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miércoles, 16 de agosto de 2023

10. 25. Cheute de la seconde famille nos Roys. / Fin du Dixiesme Livre des Recherches.

Cheute de la seconde famille nos Roys.

CHAPITRE XXV.

Je laisse à nos autres Historiographes les conquestes, glorieuses victoires, & superbes arrois de cette seconde famille: car quant à moy j' ay maintenant pris pour mon partage ses ruines: Quoy faisant je ne pense rapporter peu de profit à nos Princes, & grands Seigneurs, quand de bon heur ils se feront sages par la folie d' autruy. Nous sommes les gettons des Roys, qu' ils font valoir plus ou moins, comme il leur plaist, & les Roys sont les gettons de Dieu: Jamais famille ne receut plus de faveur, & benediction du ciel, que celle des Martels en trois Princes consecutifs, Charles Martel, Pepin, & Charlemagne & jamais elle ne fut tant terrassee qu' en trois autres, qui les survesquirent, Louys le Debonnaire, Charles le Chauve, & Louys le Begue. Je nomme entre ces six Charles Martel, ores qu' il ne portast jamais titre de Roy entre les siens, mais ce fut luy qui par sa proüesse & sage conduite, fit voye aux siens à la Royauté. Joint qu' apres son decez, sa statuë fut honoree d' une Couronne Royale, en son tombeau, comme l' on peut voir en l' Eglise, & Abbaïe de S. Denis. Les trois premiers furent torrens de fortune, qui l' augmenterent: les trois derniers precipices qui la ravalerent: car quant aux autres qui leur succederent, ce ne furent que des avortons qui ne firent que contenance de regner sans regner. Et combien qu' en Charlemagne fust l' accomplissement de la grandeur de cette famille; toutesfois je dirois volontiers s' il m' estoit loisible, qu' il jetta les premiers fondemens de la ruine. Vous entendrez les raisons pourquoy.

Le Roy Pepin mourant laissa deux enfans, Charles & Carloman: Ausquels par partage fait entr'eux escheut tout ce qui estoit compris és Gaules dedans l' enceinte du Rhin, monts Pyrenees & Apennin: & à Carloman tout ce qui nous appartenoit au delà du Rhin. Cestuy-cy mourut trois ans apres le decez de son pere, delaissez de la Royne Berthe sa femme, deux enfans. Et adonc Charles, par un droict de bienseance s' empara de tous & chacuns leurs pays. Chose dont la veufve voulant avoir premierement sa raison, se retira avec ses enfans vers Tassilon Duc de Baviere, mais l' ayant trouvé trop foible, pour venir à chef de cette vengeance, elle prit sa route vers Didier Roy des Lombards, qu' elle pensoit avoir juste cause d' indignation contre luy. D' autant qu' ayant espousé en premieres nopces Theodore sa fille, il la luy avoit renvoyee dedans le premier an de leur mariage. Toutesfois le malheur voulut, que Didier ayant esté desconfit à la semonce du Pape Adrian par Charles, & despoüillé de son Royaume, fut avec sa Royauté enseveli le tort que Charles tenoit à ses nepueux. Cette histoire est aucunement touchee par nos Annalistes, & toutesfois mise au rang des pechez oubliez, comme si ce ne fust qu' une peccadille d' avoir mis à nud ses nepueux en la succession de leur pere. Peché neantmoins qui fut rudement vangé sur les siens par un juste jugement de Dieu.

