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lunes, 7 de agosto de 2023

8. 45. Capet & Hutin.

Capet & Hutin.

CHAPITRE XLV.

Vrayement je ne puis que je ne me plaigne de l' injure que nous faisons à la memoire de nostre Hugue qui a esté l' un des plus grands Roys de la France, Roy dis-je qui a donné vogue à la troisiesme lignee de nos Rois, lequel nous avons surnommé Capet: Et neantmoins je n' en trouve presque un tout seul, qui nous enseigne pourquoy luy ait esté baillé ce surnom. Quelques uns (comme Nicolas Gilles en ses Annales) disent que ce fut par forme de sobriquet: D' autant que luy jeune avoit accoustumé de jetter en folastrant, les chappeaux des jeunes Princes & Seigneurs qui le suivoient: Mais si les Chaperons estoient lors, & long temps apres, plus en usage que les chappeaux, je ne voy point sur quel pied nous puissions fonder cette divination: joint que la grandeur de ses gestes, sur laquelle il establit avec le progrez de temps sa fortune, pouvoit faire oublier toutes ces jeunesses, & folastries. C' est pourquoy j' ayme mieux adherer avec le bon homme Cenalis Evesque d' Auranches, qui en ses Perioques dit que tout ainsi que Charles fils de Pepin fut par aucuns appellé Charles le Grand, & des autres Charlemagne, d' un mot corrompu du Latin, pour la grandeur de ses Chevaleries: Aussi Hugue pour le grand sens qu' il apporta en la conduite de ses affaires, fut appellé Capet, d' un mot à demy Latin qui signifie le Chef: Car aussi à vray parler, vous trouverez en toutes ses actions plus de conseil, que de hauts faits d' armes.

Cecy me fait tomber de luy à Louys Hutin, duquel messire Jean du Tillet Evesque de Meaux en son abbregé des Croniques de France, dit en deux mots, Louys Hutin, quasi Mutin. En quoy la rime se trouvera bonne & riche: Mais quelques uns pourroient douter que la raison ne soit de mesme parure, & neantmoins nostre Paule Aemile est de mesme advis. Il est certain que le mot de Hutin à nos anciens signifioit noise, pour le moins ainsi le trouvé-je dans Froissard, au 15. chap. du I. Tome de son histoire, où racontant l' appareil que le Roy Edoüard faisoit en Angleterre contre Robert Roy d' Escosse, & les allegresses que l' on fit à la venuë de sire Jean de Hainaut. Là pouvoit-on voir (dit-il) Dames noblement parees & richement, qui eust eu le loisir de danser, ou de plus festoyer. Mais nenny. Car tantost apres disner un grand Hutin commença entre aucuns garçons des Hannuyers, & des Archers d' Angleterre. Et peu apres. Quand les nostres eurent nouvelles de ce Hutin. Lequel mot il repete encore au 45. chap. & Jean Moulinet en quelque passage de ses œuvres dit Hutiner pour noiser ou quereller. Mais pourquoy appellerons nous ce Roy Hutin pour noiseux? Car je ne recognois rien de querelleux en luy par tout le discours de sa vie. Un autre que moy le devinera. Parce que l' histoire de son regne est si courte, que nous n' avons le moyen de juger quelle fut sa vie. Car de luy attribuer (comme quelques uns le pensent) l' establissement du Parlement de Paris, c' est errer.

martes, 6 de junio de 2023

3. 10. De l' authorité que les Papes se donnerent depuis la venuë de Hugues Capet,

De l' authorité que les Papes se donnerent depuis la venuë de Hugues Capet, sur les Empereurs & Roys, interdiction des Royaumes, & autres discours de mesme subject. 

CHAPITRE X. 

L' authorité de S. Pierre, les martyres continuels & de suitte, que souffrirent noz premiers saincts Peres de Rome jusques à Silvestre, la Religion vraye & Catholique en laquelle leur posterité fut ferme contre les furieux assaux des heretiques, l' humanité dont ils avoient embrassé tous les Evesques à tort affligez, la ruine des Eglises Apostoliques du Levant, premierement par les heresies, en apres par les Mahometistes, les partialitez & divisions des Princes Chrestiens en la France, Allemagne, & Italie, l' ambition dereglee & ignorance de noz Prelats, la desbauche de nostre Eglise Gallicane procuree par noz Roys mesmes, l' humble soubmission du commun peuple: Toutes ces particularitez mises ensemble, furent de tel effect & vertu, que non seulement le Pape fut jugé avoir toute puissance sur les Evesques, mais aussi sur tous les Princes & Potentas de la Chrestienté. Et de fait, Dante & Occan, furent declarez heretiques, parce qu' ils avoient soustenu que l' Empire, pour le temporel ne dependoit de la Papauté. Nicolas premier, avoit dit qu' il falloit regarder ce qu' ils estoient, non ce qu' ils faisoient. Et l' opinion commune des peuples estoit, que soudain qu' un Prelat estoit monté à ce haut degré, toutes ses ordonnances estoient sainctes, bonnes, juridiques & non sujectes à contrerole. Jamais Prince ne fut plus mal traicté de l' Eglise Romaine que l' Empereur Henry IIII. (comme je deduiray cy apres) & paraventure sans grande raison, toutesfois un personnage d' honneur de son temps qui escrivit sa vie, sans se nommer, discourant comme Gregoire VII. l' avoit traité indignement. Quinetiam & hoc addidit (fait-il) absolvit omnes à iuramento qui fidem Regi iuraverant, ut contra eum impelleret absolutio, quos fidei tenebat obligatio. Quod factum multis displicuit, si tamen cui displicere licet quod Apostolicus fecit. 

