De l' authorité du serment, & d' une maniere de preuve qui se faisoit quelquesfois par iceluy.
CHAPITRE III.
L' authorité du Serment doit estre de telle recommandation en toutes nos actions, qu' il me plaist maintenant exercer ma plume sur ce sujet de toutes façons. L' on recite qu' au pays d' Egypte anciennement le parjure estoit puny par la mort, comme estant violateur de la pieté envers Dieu & de la foy envers les hommes, pour n' y avoir lien si estroit de cette humaine societé que l' entretenement du serment. A ce propos Ciceron en ses Offices disoit qu' il n' y avoit rien qui obligeast tant nostre promesse que la prestation de serment. Chose qui estoit averee en tous les actes solemnels, fust en paix faisant avecques nos ennemis, ou en l' exercice de la Religion ou de la justice. Voire sembloit estre si obligatoire qu' encore qu' il eust esté exigé par fraude ou force, on estimoit que nous n' en pouvions resilir. L' exemple de la fraude y est manifeste dans Herodote, quand il dit qu' Ariston Roy de Sparte s' estant enamouré de la femme d' Aget, promit de luy donner tout ce qu' il luy demanderoit: moyennant qu' Aget de son costé voulust juger qu' il feroit le semblable envers luy. Ce que l' autre luy promit: ne pensant point que cette promesse reciproque regardast en aucune façon les femmes, par ce qu' ils estoient tous deux mariez. Ayant doncques Aget demandé l' un des precieux joyaux d' Ariston, il l' obtint: mais à l' instant mesme, Ariston luy demanda sa femme pour espouser. A quoy Aget faisant instance, pour n' avoir estimé qu' en leurs pactions il y allast du fait des femmes, si fut-il condamné à y obeyr, pour s' y estre obligé par serment, ores qu' Ariston l' eust extorqué de luy par fraude. Non moins esmerveillable ce que l' on conte de Manlius, lequel ayant chassé de sa maison un sien fils, comme lourdaut & mal plaisant, le Tribun luy ayant faict donner jour devant le peuple de Rome, pour venir respondre sur cette cruauté paternelle. Le fils de ce adverty, ne voulant souffrir que son pere à son occasion reçeust quelque escorne, vint visiter de nuict le Tribun, qui le receut d' un favorable accueil, estimant qu' il luy voulust fournir des memoires pour sa cause. Mais l' enfant d' une charité filiale tira un poignard sur luy, disant qu' il l' occiroit presentement, si par serment il ne se vouloit obliger de soy desister de l' accusation qu' il brassoit encontre son pere. Chose que le Tribun pour eviter la mort, fut contraint de faire, & sur cette promesse ainsi extorquee de luy par force, ne passa plus outre à son entreprise. Parce qu' il y avoit interposé le serment. Admirable pieté, que ny la fraude, ny la force, n' excusa point de sa promesse celuy qui avoit juré. Nous voyous un semblable exemple dans Jean Sire de Joinville en la vie de sainct Louys, lequel ayant par colere juré qu' un Chevalier ne r' entreroit jamais dans sa maison, fut prié par le Connestable de luy pardonner. A quoy le Sire de Joinville respondit qu' il le vouloit bien, mais qu' auparavant il falloit qu' il eust dispense du Legat de Rome. Ce neantmoins le Legat dist qu' il ne le pouvoit dispenser, par ce qu' il avoit juré. Toutesfois ce serment n' estoit, si ainsi le faut dire, volontaire, mais par une colere. Que ce ne fust pecher, je n' en doute, mais qu' un tel peché ne peust recevoir quelque relasche à celuy qui la demandoit au Legat, & de la luy avoir refusee, cela nous monstre de quel respect & reverence leur estoit l' entretenir du Serment. Aussi le mot mesme nous l' enseigne, parce qu' en nostre Religion nous n' avons point plus grands & saints instruments pour sa manutention, que les Sacremens de l' Eglise. Or avons nous par un special privilege de nostre foy appellé entre les Chrestiens: Sacramentum, ce que les Payens appelloient Iusiurandum: & de ce mot de Sacrement nous avons fait par racourcissement celuy de serment. Mots que sainct Ambroise au troisiesme de ses Offices, chapitre douziesme, voulut marier ensemble, quand il disoit, Saepe plerique constringunt se iurisiurandi sacramento. Il ne faut donques point trouver estrange si entre les Ethniques, & depuis entre les Chrestiens, on remit quelquesfois la decision des causes du serment. Platon au dixiesme de ses loix disoit, que Rhadamante Roy de Lycie fut mis au rang des plus saints juges: Parce que prenant le serment des parties d' une part & d' autre, il donnoit prompte & seure fin aux causes. Qui me fait penser que les Payens ne faisoient si bon marché de leurs consciences, comme nous faisons aujourd'huy: ou bien que l' ordre que Rhadamante observoit en ses jugemens, estoit ridicule. Sainct Paul exhorte les Chrestiens de vuider leurs causes par leurs sermens.
