lunes, 26 de junio de 2023

4. 5. De l' Estat & condition des personnes de nostre France,

De l' Estat & condition des personnes de nostre France, avecques un sommaire discours des servitudes tres-foncieres qui se trouvent en quelques unes de nos Provinces, & de leurs manumissions.

CHAPITRE V.

Ayant par ce chapitre entrepris de discourir sur la condition des personnes de nostre France, je ne le puis bonnement faire sans en outre-passer les limites, & puiser les presens discours dans une bien longue ancienneté. Du droict primitif & originaire de nature, toutes personnes naissoient libres. Toutesfois par succession de temps s' engendra dedans leur simplicité l' envie de s' accroistre en grandeur, dont sourdit le droict des armes, qui introduisit l' usage des serfs, quand un homme ayant esté fait prisonnier de guerre, on trouva plus expediant de le conserver, que tuer. Mais pour ne rendre cette prise infructueuse, on le reduisit en une penible servitude sous l' authorité de son maistre, qui de là en avant se donna toute puissance de vie & de mort sur luy, presque par toutes les nations, sans controlle du Magistrat souverain, & singulierement en la Republique de Rome. Vray que depuis on y mit bride sous les Empereurs. Ces servitudes du commencement s' exerçoient de maistres à valets dedans les maisons, & ne trouve l' on en toutes les Pandectes de Justinian, estre faite mention d' autres. Toutesfois sur le declin de l' Empire en fut introduite une nouvelle. Qui estoit qu' une nation ayant esté sobjuguee, les Empereurs laissoient les possesseurs en la possession de leurs heritages, & ancienne liberté, mais avecques des redevances & charges serviles, non auparavant cognuës par les Romains. Ainsi escrivoit l' Empereur Probus dedans Vopisque, au Senat de Rome, apres qu' il eut reduit sous son obeïssance quelques peuples de la Germanie. Omnes iam Barbari vobis arant, vobis serunt, illis sola relinquimus sola, nos eorum omnia possidemus. Le mesme Vopisque en la vie de l' Empereur Aurelian nous enseigne qu' au pays d' Hetrurie jusques aux Alpes maritimes, il y avoit plusieurs contrees pleines de broussailles & en friche. Statuerat igitur Aurelianus (poursuit-il) Dominis locorum incultorum, qui tamen vellent pretia dare, atque illic familias captivas constituere, vitibus montes conserere, atq; ex eo opere vinum dare, ut nihil redituum fiscus acciperet, sed totum populo Romano concederet. De cette maniere de serfs est plein le titre du Code De Agricolis & censitis: lesquels estoient diversement appellez, Servi censiti, adscriptitu, addicti glebae: Et je les veux en nostre vulgaire appeller Serfs Tres-fonciers, comme despendans de nostre tresfonds. Et de cette police y avoit de tout temps & ancienneté, une image en la Republique de Sparte, dans laquelle Lycurge (dit Plutarque) voulant accoustumer ses citoyens au fait des armes, laissa le mesnage de terre à une maniere de gens qui furent appellez Ilotes, pardevers lesquels gisoit le labour, avecques certaines redevansces au public. Police qui fut depuis fort familiere aux Germains, ainsi que nous aprenons de Tacite traitant de leurs mœurs. Caeterum (dit-il) servis, non in nostrum modum per familias descriptis, ministeriis utuntur. Suam quisque sedem, suos penates regit; frumenti modicum Dominus, aut pecoris, aut vestium, ut colono iniungit, & servus hactenus apparet. Caetera domus officia uxor, & liberi exequuntur. Qui est une vraye image de celle de nostre France, dont nous parlerons cy apres. Tacite vivoit sous l' Empire de Trajan, lequel escrivant les mœurs du Germain, dit qu' ils usoient d' autre façon de leurs servitudes qu' on ne faisoit dedans Rome, qui monstre que ces servitudes foncieres n' y estoient de son temps introduites.

Apres vous avoir discouru tout ce que dessus par forme d' avant-propos, je viens maintenant à parler de nostre France, en laquelle il faut tenir pour proposition indubitable que toutes personnes naissent libres, fors en quelques Provinces dont je parleray cy apres. Grande chose & digne d' une remarque speciale, qu' en toute la saincte Escriture vous ne voyez estre faite mention de cette servitude penale, sinon dedans le vieux Testament, quand Noë pour se vanger de Cam l' un de ses enfans, qui avoit voulu descouvrir sa vergongne à ses deux freres, laquelle ils voulurent voir, il le maudit, & par mesme moyen condamna luy & sa posterité d' estre serfs de ses deux freres, & de ceux qui leur appartiendroient.