C' est à dire. Il adjousta cecy à tout ce que dessus, remettant à tous les subjects de luy le serment de fidelité dont ils luy estoient obligez: a fin que ceste absolution les excitast contre celuy envers lequel l' obligation du serment les retenoit en obeissance. Chose qui despleut à plusieurs, si toutesfois il est loisible à aucun de trouver mauvais ce qui est fait par nostre Pere l' Apostole. Il ne sera doncques hors de propos (ce me semble) de vous discourir par le menu de quelle façon les Papes se voulurent authorizer en grandeur par dessus les Roys & Monarques, voire de conferer les Royaumes qui ne leurs appartenoient.

Ainsi que leurs prerogatives, authoritez & grandeurs s' establissoient dedans Rome en la maniere que j' ay discouru au 4. chapitre, combien que leur Estat semblast grandement s' augmenter, toutesfois les Empereurs ne se pouvoient bonnement laisser mettre la poudre aux yeux, ny passer par connivence plusieurs choses qu' ils estimoient despendre de leurs Majestez. Car encores que par la nouvelle police, qui avoit rendu souz Gregoire V. les Empereurs electifs, l' Empire eust esté faict d' hereditaire, viager, & que tout d' une suitte le Pape se fut afranchy de la puissance des Empereurs, je veux dire que l' on ne desirast plus leur consentement aux elections du Pape: ce nonobstant quelques Empereurs des Eleuz plus opiniastres s' en voulurent faire croire, & r' entrer dans leur ancien privilege, non seulement pour l' election du Pape, mais aussi pour la domination, & seigneurie de Rome. Toutesfois ils trouverent un ennemy fort, qui par les ruines des Princes s' estoit rendu trespuissant dedans l' Italie. Si ne demoura neantmoins cest article sans dissensions & disputes assez souvent reiterees. Parce que du temps de Clement II. Henry III. Empereur, apres avoir esté couronné, contraignit les Romains par serment de renoncer au droict d' election des Papes, & de ne s' en entremettre à l' advenir. Et de fait quelque temps apres, le Siege vacquant par le decez de Damase successeur de Clement, l' Empereur voulut y envoyer Leon IX. Allemant, auparavant nommé Brunon, pour tenir le Siege Romain: mais Hugues Abbé de Clugny, & Hildebrand, l' un de ses Religieux, allerent au devant, l' admonnestant de ne faire ce tort à l' Eglise. D' autant que ce n' estoit à l' Empereur d' elire les Papes, ains au Clergé & peuple Romain. A quoy Brunon acquiessa, & entra comme personne privee dans la ville. Entree si agreable au peuple, qu' en recognoissance de ce, par commun suffrage de tous il fut éleu Pape, & dés son advenement fit Hildebrand Cardinal souz le tiltre de sainct Paul. Cestuy sera par cy apres Gregoire VII. l' un des plus hardis propugnateurs du Siege de Rome, qui oncques fust auparavant luy. Car depuis à sa persuasion les Papes à face ouverte firent teste aux Empereurs, non seulement en ce qui concernoit la manutention de l' Eglise, mais aussi à l' avilissement de la Majesté de l' Empire. C' est luy, souz lequel Matilde parente de l' Empereur Henry donna au S. Siege, les villes de Luques, Ferrare, Parme, Rege & Mantouë, qui furent depuis appellees le Patrimoine de sainct Pierre.

Ce grand Gregoire au lieu que ses predecesseurs n' avoient fait que parer aux coups des Empereurs pour l' election du Papat, voulut se rendre assaillant: par ce que non seulement il ne fit doute que le Pape ne devoit être éleu les Empereurs: mais passant outre, soustint que ce n' estoit à eux d' investir les Evesques, & excommunia tous les Princes qui pretendoient ce droict d' investiture. Alors estoit Empereur Henry IIII. grand Prince, lequel regna 50. ans & combatit à enseignes desployees plusieurs fois. Il ne voulut pas permettre que sa posterité l' accusast que souz luy la Majesté de l' Empire eust receu une si grande playe. Il s' oppose à ceste interdiction, specialement pour celle des investitures. Le Pape contre ceste irreverence interpose son Decret Apostolic, par lequel il l' excommunie, & non content de ce, tout d' une suitte le prive de sa dignité Imperiale, absoult tous ses subjects du serment de fidelité qu' ils avoient en luy, & expose tous ses pays en proye, à la discretion de celuy qui les pourroit envahir. Il n' estoit plus icy question de commander dedans l' Italie, ce commandement s' estendoit plus loing, c' estoit donner un Empire qui ne luy avoit pas beaucoup cousté à gaigner. Toutesfois ces censures se trouverent de telle vertu, que non pas un estranger, ains son propre fils s' empara de l' estat sur son Pere. Piteux spectacle veritablement, mais par lequel vous pouvez recueillir combien lors estoit grande la puissance des Papes. Il y avoit assez de subject  pour contenter l' opinion de Gregoire, toutesfois non assouvy, il fait degrader ce pauvre Prince de ses ornemens Imperiaux par les Evesques de Majence, Colongne, & Wormes. Et depuis l' ayant reduit en une estroite prison, où il mourut, les Ligeois l' ayant fait inhumer en terre saincte, sont excommuniez par le Pape. Pour lever laquelle sentence d' interdiction, ils le deterrent, & fut son corps porté à Spire, & mis en un cercueil de pierre hors l' Eglise, comme estant mort excommunié. Ce fut un coup d' aprentissage, & de chef d' œuvre tout ensemble: qu' un Empereur, qui avoit Imperé cinquante ans, s' estoit trouvé en tant de batailles rangees, eust esté vaincu en une querelle qu' il pensoit tres-juste, par les fulminations d' un seul homme, lesquelles avoyent peu induire le fils à faire la guerre à son pere, & que ceste punition non seulemet n' eust pris fin par la mort, mais qu' ell' eust encore esté executee contre ses os & son tombeau. Les anciens Evesques à la verité avoyent bien usé de quelques censures contre les Princes terriens: parce que Fabian Pape ferma la porte de l' Eglise, à Philippes Empereur: comme fit S. Martin à Maxime autre Empereur, & S. Ambroise à Theodose, & S. Germain à Aribert Roy, jusques à ce qu' ils se fussent reconciliez, & fait confession publique des fautes par eux commises: mais nul d' eux ne pensa jamais toucher à l' Estat, comme aussi n' eussent-ils ozé l' entreprendre. Depuis cest exemple horrible de Gregoire, les Papes n' excommunierent presque jamais Prince, qu' ils ne missent aussi ses terres & seigneuries au ban de la Papauté, comme pretendans être seigneurs temporels & spirituels de toute la Chrestienté, & comme si les Empereurs, Rois & Monarques tinssent d' eux en foy & hommage leurs Couronnes. Et à vray dire, je desirerois depuis ce temps là, je ne sçay quoy de plus modeste en leur domination. Parce que nous ne voyons le plus du temps, que guerre, que sang, que violence, en l' Eglise, les Papes tantost victorieux, tantost vaincus, & se donner de tres-grands advantages sur les autres Princes, lesquels ils sçavoient combattre par leur glaive spirituel. Par le moyen duquel, captivans la conscience des subjects, ils despouillerent souvent les foibles Princes de leurs Royaumes & Principautez, pour en revestir les plus forts. En quoy ils eurent une leçon generale, c' est à sçavoir que s' ils avoient conceu quelque mal talent contre un Prince, ils se pourvoyoient premierement par censures Ecclesiastiques contre luy, puis s' il ne se reconcilioit avecq' luy, ils le faisoient declarer heretique: & apres abandonnoyent son Royaume à celuy qui le pourroit premier occuper. Qui n' estoient pas petits artifices pour parvenir à leurs desseings. Parce que combien que les subjects aiment naturellement leur Seigneur souverain, si est-ce que poulsez d' un plus hault zele, qui est la religion, il n' y a riens qui leur enseigne plus à le mespriser, voire abhorrer, que quand ils le voyent distraict du sein de l' Eglise, & mis au rang des heretiques. De sorte qu' il n' y avoit meilleur moyen de faire perdre au Prince le cœur de son peuple, & tout d' une suitte le destituer de ses forces, que par cestui-là: veu que la principale force de tout Roy gist en la devotion, & amour de ses subjects. D' un autre costé il estoit fort mal-aisé en telles affaires, qu' il ne se trouvast tousjours quelque autre puissant Seigneur, aux aguets, pour prendre ceste querelle en main. Estant l' ambition de ceste nature, qu' elle ne demande qu' un tiltre coloré avecq' la force, pour s' emparer des terres, & seigneuries d' autruy. Ainsi le Pape joignant la puissance spirituelle, & temporelle ensemblement, encontre la seule temporelle, n' avoit pas petit advantage encontre son ennemy.