Diodore Sicilien sur la fin de son premier livre nous dit qu' en la Sicile y avoit un Temple appellé Palice, auquel les plus grands & Religieux sermens se faisoient, & s' il y avoit quelqu' un si meschant & temeraire de s' y ozer parjurer, la punition s' en ensuivoit incontinant & qu' il y en avoit eu autresfois qui estoient sortis du pourpris du Temple aueugles pour s' y estre parjurez. Et à peu dire que la devotion & reverence que l' on portoit à ce lieu estoit si grande, que ceux qui avoient des procés, quand ils pensoient avoir affaire à plus forte partie qu' eux, vuidoient leurs procez, & decidoient leurs querelles, en deferant le serment à leurs parties adverses, & à la charge d' estre par elle fait en & au dedans de ce Temple, pour l' opinion qu' ils avoient que le parjure estoit tout aussi tost accompagné de sa peine: Que si le diable avoit telle puissance sur les personnes par la semence de ses superstitions, pour la forfaicture d' un serment, quelle crainte en doit avoir le Chrestien au milieu de la vraye & saincte Religion? Je trouve qu' avecques le Gage de Bataille, & l' atouchement du fer chaud, on voulut adjouster une troisiesme espece de procedures & preuves, qui se faisoit par le serment, esquelles celuy qui estoit accusé, jurant quelquesfois avecques siens parens, & desauoüant par serment le fait estoit declaré innocent. Du premier l' exemple est beau dans un ancien autheur escrivant la vie de l' Empereur Louys le Debonnaire, où Bernard grand Chambellan ayant esté soupçonné & accusé d' abus avecques l' Emperiere Judith, declara devant le Roy se vouloir purger par le gage de bataille, & à faute de trouver champion qui voulust entrer contre luy en champ clos, il s' en purgea par son serment. Bernardus imperator adiens, (porte le texte ) modum se purgandi ab eo quaerebat, more Francis solito, scilicet crimen obijcienti semet obiicere volens, armisque impacta diluere. Sed cum accusator, licet quaesitus deesset, cessantibus armis purgatio facta est iuramento. Ce fut en un Parlement où cette affaire fut traictee, pour l' importance du fait. Quant au serment, auquel on adjoustoit celuy des proches parens, cela se pratiquoit specialement en matiere de mariages. Car quand la femme estoit accusee d' adultere, on estimoit qu' il ne falloit point traicter cette cause avec plus de longueur que par le serment d' elle & de ses parens. Toutesfois cette regle n' estoit pas perpetuellement infaillible. Car en la vieille Cronique de sainct Denis, un seigneur accusant sa femme d' adultere, qu' il appelle Advoutrie. Elle requit (dit le texte) son pere, sa mere, & ses parens à aide & secours, & ceux qui saine & innocente la cuiderent de cette chose, jurerent à son Baron & à ses amis sur saincts, en l' oratoire sainct Denis, qu' elle n' avoit coulpe en ce dont on l' accusoit. Toutesfois la suitte du passage porte que les parens du mary n' y voulurent adjouster foy, & ne dit l' Historiographe quelle fut l' yssuë de cette accusation. Le vieux coustumier de Normandie au chapitre octante quatriesme disoit que cela se pratiquoit és matieres criminelles, legeres de faict ou de dit. Luitprand au sixiesme livre de son Histoire nous enseigne qu' un Pape Jean ayant conceu une mauvaise opinion contre l' Empereur, luy envoya des Ambassadeurs, avec charge expresse de luy dire qu' il estoit prest de se purger par le gage de bataille, ou par le serment, contre la fausse imputation qu' on luy mettoit sus. Qui omma (dit l' autheur) ordinatim prout eis iniunctum fuerat enarrantes non iuramento, non duello, Papa satisfactionem recipere voluit, sed in eadem, quam fuerat, duritia permansit. L' Empereur Charlemagne ne fit pas le semblable au Pape Leon, lequel accusé par le peuple Romain, voulut qu' il se purgeast devant tout le monde par serment, & qu' il fust son juge, & son tesmoin tout ensemble. Le semblable fit depuis l' Evesque d' Albe accusé, qu' estant Legat du sainct Siege, il avoit vendu les ordres de Prestrise. Ce que nous apprenons d' Yve de Chartres en son Epistre 260. Mais il ne faut jamais rapporter un petit modelle à un grand. Beaucoup de choses sont bien-seantes aux grands, qu' il ne faut pas permettre au commun peuple. Paraventure cette coustume fut cause, a fin d' oster la facilité de parjurer qu' au quatriesme livre des loix du Debonnaire, & de Lothaire son fils, article 95. il estoit dit, De eo qui periurium fecerit se sciente, nullam redemptionem habeat, nisi manum perdat & emendare studeat. Qui estoit à bien dire, tomber d' une fievre tierce en chaud mal. J' estime que cette loy ne fut jamais executee, non plus que celle des Romains qui vouloit que le debiteur banqueroutier fust mis en pieces, & ses membres distribuez à ses creanciers. Laquelle au rapport de toute l' ancienneté, jamais ne sortit effect. Or comme ainsi soit que cette deffence qui procedoit du serment, eust aussi bien lieu en la Germanie, qu' entre nous: aussi trouvé-je une loy, par laquelle il semble qu' Othon premier la voulut aucunement abroger. Antiquis est constitutum temporibus, ut si chartarum inscriptio, quae constabat ex praediis falsa ab adversario diceretur, sacrosanctis Evangeliis tactis verum esse ab ostensore chartae probaretur, sicque praedium sine deliberatione iudicum vendicabat. Qua ex re mos detestabilis in Italia improbusque non imitandus exolvit, ut sub legum specie, iureiurando acquireretur, qui Deum non timendo, minimè formidaret periurare. C' est pourquoy il veut & ordonne, que s' il n' y a preuve contraire litterale, ou par bons, & vallables tesmoins, la decision de cette cause soit terminee par le gage de bataille: Quoy que ce soit, cette coustume s' est fort aisément perduë entre nous, tout ainsi comme en Italie. Car il y avoit peu de seureté de remettre malgré nous nostre bon droict, sur la conscience de nostre partie adverse, & de ses proches parens.