Et combien que nostre Religion Chrestienne n' approuvast telles servitudes tyranniques, ou si ainsi le voulez, tels servages farouches & sauvages, toutesfois apres son premier plant, ne fut tout d' un coup plantee cette planiere liberté, qui regne entre les Chrestiens. Chose qui ne merite de preuve pour estre de foy trop asseuree. Et neantmoins en ce qui concerne l' ancienneté de nostre France, je vous en veux icy representer deux placards qui pourront apporter quelque contentement au Lecteur. Entre les manumissions les plus signalees de Rome, il y en avoit une qui se faisoit in sacrosanctis Ecclesijs, introduite par l' Empereur Constantin, comme nous aprenons de Sosomene dedans sa vie. De cette cy nous en avions une remarque tres-belle, en un pillastre de l' une des portes de saincte Croix d' Orleans avant qu' elle eust esté ruinee par les Huguenots portant ces mots: Ex beneficio Sanctae Crucis per Ioannem Episcopum, & per Albertum Sanctae Crucis casatum, factus est liber Lantbertus teste hac sancta Ecclesia: Manumission qui alloit à la premiere servitude des Romains. De laquelle je vous ay representé trois exemples formels cy dessus au livre second Chapitre des Oblats: Et au regard de la seconde que j' appelle icy Tres-fonciere, la remarque en est tres-belle que nous apprenons de Gregoire livre sixiesme, Chapitre quarente troisiesme, quand le Roy Chilperic envoya sa fille Rigonde pour estre mariee avecques le fils de Leuvichilde Roy d' Espagne, entre autres presens dont il la voulut doter, ce fut de telle maniere de serfs, qu' il nomme Fiscalins, comme estans naturellement affectez au fisc & domaine du Prince. Passage qui merite d' estre icy representé tout au long. Ipse vero regressus Parisios (il parle de Chilperic) familias multas de domibus ficalibus auferri praecepit, & in plaustris componi. Multos quoque flentes & nolentes abire, in custodiam retrudi iussit, ut eos facilius cum filia transmittere posset. Nam ferunt multos sibi ob hanc amaritudinem vitam laqueo extorsisse, dum de parentibus propriis auferri metuebant. Separabantur autem filius à patre, mater à filia, & cum gravi gemitu ac maledictionibus discedebant. Tantus planctus in urbe Parisiaca erat, ut planctui compararetur AEgyptio. Multi vero maiores natu, qui vi compellebantur abire, testamenta condiderunt, resque suas Ecclesiis deputantes, atque petentes, ut cum puella in Hispanias introisset, statim testamenta illa, tanquam si iam essent sepulti, reserarentur. Duquel passage vous aprenez que combien que ce Roy eust toute puissance sur le corps de ses hommes & femmes Fiscalins, toutesfois il leur estoit loisible de tester. D' autant que l' ordre & police de testament ne fut jamais observee avecques telle Religion en France, comme en la Republique de Rome, ainsi que mesmement nous pouvons recueillir par toutes nos coustumes. Et cella mesme se voit encores observé és Provinces esquelles les servitudes tres-foncieres ont lieu, desquelles je discourray cy apres. Et n' estoient point ces serfs pris dans la ville de Paris ny du Parisy, pays circonvoisins, ains de toutes les autres villes, comme faisans part & portion de leurs Domaines. Et de fait Chilperic ayant occupé quelques villes sur Childebert Roy de Mets son nepueu, dont il vouloit avoir la raison: dedans le mesme Chapitre vous trouvez qu' il luy envoya Ambassadeurs expres, pour le sommer de n' envoyer aucuns de ses serfs avecques les autres. Interea legati Regis Childeberti Parisios advenerunt, contestantes Chilperico Regi, ut nihil de civitatibus, quas de regno patris sui tenebat, auferret, aut de thesauris eius in aliquo filiam muneraret, ac non mancipia, non equos, non iuga boum, neq; aliquid huiuscemodi de his auderet attingere. Police tyrannique qui estoit encores en usage bien avant sous la seconde lignee de nos Roys, voire aux portes de Paris. La seigneurie de Charronne avoit esté aumosnee aux Religieux, Abbé & Convent de sainct Magloire, que le Roy Louys septiesme voulut affranchir de tous truages, & portoit le tiltre ces mots: Volumus quod villa quae dicitur Carrona, quam dedit Robertus cum vineis, terris, torcularibus, & servis, & ancillis, & liberis eiusdem villae, & hospitibus, à teloneo, de rebus quas pro usu suo vendiderint vel emerint, dispensentur. Et sur la fin. Non audeat aliquis homines tam ingenuos quam servos, super terram dictae villae habitantes capere, sed omnia in potestate, & dominatione Abbatis consistant. Actum Parisiis, anno ab incarnatione millesimo, centesimo, quinquagesimo nono, adstantibus in Palatio quorum nomina subintitulata sunt. Signum Comitis Theobaldi Dapiferi: Signum Guidonis Buticularii. Signum Mathaei Camerarij. Signum Mathaei Constabularij. Data per manum Hugonis Cancellarii. Titre par lequel vous voyez deux especes de sujects dedans Charronne, dont les uns estoient francs & libres, les autres serfs.

Mitteleuropa im frühen Mittelalter. Austrasien ist in dunkelgrün dargestellt.

Servitude qu' il faut rapporter à la fonciere, dont nous parlerons cy apres. Car quant à la manumission emprainte en l' Eglise saincte Croix d' Orleans, elle se raportoit à la premiere servitude de Rome, comme je vous ay cy dessus touché.

Je vous ay discouru tout ce que dessus, pour vous monstrer comme les coustumes ont pris divers plis, tant dedans Rome qu' en nostre France. Et peut estre que quelqu'un dira, que les Fauxbourgs de ce chapitre sont beaucoup plus grands que la ville. Ce m' est tout un, moyennant que ce que j' ay discouru serve à l' edification du Lecteur. Maintenant comme les affaires de la France vont, toute personne y est libre dés sa naissance, fors en quelques Provinces. Des libres, les uns sont nobles, les autres roturiers. Et est tout homme reputé roturier s' il ne prouve sa noblesse, qui s' acquiert ou par le mesnage de la plume, c' est à dire par le benefice & lettres patentes du Prince, ou par les armes, quand on prouve par trois diverses generations d' ayeul, pere, & petits fils, avoir esté faite profession des armes, pour le service du Roy & de sa patrie, & nul d' eux n' avoir esté imposé à la taille. De ces deux qualitez de Nobles & Roturiers, nous avons fait un tiers Estat des Ecclesiastics, selon que la devotion nous y porte, chose tres saincte, ou bien la commodité de nos affaires seulement, chose damnable, qui ne nous est toutesfois que trop familiere. De façon que l' Estat de France ne consiste qu' en trois manieres de personnes; Roturiers, Nobles, & Ecclesiastiques.