Apres avoir repudié la fille du Roy Didier, il espousa consecutivement trois femmes, dont de la premiere il eut six enfans, Charles, Pepin, Louys, Bertrude, Berthe, & Gillette: de la seconde, Tetrude, & Hildude: & de la troisiesme, nuls. Charles mourut du vivant du pere, sans hoirs procreez de soy, Pepin son second fils Roy d' Italie mourut pareillement le pere vivant, delaissé son fils Bernard pour son successeur: De maniere qu' à Charles (depuis dit Charlemagne, pour la magnanimité de ses faits) ne restoit plus de masle que Louys pour son fils, & Bernard pour arriere-fils. Or est-ce la verité qu' apres le decez de sa quatriesme femme il se ferma en matiere de mariage. Mais comme il est mal aisé de tenir une bonne fortune en bride, aussi ce grand Prince ayant attaint au dessus de tous ses desirs, par les grandes victoires qu' il avoit rapportees de ses ennemis, commença de n' avoir dedans sa maison, autre plus grand ennemy que soy mesme. Se donnant à la veüe de tous diverses garces, desquelles il eut trois bastards, Dreux, Hugues, & Theodoric, sans faire estat des bastardes. Et à l' exemple de luy, ses propres filles ne manquerent de serviteurs, non plus que la plus part des autres Dames. De maniere que la Cour de ce grand Empereur, n' estoit qu' une banque de toute honte & pudeur. Qui le fit tomber en telle nonchalance de son devoir, que combien qu' en luy fut l' accomplissement de cette famille: toutes-fois la fin de sa vie fut le commencement de sa ruine.

François Petrarque fort renommé entre les Poëtes Italiens, discourant en une Epistre Latine son voyage de la France, & de l' Allemagne, nous raconte que passant par la ville d' Aix la Chappelle, il apprit de quelques Prestres une histoire prodigieuse, qu' ils tenoient de main en main pour tres-veritable. Qui estoit que Charles le Grand, apres avoir conquesté plusieurs païs, s' esperdit de telle façon en l' amour d' une simple femme, que mettant tout honneur & reputation sous pieds, il oublia non seulement les affaires de son Empire, mais aussi le soing de sa propre personne, au grand desplaisir de chacun. Estant seulement ententif à courtizer ceste Dame, laquelle par bon heur commença de s' alliter d' une fort grosse maladie qui luy apporta la mort. Dont les Princes & grands Seigneurs furent grandement resjoüis. Esperans que par cette mort Charles reprendroit comme devant, & ses esprits, & ses affaires en main. Toutesfois il se trouva tellement infatué de cet amour, qu' encores cherissoit il ce cadaver, l' embrassant, baisant, & accolant de la mesme façon que devant, & au lieu de prester l' aureille aux legations qui luy survenoient il l' entretenoit de mille bayes, comme s' il eust esté plein de vie. Ce corps commençoit desja, non seulement de mal sentir, mais aussi se tournoit en putrefaction, & neantmoins n' y avoit aucun de ses favoris qui luy en ozast parler; Dont advint que l' Archevesque Turpin mieux advisé que les autres, pourpensa que telle chose ne pouvoit estre advenuë, que par quelque sorcelerie. Au moyen dequoy espiant un jour l' heure, que l' Empereur s' estoit absenté de la chambre, commença de foüiller le corps de toutes parts: Finalement trouva dedans sa bouche au dessous de sa langue un anneau, qu' il luy osta le jour mesme. Charlemagne retournant sur ses premieres brisees, se trouva fort estonné de voir une carcasse ainsi puante. Parquoy, comme s' il se fust reveillé d' un profond somme, commanda que l' on l' ensevelit promptement. Ce qui fut fait, mais en contr'eschange de cette folie, il tourna tous ses pensemens vers l' Archevesque porteur de cet anneau, ne pouvant estre de là en avant sans luy, & le suivant en tous les endroits. Quoy voyant ce sage Prelat, & craignant que cet anneau ne tombast és mains de quelque autre, le jetta dedans un lac prochain de la ville. Depuis lequel temps l' on tenoit que l' Empereur s' estoit trouvé si espris de l' amitié du lieu, qu' il ne desempara la ville d' Aix, où il bastit un Palais, & un Monastere, en l' un desquels il parfit le reste de ses jours, & en l' autre voulut y estre ensevely: ordonnant par son testament que tous les Empereurs de Rome eussent à se faire sacrer premierement en ce lieu.

