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martes, 6 de junio de 2023

3. 10. De l' authorité que les Papes se donnerent depuis la venuë de Hugues Capet,

De l' authorité que les Papes se donnerent depuis la venuë de Hugues Capet, sur les Empereurs & Roys, interdiction des Royaumes, & autres discours de mesme subject. 

CHAPITRE X. 

L' authorité de S. Pierre, les martyres continuels & de suitte, que souffrirent noz premiers saincts Peres de Rome jusques à Silvestre, la Religion vraye & Catholique en laquelle leur posterité fut ferme contre les furieux assaux des heretiques, l' humanité dont ils avoient embrassé tous les Evesques à tort affligez, la ruine des Eglises Apostoliques du Levant, premierement par les heresies, en apres par les Mahometistes, les partialitez & divisions des Princes Chrestiens en la France, Allemagne, & Italie, l' ambition dereglee & ignorance de noz Prelats, la desbauche de nostre Eglise Gallicane procuree par noz Roys mesmes, l' humble soubmission du commun peuple: Toutes ces particularitez mises ensemble, furent de tel effect & vertu, que non seulement le Pape fut jugé avoir toute puissance sur les Evesques, mais aussi sur tous les Princes & Potentas de la Chrestienté. Et de fait, Dante & Occan, furent declarez heretiques, parce qu' ils avoient soustenu que l' Empire, pour le temporel ne dependoit de la Papauté. Nicolas premier, avoit dit qu' il falloit regarder ce qu' ils estoient, non ce qu' ils faisoient. Et l' opinion commune des peuples estoit, que soudain qu' un Prelat estoit monté à ce haut degré, toutes ses ordonnances estoient sainctes, bonnes, juridiques & non sujectes à contrerole. Jamais Prince ne fut plus mal traicté de l' Eglise Romaine que l' Empereur Henry IIII. (comme je deduiray cy apres) & paraventure sans grande raison, toutesfois un personnage d' honneur de son temps qui escrivit sa vie, sans se nommer, discourant comme Gregoire VII. l' avoit traité indignement. Quinetiam & hoc addidit (fait-il) absolvit omnes à iuramento qui fidem Regi iuraverant, ut contra eum impelleret absolutio, quos fidei tenebat obligatio. Quod factum multis displicuit, si tamen cui displicere licet quod Apostolicus fecit. 

C' est à dire. Il adjousta cecy à tout ce que dessus, remettant à tous les subjects de luy le serment de fidelité dont ils luy estoient obligez: a fin que ceste absolution les excitast contre celuy envers lequel l' obligation du serment les retenoit en obeissance. Chose qui despleut à plusieurs, si toutesfois il est loisible à aucun de trouver mauvais ce qui est fait par nostre Pere l' Apostole. Il ne sera doncques hors de propos (ce me semble) de vous discourir par le menu de quelle façon les Papes se voulurent authorizer en grandeur par dessus les Roys & Monarques, voire de conferer les Royaumes qui ne leurs appartenoient.

Ainsi que leurs prerogatives, authoritez & grandeurs s' establissoient dedans Rome en la maniere que j' ay discouru au 4. chapitre, combien que leur Estat semblast grandement s' augmenter, toutesfois les Empereurs ne se pouvoient bonnement laisser mettre la poudre aux yeux, ny passer par connivence plusieurs choses qu' ils estimoient despendre de leurs Majestez. Car encores que par la nouvelle police, qui avoit rendu souz Gregoire V. les Empereurs electifs, l' Empire eust esté faict d' hereditaire, viager, & que tout d' une suitte le Pape se fut afranchy de la puissance des Empereurs, je veux dire que l' on ne desirast plus leur consentement aux elections du Pape: ce nonobstant quelques Empereurs des Eleuz plus opiniastres s' en voulurent faire croire, & r' entrer dans leur ancien privilege, non seulement pour l' election du Pape, mais aussi pour la domination, & seigneurie de Rome. Toutesfois ils trouverent un ennemy fort, qui par les ruines des Princes s' estoit rendu trespuissant dedans l' Italie. Si ne demoura neantmoins cest article sans dissensions & disputes assez souvent reiterees. Parce que du temps de Clement II. Henry III. Empereur, apres avoir esté couronné, contraignit les Romains par serment de renoncer au droict d' election des Papes, & de ne s' en entremettre à l' advenir. Et de fait quelque temps apres, le Siege vacquant par le decez de Damase successeur de Clement, l' Empereur voulut y envoyer Leon IX. Allemant, auparavant nommé Brunon, pour tenir le Siege Romain: mais Hugues Abbé de Clugny, & Hildebrand, l' un de ses Religieux, allerent au devant, l' admonnestant de ne faire ce tort à l' Eglise. D' autant que ce n' estoit à l' Empereur d' elire les Papes, ains au Clergé & peuple Romain. A quoy Brunon acquiessa, & entra comme personne privee dans la ville. Entree si agreable au peuple, qu' en recognoissance de ce, par commun suffrage de tous il fut éleu Pape, & dés son advenement fit Hildebrand Cardinal souz le tiltre de sainct Paul. Cestuy sera par cy apres Gregoire VII. l' un des plus hardis propugnateurs du Siege de Rome, qui oncques fust auparavant luy. Car depuis à sa persuasion les Papes à face ouverte firent teste aux Empereurs, non seulement en ce qui concernoit la manutention de l' Eglise, mais aussi à l' avilissement de la Majesté de l' Empire. C' est luy, souz lequel Matilde parente de l' Empereur Henry donna au S. Siege, les villes de Luques, Ferrare, Parme, Rege & Mantouë, qui furent depuis appellees le Patrimoine de sainct Pierre.