Vray que nous avons quelques coustumes particulieres, où les servitudes foncieres ont lieu, comme en celles de Meaux, Troyes, Chaumont en Bassigny, Bourgongne, Nivernois, la Marche, en toutes lesquelles il faut adjouster pour quatriesme espece les serfs tres-fonciers que nous appellons autrement gens de Main-morte condition, dont les uns sont taillables, les autres de for-mariage, les autres mainmortables, & les autres de Poursuite. Particularitez que je vous expliqueray piece à piece. Quoy faisant paravanture feray-je grand plaisir à tel qui fait le bien entendu, & neantmoins ne les entend.

Des taillables, il y en a deux especes: Les uns taillables à volonté, les autres abonnez, c' est le mot courant des coustumes. Les taillables à volonté sont ceux sur lesquels les seigneurs levent tous les ans une taille, tantost moindre, tantost plus grande: Toutesfois non à leur pure discretion, qui se pourroit tourner en tyrannie, mais bien appellez avecques eux trois ou quatre preud'hommes resseants sur les lieux, qui sçavent les facultez & moyens du serf, & quelle a esté la recolte de son annee. Ainsi le portent toutes les coustumes particulieres que le serf est taillable à la volonté du Seigneur: & c' est la cause aussi pourquoy on y adjouste ce mot Raisonnable: C' est à dire qu' il est taillable à la volonté raisonnable de son Seigneur.

Les Abonnez (que je pense devoir estre dicts Abornez) sont ceux qui par une longue prescription & laps de temps, ou par des contracts se sont abornez avecques leurs Seigneurs à certaines tailles annuelles: Et c' est pourquoy si j' en estois creu, on les appelleroit Abornez, non Abonnez. Et combien que ce mot de taille ne doive tomber pour le regard des seigneurs qu' à l' endroit des gens de serve & mainmorte condition, toutesfois és coustumes de Bourbonnois & Auvergne, il tombe aussi sur les sujects qui sont de condition libre en quatre cas. Quand le seigneur haut justicier est fait Chevalier: Quand il fait voyage outre-mer pour visiter le sainct Sepulchre: quand il est fait prisonnier de guerre, pour acquiter sa rançon: Taille autant de fois reïterable que le seigneur est fait prisonnier. Finallement quand il marie l' une de ses filles en premieres nopces. Le tout neantmoins au dire & advis des preud'hommes, n' estant cette taille imposable à la seule volonté du seigneur.

Quant aux serfs de for-mariage, ce sont ceux qui ne se peuvent marier sans le consentement de leur seigneur à autres, qu' à personnes qui sont de pareille condition qu' eux. Car si de leur privee authorité ils se marient à personnes franches, ou bien de serve condition, mais habituees sous autres seigneurs, ils doivent une amende à leurs seigneurs, telle que porte l' ancien usage de la seigneurie. Et ces deux especes de serfs, peuvent tester de leurs biens à gens de pareille condition qu' eux, demeurans en & au dedans de la Seigneurie, où les testateurs font leur residence, j' entens des biens dont la coustume permet de disposer, tout ainsi qu' aux personnes franches.

Je diray ce mot premier que de passer plus outre, qu' au dixiesme livre des Epistres de sainct Gregoire Epistre vingt-huictiesme, addressee à Romain, Procureur Fiscal. Vous trouverez cette mesme loy de for-mariage, avoir esté par luy prescrite aux enfans d' un serf de son Eglise, qui par luy avoit esté affranchy, qui est chose en plus forts termes, que ce qu' on pratique en nostre France. Petrus quem defensorem fecimus, quia de massa iuris Ecclesiae nostrae, quae Vitellas dicitur oriundus sicut experientiae tuae bene est cognitum. Et idem, quia ita circa eum benigni debemus existere, ut tamen Ecclesiae utilitas non laedatur, hac tibi praeceptione mandamus, ne filios suos quolibet ingenio, vel excusatione, foris alicui in coniugio sociare praesumat, sed in ea massa cui lege & conditione ligati sunt, socientur. In quae etiam & tuam omnino necesse est experientiam eße sollicitam, atque eos terrere, ut qualibet occasione de posseßione cui oriundo subiecti sunt exire non debeant. Passage, que je vous ay cotté icy mot pour mot par expres, pour vous monstrer que la famille de celuy dont sainct Gregoire parle, estoit de condition de for-mariage avant qu' elle fust affranchie: Et neantmoins que l' affranchissant en tout le demeurant, il voulut qu' elle n' eust plaine liberté de se marier autrement que par le passé.

La troisiesme espece de serfs est de ceux que particulierement on appelle Mainmortables. Car combien que le mot de mainmortable soit un genre, qui semble s' estendre à toutes especes de serfs tres-fonciers, toutesfois il y a coustume particuliere, où l' on appelle Mainmortables les serfs qui mourans sans enfans yssus de bon & loyal mariage, ne peuvent tester au profit de qui que ce soit, fors jusques à la somme de cinq sols, & leur succede en tout & par tout leur Seigneur. Et de ceux-cy quelques uns sont Mainmortables envers leurs seigneurs, en tous biens meubles & immeubles quelque part qu' ils soient assis, supposé que les heritages soient en franc alleud, ou censive: Les autres sont seulement Mainmortables en meubles: Auquel cas aussi le testateur n' ayant enfans ne peut tester outre cinq sols, le demeurant des meubles revenant au seigneur. Et de ces deux especes de Mainmortables est parlé en la coustume de Troyes article quatriesme & sixiesme, sous le titre de l' Estat & condition des personnes.

Tous les serfs dont j' ay cy dessus parlé sont par moy appellez, Tres-fonciers: Parce qu' ils sont declarez tels, à cause des terres & heritages qui furent baillees à leurs predecesseurs, ou à eux sous ces conditions serviles: Et c' est pourquoy sagement en la coustume de la Marche chapitre 17. parlant des hommes francs, & serfs mainmortables, il est dit que toutes personnes sont de franche condition, & que ceux qui sont reputez serfs & mainmortables, c' est à cause des terres & heritages baillez sous cette condition. Tellement que je veux croire, qu' abandonnans leurs biens & leurs domiciles, & s' allans habituer en lieu où il n' y a telle servitude, ils en demeurent francs & quites, sont reduits comme les roturiers, en plaine liberté & franchise.