Que cela soit vray ou non je m' en rapporte, tout ainsi que le mesme Petrarque, à ce qui en est: si estoit-ce un commun bruit, qui lors couroit en la ville d' Aix, lieu ou reposerent les os de Charlemagne. De laquelle histoire ou fable Germantian a fort bien sceu faire son profit, pour averer & donner quelque authorité à l' opinion de ceux qui soustiennent les malins esprits se pouvoir enclorre dedans des anneaux. Or que Charlemagne fust grandement adonné aux Dames sur la fin de son aage, mesme que ses filles qui estoient à la suite fussent quelque peu entachees d' amourettes, Aimoïn le Moine, vivant du temps du Debonnaire, nous en est tesmoin authentique: qui dit qu' à l' advenement de ce Prince à la Couronne, la premiere chose qu' il eut en recommandation, fut de bannir de la Cour les grands troupeaux des filles de joye qui y estoient demeurez depuis le decez de Charlemagne son pere, & aussi de confiner en certains lieux ses sœurs, qui ne s' estoient peu garentir des mauvais bruits, pour la dissoluë frequentation qu' elles avoient euës avec plusieurs hommes. Quelque grandeur de souveraineté qui soit en un Roy, ores que comme homme, de fois à autres il s' eschape, si doit-il tousjours rapporter ses pensees à Dieu, & croire qu' il est le vray juge de nos actions, pour les punir quelquesfois en nous de nostre vivant, ou bien à nos enfans apres nos decez. Chose que trouverez averee en ce que je discourray cy-apres. N' attendez doncques de moy au recit de ce present suject, que des injustices, partialitez & divisions entre les peres & les enfans, guerres civiles de freres à freres, oncles qui malmenerent leurs nepueus, tromperies entremeslees de cruautez, le tout basty par juste jugement de Dieu. Et parce que des trois enfans masles de Charlemagne il ne restoit que Louys le Debonnaire son fils, & Bernard son petit fils, c' est en cestuy auquel je commenceray les discours de cette histoire tragique.


Fin du Dixiesme Livre des Recherches.

tombeau, Charlemagne, Carlomagno, Carolus Magnus, Carles Magne, Carolo Magno

martes, 15 de agosto de 2023

10. 20. Dont procederent les calomnieuses accusations contre la Royne Brunehaud, & qui fut la vraye cause de la cruauté exercee contre elle.

Dont procederent les calomnieuses accusations contre la Royne Brunehaud, & qui fut la vraye cause de la cruauté exercee contre elle.

CHAPITRE XX.

Nous avons deux Roys ausquels l' ancienneté donna le titre de Grand: Sous la premiere lignee, Clotaire second, (car ainsi est il honoré par le Greffier du Tillet) & sous la seconde Charles premier de ce nom, depuis appellé Charlemagne. Et tout ainsi que pour exalter les faits heroïques de Charles se trouverent plusieurs gaste-papiers, les uns qui par leurs Romans, les autres qui sous le nom d' Histoires, nous repeurent de plusieurs mensonges concernans l' Estat à l' avantage de ce Roy, comme de l' introduction des Pairs, des Parlemens, de l' Université de Paris, & autres particularitez, dont les vrays Autheurs de son temps, & ceux qui n' en furent esloignez n' ont parlé: Aussi les personnes Ecclesiastiques & Moines, qui sous la premiere lignee, & long temps apres s' estoient donné toute jurisdiction sur la plume en cette France, controuverent diverses fables pour couvrir la honte & pudeur de la furieuse cruauté, que Clotaire avoit exercee sur la Royne Brunehaud. Et comme par malheur chacun se plaist plus sur la mesdisance; aussi ceux qui depuis ont escrit, l' ont renvié les uns sur les autres. Toutesfois quelques uns plus retenus ont pretendu cette cruauté estre du tout fabuleuse, ne se pouvans faire accroire qu' elle eust peu se loger en une ame si debonnaire, comme estoit celle du Roy Clotaire. Chose dont il ne faut meilleur ny plus prompt tesmoignage que de Fredegaire le mesdisant, lequel apres avoir descouvert les cruautez barbaresques executees contre Brunehaud par le commandement expres de Clotaire, nous faict part tout soudain d' un traict de sa clemence admirable, que je ne die inimitable, qui fut tel.

