'enseigne de cette compagnie, il en adresse tout soudain apres un autre à Danes, puis à Tusan, puis à Vatable, Oroncefinee, Stragelle, & Sylvius: Et y a bien grande apparence qu' il les honora tous selon l' ordre de leurs receptions. Cette notable compagnie sur son advenement & depuis, produisit diversement plusieurs personnages d' honneur: En la langue Grecque uns Danes, Tusan, Stragelle, Cheradame, Dorat, Lambin, Helias: En l' Hebraïque Vatable, Mercerus à nous plus cogneu sous ce nom, que sous celuy de Mercier: Genebrard: Es Mathematiques Oronce, Maignan Pemia Forcadel: En la Medecine Sylvius, Goupille, Duret; Es lettres Humaines & Philosophie Gallandius, Tournebus, Regius, Aquercu, Charpentier, Passerat: Et entre ceux-cy principalement Tournebus & Ramus. Celuy-là admirable tant en la langue Grecque & Latine, qu' en la cognoissance de toute l' ancienneté, comme nous rendent certain tesmoignage les livres par luy intitulez Adversaria. Cestuy-cy d' un esprit universel, comme on recueille par ses œuvres, concernans tant les lettres Humaines que Philosophie. J' ay autres-fois appris de trois Allemans, gens d' honneur, qu' en plusieurs Universitez d' Allemagne, lors que ceux qui sont en chaire alleguent Tournebusb & Cujas, aussi tost mettent ils la main au bonnet, pour le respect & honneur qu' ils portent à leurs memoires. Et qu' és Universitez qui sont sous la domination du Lanthgrave de Hain, ils ont banny la Philosophie d' Aristote, pour embrasser celle de Ramus. Se donnans ceux qui estudient en Dialectique le nom & titre de Ramistes. Entre les Professeurs du Roy que je vous ay icy touchez, je ne nomme point les vivans: qui trouveront dedans la posterité leurs trompettes s' ils s' en rendent dignes.
Les Troubles de nostre temps, advenus sous le nom de la Ligue & saincte Union l' avoient effarouché de nostre Université tous les Escoliers vrays François: mais le feu Roy Henry le Grand quatriesme du nom, y ayant esté reintegré en l' an 1594. aussi commença elle à se repeupler: Et l' an d' apres Monentueil Professeur és Mathematiques, ouvrant le pas à ses leçons fit une harangue, comme j' ay dit cy-dessus en l' honneur de tous les Professeurs du Roy, qui avoient tousjours esté diversement espars par la ville: Ayans d' un commun concours choisi le College de Cambray, nombril de l' Université, pour y faire gratuitement leurs leçons publiques: College caduque & antique: cela fut cause que cet honneste homme en sa harangue, souhaita que nos Rois voulussent honorer cette compagnie d' un nouveau College. Souhait qui depuis a sorty effect. Parce que le docte Cardinal du Perron moyenna cet ouvrage envers nostre Henry quatriesme, duquel il estoit grand Aumosnier. Et par son Conseil fut arresté que des deux Colleges de Cambray & Triquier, qui s' attouchoient, en seroit fait un. Lequel sous la conduite de luy, a esté encommencé d' un si superbe arroy, qu' estants parachevé il ne trouvera son pareil en toute l' Europe.
Il y avoit au College de Sorbonne d' une bien longue ancienneté deux Bacheliers en Theologie, qui enseignoient sans gages la Theologie. Ramus dedans les Remonstrances qu' il fit au Roy Charles neufiesme, quelque peu auparavant nos Troubles de l' an mil cinq cens soixante & un, le supplia tres-humblement qu' il luy pleust appointer de bons gages, non des simples Bacheliers, ains deux Docteurs qui seroient tirez des plus Doctes Theologiens, dont l' un enseigneroit les sainctes lettres en Hebrieu, & l' autre en Grec. Cette Requeste fut un souhait pendu au croc, jusques à ce que Henry le Grand estant r'entré dedans Paris, le mesme Cardinal du Perron, estant lors seulement Evesque d' Evreux, obtint de luy que pour cet effect il y avroit deux chaires en la Sorbonne, aux gages de trois cens escus: Et qu' en celle de la matinée seroit faite une leçon de la Theologie contemplative, & en celle de l' apresdisnée, de la Morale. Et sur la nomination faite par ce docte Prelat, fut donnee la matinée à du Val, & l' apresdisnée à Gamasche. Tous deux superlatifs en ce suject, & voulut qu' avenant la mort de l' un d' eux, il fust procedé par le commandement de l' Evesque de Paris, à nouvelle eslection, sans brigues, appellez tous les Docteurs de la Sorbonne, & les deux plus anciens du College de Navarre. Lettres en forme de Chartres du mois de Juin 1597. verifiées au Parlement le 8. d' Aoust, & en la Chambre des Comptes, le 15. Septembre ensuivans.