Des (De) la secte des Jesuites.
CHAPITRE XXXVI.
Ayant dedié ce livre aux libertez de l' Eglise Gallicane, je ne pense faire chose eslongnee de mon intention de discourir de la secte des Jesuites, laquelle a propositions toutes contraires aux nostres, à la subversion de nostre Estat. Apres que les Jesuites eurent recueilly le grand legs, qui leur avoit esté fait par Messire Guillaume du Prat, Evesque de Clairmont, ils achepterent l' hostel de Langres, ruë sainct Jacques, en la ville de Paris, où ils establirent à leur guise une forme de College, & de Monastere, sous divers domiciles: & s' estans donné liberté de lire & enseigner la jeunesse sans auctorité du Recteur, ils solliciterent plusieurs fois l' Université, pour estre incorporez avecq' elle. A quoy n' ayans peu parvenir, ils presenterent en l' an 1564. leur requeste à la Cour de Parlement aux mesmes fins. L' Université me fit cest honneur de me choisir en plaine congregation pour son Advocat. Quand je me preparay de la cause (armé du S. Decret que la Faculté de Theologie avoit prononcé encontre eux en l' an 1554. où avoient assisté ces deux grands arcboutans de nostre Religion Catholique, nostre maistre Picart, & nostre maistre Maillart) je pensay que je pouvois avecq' toute seurté de ma conscience combatre en camp clos, ce Monstre, qui pour n' être ny Seculier, ny Regulier, estoit tous les deux ensemble, & partant introduisoit dedans nostre Eglise, un ordre Hermaphrodite. Nous plaidames par deux matinees, maistre Pierre Versoris, & moy: Luy pour les Jesuites, moy pour l' Université, à la veuë d' une infinité de personnes, qui attendoient quel seroit l' evenement. Maistre Baptiste du Menil Advocat du Roy, duquel on ne sçavroit assez honorer la memoire, fut pour moy. Par mon Plaidoyé je remonstray la profession anomale qui se trouvoit en eux, le jugement que la Faculté de Sorbonne en avoit fait dix ans auparavant, l' opposition deslors formee par Monsieur le Procureur general Brulard, à leur reception, que leur vœu contrevenoit du tout au nostre, que les nourrissans au milieu de nous, c' estoit y introduire un schisme, & encores autant d' espies Espagnoles, & ennemis jurez de la France, dont nous sentirions les effects au premier remuëment que le malheur du temps nous pourroit apporter. Ce nonobstant pour la consequence nous feumes appointez au Conseil: chacun perdit & gagna sa cause. Car ils ne furent agregez au corps de l' Université, mais aussi ne leur fut-il defendu de continuer leurs lectures publiques. Quand Dieu veut affliger un Estat il en plante de longue main les racines. Ces nouveaux hostes gagnent le cœur du peuple, par chimagrees, & belles promesses. Car mesmes, comme s' ils eussent eu le don des langues que le sainct Esprit espandit dessus les Apostres, ils se vantoient d' aller *prescher l' Evangile au milieu des Sauvages: eux qui à peine sçavoient parler leur langage maternel. Sous ces beaux appas, chacun se laissoit prendre par eux, à la pipee. Mais comme ils avoient introduit une Religion bigarree, de Regulier, & Seculier, troublans par ce moyen tout l' ordre Hierarchique de nostre Eglise, aussi s' estudierent-ils de là en avant de vouloir à bonnes enseignes troubler tous les Estats Politics de la Chrestienté: D' autant que par une nouvelle regle, ils commencerent de mesler l' Estat avec leur Religion, & comme il est fort aisé de glisser d' une liberté en une licence effrenee, aussi planterent-ils sur ceste irregularité une heresie la plus detestable que l' on sçavroit dire. Soustenant qu' il estoit permis de tuer un Prince qui ne se conformoit à leurs principes. Mettans sous pieds & la reprimende que nostre Seigneur fit à S. Pierre, quand il tira son glaive pour le defendre, & l' article du grand Concil de Constance