Vray qu' il y a une derniere espece de serfs, laquelle non seulement regarde les heritages, mais aussi les personnes. Tellement que nous pouvons appeller les servitudes en eux, personnelles. Voire d' une condition plus estrange que n' estoient les serfs de Rome, qui estoient seulement tenus pour serfs quand ils estoient nez d' une femme esclave (j' entends de ceux qui n' avoient esté reduits en servage par le moyen des guerres.) D' autant que par la coustume de Nivernois, pour faire declarer un homme de serve condition, il suffit que le pere ou la mere soient serfs. Car pour rendre l' enfant de franche & libre condition, il faut que le pere & la mere soient libres. Et est telle maniere de serfs appellee Serfs de Poursuite: D' autant qu' ils ne peuvent desemparer leurs domiciles sans l' expres vouloir & consentement de leurs seigneurs: voire s' allassent-ils confiner aux limites du Royaume, la condition de serfs reside tousjours en eux, & les peut leur seigneur poursuivre & vendiquer, comme ses serfs, & contraindre à luy payer la taille, selon le plus, ou le peu de biens qu' ils possedent en quelque lieu que ce soit, voire quand ils seroient denuez de tous meubles & immeubles, selon les emolumens qu' ils peuvent tirer de la manufacture de leurs bras & mains. Et de cette servitude vous trouverez mention expresse en la coustume de Troyes chapitre premier, traitant de la condition des personnes, article troisiesme, en celle de Chaumont en Bassigny sous pareil tiltre, article troisiesme. Et sur tout en la coustume de Nivernois chapitre huictiesme, traictant des servitudes personnelles, tailles, poursuites, mainmortes, & autres droicts d' icelles.

En ce droit de Poursuite, ces coustumes ont grande conformité avecques le droit ancien des Romains. Car il est certain que quelques depaysement que fist l' Esclave il ne se pouvoit affranchir au prejudice de son maistre, nonobstant le laps de temps dont il se voulust prevaloir. Et de cecy l' Histoire est tres-veritable de Barbarius Philippus, recitee par Suidas & AElian neufiesme, lequel pendant le triumvirat d' Octave, Marc Anthoine, & Marc Lepide, s' estant rendu fuitif de son maistre vint dedans la ville de Rome, comme s' il eust esté franc & quite, & s' estant insinüé aux bonnes graces de Marc Anthoine, il mania ses affaires, de sorte que par le moyen de luy il fut fait Preteur. Advient que par fortune son maistre arrive en la ville de Rome, le trouvant assis en son Tribunal, il le tire par sa robbe, luy faisant tres-expresses defenses de passer outre, comme estant son esclave. De cecy le bruit court par toute la ville, & deslors fut une grande question de sçavoir, si les sentences par luy donnees devoient sortir leur effect. Car d' un costé pour la negative faisoit qu' un serf n' estoit personne capable de sententier: Au contraire pour l' affirmative, que qui sous ce beau pretexte voudroit casser & annuller ses sentences, c' estoit introduire un chaos & confusion par toute la ville.

Or cette Histoire representee au Jurisconsulte Ulpian, il fut d' advis qu' il n' avoit rien fallu remuer de ce mesnage, pour ne troubler le repos public. Resolution dont les Docteurs tirerent cette regle generale, que error communis facit ius.

Par les choses, Messieurs, que j' ay cy dessus deduites, je pense vous avoir descouvert l' air general des quatre servitudes foncieres de la France. Toutesfois lors qu' elles tomberont en dispute, il faut avoir recours aux coustumes, sous lesquelles elles sont assises toutes en general. Et combien que chaque coustume soit pour ce regard fondee en ses particulieres propositions, si est ce que je n' en voy point de plus notables en ce sujet, que celles de Nivernois, chap. 8. & de la Marche chap. 17.

Or peuvent les gens de main-morte condition, estre manumis par leurs seigneurs, mais à la charge de faire confirmer leur manumission par lettres patentes du Roy, qui soient en apres verifiees par la Chambre des Comptes de Paris, en payant par le manumis au Roy telle finance qu' il est advisé. Car tout ainsi que l' Eglise acquerant maison, terre, & heritage, pour rendre son acquisition stable, il faut qu' elle paye indemnité au seigneur immediat de la chose acquise, & en outre face amortir son acquisition par le Roy. Aussi en cette matiere de manumissions, il faut que la main du seigneur, & puis celle du Roy y passent, avant qu' elles puissent sortir leur plein & entier effect: & obtenir lettres patentes qui dovient estre enterinees par Messieurs des Comptes.

Je trouve en la Chambre des Comptes de Paris, sous le memorial cotté K, une commission du 16. Avril 1442. par eux adressee aux Baillif de Troyes, Procureur, & Receveur du Roy, ou leurs Lieutenans, portant qu' entre les autres droits du Roy luy appartenoient les hommes & femmes de corps, qui se disoient avoir esté manumis par leurs premiers seigneurs, fussent gens d' Eglise tenus de faire foy & hommage, ou serment de feauté au dit sieur, ou qui cheoient en Regale, & aussi de tous autres seigneurs temporels: Et combien (porte tout d' une suitte la commission) qu' auparavant les guerres & divisions du Royaume, vos predecesseurs ayent de ce fait grandes diligences, dont grands profits en ont esté rendus au Roy nostre Seigneur par ses Receveurs du dit Balliage és temps passez, toutesfois depuis aucun temps en ça n' ayez faite aucune ou tres-petite diligence, au grand dommage des droits d' iceluy seigneur; pour cette cause vous mandons de poursuivre sans faveur tous les dits hommes & femmes de corps, que par information trouverez avoir esté ainsi manumis, comme dit est, & que les mettiez & apliquiez au domaine du dit sieur, à telles charges qu' ils estoient auparavant, les dites manumissions, dont vous Receveur rendrez doresnavant tous les profits en l' ordinaire de vostre dite recepte, comme les autres domaines d' icelle &c. Je trouve plusieurs manumissions anciennes verifiees en la Chambre, mais entre toutes, je ne voy aucun formulaire plus beau que celuy qui est inseré au memorial cotté V, dont la teneur est telle.