Ce grand Gregoire au lieu que ses predecesseurs n' avoient fait que parer aux coups des Empereurs pour l' election du Papat, voulut se rendre assaillant: par ce que non seulement il ne fit doute que le Pape ne devoit être éleu les Empereurs: mais passant outre, soustint que ce n' estoit à eux d' investir les Evesques, & excommunia tous les Princes qui pretendoient ce droict d' investiture. Alors estoit Empereur Henry IIII. grand Prince, lequel regna 50. ans & combatit à enseignes desployees plusieurs fois. Il ne voulut pas permettre que sa posterité l' accusast que souz luy la Majesté de l' Empire eust receu une si grande playe. Il s' oppose à ceste interdiction, specialement pour celle des investitures. Le Pape contre ceste irreverence interpose son Decret Apostolic, par lequel il l' excommunie, & non content de ce, tout d' une suitte le prive de sa dignité Imperiale, absoult tous ses subjects du serment de fidelité qu' ils avoient en luy, & expose tous ses pays en proye, à la discretion de celuy qui les pourroit envahir. Il n' estoit plus icy question de commander dedans l' Italie, ce commandement s' estendoit plus loing, c' estoit donner un Empire qui ne luy avoit pas beaucoup cousté à gaigner. Toutesfois ces censures se trouverent de telle vertu, que non pas un estranger, ains son propre fils s' empara de l' estat sur son Pere. Piteux spectacle veritablement, mais par lequel vous pouvez recueillir combien lors estoit grande la puissance des Papes. Il y avoit assez de subject  pour contenter l' opinion de Gregoire, toutesfois non assouvy, il fait degrader ce pauvre Prince de ses ornemens Imperiaux par les Evesques de Majence, Colongne, & Wormes. Et depuis l' ayant reduit en une estroite prison, où il mourut, les Ligeois l' ayant fait inhumer en terre saincte, sont excommuniez par le Pape. Pour lever laquelle sentence d' interdiction, ils le deterrent, & fut son corps porté à Spire, & mis en un cercueil de pierre hors l' Eglise, comme estant mort excommunié. Ce fut un coup d' aprentissage, & de chef d' œuvre tout ensemble: qu' un Empereur, qui avoit Imperé cinquante ans, s' estoit trouvé en tant de batailles rangees, eust esté vaincu en une querelle qu' il pensoit tres-juste, par les fulminations d' un seul homme, lesquelles avoyent peu induire le fils à faire la guerre à son pere, & que ceste punition non seulemet n' eust pris fin par la mort, mais qu' ell' eust encore esté executee contre ses os & son tombeau. Les anciens Evesques à la verité avoyent bien usé de quelques censures contre les Princes terriens: parce que Fabian Pape ferma la porte de l' Eglise, à Philippes Empereur: comme fit S. Martin à Maxime autre Empereur, & S. Ambroise à Theodose, & S. Germain à Aribert Roy, jusques à ce qu' ils se fussent reconciliez, & fait confession publique des fautes par eux commises: mais nul d' eux ne pensa jamais toucher à l' Estat, comme aussi n' eussent-ils ozé l' entreprendre. Depuis cest exemple horrible de Gregoire, les Papes n' excommunierent presque jamais Prince, qu' ils ne missent aussi ses terres & seigneuries au ban de la Papauté, comme pretendans être seigneurs temporels & spirituels de toute la Chrestienté, & comme si les Empereurs, Rois & Monarques tinssent d' eux en foy & hommage leurs Couronnes. Et à vray dire, je desirerois depuis ce temps là, je ne sçay quoy de plus modeste en leur domination. Parce que nous ne voyons le plus du temps, que guerre, que sang, que violence, en l' Eglise, les Papes tantost victorieux, tantost vaincus, & se donner de tres-grands advantages sur les autres Princes, lesquels ils sçavoient combattre par leur glaive spirituel. Par le moyen duquel, captivans la conscience des subjects, ils despouillerent souvent les foibles Princes de leurs Royaumes & Principautez, pour en revestir les plus forts. En quoy ils eurent une leçon generale, c' est à sçavoir que s' ils avoient conceu quelque mal talent contre un Prince, ils se pourvoyoient premierement par censures Ecclesiastiques contre luy, puis s' il ne se reconcilioit avecq' luy, ils le faisoient declarer heretique: & apres abandonnoyent son Royaume à celuy qui le pourroit premier occuper. Qui n' estoient pas petits artifices pour parvenir à leurs desseings. Parce que combien que les subjects aiment naturellement leur Seigneur souverain, si est-ce que poulsez d' un plus hault zele, qui est la religion, il n' y a riens qui leur enseigne plus à le mespriser, voire abhorrer, que quand ils le voyent distraict du sein de l' Eglise, & mis au rang des heretiques. De sorte qu' il n' y avoit meilleur moyen de faire perdre au Prince le cœur de son peuple, & tout d' une suitte le destituer de ses forces, que par cestui-là: veu que la principale force de tout Roy gist en la devotion, & amour de ses subjects. D' un autre costé il estoit fort mal-aisé en telles affaires, qu' il ne se trouvast tousjours quelque autre puissant Seigneur, aux aguets, pour prendre ceste querelle en main. Estant l' ambition de ceste nature, qu' elle ne demande qu' un tiltre coloré avecq' la force, pour s' emparer des terres, & seigneuries d' autruy. Ainsi le Pape joignant la puissance spirituelle, & temporelle ensemblement, encontre la seule temporelle, n' avoit pas petit advantage encontre son ennemy.