qui anathematisoit tous ceux qui mettoient ceste proposition en avant. Lors que je plaiday la cause, je ne feis estat de ces deux propositions encontre eux. Car combien qu' ils les couvassent dans leurs ames, si ne les avoient-ils encores escloses. Bien disoy-je qu' il ne falloit riens esperer de bon, de ce Monstre: mais qu' ils nous eussent voulu ramener à effet, ny la maxime du vieux de la Montagne, lequel lors de nos guerres d' outre-mer distribuoit par les provinces ses subjects nommez Assasins, pour tuer les Princes Chrestiens, ny l' abominable anabaptisme qui sur nos jeunes ans provigna dedans l' Allemagne, certes je ne l' eusse jamais pensé. Toutesfois l' une & l' autre proposition a esté par eux pratiquee au veu & sçeu de toute la Chrestienté. Car quant à la premiere, il n' y a celuy de nous qui ne sçache, qu' ayans pris pied dans le Portugal sous le tiltre, non de Jesuites, ains d' Apostres, ils solliciterent par toutes sortes d' impostures le Roy Sebastien de vouloir faire une loy generale, que nul ne fust appellé à la couronne, s' il n' estoit de leur Societé, & encores qu' il ne fut esleu par les voix & suffrages d' icelle: A quoy ils ne peurent attaindre, bien qu' ils fussent tombez en un Prince bigot & superstitieux le possible. Et pour ne m' eslongner de nostre France, ils furent les premiers boute-feux de ceste mal-heureuse Ligue, qui a ruiné de fonds en comble nostre Royaume. Elle fut chez eux premierement consertee, & ayant esté concluë, ils deleguerent leurs Peres Mathieu, Lorrain, & Odon Pigenat (ainsi appellent-ils leurs Prestres plus anciens) pour leur servir de trompettes par toutes les nations estranges. Et depuis se declarerent à huis ouvert Espagnols, tant par leurs presches, que leçons publiques: En faveur desquels ils voulurent mettre en œuvre leur seconde proposition, qui estoit de faire tuer nostre Roy, non pas lors qu' il estoit eslongné de nostre Religion (car ils sçavoient que ce luy estoit un obstacle qui l' empeschoit de regner) mais soudain qu' ils le virent reduit au sein de l' Eglise, ils subornerent un Pierre Barriere, homme determiné quant à la main, mais d' une ame & conscience foible, lequel ils firent confesser dedans leur College, puis commumier, & apres l' avoir confirmé d' une promesse certaine de Paradis, comme un vray martyr, s' il mouroit sur ceste querelle, laissent aller le vaillant combatant, qui par trois fois fut sur le poinct d' executer sa mal-heureuse entreprise, & par trois fois Dieu luy retint miraculeusement la main: Jusques à ce qu' en fin ayant esté pris dans Melun, il fut puny * l' an 1593: ainsi qu' il le meritoit. Je ne dy riens que je n' aye veu, ayant mesmement parlé à luy lors qu' il estoit prisonnier. Recherchez toutes les impietez qu' il vous plaira: vous n' en trouverez une seule si barbaresque comme ceste-cy, conseiller une impieté, & la revestir d' un masque de pieté tel que celuy-là, & à peu dire perdre une ame, un Roy, un Paradis, & nostre Eglise tout ensemble, pour donner lieu à leurs marranes desseins. Toutes ces nouvelles productions furent cause que la ville de Paris estant reduite sous l' obeïssance du Roy, l' Université voulut reprendre contre eux les anciens arrhemens de son appoincté au Conseil. La cause est plaidee fortement & dignement par maistre Anthoine Arnault: mais comme l' on estoit sur le jugement du procés, voicy une autre nouvelle piece qui le fait juger tout à fait. Jean Chastel Parisien âgé de dixneuf ans, rejetton de ce mal-heureux Seminaire, frape d' un coup de cousteau nostre Roy Henry IV. dedans sa maison Royale du Louvre, au milieu de sa Noblesse, il est pris, son procés fait & parfait, intervient arrest du vingt-neufiesme Decembre, mil cinq cens quatre-vingt quatorze, dont la teneur s' ensuit.