Pierre le Blanc demeurant à sainct Amant, Diocese de Chaalons a presenté sa Requeste à la Chambre, requerant qu' elle le voulust manumettre, & affranchir de la servitude en laquelle il estoit retourné envers le Roy, par le moyen des manumissions & affranchissemens, qui luy avoient esté faits de sa personne, par les Chanoines & Chapitre de Chaalons desquels il estoit auparavant homme de serve condition. Et apres qu' il nous est apparu des lettres de la dite manumission, & aussi de celles de l' Evesque de Chaalons, par lesquelles il a donné, & conferé tonsure clericale au dit Pierre: Nous consentons, aprouvons & ratifions la dicte manumission, & iceluy Pierre le Blanc manumettons & affranchissons par ces presentes de toute la servitude en quoy il pourroit estre retourné envers le Roy à cause dessus-dite, moyennant & parmy la somme de deux escus d' or sol, qu' il a pource payez contens au thresor du dit seigneur par descharge d' iceluy. Donné à Paris le 27. de Juin 1500.

domingo, 25 de junio de 2023

4. 4. De quelques sorts que pratiquoient nos anciens François,

De quelques sorts que pratiquoient nos anciens François, pour s'  informer des choses qui leur estoient à venir.

CHAPITRE IIII.

La superstition du fer chaud que j' ay cy dessus racontee, m' en a remis une autre en memoire, que je ne veux passer sous silence. Les anciens Romains sous les Empereurs eurent une certaine maniere de deviner les choses futures à l' ouverture du livre, par la rencontre de la ligne qu' ils avoient auparavant designee: Chose qui se pratiquoit ordinairement sur les œuvres de Virgile. Et pour cette cause appelloient cette façon de faire, les Sorts Virgilians. De cette divination usa l' Empereur Adrian, encores simple Capitaine, pour s' asseurer du bon vouloir qu' avoit envers luy l' Empereur Trajan, & ayant ouvert le fueillet, rencontra des vers Latins, que j' ay voulu rendre François.

Mais qui est celuy-là qui porte dans sa main

Le sainct rameau d' Olive: à son menton chenu,

Et son poil je cognois que c' est le Roy Romain, 

Qui de lignage bas à ce haut lieu venu, 

Premier enta ses loix dans la ville de Rome,

Auquel succederas.

Desquels vers Adrian prist certain prognostic de son futur Empire. Et Claude Aubin, qui usurpa l' Empire és Gaules, se rendit presque asseuré du malheur qui luy devoit advenir, quand il tomba sur ce vers, dont la substance estoit telle.

Je vois tout forcené dresser cent mille alarmes

Aussi quelle raison trouve-lon dans les armes?

Quant à nous, combien que pour n' estre nez dans les tenebres de ces anciens Payens, nous n' avons voulu fonder la superstition de telles divinations sur un Poëte Ethnique, si en avons nous eu une espece qui fut assez familiere à nos vieux peres François, que nous tirasmes des sainctes lettres. Ce fut une chose commune à nos premiers Chrestiens, pour inviter les foibles esprits à nostre Religion, de passer par connivence plusieurs coustumes tirees du Paganisme, ou Judaïsme, & de les nous approprier, toutesfois sous autres ceremonies: Coustumes dont l' Eglise s' estant avec le temps fortifiee: ou du tout, elles ont esté abolies par les Concils, ou d' elles-mesmes se sont supprimees. De cette marque est celle dont nous avons à parler maintenant. Par ce qu' au lieu des Sorts Virgilians, que nos François eussent douté mettre en usage, comme une idolatrie Payenne, ils voulurent couvrir ce defaut, usans des livres de la saincte Escriture. Et leur fut cette superstition aucunement reprochee par Procope, lequel leur improperoit que combien qu' ils eussent esté faicts Chrestiens, si suivoient-ils encores plusieurs traces du Paganisme. Pource entre autres choses qu' en celebrant leurs solemnels sacrifices, ils s' adonnoient à vaticinations. Ils estoient doncques coustumiers és grands affaires de prendre trois divers livres de la saincte Escriture qu' ils mettoient dessus un Autel, & apres leurs prieres publiques, ou particulieres, apprenoient par le hazard de l' ouverture du livre, une partie des choses qu' ils avoient envie de sçavoir, en quoy ils n' estoient quelquesfois deceus de leur attente, comme nous voyons par deux exemples racontez par Gregoire de Tours, dont l' un advint de son temps, & l' autre non gueres devant, le premier desquels est de Cran, fils de Clotaire I. lequel ayant pris les armes contre son pere, pria Tetrique Evesque de Chaalons de luy vouloir dire quel succez il estimoit de cette douteuse entreprise. Pour à quoy obeïr, l' Evesque mit trois livres sur l' Autel, les Propheties, sainct Paul, & les Evangiles, & apres avoir fait avec tout son Clergé prieres solemnelles à Dieu, à ce qu' il luy pleust leur manifester ce qui devoit advenir à ce mal conseillé Prince, il ouvrit premierement le livre des Propheties, où il trouva en termes Latins, je l' osteray de dessus la terre avec desolation: Puis de l' Apostre, Vous sçavez mes freres, que le periode du Seigneur est venu tout ainsi qu' en cachette, & sans y penser, le larron vient de nuict. Et quand on vous parlera de paix, c' est lors que vous serez surpris d' une mort soudaine. De l' Evangile, Qui ne preste l' aureille à mes commandemens, resemblera à un ecervelé qui bastit sur du sable, quand soudain vient une grande tourmente, & ravine d' eau, qui luy enleve son edifice rez terre. L' autre exemple est de Meroüee fils de Chilperic, qui vouloit oster la couronne à son pere, lequel s' estant mis en franchise dedans l' Eglise S. Martin de Tours, pour evader la fureur de son pere, voulant sçavoir quelle yssuë avroient ses affaires, mit sur la chasse de S. Martin le Psautier, les livres des Roys, & les Evangiles: & apres avoir jeusné trois jours en toute priere, & oraison, ouvrit le livre des Roys, où il trouva: Pour autant qu' avez mis en oubly vostre vray Dieu pour adorer autres Dieux estrangers, vous addonnans à choses meschantes & perverses, pour cette cause vostre Seigneur Dieu vous a reduit és mains de vos ennemys: Du Psautier: Seigneur Dieu tu leur as envoyé desolation, pour  leurs pechez, & les as renversez lors qu' ils se cuidoient eslever, & dés qu' ils se sont veus en tribulation, soudain ils ont perdu le cœur, & sont peris pour leurs meschancetez: Et de l' Evangile, Mes amys vous sçavez qu' avant que trois jours se soient escoulez l' on celebrera les Pasques, & sera deliuré le fils de l' homme pour souffrir mort & passion. Tous lesquels passages cy dessus recitez, tout ainsi qu' ils ne promettoient rien de bon, ains toutes choses sinistres & desavantageuses, aussi moururent peu apres & Cran, & Meroüee miserablement, comme il est plus amplement descouvert par leur histoire. Cette superstitieuse coustume de deviner ayant esté observee sous toute la lignee de Clovis, depuis fut par loy expresse defenduë par Louys le Debonnaire au 4. livre de ses Ordonnances, art. 46. Ut nullus in Psalterio, vel Evangelio, vel alijs rebus sortiri praesumat, nec divinationes aliquas observare. Nous defendons, dit-il, à tout homme de jetter au sort, ou se mesler de deviner sur le Psaultier, ou Evangile, ou sur telles autres choses.