Joinct que parmy ces remuemens extraordinaires se logea un nouveau conseil aux Papes de faire publier les Croisades, quand ils se trouvoient les plus foibles. La plus part des mauvais exemples preignent leur source, & origine de commencemens honnestes & specieux. Ces Croisades premierement avoient esté inventees, quand on se vouloit armer encontre les Infideles pour conquerir la terre Saincte. Car lors ceux qui s' acheminoient en ces voyages, comme si c' eussent esté pelerinages de devotion, non de guerre, apres s' être renduz confez entre les mains de leurs Pasteurs, chargeoient la Croix, & le bourdon, s' asseurans d' une vie eternelle, comme martyrs, s' ils mouroient en telles entreprises. Les Papes tournerent puis apres cecy à autre usage, pour executer leurs jugemens encontre leurs ennemis, qu' ils avoient declarez heretiques, donnans plusieurs indulgences, & pardons à ceux qui souz ces arrhes se ligueroient pour leur querelle.

Il seroit mal-aisé de dire combien souz ces propositions ils se rendirent redoutez, & combien de fois à autres ils reduisirent les Princes en piteux estat. Un Henry quatriesme, dont j' ay cy-dessus parlé, un Jean Roy d' Angleterre, un Raimond Comte de Tholose, un Guillaume fils de Roger Roy de Naples, un Mainfroy, un Louys de Baviere, les Galeaces enfans de Matthieu Duc de Milan, un Pierre d' Arragon, un Federic premier Empereur de ce nom, un Andalo Duc de Venise, en eussent peu porter tesmoignage.

Et encores que les Papes n' obtindrent pas sur tous eux ce qu' ils desiroient, si leur taillerent-ils de la besongne, qui rendit leurs Estats infiniement estonnez. Mais sur tout, miserable fut le spectacle des guerres qui advindrent en Italie, entre le Pape, & l' Empereur Federic second, sous le nom des Guelphes, & Gibellins. Ceux-là tenans le party du Pape, ceux-cy celuy de l' Empereur. Qui apporta telle confusion, & desordre dans l' Italie, qu' en fin tous les Ducs, Marquis, & Comtes que l' on y a veus, s' establirent de la calamité de ces guerres. Car ioüans les uns & autres (si ainsi le faut dire) aux barres, l' un entrant en une ville pour la laisser desolee à son ennemy, & cestuy pour l' abandonner à l' instant: finalement apres plusieurs changemens, les villes estans par divers sacs reduictes en toute extremité de disette, & ces longues guerres prenans assopissement plus par la ruine de l' Estat, que par faute de volonté, ceux qui sur la declinaison de la maladie se trouverent commis pour la deffence d' unes & autres places, se firent par un droict de bienseance accroire qu' ils en estoient les vrays seigneurs, & à tant prindrent tiltres, qui de Ducs, qui de Marquis, qui de Comtes, les uns soubs l' adveu de l' Empereur, les autres soubs celuy du Pape. A la charge de les tenir diversement d' eux, en foy & hommage.