Veu par la Cour, les grand Chambre & Tournelle assemblees, le procés criminel commencé à faire par le Prevost de l' Hostel du Roy & depuis parachevé d' instruire en icelle, à la requeste du Procureur General du Roy, demandeur & accusateur à l' encontre de Jean Chastel natif de Paris, Escolier, ayant fait le cours de ses estudes au College de Clairmont, prisonnier és prisons de la Conciergerie du Palais, pour raison du tres-execrable & tres-abominable parricide attenté sur la personne du Roy, interrogatoires & confessions du dict Jean Chastel, ouy & interrogé en la dicte Cour le dict Chastel sur le faict du dit parricide, ouys aussi en icelle Jean Gueret Prestre, soy disant de la congregation & Societé du nom de Jesus, demeurant audit College, & cy devant precepteur du dict Jean Chastel, Pierre Chastel, & Denise Hazard, pere & mere du dit Jean: Conclusions du Procureur General du Roy, & tout consideré. Il sera dict que la dicte Cour a declaré & declare le dict Jean Chastel, attaint & convaincu du crime de leze Majesté divine & humaine au premier chef, par le tres-meschant & tres-detestable parricide attenté sur la personne du Roy: pour reparation duquel crime a condamné & condamne le dict Jean Chastel à faire amende honorable devant la principale porte de l' Eglise de Paris, nud en chemise, tenant une torche de cire ardente du poix de deux liures, & illec à genoux, dire & declarer que mal heureusement & proditoirement il a attenté le dit tres-inhumain & tres-abominable parricide, & blessé le Roy d' un cousteau en la face: & par faulses & damnables instructions il a dict au dict procés être permis de tuer les Roys, & que le Roy Henry IIII. à present regnant n' est en l' Eglise jusques à ce qu' il ait l' approbation du Pape: dont il se repent, & demande pardon à Dieu, au Roy, & à Justice. Ce faict, être mené & conduit en un tumbereau en la place de Greve, Illec tenaillé aux bras & cuisses, & sa main dextre, tenant en icelle le cousteau duquel il s' est efforcé commettre le dict parricide, coupee: & apres son corps tiré & demembré avec quatre chevaux, & ses membres & corps jettez au feu & consumez en cendres, & les cendres jettees au vent. A declaré & declare tous & chacuns ses biens acquis & confisquez au Roy: Avant laquelle execution sera le dit Jean Chastel appliqué à la question ordinaire & extraordinaire, pour sçavoir la verité de ses complices, & d' aucuns cas resultans du dit procés: A faict & faict inhibitions & defenses à toutes personnes de quelque qualité & condition qu' elles soient, sur peine de crime de leze Majesté, de dire ne proferer en aucun lieu public, ny autre, les dicts propos: lesquels la dicte Cour a declaré & declare scandaleux, seditieux, contraires à la parole de Dieu, & condamnez comme heretiques par les saincts Decrets. Ordonne que les Prestres & Escoliers du College de Clairmont, & tous autres soy disans de la dicte Societé, comme corrupteurs de la jeunesse, perturbateurs du repos public, ennemis du Roy, & de l' Estat, vuideront dedans trois jours apres la signification du present Arrest hors de Paris, & autres villes & lieux où sont leurs Colleges, & quinzaine apres hors du Royaume, sur peine où ils y seront trouvez le dict temps passé, d' être punis comme criminels & coupables du dict crime de leze Majesté. Seront les biens, tant meubles qu' immeubles à eux appartenans, employez en œuvres pitoyables, & distribution d' iceux faicte ainsi que par la Cour sera ordonné. Outre faict deffenses à tous subjects du Roy, d' envoyer des Escoliers aux Colleges de la dicte Societé, qui sont hors du Royaume pour y être instruits, sur la mesme peine de crime de leze Majesté: Ordonne la Cour que les extraicts du present Arrest seront envoyez aux Baillages & Seneschaussez de ce ressort, pour être executé selon sa forme, & teneur. Enjoint aux Baillifs, & Seneschaux, leurs Lieutenans generaux & particuliers, proceder à l' execution, dedans le delai contenu en iceluy, & aux Substituts du Procureur General tenir la main à la dite execution, faire informer des contraventions, & certifier la dite Cour de leurs diligences au mois, sur peine de privation de leurs estats.
Signé.
DV TILLET.
Prononcé audit Jean Chastel, executé le Jeudy vingt-neufiesme Decembre, mil cinq cens quatre vingts quatorze.
Pendant la procedure sur laquelle intervient cest Arrest, quelques Seigneurs du Parlement furent deputez pour se transporter au College de Clairmont, lesquels ayans fait saisir plusieurs papiers, trouverent entre autres, des livres composez par maistre Jean Guignard Prestre, Jesuite, contenans plusieurs faux & seditieux moyens pour prouver qu' il avoit esté loisible d' assassiner le feu Roy Henry III. & inductions pour faire tuer le Roy Henry IIII. son successeur. En effect voila la fin des maistres Jesuites, & de leur mal-heureux escolier. A l' exemple dequoy, la Seigneurie de Venise les a aussi chassez: & m' asseure que quelque jour la ville de Rome n' en sera pas moins, & trouvera qu' elle nourrit dedans son sein un ver, qui à la longue rongnonnera son Estat. Maintenant je vous veux faire part du Plaidoyé que je feis en l' an mil cinq cens soixante quatre, pour l' Université de Paris encontre eux, que je veux faire passer icy pour Chapitre, dans lequel si vous y trouvez quelque placard de ce mien livre, il ne le faut trouver estrange, estant un mesme subject, & à vray dire ce mien Plaidoyé est un abregé de mon livre.
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