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miércoles, 16 de agosto de 2023

10. 25. Cheute de la seconde famille nos Roys. / Fin du Dixiesme Livre des Recherches.

Cheute de la seconde famille nos Roys.

CHAPITRE XXV.

Je laisse à nos autres Historiographes les conquestes, glorieuses victoires, & superbes arrois de cette seconde famille: car quant à moy j' ay maintenant pris pour mon partage ses ruines: Quoy faisant je ne pense rapporter peu de profit à nos Princes, & grands Seigneurs, quand de bon heur ils se feront sages par la folie d' autruy. Nous sommes les gettons des Roys, qu' ils font valoir plus ou moins, comme il leur plaist, & les Roys sont les gettons de Dieu: Jamais famille ne receut plus de faveur, & benediction du ciel, que celle des Martels en trois Princes consecutifs, Charles Martel, Pepin, & Charlemagne & jamais elle ne fut tant terrassee qu' en trois autres, qui les survesquirent, Louys le Debonnaire, Charles le Chauve, & Louys le Begue. Je nomme entre ces six Charles Martel, ores qu' il ne portast jamais titre de Roy entre les siens, mais ce fut luy qui par sa proüesse & sage conduite, fit voye aux siens à la Royauté. Joint qu' apres son decez, sa statuë fut honoree d' une Couronne Royale, en son tombeau, comme l' on peut voir en l' Eglise, & Abbaïe de S. Denis. Les trois premiers furent torrens de fortune, qui l' augmenterent: les trois derniers precipices qui la ravalerent: car quant aux autres qui leur succederent, ce ne furent que des avortons qui ne firent que contenance de regner sans regner. Et combien qu' en Charlemagne fust l' accomplissement de la grandeur de cette famille; toutesfois je dirois volontiers s' il m' estoit loisible, qu' il jetta les premiers fondemens de la ruine. Vous entendrez les raisons pourquoy.

Le Roy Pepin mourant laissa deux enfans, Charles & Carloman: Ausquels par partage fait entr'eux escheut tout ce qui estoit compris és Gaules dedans l' enceinte du Rhin, monts Pyrenees & Apennin: & à Carloman tout ce qui nous appartenoit au delà du Rhin. Cestuy-cy mourut trois ans apres le decez de son pere, delaissez de la Royne Berthe sa femme, deux enfans. Et adonc Charles, par un droict de bienseance s' empara de tous & chacuns leurs pays. Chose dont la veufve voulant avoir premierement sa raison, se retira avec ses enfans vers Tassilon Duc de Baviere, mais l' ayant trouvé trop foible, pour venir à chef de cette vengeance, elle prit sa route vers Didier Roy des Lombards, qu' elle pensoit avoir juste cause d' indignation contre luy. D' autant qu' ayant espousé en premieres nopces Theodore sa fille, il la luy avoit renvoyee dedans le premier an de leur mariage. Toutesfois le malheur voulut, que Didier ayant esté desconfit à la semonce du Pape Adrian par Charles, & despoüillé de son Royaume, fut avec sa Royauté enseveli le tort que Charles tenoit à ses nepueux. Cette histoire est aucunement touchee par nos Annalistes, & toutesfois mise au rang des pechez oubliez, comme si ce ne fust qu' une peccadille d' avoir mis à nud ses nepueux en la succession de leur pere. Peché neantmoins qui fut rudement vangé sur les siens par un juste jugement de Dieu.

Apres avoir repudié la fille du Roy Didier, il espousa consecutivement trois femmes, dont de la premiere il eut six enfans, Charles, Pepin, Louys, Bertrude, Berthe, & Gillette: de la seconde, Tetrude, & Hildude: & de la troisiesme, nuls. Charles mourut du vivant du pere, sans hoirs procreez de soy, Pepin son second fils Roy d' Italie mourut pareillement le pere vivant, delaissé son fils Bernard pour son successeur: De maniere qu' à Charles (depuis dit Charlemagne, pour la magnanimité de ses faits) ne restoit plus de masle que Louys pour son fils, & Bernard pour arriere-fils. Or est-ce la verité qu' apres le decez de sa quatriesme femme il se ferma en matiere de mariage. Mais comme il est mal aisé de tenir une bonne fortune en bride, aussi ce grand Prince ayant attaint au dessus de tous ses desirs, par les grandes victoires qu' il avoit rapportees de ses ennemis, commença de n' avoir dedans sa maison, autre plus grand ennemy que soy mesme. Se donnant à la veüe de tous diverses garces, desquelles il eut trois bastards, Dreux, Hugues, & Theodoric, sans faire estat des bastardes. Et à l' exemple de luy, ses propres filles ne manquerent de serviteurs, non plus que la plus part des autres Dames. De maniere que la Cour de ce grand Empereur, n' estoit qu' une banque de toute honte & pudeur. Qui le fit tomber en telle nonchalance de son devoir, que combien qu' en luy fut l' accomplissement de cette famille: toutes-fois la fin de sa vie fut le commencement de sa ruine.