Les choses pendant le temps de sept ou huict vingt ans, tomberent en tel desarroy dedans la ville de Rome, que Jean sire de Jon-ville nous apprend que S. Louys estant en Chipre, le Roy de Tartarie luy envoya Ambassadeurs, pour l' advertir qu' il avoit receu le S. Sacrement de Baptesme: Chose dont S. Louys tres-joyeux, donna advis au Pape Innocent, lequel depescha sur le champ plusieurs doctes Theologiens pour convertir le demourant des Tartares. Et comme tous les jours ils trompetassent que le Pape estoit Vicare de Dieu en terre, & que le Roy de Tartarie esmeu de ce grand & sainct tiltre, deliberast envoyer Ambassadeurs expres vers Innocent pour le saluer avecq' toutes humbles souzmissions, ces Theologiens rompirent ce voyage: Craignans (comme dit Join-ville) que si ces nouveaux Chrestiens venoient à Rome, apres avoir consideré les mœurs corrompus qui y regnoient, ils ne conseillassent à leur Roy de retourner à sa premiere Religion.

Toutesfois Dieu regardant d' un œil de pitié son Eglise, la voulut soulager par la devotion generale des inferieurs, pendant que le chef estoit ainsi travaillé d' une fievre continue. Par ce que depuis le Roy Philippe premier, soubs lequel fut entrepris ce premier voyage d' outremer, jusques au regne de sainct Louys (qui sont cent ou six vingt ans d' intervalle) se planta une pepiniere d' ordres en nostre Christianisme, les Templiers, les Hospitaliers, les Ordres de Cisteaux & Clugny, Grammont, Premonstré, Sainct Bernard, des Chartreux, & pour closture de tout cecy, les quatre ordres des Mendians. Qui fut cause, que bien que le chef se fust aucunement debandé, toutesfois les membres s' estans retenus en leur ancien devoir, lors qu' il sembloit que la Religion deust être plus affligee, ce fut lors qu' elle prospera grandement. Et c' est peut-être la cause, pour laquelle Jean Boccace (Giovanni Boccaccio) Florentin rencontrant aucunement sur le conte du Sire Join-ville, dedans son Decameron nous raconte qu' un Juif nommé Melchisedech voulant être baptisé, eut envie d' aller à Rome pour voir le Pape. Ce dont il fut dissuadé d' un sien amy Crestien, craignant que voyant les deportemens de ce lieu, il changeast de propos, toutesfois le Juif s' en faisant croire, alla jusques à Rome, où ayant descouvert plusieurs choses dignes d' être plustost teües, que dictes, ne laissa à son retour de se faire baptiser. Dont son amy infiniement estonné, le Juif luy dit que plus volontairement il se faisoit Chrestien, de tant qu' il avoit veu le chef de la Chrestienté grandement malade, & la Religion prosperer nonobstant ceste maladie. Conte qui estoit faict à plaisir, mais par celuy qui de son temps voyoit encores une bonne partie de toutes ces calamitez.

Quelques uns paradventure voudront mal menager ce que j' ay presentement discouru, & le tourner au desadvantage du siege de Rome, comme je voy plusieurs esprits y être trop licentieusement disposez, toutes fois je les prieray recevoir cest advertissement de ma part. J' ay tousjours estimé que combien que la vertu rende un Prelat grandement recommandable, si est-ce que le vice que abonde en uns, & autres, ne faict nul tort à leurs dignitez Ecclesiastiques. Estant l' homme naturellement assiegé de tant de passions dereglees, que quelque grand personnage qu' il soit, on ne le peut nommer parfaict, ains seulement pouvons dire cestuy être de plus grand merite, qui est le moins imparfaict. Et au surplus, je ne pense qu' en toute l' histoire des Papes y ait placart dont nous devions tant faire estat que de cestuy, non point au prejudice d' eux, ains au profit de nostre Eglise generale, & universelle, pour monstrer une juste vengeance que Dieu exerça contre la puissance terrienne, par la puissance Ecclesiastique. C' est pourquoy je vous supplie vouloir icy faire une pause, & remarquer la revolution & entresuitte des affaires. Les Papes du commencement souloient être confirmez par les Empereurs, & sans leurs consentemens expres ne s' osoient immiscer en leurs charges: Les Empereurs puis apres non seulement perdirent ce privilege, ains par autre rencontre d' affaires furent confirmez par les Papes. Les Empereurs trop imperieux avoient autrefois voulu cognoistre des choses jugees par l' Eglise, comme de fait Donat Heresiarche appella à l' Empereur de la sentence qui avoit esté donnee en un Concil contre luy: & les Papes renverserent depuis les jugemens donnez par les Empereurs, comme il advint de la sentence de Federic, contre Robert Roy de Naples. Les Empereurs par une insolence extraordinaire, avoient quelques fois bravé les Papes à tort, jusques à les bannir, ou fustiger, comme il en prit à Libere, & Vigile: & tout de ceste mesme façon y eut Pape qui petilla Federic Empereur premier de ce nom aux pieds. Brief les Empereurs s' estoient donnez loy de conferer les Archeveschez & Eveschez, ausquelles ils n' avoient aucun droict: & Dieu permit en contreschange que les Papes conferassent les principautez, & Royaumes, ausquels ils n' avoient nulle part. De maniere que nous pouvons par cela juger que si aux deportemens de ces grands Prelats y eut quelques violences brusques, ce fut par un jugement caché de Dieu & à vray dire une justice de Dieu exercee par l' injustice des hommes, pour enseigner au Magistrat seculier de se contenir modestement dans ses bornes, & n' entreprendre tyranniquement dessus l' Ecclesiastic: Comme aussi ces mesmes entreprises de l' Ecclesiastic sur la puissance seculiere ont nuit aux Papes, comme je deduiray en son lieu.