Joinct que parmy ces remuemens extraordinaires se logea un nouveau conseil aux Papes de faire publier les Croisades, quand ils se trouvoient les plus foibles. La plus part des mauvais exemples preignent leur source, & origine de commencemens honnestes & specieux. Ces Croisades premierement avoient esté inventees, quand on se vouloit armer encontre les Infideles pour conquerir la terre Saincte. Car lors ceux qui s' acheminoient en ces voyages, comme si c' eussent esté pelerinages de devotion, non de guerre, apres s' être renduz confez entre les mains de leurs Pasteurs, chargeoient la Croix, & le bourdon, s' asseurans d' une vie eternelle, comme martyrs, s' ils mouroient en telles entreprises. Les Papes tournerent puis apres cecy à autre usage, pour executer leurs jugemens encontre leurs ennemis, qu' ils avoient declarez heretiques, donnans plusieurs indulgences, & pardons à ceux qui souz ces arrhes se ligueroient pour leur querelle.

Il seroit mal-aisé de dire combien souz ces propositions ils se rendirent redoutez, & combien de fois à autres ils reduisirent les Princes en piteux estat. Un Henry quatriesme, dont j' ay cy-dessus parlé, un Jean Roy d' Angleterre, un Raimond Comte de Tholose, un Guillaume fils de Roger Roy de Naples, un Mainfroy, un Louys de Baviere, les Galeaces enfans de Matthieu Duc de Milan, un Pierre d' Arragon, un Federic premier Empereur de ce nom, un Andalo Duc de Venise, en eussent peu porter tesmoignage.

Et encores que les Papes n' obtindrent pas sur tous eux ce qu' ils desiroient, si leur taillerent-ils de la besongne, qui rendit leurs Estats infiniement estonnez. Mais sur tout, miserable fut le spectacle des guerres qui advindrent en Italie, entre le Pape, & l' Empereur Federic second, sous le nom des Guelphes, & Gibellins. Ceux-là tenans le party du Pape, ceux-cy celuy de l' Empereur. Qui apporta telle confusion, & desordre dans l' Italie, qu' en fin tous les Ducs, Marquis, & Comtes que l' on y a veus, s' establirent de la calamité de ces guerres. Car ioüans les uns & autres (si ainsi le faut dire) aux barres, l' un entrant en une ville pour la laisser desolee à son ennemy, & cestuy pour l' abandonner à l' instant: finalement apres plusieurs changemens, les villes estans par divers sacs reduictes en toute extremité de disette, & ces longues guerres prenans assopissement plus par la ruine de l' Estat, que par faute de volonté, ceux qui sur la declinaison de la maladie se trouverent commis pour la deffence d' unes & autres places, se firent par un droict de bienseance accroire qu' ils en estoient les vrays seigneurs, & à tant prindrent tiltres, qui de Ducs, qui de Marquis, qui de Comtes, les uns soubs l' adveu de l' Empereur, les autres soubs celuy du Pape. A la charge de les tenir diversement d' eux, en foy & hommage.