4. 3. De l' authorité du serment,

De l' authorité du serment, & d' une maniere de preuve qui se faisoit quelquesfois par iceluy.

CHAPITRE III.

L' authorité du Serment doit estre de telle recommandation en toutes nos actions, qu' il me plaist maintenant exercer ma plume sur ce sujet de toutes façons. L' on recite qu' au pays d' Egypte anciennement le parjure estoit puny par la mort, comme estant violateur de la pieté envers Dieu & de la foy envers les hommes, pour n' y avoir lien si estroit de cette humaine societé que l' entretenement du serment. A ce propos Ciceron en ses Offices disoit qu' il n' y avoit rien qui obligeast tant nostre promesse que la prestation de serment. Chose qui estoit averee en tous les actes solemnels, fust en paix faisant avecques nos ennemis, ou en l' exercice de la Religion ou de la justice. Voire sembloit estre si obligatoire qu' encore qu' il eust esté exigé par fraude ou force, on estimoit que nous n' en pouvions resilir. L' exemple de la fraude y est manifeste dans Herodote, quand il dit qu' Ariston Roy de Sparte s' estant enamouré de la femme d' Aget, promit de luy donner tout ce qu' il luy demanderoit: moyennant qu' Aget de son costé voulust juger qu' il feroit le semblable envers luy. Ce que l' autre luy promit: ne pensant point que cette promesse reciproque regardast en aucune façon les femmes, par ce qu' ils estoient tous deux mariez. Ayant doncques Aget demandé l' un des precieux joyaux d' Ariston, il l' obtint: mais à l' instant mesme, Ariston luy demanda sa femme pour espouser. A quoy Aget faisant instance, pour n' avoir estimé qu' en leurs pactions il y allast du fait des femmes, si fut-il condamné à y obeyr, pour s' y estre obligé par serment, ores qu' Ariston l' eust extorqué de luy par fraude. Non moins esmerveillable ce que l' on conte de Manlius, lequel ayant chassé de sa maison un sien fils, comme lourdaut & mal plaisant, le Tribun luy ayant faict donner jour devant le peuple de Rome, pour venir respondre sur cette cruauté paternelle. Le fils de ce adverty, ne voulant souffrir que son pere à son occasion reçeust quelque escorne, vint visiter de nuict le Tribun, qui le receut d' un favorable accueil, estimant qu' il luy voulust fournir des memoires pour sa cause. Mais l' enfant d' une charité filiale tira un poignard sur luy, disant qu' il l' occiroit presentement, si par serment il ne se vouloit obliger de soy desister de l' accusation qu' il brassoit encontre son pere. Chose que le Tribun pour eviter la mort, fut contraint de faire, & sur cette promesse ainsi extorquee de luy par force, ne passa plus outre à son entreprise. Parce qu' il y avoit interposé le serment. Admirable pieté, que ny la fraude, ny la force, n' excusa point de sa promesse celuy qui avoit juré. Nous voyous un semblable exemple dans Jean Sire de Joinville en la vie de sainct Louys, lequel ayant par colere juré qu' un Chevalier ne r' entreroit jamais dans sa maison, fut prié par le Connestable de luy pardonner. A quoy le Sire de Joinville respondit qu' il le vouloit bien, mais qu' auparavant il falloit qu' il eust dispense du Legat de Rome. Ce neantmoins le Legat dist qu' il ne le pouvoit dispenser, par ce qu' il avoit juré. Toutesfois ce serment n' estoit, si ainsi le faut dire, volontaire, mais par une colere. Que ce ne fust pecher, je n' en doute, mais qu' un tel peché ne peust recevoir quelque relasche à celuy qui la demandoit au Legat, & de la luy avoir refusee, cela nous monstre de quel respect & reverence leur estoit l' entretenir du Serment. Aussi le mot mesme nous l' enseigne, parce qu' en nostre Religion nous n' avons point plus grands & saints instruments pour sa manutention, que les Sacremens de l' Eglise. Or avons nous par un special privilege de nostre foy appellé entre les Chrestiens: Sacramentum, ce que les Payens appelloient Iusiurandum: & de ce mot de Sacrement nous avons fait par racourcissement celuy de serment. Mots que sainct Ambroise au troisiesme de ses Offices, chapitre douziesme, voulut marier ensemble, quand il disoit, Saepe plerique constringunt se iurisiurandi sacramento. Il ne faut donques point trouver estrange si entre les Ethniques, & depuis entre les Chrestiens, on remit quelquesfois la decision des causes du serment. Platon au dixiesme de ses loix disoit, que Rhadamante Roy de Lycie fut mis au rang des plus saints juges: Parce que prenant le serment des parties d' une part & d' autre, il donnoit prompte & seure fin aux causes. Qui me fait penser que les Payens ne faisoient si bon marché de leurs consciences, comme nous faisons aujourd'huy: ou bien que l' ordre que Rhadamante observoit en ses jugemens, estoit ridicule. Sainct Paul exhorte les Chrestiens de vuider leurs causes par leurs sermens.