Mais pour reprendre ma premiere route, voila comment les Papes se firent grands. Toutesfois restoit encores à leur grandeur, un poinct: c' estoit que leurs constitutions, que nous appellons Decretales, estoient esparces çà & là. Tout ainsi que l' Empereur Justinian avoit fait ramasser dans un tome, que nous appellons le Code, toutes les loix & ordonnances de ses predecesseurs, per la diligence de Tribonian son grand Chancellier: aussi la Majesté de l' Empire estant sous le nom d' une saincteté reduite en la personne du Pape, Gregoire neufiesme, par le ministere & aide de frere Raimond son Chapellain, de l' ordre de sainct Dominique, fit compiler toutes les constitutions Pontificales de ses devanciers, en cinq livres, qui furent appellees Decretales. Auparavant Burcard, Yve de Chartres, & Gratian avoient amassé plusieurs anciens Canons, dont Gratian par succession de temps a emporté le dessus. Son œuvre est appellee le Decret, qui s' est trouvé fort agreable. Toutesfois je desireray tousjours que tout homme qui s' amusera à le lire, y apporte plus de jugement, qu' en la lecture des Decretales, pour avoir en divers endroicts rapiecé son œuvre de plusieurs eschantillons, que l' on tire de luy comme vrays, dont toutesfois tout homme qui aura â bonnes enseignes mis l' œil dans l' ancienneté, sera grand doute. Gregoire ordonna que ses decretales fussent receues par toute la Chrestienté, tant és escholles, qu' és sieges de Justice. Et à l' imitation de luy, Boniface huictiesme sous le nom de Sexte, Clement V. sous le nom des Clementines, Jean vingt deuxiesme sous celuy d' Extravagantes firent pareilles compilations: Chose qui ne fut de petite prudence. Car y ayans plusieurs Universitez de loix espanduës par toute l' Europe, esquelles estoient enseignees les loix Imperiales, pour servir de guidon à ceux, qui puis apres vouloient manier les affaires de la Republique: aussi voulurent les Papes que d' une mesme balance on y enseignast leurs Constitutions Canoniques, & Pontificales, & à cet effet adjousterent la faculté de Decret, tout ainsi que de droict Civil, laquelle ils favoriserent de telle façon, qu' uns Urbain V. & Innocent VI. Papes, Docteurs en Decret, furent pour leur doctrine en ceste faculté appellez à la Papauté. Et tout ainsi que les Papes precedent aujourd'huy les Empereurs, aussi la faculté de Decret precede celle du droict Civil, aux assemblees, & congregations generales. Pareillement ainsi que les Roys donnerent Conservateurs Royaux aux Universitez pour la protection des Escoliers, aussi donnerent à mesme fin les Papes, des Conservateurs Apostolics. Qui estoit en ce faisant bastir, je ne diray point autant de supposts, ains de supports pour le soustenement de leur siege.

domingo, 28 de mayo de 2023

2. 10. Comment, & vers quel temps l' ordre des douze Pairs de France fut institué,

Comment, & vers quel temps l' ordre des douze Pairs de France fut institué, pour lesquels on appelle le Parlement, Cour des Pairs, dont vient qu' on requiert leur presence aux sacres, couronnemens de nos Roys.

CHAPITRE X. 

Si la vray-semblance doit quelque fois tenir lieu de verité, és anciennetez où les livres nous defaillent, il y a grande apparence d' estimer, que sous le Roy Hugues Capet, ceste police des douze Pairs eust pris son commencement, lors que tous les Ducs & Comtes avoient commué en fiefs perpetuels, les dignitez qu' ils tenoient auparavant sous le bon plaisir de nos Roys. Toutesfois en ceste opinion je me sens infiniement combatu d' une objection à laquelle il semble de prime-face n' y avoir aucune responce: Parce qu' entre les Pairs Laiz, nous y mettons pour sixiesme, le Comte de Champagne: Et neantmoins c' est une chose tres-certaine, que ny sous Hugues Capet, ny sous le Roy Robert son fils, ny bien avant sous le regne de Henry I. nous ne recognoissions ces Comtes de Champagne, tels que les ans porterent depuis, pour faire part de ce grand College. Thibault le vieil auquel commence le tige de ceste race, gendre de Heribert Comte de Vermandois, estoit seulement Comte de Blois, Tours, & Chartres: Ny luy, ny Eude premier son fils ne dilaterent ailleurs leurs limites. Vray que Eude second, se fit nommer Comte de Meaux & de Troyes, sous le regne du Roy Robert par la mort d' Estienne fils de Heribert qui tenoit le dessus de Germain sur luy, & est luy qui commença de prendre pied en Brye & Champagne, & pour ceste cause est appellé par Sigebert le Croniqueur, Odo Campaniensis.

Cestui eut pour fils Thibault deuxiesme, lequel pour les inimitiez qu' il exerçoit encontre le Roy Henry premier, se mit sous la protection d' un autre Henry Empereur d' Alemagne, qui l' honora du tiltre de Palatin de l' Empire. (Ainsi appelloient les Empereurs ceux qui estoient leurs Conseillers ordinaires.) Qualité qui ne tomba depuis de la famille des Comtes de Champagne, en tous leurs tiltres & enseignemens: laquelle toutesfois repugnoit à celle des Pairs de France, qui sont les premiers Conseillers de nostre Couronne: Voire qu' entre le Roy Louys le Gros, & le mesme Thibault, vous trouverez une guerre continuelle, & encores y en eut plusieurs autres apres leur decés, tellement que vous ne pouvez presque cotter temps auquel les Comtes de Champagne peussent être mis en ce rang de Pairs. Tant s' en faut que nous les y puissions agreger sous le temps de Hugues Capet. Et neantmoins nous tenons tous de main en main par une ancienne caballe qu' il y a eu de tout temps & ancienneté en ceste France douze Pairs, six Ecclesiastics & six Laiz. Tradition non seulement authentique, ains sacrosaincte, contre laquelle de vouloir faire le sçavant, c' est une vraye ignorance. J' adjousteray, que si ceste police est veritable, je vous supplie dites moy d' où vient qu' entre tant de grands Seigneurs qui lors estoient, l' on en tria quatre aux pays de deça, les Ducs de Bourgongne & de Normandie, les Comtes de Flandres & Champagne, & que de là, faisant un grand sault jusques aux extremitez du Royaume, on y adjousta le Duc d' Aquitaine, & le Comte de Thoulouse, laissant en arriere plusieurs Comtes qui estoient entre-deux, non moins grands terriens que les autres: Dont vient encores qu' entre tant de Prelats de France, qui portent tiltres d' Archevesques, & les aucuns de Primats, on en ait seulement choisi six, dont il n' y en ait qu' un Archevesque: mesmes qu' on les ait seulement pris des Provinces de Picardie, Bourgongne & Champagne? Car si tous les Archevesques & Evesques avant que d' entrer en leurs charges doivent la foy & homage à nos Roys à cause de leur Couronne, pourquoy n' en a l' on apparié quelques-uns à ces six autres, ou pourquoy avons nous borné ce grand & souverain fief de France, seulement de trois Provinces de la part des Ecclesiastics? Je le vous diray au moins mal qu' il me sera possible, & peut-être que ces deux dernieres objections, non seulement ne destruiront l' opinion que j' apporte de Hugues Capet, mais au contraire en tout & par tout la confirmeront, non pas pour vous dire que cest ordre des douze Pairs eust esté par luy jecté en moule, mais à mon jugement c' est luy qui fit les premiers fondements de ceste grande architecture. Chose que je ne vous puis descouvrir sans vous representer comme sur un petit tableau, les troubles, partialitez, & divisions qui advindrent en ceste France depuis la mort de Louys le Begue, qui fut en l' an 878. jusques au couronnement de Hugues Capet.