Les choses pendant le temps de sept ou huict vingt ans, tomberent en tel desarroy dedans la ville de Rome, que Jean sire de Jon-ville nous apprend que S. Louys estant en Chipre, le Roy de Tartarie luy envoya Ambassadeurs, pour l' advertir qu' il avoit receu le S. Sacrement de Baptesme: Chose dont S. Louys tres-joyeux, donna advis au Pape Innocent, lequel depescha sur le champ plusieurs doctes Theologiens pour convertir le demourant des Tartares. Et comme tous les jours ils trompetassent que le Pape estoit Vicare de Dieu en terre, & que le Roy de Tartarie esmeu de ce grand & sainct tiltre, deliberast envoyer Ambassadeurs expres vers Innocent pour le saluer avecq' toutes humbles souzmissions, ces Theologiens rompirent ce voyage: Craignans (comme dit Join-ville) que si ces nouveaux Chrestiens venoient à Rome, apres avoir consideré les mœurs corrompus qui y regnoient, ils ne conseillassent à leur Roy de retourner à sa premiere Religion.

Toutesfois Dieu regardant d' un œil de pitié son Eglise, la voulut soulager par la devotion generale des inferieurs, pendant que le chef estoit ainsi travaillé d' une fievre continue. Par ce que depuis le Roy Philippe premier, soubs lequel fut entrepris ce premier voyage d' outremer, jusques au regne de sainct Louys (qui sont cent ou six vingt ans d' intervalle) se planta une pepiniere d' ordres en nostre Christianisme, les Templiers, les Hospitaliers, les Ordres de Cisteaux & Clugny, Grammont, Premonstré, Sainct Bernard, des Chartreux, & pour closture de tout cecy, les quatre ordres des Mendians. Qui fut cause, que bien que le chef se fust aucunement debandé, toutesfois les membres s' estans retenus en leur ancien devoir, lors qu' il sembloit que la Religion deust être plus affligee, ce fut lors qu' elle prospera grandement. Et c' est peut-être la cause, pour laquelle Jean Boccace (Giovanni Boccaccio) Florentin rencontrant aucunement sur le conte du Sire Join-ville, dedans son Decameron nous raconte qu' un Juif nommé Melchisedech voulant être baptisé, eut envie d' aller à Rome pour voir le Pape. Ce dont il fut dissuadé d' un sien amy Crestien, craignant que voyant les deportemens de ce lieu, il changeast de propos, toutesfois le Juif s' en faisant croire, alla jusques à Rome, où ayant descouvert plusieurs choses dignes d' être plustost teües, que dictes, ne laissa à son retour de se faire baptiser. Dont son amy infiniement estonné, le Juif luy dit que plus volontairement il se faisoit Chrestien, de tant qu' il avoit veu le chef de la Chrestienté grandement malade, & la Religion prosperer nonobstant ceste maladie. Conte qui estoit faict à plaisir, mais par celuy qui de son temps voyoit encores une bonne partie de toutes ces calamitez.