Diodore Sicilien sur la fin de son premier livre nous dit qu' en la Sicile y avoit un Temple appellé Palice, auquel les plus grands & Religieux sermens se faisoient, & s' il y avoit quelqu' un si meschant & temeraire de s' y ozer parjurer, la punition s' en ensuivoit incontinant & qu' il y en avoit eu autresfois qui estoient sortis du pourpris du Temple aueugles pour s' y estre parjurez. Et à peu dire que la devotion & reverence que l' on portoit à ce lieu estoit si grande, que ceux qui avoient des procés, quand ils pensoient avoir affaire à plus forte partie qu' eux, vuidoient leurs procez, & decidoient leurs querelles, en deferant le serment à leurs parties adverses, & à la charge d' estre par elle fait en & au dedans de ce Temple, pour l' opinion qu' ils avoient que le parjure estoit tout aussi tost accompagné de sa peine: Que si le diable avoit telle puissance sur les personnes par la semence de ses superstitions, pour la forfaicture d' un serment, quelle crainte en doit avoir le Chrestien au milieu de la vraye & saincte Religion? Je trouve qu' avecques le Gage de Bataille, & l' atouchement du fer chaud, on voulut adjouster une troisiesme espece de procedures & preuves, qui se faisoit par le serment, esquelles celuy qui estoit accusé, jurant quelquesfois avecques siens parens, & desauoüant par serment le fait estoit declaré innocent. Du premier l' exemple est beau dans un ancien autheur escrivant la vie de l' Empereur Louys le Debonnaire, où Bernard grand Chambellan ayant esté soupçonné & accusé d' abus avecques l' Emperiere Judith, declara devant le Roy se vouloir purger par le gage de bataille, & à faute de trouver champion qui voulust entrer contre luy en champ clos, il s' en purgea par son serment. Bernardus imperator adiens, (porte le texte ) modum se purgandi ab eo quaerebat, more Francis solito, scilicet crimen obijcienti semet obiicere volens, armisque impacta diluere. Sed cum accusator, licet quaesitus deesset, cessantibus armis purgatio facta est iuramento. Ce fut en un Parlement où cette affaire fut traictee, pour l' importance du fait. Quant au serment, auquel on adjoustoit celuy des proches parens, cela se pratiquoit specialement en matiere de mariages. Car quand la femme estoit accusee d' adultere, on estimoit qu' il ne falloit point traicter cette cause avec plus de longueur que par le serment d' elle & de ses parens. Toutesfois cette regle n' estoit pas perpetuellement infaillible. Car en la vieille Cronique de sainct Denis, un seigneur accusant sa femme d' adultere, qu' il appelle Advoutrie. Elle requit (dit le texte) son pere, sa mere, & ses parens à aide & secours, & ceux qui saine & innocente la cuiderent de cette chose, jurerent à son Baron & à ses amis sur saincts, en l' oratoire sainct Denis, qu' elle n' avoit coulpe en ce dont on l' accusoit. Toutesfois la suitte du passage porte que les parens du mary n' y voulurent adjouster foy, & ne dit l' Historiographe quelle fut l' yssuë de cette accusation. Le vieux coustumier de Normandie au chapitre octante quatriesme disoit que cela se pratiquoit és matieres criminelles, legeres de faict ou de dit. Luitprand au sixiesme livre de son Histoire nous enseigne qu' un Pape Jean ayant conceu une mauvaise opinion contre l' Empereur, luy envoya des Ambassadeurs, avec charge expresse de luy dire qu' il estoit prest de se purger par le gage de bataille, ou par le serment, contre la fausse imputation qu' on luy mettoit sus. Qui omma (dit l' autheur) ordinatim prout eis iniunctum fuerat enarrantes non iuramento, non duello, Papa satisfactionem recipere voluit, sed in eadem, quam fuerat, duritia permansit. L' Empereur Charlemagne ne fit pas le semblable au Pape Leon, lequel accusé par le peuple Romain, voulut qu' il se purgeast devant tout le monde par serment, & qu' il fust son juge, & son tesmoin tout ensemble. Le semblable fit depuis l' Evesque d' Albe accusé, qu' estant Legat du sainct Siege, il avoit vendu les ordres de Prestrise. Ce que nous apprenons d' Yve de Chartres en son Epistre 260. Mais il ne faut jamais rapporter un petit modelle à un grand. Beaucoup de choses sont bien-seantes aux grands, qu' il ne faut pas permettre au commun peuple. Paraventure cette coustume fut cause, a fin d' oster la facilité de parjurer qu' au quatriesme livre des loix du Debonnaire, & de Lothaire son fils, article 95. il estoit dit, De eo qui periurium fecerit se sciente, nullam redemptionem habeat, nisi manum perdat & emendare studeat. Qui estoit à bien dire, tomber d' une fievre tierce en chaud mal. J' estime que cette loy ne fut jamais executee, non plus que celle des Romains qui vouloit que le debiteur banqueroutier fust mis en pieces, & ses membres distribuez à ses creanciers. Laquelle au rapport de toute l' ancienneté, jamais ne sortit effect. Or comme ainsi soit que cette deffence qui procedoit du serment, eust aussi bien lieu en la Germanie, qu' entre nous: aussi trouvé-je une loy, par laquelle il semble qu' Othon premier la voulut aucunement abroger. Antiquis est constitutum temporibus, ut si chartarum inscriptio, quae constabat ex praediis falsa ab adversario diceretur, sacrosanctis Evangeliis tactis verum esse ab ostensore chartae probaretur, sicque praedium sine deliberatione iudicum vendicabat. Qua ex re mos detestabilis in Italia improbusque non imitandus exolvit, ut sub legum specie, iureiurando acquireretur, qui Deum non timendo, minimè formidaret periurare. C' est pourquoy il veut & ordonne, que s' il n' y a preuve contraire litterale, ou par bons, & vallables tesmoins, la decision de cette cause soit terminee par le gage de bataille: Quoy que ce soit, cette coustume s' est fort aisément perduë entre nous, tout ainsi comme en Italie. Car il y avoit peu de seureté de remettre malgré nous nostre bon droict, sur la conscience de nostre partie adverse, & de ses proches parens.