Louys le Begue mourant, delaissa sa femme enceinte d' un posthume qui fut appellé Charles le Simple, auquel par son testament il ordonna pour tuteur Eude fils de Robert Comte d' Angers. Les Normands affligeoient lors par diverses courses nostre France, dont ils s' estoient trop long temps apprivoisez à nos despens. Il falloit un Roy guerrier pour leur faire teste. Une Royne-Mere, Princesse estrangere n' estoit suffisante pour ce faire. 

Veu que noz plus grands Capitaines ne s' y trouvoient que trop empeschez. C' estoit un pretexte fort beau, pour supplanter un petit Prince de ses droicts. Louys & Carloman ses freres bastards se trouvent propres à cét effect, & se font couronner Roys de France. Mourans ils laissent un autre Louys fils de Carloman pour leur successeur, qui mourut quelque temps apres sans hoirs procedez de son corps. Tout cest entreregne (ainsi le veux-je appeller) dura sept ou huict ans pour le plus. Grande pitié, & digne d' être icy ramentue. Ceste grande famille de Charlemaigne, qui avoit faict trembler l' Europe, estoit lors aboutie en deux Charles, l' un surnommé le Gras, l' autre le Simple. Dieu veut que Charles le Gras deuiéne (devienne) mal ordonné de son cerveau. De façon qu' en un mesme temps ces deux Princes eurent deux curateurs: l' un pour la foiblesse de son sens, Arnoul Bastard son nepueu, l' autre pour la foiblesse de ses ans, Eude. Voire qu' en cestuy-cy noz ancestres remarquerent encores une imbecillité de sens, estant faict majeur, par le surnom qu' ils luy baillerent du Simple. Or ces deux curateurs, violans le droict de leurs charges se feirent proclamer Roys, celuy là de la Germanie, & cestuy de nostre France, vray que pour y apporter quelque masque, ce fut par l' election tant de leur Clergé que Noblesse. Je laisse ce qui est de l' Histoire de la Germanie, pour m' arrester à celle de France. 

Charles le Simple cependant arrivé au douziesme an de son aage, Herué (Hervé) Archevesque de Rheims qui ne couvoit pas moins d' ambition dedans sa poictrine, que Eude, sacre & couronne ce jeune Prince, & tout d' une main se faict confanonnier de ses armes. Vous pouvez juger quelles guerres civiles apporta lors ce contraste de deux Roys en un mesme Royaume. Eude va de vie à trespas, & avant que de mourir il adjure son frere Robert Comte & Gouverneur de Paris, & tous les autres grands Seigneurs de la France, de recognoistre Charles le Simple pour leur Roy: Aquoy ils acquiescerent, & sembloit que par ce moyen la France fut reduitte en son ancien repos. Le malheur du temps ne le voulut permettre. Le Roy avoit peu voir en son bas aage quatre Roys esbransler sa Couronne, d' avantage il se voyoit depourveu de tout Prince de son sang qui le secondast, au contraire il estoit assiegé de plusieurs Seigneurs accoustumez pendant le regne d' Eude de ne le recognoistre. Tout cela mis en consideration luy devoit servir de bride, pour se contenir dans les bornes de son devoir, mais son aage de dixhuict à dix neuf ans y resistoit: Joinct le peu de conseil dont il accompaigna toutes les actions. Flodoart qui vivoit de ce temps là, duquel l' use en tout ce discours, comme d' un fanal pour me servir de conduitte dans les obscuritez de ceste Histoire, nous raconte, que soudain que ce jeune Prince pensa être au dessus du vent, il embrassa esperduement l' amitié d' un jeune Gentil-homme nommé Aganon, vilipendant tous les grands Seigneurs, chose qui les indigna de telle façon qu' ils se banderent encontre luy dans Soissons, le reduisant en tel desespoir, qu' il fut contrainct avecques son favory de se re retirer chez l' Archevesque de Rheims aux despens duquel il vesquit l' espace de sept mois entiers. Comme la Majesté d' un Roy ne se peut oublier tout à coup, ains apres un premier choc de fortune, ne laisse de se ramentevoir à ses subjects, aussi advint-il le semblable à Charles. Mais luy opiniastre en son malheur continua ceste mal fondee bien-vueillance, mesmes fut si mal advisé de s' aheurter à la famille de Robert, ostant une Abbaye à Rotilde belle mere de Hugues le Grand pour en gratifier Aganon: Hugues fils de Robert se transporte expressement dans Laon par devers le Roy, pour en tirer quelque raison: mais voyant qu' il luy prestoit sourde aureille, il delibera d' obtenir par la voye des armes, ce qu' il n' avoit peu par justice. Maladie qui prit son cours dans la France l' espace de soixante dix ans, je veux dire depuis l' an 919. jusques en l' an 987. que Hugues Capet fut couronné Roy.