Lendemon Evesque de Sion envoyé par Alethee Patrice de Provence, pour suborner la Royne Bertrude femme de Clotaire luy dit: que par le calcul exact qu' il avoit fait des Astres, il trouvoit que le Roy son mary devoit mourir dedans l' an, & que s' il luy plaisoit entendre au mariage d' elle, & Alethee, extraict de la race des Anciens Roys de Bourgongne, & enlever quant & soy tous les thresors, il estoit prest de l' espouser, & feroit mourir sa femme: Quoy faisant Alethee se promettoit d' arriver à la Royauté. Ce dont la Royne preude Princesse ayant donné advis au Roy, l' Evesque en ayant eu le vent se sauva de vistesse. Jamais crime de leze Majesté ne fut circonstancié de tant d' ordures, vilenies, & meschancetez que cestuy, un Prelat contrefaire le devin, mesme sur la mort du Roy son Seigneur, pour parvenir à sa malheureuse intention, de là devenir maquereau, pour non seulement suborner la pudicité d' une saincte Royne; ains pour mettre le divorce entre le Roy son mary & elle, brasser un autre mariage, fondé sur la mort future d' une autre femme; le tout sous une esperance de troubler l' Estat par nouveaux troubles & divisions. Toutesfois Clotaire par sa debonnaireté prit pour le regard de l' Evesque en payement, les humbles supplications & prieres à luy faites par un Abbé: Ordonnant pour toute peine qu' il feroit de là en avant faire residence actuelle en son Evesché, qui estoit luy imposer pour supplice, ce qui estoit du deub de sa charge. Et quant à Alethee il se contenta de sa teste, sans autres tortures de membres. Toutesfois ce fut toute autre leçon en la Royne Brunehaud: Aimoïn s' est bien donné garde de toucher cette corde d' Alethee, sçachant que cette clemence si proche desmentoit la cruauté precedante. Vray Dieu! dont pouvoit provenir cette contrarieté d' opinions en un mesme esprit, & presque en un mesme temps? car pour bien dire, il n' y eut pas moins de faute en la trop grande clemence, que ce Roy exerça contre le Patrice, & l' Evesque, qu' en la trop grande & excessive cruauté contre la Royne Brunehaud, je le vous diray en peu de paroles. Tout cecy est deu à la detestable garnison de Garnier Maire du Palais de Bourgongne.

L' an de la conqueste du Royaume d' Austrasie sur Theodebert à peine estoit expiré, que Theodoric le conquerant alla de vie à trespas l' annee fix cens dix-sept, delaissez quatre siens enfans naturels, Sigebert, Childebert, Corbe, & Meroüee, & la Royne Brunehaud son ayeule, ainsi que j' ay touché par l' autre Chapitre, & suis encore contrainct de le dire. Sigebert l' aisné aagé d' unze ans, Childebert de dix, Corbe de neuf, Meroüee de six, & Brunehaud de soixante & douze ans. En tous lesquels y avoit grande foiblesse d' aages, és Princes, pour le peu d' ans qui estoit en eux, & en la Princesse pour le trop. Et par consequent peu de ressource en eux tous, en cas de malheureux succez. C' est pourquoy les Austrasiens & Bourguignons commencerent de projetter un nouveau party. Qui fut de se soubmettre sous la puissance du Roy Clotaire, aagé lors de trente ans ou environ, lequel s' estoit grandement accommodé pendant les divisions des deux freres.

