Pourquoy en matiere de cession de biens l' on fait abandonnement de sa ceinture devant la face du Juge.
CHAPITRE X.
La cession de biens est une infamie de faict, non de droict, disent nos Docteurs, c' est à dire qu' elle blesse la reputation d' un honneste homme, mais pour cela ne luy faict encourir les taches qui accompagnent les infamies de droict. C' est pourquoy encores qu' il ne soit permis de fermer la porte à ceux qui veulent faire cession de biens, si est-ce que nos anciens par un sage esprit ne voulurent permettre qu' elle fust aisément ouverte, pour le moins y voulurent ils apporter quelques pudeurs, a fin que chacun dedans sa maison ne fust facilement induit à ce remede des miserables, comme ressource de ses maux. Les Docteurs d' Italie disent qu' en leur pays celuy qui faisoit abandonnement de ses biens, estoit tenu de frapper trois fois du cul sur une pierre en la presence du Juge: Qui estoit une demie amende honorable. Dans la ville de Lucques l' on portoit un chapeau, ou bonnet orenger: Et en cette France par la Coustume de la Val, un bonnet verd, comme signe que celuy qui faisoit cession de biens, estoit devenu pauvre par sa folie. Ainsi fut-il jugé de nostre temps par sentence du Juge de la Val, contre Guillaume Butugny au profit de Marin je Moine le 9. Septembre 1580. Laquelle fut depuis confirmee par Arrest du 26. Juin 1582. Or entre nous, nostre coustume n' est pas si rude que celle du bonnet verd, mais encores y apportons nous une ceremonie, qui est que celuy qui abandonne ses biens, est tenu par mesme moyen d' abandonner sa ceinture en justice. En l' arrest donné par le Grand Conseil le 25. May 1453. contre Jacques Cueur, il estoit porté nommément qu' il feroit amende honorable sans chaperon & ceinture. Il n' estoit pas lors question d' une simple cession de biens, ny de peu, & neantmoins il fait mention expresse de la ceinture avec le chaperon, l' un representant l' honneur qui gisoit au chaperon, l' autre les biens, qui gisoient en la ceinture, comme si on eust voulu que par la perte de la ceinture il perdoit aussi tous ses biens: Mais d' où vient cette ancienne usance? La ceinture nous estoit comme une lettre hieroglyphique des biens: car aujourd'huy ainsi que nous en usons, il n' y a rien qui symbolise avec cela. Maistre Guillaume Fournier Docteur Regent d' Orleans a fait sur ce sujet un chapitre expres, au second Livre de ses Selections, où il va rechercher cette coustume mal à propos dans les anciennetez de Rome. Je laisse ce qu' il en a dit, sans rien vouloir emprunter de luy. Mon opinion est que cela vint de ce que nos ancestres avoient accoustumé de porter en leurs ceintures tous les principaux outils de leurs biens. L' homme de robbe longue, son escritoire, son cousteau, sa gibbeciere, ses clefs: l' escritoire pour gaigner sa vie, le cousteau pour viure, la gibbeciere pour retirer ses deniers, les clefs qui ouvroient, ou fermoient sa maison, & ses coffres. Le semblable faisoit le marchand, & le gendarme son espee, & son escarcelle. Tellement que si de nostre ceinture despendoient tous les instrumens qui servent à viure, à conserver & entretenir nos familles, il ne faut point trouver estrange que l' on estimast l' abandonnement de la ceinture, representer aussi l' abandonnement de nos biens. Et de ce pouvez vous presque estre asseurez d' un passage d' Enguerrand de Monstrelet au 18. Chapitre du premier Livre de son Histoire, où il dict que Philippes premier de ce nom, Duc de Bourgongne estant mort, sa vefve renonça à ses biens meubles, craigmant les debtes, en mettant sur la representation sa ceinture, avecques sa bourse, & ses clefs, comme il est de coustume, & de ce demanda acte à un Notaire public, qui estoit là present. Ce sont les propres mots du texte. Il n' est pas, qu' en commun langage quand nous voulons dire qu' une femme a renoncé à la communauté de son mary, & elle, nous disons qu' elle a mis les clefs sur la fosse. Qui me fait dire qu' avecques la renonciation judiciaire, il falloit encores la ceremonie exterieure des clefs. Et à ce propos j' estime que pour bien user de la cession des biens, il faudroit en quittant sa ceinture, quitter par mesme moyen son escarcelle, & ses clefs: Car quant au cousteau, & à l' escritoire, cestuy-là estant l' outil dont nous usons pour manger, & cestuy pour procurer nostre vie, nos creanciers ne nous peuvent envier, ny l' un ny l' autre: Au contraire nous leur pourchassons leur bien, revenans en une plus heureuse fortune, par le moyen de laquelle, en nous acquittons de nos debtes, nous pouvons r'entrer dans nos biens, s' ils ne sont vendus. J' ay touché ce discours dans l' une de mes lettres, mais non si amplement comme en ce lieu.
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