Charles le Simple estoit assisté de la Justice de sa cause (par ce que le subject qui prend les armes contre son Prince n' est jamais excusé envers Dieu) mais il estoit sans experience, sans conseil, sans aucun Prince de son sang. Le plus grand support qu' il avoit, estoit de l' Archevesque de Rheims. La partie est aussi mal faicte, quand un Prestre endosse le harnois, pour combattre un Capitaine, comme si un capitaine se revestoit d' une chasuble pour contrefaire le Prestre. Au contraire la faction de Robert estoit tres-forte & tres-puissante: car elle n' estoit point fondee sur une volonté esvolee du commun peuple, lequel on peut dire être un monstre, qui pour avoir trop de testes, est sans teste. Moins encores faisoit-elle estat d' un secours estranger qu' il faut fuyr comme un escueil, lors d' une guerre civile: par ce que ce Prince estranger faisant semblant de favoriser le party pour lequel il vient, n' a autre but que de demourer maistre du tapis par la ruyne des deux. Robert avoit esté faict Comte & Lieutenant general de Paris par le Roy Eude son frere, il estoit pere de Hugues que depuis la posterité surnomma le Grand, beaupere de Raoul Duc de Bourgongne, & de Heribert qui iouïssoit des villes de S. Quentin, Peronne, & autres forteresses des environs, & en outre de Meaux & Troyes. D' avantage ils attirerent à leur cordelle Thibault le Vieil Comte de Chartres, & de Blois, brave guerrier, dont j' ay parlé cy dessus, qui se fist gendre de Heribert. Il leur falloit encores un Roy au moyen dequoy Robert en prent le tiltre comme par un droict successif d' Eude son frere. Vray que pour y apporter plus de fueille, on y proceda par election: & apres son decez fut aussi éleu Roy de France Raoul de Bourgongne son gendre. Coustume qui s' insinua, non seulement pour ses Roys extraordinaires, mais qui plus est pour ceux qui estoient les vrays & legitimes, pour Louys d' Outremer, Lothaire son arrierefils. Qui a causé une heresie à quelques uns de penser que tous noz Roys fussent anciennement electifs. Je ne me suis icy proposé de vous estaler par le menu tous les accidents qui advindrent lors. Je vous diray seulement que depuis ce temps là vous ne voyez qu' un chaos, meslange & confusion de toutes affaires dans la France, tantost tous ces Princes uniz ensemble, tantost divisez selon les mescontentemens qu' ils avoient les uns des autres.

Et neantmoins, ainsi que je recueille de Flodoart, dont je faits grand fonds, l' air general de tous ces troubles fut tel. Hugues, depuis surnommé le Grand, devint chef de part, faiseur & defaiseur des Roys selon les occasions: (tout ainsi qu' autres fois Charles Martel) entre ses partizans. Heribert & Thibault beaupere & gendre à face ouverte donnerent les coups orbes: celuy là ayant fait deux fois Charles le Simple son prisonnier, lequel en fin il fit mourir en prison: Et cestuy, Louys d' Outremer son fils, qu' il eut en sa garde un an entier dedans Laon, vray que c' estoit par les menees de Hugues le Grand. Les Duc de Normandie & Comte de Flandres estoient arbitres de la querelle, tantost d' un party, tantost d' autre, selon que la commodité de leurs affaires les y convioit. Quant au Duc d' Aquitaine & Comte de Languedoc, (depuis appellé Comte de Thoulouze) ils servoient de fois à autres de retraicte à nos Roys, en cas de malheureux succez: le theatre où se joüiot la tragedie, c' estoit la Picardie, Bourgongne, Champaigne. La demeure de Hugues, dans Paris, dont il estoit Comte, celle des Roys dans Laon, Rheims, & Compieigne: mais sur tout, les chefs tant d' un que d' autre party affectionnoient la ville de Laon, comme un fort boulevert pour se maintenir contre toutes les advenuës. Au regard des Duchez & Comtez, encores que les Roys pretendissent en pouvoir dispofer, vacquation d' iceux advenant par mort, si est-ce qu' on ne les croyoit, sinon de tant qu' ils estoient assistez de la force: ils eurent en fin un Hugues lequel, ayant perdu tous ses corrivaux (hormis Thibault qui le seconda en toutes ses entreprises) s' estoit fait Controleur general de leurs actions: Heribert estant decedé, ses enfans occirent un Raoul que Louys d' Outremer avoit envoyé exprez pour remettre entre ses mains les villes & terres dont leur pere estoit mort vestu: Le mesme Roy voulant r'entrer dans la Normandie par la mort de Guillaume Duc qui n' avoit laissé qu' un bastard, en fut empesché par Hugues, qui eut un trop puissant adversaire pres de soy, si ceste reünion eust sorty effect. Et neantmoins il se fit donner puis apres le Duché de Bourgongne par le Roy, & sous ce tiltre, luy & ses enfans en jouyrent. Le pretexte estoit par devers nos Roys, la force par devers luy: & à peu dire ils avoient le nom & tiltre de Roys sans effect, cestuy l' effect sans le nom: toutesfois il fit en fin la foy & hommage au Roy Lothaire du Duché general de la France, & apres luy Hugues Capet son fils à Louys dernier Roy de la race de Martels, estans au lieu de Comtes de Paris, appellez Ducs de la France, qui n' estoit pas une qualité grandement eslongnee de celle de Roy: jusques à ce qu' en fin apres plusieurs & diverses disputes, Lothaire regnant, Charles son frere par une ambiton sotte & precipitee se fit vassal de l' Empereur Othon second, qui erigea en Duché, la Lorraine, & l' en investit, luy faisant don d' un pays qu' il ne pouvoit bonnement garder. Ce qui aliena tant Charles, du cœur des François, qu' apres la mort de Louys son nepueu, il fut aisé à Hugues Capet de se faire couronner Roy par le commun vœu & suffrage des Prelats & Seigneurs de la France: Car mesmes Charles froid & lent luy donna le loisir de reprendre haleine quatre ans entiers, apres qu' il fut monté à ce haut degré. Et toutesfois Charles s' estant depuis mis en armes eut deux heureux succez contre luy : car il le vainquir premierement en bataille rangee, & en apres le chassa de la ville de Laon, en laquelle il deliberoit d' establir sa demeure, tout ainsi que ses devanciers: mais par les menees de Hugues Capet, il fut trahy par l' Evesque, lequel le meit avecq' sa femme entre les mains de son ennemy. Qui fut l' accomplissement de son malheur: d' autant que deslors il fut envoyé prisonnier en la ville d' Orleans, où luy & sa femme paracheverent leurs jours.