Les Austrasiens maniez par Arnoul & Pepin deux des principaux Seigneurs du pays, aucunement excusables, tant pour avoir veu la detestable cruauté que Theodoric avoit sur son advenement pratiquee contre son nepueu enfançon, fils du Roy Theodebert, que pour estre ses nouveaux subjects non encore duicts à luy obeïr, quand il fut prevenu de mort. Soubs quelles conditions ces deux Princes conducteurs de cette orne, entrerent en ce nouveau party, nos Histoires n' en parlent point. Mais quant aux Bourguignons qui avoient tousjours esté ses naturels & anciens subjects, ils ne s' en pouvoient excuser: estans mesmement à ce induits & conduits par les sourdes persuasions & menees de Garnier Maire du Palais, soubs la protection duquel la Royne Brunehaud s' estoit mise avecques ses quatre arriere-petits enfans; & soubs cette asseurance ayant faict proclamer en la ville de Mets, Sigebert l' aisné Roy de Bourgongne, & de Austrasie, elle le laissa és mains de Garnier pour le conduire & recognoistre Roy és villes de la nouvelle conqueste, qui estoient l' oree de la riviere du Rhin, dont elle n' estoit encore grandement asseuree. Mais au lieu de rendre ce bon & fidele service à son Maistre, il negotia le contraire, & fit promettre aux premiers Seigneurs de se reduire soubs la principauté de Clotaire. L' enfance des Princes, leur illegitimité, l' ancienneté de la Royne, sans aucun soustien, luy facilitoient en cela la voye de son dessein. Et sur l' asseurance qu' il prend d' eux; joint la secrette intelligence qu' il avoit avecques les autres Princes d' Austrasie, il ne douta de capituler avecques Clotaire: Mais soubs tel si & condition, qu' il seroit confirmé en son Estat de Maire du Palais, & qu' il n' en pourroit estre desposé, tant & si longuement qu' il vivroit. Chose qui luy fut aisément promise soubs grands sermens par Clotaire: lequel par ce moyen se faisoit Maistre des deux Royaumes à fort bon compte & petit bruit. Soubs cette asseurance Clotaire arme, & entre dedans les païs de Bourgongne & Austrasie, les fourrageans. Brunehaud qui lors sejournoit en la ville de Wormes, le somme par Ambassades de ne point passer plus outre. Mais luy asseuré des promesses qui luy avoient esté faites, declare qu' il n' en feroit rien, & qu' il ne vouloit estre creu, ny la croire de leurs differens, ains s' en rapportoit à la Noblesse, tant de Bourgongne, que d' Austrasie pour les juger. Sur cette response elle faict lever des gens, pour faire teste à son ennemy, soubs la conduite de Garnier, auquel elle avoit apres Dieu mis toute sa fiance, & luy consigne mesmement ses quatre enfans, pour les proteger. Les armees s' approchent l' une de l' autre, en bonne resolution (ce sembloit il) de joüer des cousteaux: Mais quand se vint au joindre, Garnier & ses partisans saignerent du nez, & se rendirent à celuy, qui les receut fort aisément à mercy, comme siens. Et pour rendre cette trahison en tout accomplie, Garnier meit és mains de Clotaire, tous les enfans de Theodoric, horsmis Childebert, lequel monté sur un bon roussin se garentit de vistesse; & toutesfoit ne fut depuis veu. Selon la supputation des Chroniques, il ne devoit estre lors aagé que de dix ans pour le plus, & neantmoins en ce bas aage il eut le sens & la force de se sauver des embusches du traistre. Des trois autres presentez au Roy je vous ay discouru par le precedant Chapitre ce qu' ils devindrent. Ainsi s' impatroniza le Roy Clotaire des Royaumes de Bourgongne & Austrasie, se faisant Monarque des deux Frances, tant deça, que delà le Rhin. Restoit la Roine Brunehaud, qui s' estoit sauvee en la Franche-Comté, ou és environs. Espine aucunement en la teste du Roy Clotaire: car advenant que Childebert fust retrouvé & retourné, on craignoit qu' il ne remuast quelque nouveau mesnage avecques sa bisayeule. C' est pourquoy Garnier pour complément de son bon & agreable service, la fit chercher par Herpon Comte d' Estable de Bourgongne (c' estoit lors ce que nous avons depuis appellé premier Escuyer du Roy) ayant esté trouvée, elle fut par Garnier presentee au Roy qui en fit l' execution telle que je vous ay discouruë. Tout ce que je vous ay icy presentement discouru, je l' ay emprunté d' Aimoïn. Vray que j' ay oublié la farce qui y est: car il dit que soudain apres que Brunehaud eut chargé Garnier & Alboïn, un autre sien confidentaire, de conduire Sigebert le long du Rhin, pour le faire recognoistre Roy par les villes de la nouvelle conqueste, elle escrivit tout aussi tost des lettres à Alboïn, luy commandant de le faire mourir. Les dites lettres estans par luy leües, & aussi tost deschirees en la presence de plusieurs Seigneurs, les pieces en furent sur le champ curieusement ramassees par un valet de Garnier, qui se donna le loisir de les adjuster ensemble sur une table avecques de la cire, & ayant trouvé qu' elles concluoient à la mort de son Maistre, il les luy bailla. Ce qui l' occasionna de tourner sa robbe, & de joüer tout autre rolle qu' il n' avoit promis de faire.