Cette consideration m' admonneste de discourir en peu de paroles sur les sermens que nous faisons aujourd'huy en nos causes. Le Romain avoit deux sortes de sermens judiciaires. L' un decisif de la cause, quand de nostre consentement nous en rapportions au serment de nostre partie adverse: L' autre que l' on appelloit le serment en cause, ou de calomnie, quand dés l' entree de toute cause chaque partie juroit devant la face du Juge, qu' il n' entroit point en cette lice par calomnie, ains parce qu' il pensoit estre en tout & par tout bien fondé. Au Concil de Valence sous le Roy Lothaire, l' an 855. le serment en cause que l' on exigeoit des parties fut osté. Ce neantmoins ne laissant d' estre pris par les Juges, au Concil de Latran sous Alexandre III. il fut deffendu pour les Clercs, & personnes Ecclesiastiques. Le temps depuis le bannit de toutes causes entre toutes sortes de personnes, jusques à ce que l' Edict de Roussillon en l' an 1564. le voulut ramener en usage. En cas semblable anciennement en la France, nul n' estoit tenu de se condamner par sa bouche. Et mesmement aux monitions que l' on obtenoit, on y adjoustoit ordinairement cette clause, Dempta parte, & consilio. Le Chancelier Pouyet par l' ordonnance de l' an 1539. voulut que tout homme fust tenu en chaque partie de la cause de respondre par sa bouche apres serment par luy fait, sur les articles qui luy seroient proposez par sa partie adverse. Et de là est venu puis apres qu' en matiere de monition on n' excepte plus, ny la partie, ny son conseil. Car puis que nul ne se peut dispenser de subir l' interrogatoire, pourquoy doncques en vertu d' une monition de l' Eglise ne viendra l' on à revelation? Mais quelle est la loy meilleure, ou celle que nous observons aujourd'huy, ou l' ancienne? la nostre de prime-face a un beau regard. Car puis que nous ne tendons à autre but que de nous esclaircir de la verité que les parties envelopent par Sophistiqueries, pour attaindre à leurs fins, que pouvoit on trouver de meilleur que d' informer la conscience d' un juge par un venerable serment, ou bien, par la crainte d' une censure Ecclesiastique & L' un à l' autre ne promettans qu' une perdition eternelle de nos ames, voulans sauver nos biens passagers, si nous pensons obscurcir ce qui est de la lumiere de la verité. Consideration certes qui n' est pas de petit effect. Toutesfois si vous revenez à vostre second penser, peut-estre trouverez-vous que nos ancestres soustenans le party contraire, ne furent pas mois Religieux que nous. Que diriez-vous si je les en estimois plus? Car combien qu' ils s' estudiassent autant à la recherche de la verité comme nous, si est-ce que pour la consequence, ils ne voulurent ouvrir à toutes heures la porte, tant au serment, qu' aux censures, a fin de ne les faire venir au contemnement, & mespris du commun peuple: & comme disoit l' Empereur Justinian en l' une de ses constitutions, pour ne permettre que facilement on prevariquast contre la Majesté de Dieu: Enquoy certes leur opinion n' a esté grandement trompee: car je ne voy point que les juges soient plus esclaircis de la verité, & le peuple en est devenu plus meschant, mettant sous pieds la reverence, & du serment, & des censures Ecclesiastiques: voulant à quelque pris que ce soit ne se faire pauvre par sa bouche. Et est une chose fort notable, & digne d' estre trompettee à une posterité, que Messire Christofle de Thou, premier President en la Cour de Parlement de Paris, interrogeant un homme prevenu de crime, ne voulut jamais prendre de luy le serment, sçachant que pour sauver sa vie, il seroit malaisé qu' il ne se parjurast. Et à la mienne volonté que l' on pratiquast le semblable à l' endroit de tous les nouveaux Conseillers qui entrent en la mesme Cour, & que jamais on les fist jurer sçavoir s' ils ont acheté leurs Estats.