François Petrarque fort renommé entre les Poëtes Italiens, discourant en une Epistre Latine son voyage de la France, & de l' Allemagne, nous raconte que passant par la ville d' Aix la Chappelle, il apprit de quelques Prestres une histoire prodigieuse, qu' ils tenoient de main en main pour tres-veritable. Qui estoit que Charles le Grand, apres avoir conquesté plusieurs païs, s' esperdit de telle façon en l' amour d' une simple femme, que mettant tout honneur & reputation sous pieds, il oublia non seulement les affaires de son Empire, mais aussi le soing de sa propre personne, au grand desplaisir de chacun. Estant seulement ententif à courtizer ceste Dame, laquelle par bon heur commença de s' alliter d' une fort grosse maladie qui luy apporta la mort. Dont les Princes & grands Seigneurs furent grandement resjoüis. Esperans que par cette mort Charles reprendroit comme devant, & ses esprits, & ses affaires en main. Toutesfois il se trouva tellement infatué de cet amour, qu' encores cherissoit il ce cadaver, l' embrassant, baisant, & accolant de la mesme façon que devant, & au lieu de prester l' aureille aux legations qui luy survenoient il l' entretenoit de mille bayes, comme s' il eust esté plein de vie. Ce corps commençoit desja, non seulement de mal sentir, mais aussi se tournoit en putrefaction, & neantmoins n' y avoit aucun de ses favoris qui luy en ozast parler; Dont advint que l' Archevesque Turpin mieux advisé que les autres, pourpensa que telle chose ne pouvoit estre advenuë, que par quelque sorcelerie. Au moyen dequoy espiant un jour l' heure, que l' Empereur s' estoit absenté de la chambre, commença de foüiller le corps de toutes parts: Finalement trouva dedans sa bouche au dessous de sa langue un anneau, qu' il luy osta le jour mesme. Charlemagne retournant sur ses premieres brisees, se trouva fort estonné de voir une carcasse ainsi puante. Parquoy, comme s' il se fust reveillé d' un profond somme, commanda que l' on l' ensevelit promptement. Ce qui fut fait, mais en contr'eschange de cette folie, il tourna tous ses pensemens vers l' Archevesque porteur de cet anneau, ne pouvant estre de là en avant sans luy, & le suivant en tous les endroits. Quoy voyant ce sage Prelat, & craignant que cet anneau ne tombast és mains de quelque autre, le jetta dedans un lac prochain de la ville. Depuis lequel temps l' on tenoit que l' Empereur s' estoit trouvé si espris de l' amitié du lieu, qu' il ne desempara la ville d' Aix, où il bastit un Palais, & un Monastere, en l' un desquels il parfit le reste de ses jours, & en l' autre voulut y estre ensevely: ordonnant par son testament que tous les Empereurs de Rome eussent à se faire sacrer premierement en ce lieu.

Que cela soit vray ou non je m' en rapporte, tout ainsi que le mesme Petrarque, à ce qui en est: si estoit-ce un commun bruit, qui lors couroit en la ville d' Aix, lieu ou reposerent les os de Charlemagne. De laquelle histoire ou fable Germantian a fort bien sceu faire son profit, pour averer & donner quelque authorité à l' opinion de ceux qui soustiennent les malins esprits se pouvoir enclorre dedans des anneaux. Or que Charlemagne fust grandement adonné aux Dames sur la fin de son aage, mesme que ses filles qui estoient à la suite fussent quelque peu entachees d' amourettes, Aimoïn le Moine, vivant du temps du Debonnaire, nous en est tesmoin authentique: qui dit qu' à l' advenement de ce Prince à la Couronne, la premiere chose qu' il eut en recommandation, fut de bannir de la Cour les grands troupeaux des filles de joye qui y estoient demeurez depuis le decez de Charlemagne son pere, & aussi de confiner en certains lieux ses sœurs, qui ne s' estoient peu garentir des mauvais bruits, pour la dissoluë frequentation qu' elles avoient euës avec plusieurs hommes. Quelque grandeur de souveraineté qui soit en un Roy, ores que comme homme, de fois à autres il s' eschape, si doit-il tousjours rapporter ses pensees à Dieu, & croire qu' il est le vray juge de nos actions, pour les punir quelquesfois en nous de nostre vivant, ou bien à nos enfans apres nos decez. Chose que trouverez averee en ce que je discourray cy-apres. N' attendez doncques de moy au recit de ce present suject, que des injustices, partialitez & divisions entre les peres & les enfans, guerres civiles de freres à freres, oncles qui malmenerent leurs nepueus, tromperies entremeslees de cruautez, le tout basty par juste jugement de Dieu. Et parce que des trois enfans masles de Charlemagne il ne restoit que Louys le Debonnaire son fils, & Bernard son petit fils, c' est en cestuy auquel je commenceray les discours de cette histoire tragique.


Fin du Dixiesme Livre des Recherches.

tombeau, Charlemagne, Carlomagno, Carolus Magnus, Carles Magne, Carolo Magno