De ma part je ne doute point que Garnier qui estoit homme meschant, pour pallier sa trahison, ne meit du depuis ce faux pretexte en avant: mais il y en a si peu d' apparence que c' est manque de sens commun d' y adjouster foy. Ceux qui veulent donner quelque passe-port à ces lettres, disent que depuis le departement de Garnier la Royne estoit entree en deffiance de luy, sur un nouvel advis que l' on luy avoit donné. Quand ainsi eust esté, que non, Alboïn personnage de choix, & creature de la Royne, avoit peu lire ces lettres en presence d' autres Seigneurs, ne sçachant qu' elles contenoient: Mais apres les avoir leuës, voyant ce qu' elles contenoient, & qu' il les eust deschirees & mises en pieces devant eux, il est mal-aisé de le croire: Ny plus ny moins que du varlet qui se trouva à point nommé pour recueillir les pieces, & en apres se donna la patience de les rabienner sur une table, luy qui ne sçavoit qu' elles concernassent le faict de son maistre. Et vrayment il y a tant d' artifice exquis & affecté en ce discours, que l' homme le moins clair-voyant le jugera, non histoire, ains conte fait à plaisir, tel que l' on trouve dedans les histoires fabuleuses d' Herodote. Comme aussi est-ce la verité que si la Royne pendant le voyage du Roy Sigebert, fust entree en quelque nouveau soupçon de Garnier, le voyant à son retour plein de vie, elle se fust bien donnee garde (en ce grand coup d' Estat contre Clotaire) de luy laisser le commandement absolu sur son armee, & moins encores de mettre entre ses mains, non seulement son aisné, ains ses autres enfans puisnez pour les proteger. Et à vray dire cette seule consideration monstre qu' il y a eu beaucoup du Moine en Aimoïn, quand il a voulu faire passer à la monstre cette farce pour histoire.