Cette consideration m' admonneste de discourir en peu de paroles sur les sermens que nous faisons aujourd'huy en nos causes. Le Romain avoit deux sortes de sermens judiciaires. L' un decisif de la cause, quand de nostre consentement nous en rapportions au serment de nostre partie adverse: L' autre que l' on appelloit le serment en cause, ou de calomnie, quand dés l' entree de toute cause chaque partie juroit devant la face du Juge, qu' il n' entroit point en cette lice par calomnie, ains parce qu' il pensoit estre en tout & par tout bien fondé. Au Concil de Valence sous le Roy Lothaire, l' an 855. le serment en cause que l' on exigeoit des parties fut osté. Ce neantmoins ne laissant d' estre pris par les Juges, au Concil de Latran sous Alexandre III. il fut deffendu pour les Clercs, & personnes Ecclesiastiques. Le temps depuis le bannit de toutes causes entre toutes sortes de personnes, jusques à ce que l' Edict de Roussillon en l' an 1564. le voulut ramener en usage. En cas semblable anciennement en la France, nul n' estoit tenu de se condamner par sa bouche. Et mesmement aux monitions que l' on obtenoit, on y adjoustoit ordinairement cette clause, Dempta parte, & consilio. Le Chancelier Pouyet par l' ordonnance de l' an 1539. voulut que tout homme fust tenu en chaque partie de la cause de respondre par sa bouche apres serment par luy fait, sur les articles qui luy seroient proposez par sa partie adverse. Et de là est venu puis apres qu' en matiere de monition on n' excepte plus, ny la partie, ny son conseil. Car puis que nul ne se peut dispenser de subir l' interrogatoire, pourquoy doncques en vertu d' une monition de l' Eglise ne viendra l' on à revelation? Mais quelle est la loy meilleure, ou celle que nous observons aujourd'huy, ou l' ancienne? la nostre de prime-face a un beau regard. Car puis que nous ne tendons à autre but que de nous esclaircir de la verité que les parties envelopent par Sophistiqueries, pour attaindre à leurs fins, que pouvoit on trouver de meilleur que d' informer la conscience d' un juge par un venerable serment, ou bien, par la crainte d' une censure Ecclesiastique & L' un à l' autre ne promettans qu' une perdition eternelle de nos ames, voulans sauver nos biens passagers, si nous pensons obscurcir ce qui est de la lumiere de la verité. Consideration certes qui n' est pas de petit effect. Toutesfois si vous revenez à vostre second penser, peut-estre trouverez-vous que nos ancestres soustenans le party contraire, ne furent pas mois Religieux que nous. Que diriez-vous si je les en estimois plus? Car combien qu' ils s' estudiassent autant à la recherche de la verité comme nous, si est-ce que pour la consequence, ils ne voulurent ouvrir à toutes heures la porte, tant au serment, qu' aux censures, a fin de ne les faire venir au contemnement, & mespris du commun peuple: & comme disoit l' Empereur Justinian en l' une de ses constitutions, pour ne permettre que facilement on prevariquast contre la Majesté de Dieu: Enquoy certes leur opinion n' a esté grandement trompee: car je ne voy point que les juges soient plus esclaircis de la verité, & le peuple en est devenu plus meschant, mettant sous pieds la reverence, & du serment, & des censures Ecclesiastiques: voulant à quelque pris que ce soit ne se faire pauvre par sa bouche. Et est une chose fort notable, & digne d' estre trompettee à une posterité, que Messire Christofle de Thou, premier President en la Cour de Parlement de Paris, interrogeant un homme prevenu de crime, ne voulut jamais prendre de luy le serment, sçachant que pour sauver sa vie, il seroit malaisé qu' il ne se parjurast. Et à la mienne volonté que l' on pratiquast le semblable à l' endroit de tous les nouveaux Conseillers qui entrent en la mesme Cour, & que jamais on les fist jurer sçavoir s' ils ont acheté leurs Estats.
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