Quelques uns paradventure voudront mal menager ce que j' ay presentement discouru, & le tourner au desadvantage du siege de Rome, comme je voy plusieurs esprits y être trop licentieusement disposez, toutes fois je les prieray recevoir cest advertissement de ma part. J' ay tousjours estimé que combien que la vertu rende un Prelat grandement recommandable, si est-ce que le vice que abonde en uns, & autres, ne faict nul tort à leurs dignitez Ecclesiastiques. Estant l' homme naturellement assiegé de tant de passions dereglees, que quelque grand personnage qu' il soit, on ne le peut nommer parfaict, ains seulement pouvons dire cestuy être de plus grand merite, qui est le moins imparfaict. Et au surplus, je ne pense qu' en toute l' histoire des Papes y ait placart dont nous devions tant faire estat que de cestuy, non point au prejudice d' eux, ains au profit de nostre Eglise generale, & universelle, pour monstrer une juste vengeance que Dieu exerça contre la puissance terrienne, par la puissance Ecclesiastique. C' est pourquoy je vous supplie vouloir icy faire une pause, & remarquer la revolution & entresuitte des affaires. Les Papes du commencement souloient être confirmez par les Empereurs, & sans leurs consentemens expres ne s' osoient immiscer en leurs charges: Les Empereurs puis apres non seulement perdirent ce privilege, ains par autre rencontre d' affaires furent confirmez par les Papes. Les Empereurs trop imperieux avoient autrefois voulu cognoistre des choses jugees par l' Eglise, comme de fait Donat Heresiarche appella à l' Empereur de la sentence qui avoit esté donnee en un Concil contre luy: & les Papes renverserent depuis les jugemens donnez par les Empereurs, comme il advint de la sentence de Federic, contre Robert Roy de Naples. Les Empereurs par une insolence extraordinaire, avoient quelques fois bravé les Papes à tort, jusques à les bannir, ou fustiger, comme il en prit à Libere, & Vigile: & tout de ceste mesme façon y eut Pape qui petilla Federic Empereur premier de ce nom aux pieds. Brief les Empereurs s' estoient donnez loy de conferer les Archeveschez & Eveschez, ausquelles ils n' avoient aucun droict: & Dieu permit en contreschange que les Papes conferassent les principautez, & Royaumes, ausquels ils n' avoient nulle part. De maniere que nous pouvons par cela juger que si aux deportemens de ces grands Prelats y eut quelques violences brusques, ce fut par un jugement caché de Dieu & à vray dire une justice de Dieu exercee par l' injustice des hommes, pour enseigner au Magistrat seculier de se contenir modestement dans ses bornes, & n' entreprendre tyranniquement dessus l' Ecclesiastic: Comme aussi ces mesmes entreprises de l' Ecclesiastic sur la puissance seculiere ont nuit aux Papes, comme je deduiray en son lieu.

Mais pour reprendre ma premiere route, voila comment les Papes se firent grands. Toutesfois restoit encores à leur grandeur, un poinct: c' estoit que leurs constitutions, que nous appellons Decretales, estoient esparces çà & là. Tout ainsi que l' Empereur Justinian avoit fait ramasser dans un tome, que nous appellons le Code, toutes les loix & ordonnances de ses predecesseurs, per la diligence de Tribonian son grand Chancellier: aussi la Majesté de l' Empire estant sous le nom d' une saincteté reduite en la personne du Pape, Gregoire neufiesme, par le ministere & aide de frere Raimond son Chapellain, de l' ordre de sainct Dominique, fit compiler toutes les constitutions Pontificales de ses devanciers, en cinq livres, qui furent appellees Decretales. Auparavant Burcard, Yve de Chartres, & Gratian avoient amassé plusieurs anciens Canons, dont Gratian par succession de temps a emporté le dessus. Son œuvre est appellee le Decret, qui s' est trouvé fort agreable. Toutesfois je desireray tousjours que tout homme qui s' amusera à le lire, y apporte plus de jugement, qu' en la lecture des Decretales, pour avoir en divers endroicts rapiecé son œuvre de plusieurs eschantillons, que l' on tire de luy comme vrays, dont toutesfois tout homme qui aura â bonnes enseignes mis l' œil dans l' ancienneté, sera grand doute. Gregoire ordonna que ses decretales fussent receues par toute la Chrestienté, tant és escholles, qu' és sieges de Justice. Et à l' imitation de luy, Boniface huictiesme sous le nom de Sexte, Clement V. sous le nom des Clementines, Jean vingt deuxiesme sous celuy d' Extravagantes firent pareilles compilations: Chose qui ne fut de petite prudence. Car y ayans plusieurs Universitez de loix espanduës par toute l' Europe, esquelles estoient enseignees les loix Imperiales, pour servir de guidon à ceux, qui puis apres vouloient manier les affaires de la Republique: aussi voulurent les Papes que d' une mesme balance on y enseignast leurs Constitutions Canoniques, & Pontificales, & à cet effet adjousterent la faculté de Decret, tout ainsi que de droict Civil, laquelle ils favoriserent de telle façon, qu' uns Urbain V. & Innocent VI. Papes, Docteurs en Decret, furent pour leur doctrine en ceste faculté appellez à la Papauté. Et tout ainsi que les Papes precedent aujourd'huy les Empereurs, aussi la faculté de Decret precede celle du droict Civil, aux assemblees, & congregations generales. Pareillement ainsi que les Roys donnerent Conservateurs Royaux aux Universitez pour la protection des Escoliers, aussi donnerent à mesme fin les Papes, des Conservateurs Apostolics. Qui estoit en ce faisant bastir, je ne diray point autant de supposts, ains de supports pour le soustenement de leur siege.