Et tout ainsi que pour donner fueille à sa trahison, Garnier trouva ce faux pretexte; aussi pour la rendre de tout point excusable, il falloit figurer à Clotaire une Brunehaud pour la plus meschante & malheureuse Princesse, qui oncques eust esté veuë sur la terre. Or que Garnier avecques ses adherens fut celuy qui la fit depuis chercher, & estant trouvee en fit present au Roy Clotaire, pour la faire mal-mener de la façon qu' elle fut, vous le trouverez dedans le mesme Aimoïn faisant son propre fait de la mort de cette Princesse. Quelques uns, comme j' ay dit, estiment que cette mort soit une fable, pour l' enormité du supplice, singulierement de la part d' un Prince, qui en matiere de clemence fut le parangon de tous les autres, & mesme sur calomnieuses accusations. Toutesfois la grande obligation que Clotaire avoit à Garnier, qui l' avoit fraischement fait Roy de Bourgogne & d' Austrasie, sans coup ferir: Garnier vous dis-je, qui avoit interest de faire estimer par toute la populace, cette Princesse la plus detestable du monde, pour monstrer avecques quelle juste raison, il avoit affranchy son peuple de sa servitude, vous trouverez qu' il y avoit subject de la part du Roy, pour le grand contentement de son bien-faicteur d' une punition beaucoup plus griefve. L' atrocité de la peine faisoit croire que les delits dont ses ennemis la chargeoient, estoient veritables: Et à tant loüoient la nouvelle revolte de Garnier. En somme, pour finir ce Chapitre és deux Roys Clotaire & Charlemagne, par lesquels je l' ay commencé, il y eut sous leurs regnes deux grands traistres, Garnier sous Clotaire, Ganes sous Charlemagne. Contre cestuy-cy tous les Romains qui en ont escrit degenerent; d' autant que par sa trahison le Roy Charlemagne courut une mal-heureuse fortune en la journee de Roncevaux. Au contraire Garnier estoit infiniment honoré par la plume des Moines: Parce que sa trahison avoit tres-heureusement reüssi à l' advantage du Roy Clotaire. Et neantmoins Dieu ne voulut pas laisser, ny cette trahison, ny cette cruauté impunies, non point en la personne de Garnier, qui mourut de sa mort naturelle Maire du Palais de Bourgongne, ains de Godin son fils. Histoire que je veux vous discourir en passant avant que clorre ce Chapitre.

Ce jeune Seigneur soudain apres la mort de Garnier son pere, s' amouracha de Berthe sa belle mere, & l' espousa, dont le Roy Clotaire desmesurément indigné commanda qu' on le mist à mort. Toutes-fois il obtint sa grace par les intercessions & prieres de Dagobert fils aisné du Roy Clotaire, à la charge qu' il quitteroit sa nouvelle espouse: ce qu' il fit. Mais elle d' un cœur malin tout aussi tost l' accusa, qu' il avoit conjuré d' attenter contre la vie du Roy. Et ores que par plusieurs sermens par luy faicts solemnellement sur les Sainctes Evangiles és Eglises de sainct Medard de Soissons, sainct Vincent de Paris, sainct Martin de Tours, & sainct Aignan d' Orleans, il se fust purgé, combien que ce serment fust l' une des voyes que l' on practiquoit en ce temps là, pour la justification de celuy qui se pretendoit innocent, toutes-fois le Roy sans plus amplement s' en esclaircir, permeit qu' il fust assassiné par gens atitrez, au milieu d' un festin dedans la ville. Si justement, ou injustement, je m' en rapporte à ce qui en est. Tant y a que Dieu punit souvent les enfans pour les fautes commises par leurs peres: Ainsi prit en Godin fin la race & racine masculine de Garnier, & en tout ce que je vous ay par plusieurs Chapitres discouru, je voy la Justice de Dieu executee par l' injustice des hommes, pour se vanger des fautes par eux commises: Un Theodebert qui avoit violé le droict des armes au desadvantage de Theodoric son frere, estre avecques un sien fils par luy cruellement mis à mort. Et pour punir cette cruauté Theodoric mourir d' un coup de tonnerre, & en moins d' un an ensuivant ses enfans & son ayeule estre exposez à la mort par la trahison de Garnier, & commandement de Clotaire, Garnier puny apres sa mort en la personne de son fils, pour ne faire la parole de l' Eglise menteuse, quand elle dit: Ne reminiscaris peccata nostra, vel parentum nostrorum. Restoit à executer les vengeances, tant contre les anciennes cruautez de Fredegonde mere, que nouvelles du Roy Clotaire son fils: Dieu en fit une punition à la Royale. Car sans le chastier en sa personne, il voulut que dedans sa grandeur fust logé le commencement de la ruine de luy & de sa posterité, ainsi que j' ay plus amplement touché par l' un des precedens Chapitres.