Par ce dernier chef d' œuvre, vous pouvez recognoistre qu' il y eut moins de vaillance & plus de prudence en Hugues, pour laquelle aussi il emporta à mon jugement le surnom de Capet. Mon opinion doncques est, que luy se voulant rendre paisible de l' Estat, suivit toutes les mesmes traces qui luy avoient esté enseignees par son pere: Aussi que quand il y eust voulu proceder autrement, la Noblesse ne l' eust permis: Et comme ainsi fust que Eude, Robert, & Raoul, Roys adoptez & non naturels, fussent venus à la Couronne par election, voire que ceste mesme procedure eust esté tenuë en Louys d' Outremer, Lothaire, & l' autre Louys, aussi luy convint-il faire le semblable, & par une grande sagesse qui luy faisoit perpetuelle compagnie, il choisit, & les Prelats & les Princes qui avoient eu la meilleure part en la querelle, c' est à sçavoir entre tous les Prelats de la France, six qui estoient des Provinces où l' on avoit joüé des mains: dont il feit le chef, l' Archevesque de Rheims, chef non seulement pour sa qualité, mais aussi que d' ancienneté il consacroit les Roys: au dessous duquel il meit pour second, l' Evesque de Laon, pour l' obligation qu' il avoit en luy, & ainsi des autres selon le plus ou le moins de respect, qu' il leur portoit. Comme aussi entre les Princes & Seigneurs Laiz, il choisit ceux qui avoient esté principalement employez pour l' un & l' autre party: Les Ducs de Bourgongne, Normandie & Guienne, les Comtes de Flandre, & Languedoc: & par special le Duc de Bourgongne, qui fut le Doyen de tous ces Seigneurs: non que ce Duché fust de plus grande recommandation que les autres, ains par ce qu' Othon son frere en estoit Duc, & par consequent meritoit lieu de primauté. Avec lesquels il adjousta Thibaut Comte de Chartres, Blois & Tours, qui n' estoit si grand terrien, mais par ce qu' il avoit esté l' un des premiers & plus obstinez entremetteurs, à la conduitte des troubles: 

Et sa posterité ayant acquis tant par droict successif, que de bien seance, les pays de Champaigne & de Brie, l' on meit puis apres au rang des autres, les Comtes de Champaigne. Voila ce qu' il me semble du premier establissement de nos douze pairs.

Or tout ainsi que ceux-cy tindrent les premiers lieux lors que Hugues Capet fut esleu Roy, aussi ne fay-je aucune doute qu' aux Parlemens & Assemblees generales esquelles on vuidoit toutes causes, tant d' Estat, que de Justice, ils y tinsent les premiers rangs: Et comme on est bien aise de n' oublier les noms des ancienes dignitez, ores que la forma en soit perdue, aussi remeit-on lors l' ancienne dignité de Patrice ou Pairrie en avant, qui estoit tant respectee premierement par les Empereurs, & en apres par nos Roys de la premiere, & seconde lignee. De là vint, que s' il y avoit quelque question entre le Roy & eux pour leurs Pairries & teneures feodales, ou entr' eux mesmes, qu' ils ne decidassent par les armes, ils en remettoient la decision au Conseil general d' eux tous: Et d' autant que d' ordinaire cela se vuidoit en un parlement, on l' appella Cour des Pairs: & à l' exemple de cecy, les Ducs & Comtes voulurent aussi (comme j' ay dict) avoir leurs Pairs en leurs Conseils, Eschiquiers & Grands jours, & au dessous d' eux les Barons voulurent faire le semblable: comme naturellement les petits se rendent Singes des grands. Je trouve dans les Memoriaux de nostre Chambre des Comptes unes procedures qui furent faites l' an 1224. entre la Comtesse de Flandres & le sire de Nesles qui merite d' être icy transcripte, encores que le langage ne soit si vieux, comme estoit celuy de ce temps là. Sur un different qui estoit en Parlement entre Jeanne Comtesse de Flandres & Jean de Nestes: la Comtesse comparant au jour proposé, disoit qu' elle n' avoit pas esté suffisamment semonce par deux Chevaliers, fut jugé qu' elle avoit esté suffisamment semonce: Elle demanda depuis le renvoy de sa cause par devant ses Pairs, qui estoient en Flandres. Jean de Nesles disoit qu' elle avoit failly de droict par ses Pairs, dont il avoit appellé ladicte Comtesse, où il estoit prest de la convaincre de defaut de droict, fut jugé par le Roy, que Jean de Nesles ne retourneroit en Flandres. Lors comparurent le Chancelier, le Bouteiller, le Chambrier, & le Connestable qui sont Officiers de l' hostel du Roy. Les Pairs soustenoient qu' ils ne devoient assister au jugement des Pairs de France: soustenans lesdits Officiers le contraire. Par Arrest fut dict que lesdicts Officiers y assisteroient & jugeroient. Ancienneté, dont vous pouvez recueillir que dés pieça l' ordre & police des Pairs estoit lors instituee tant au chef que membres de la Couronne. Au demourant si ce placard est veritable, il semble que lors le College des Pairs pretendoit qu' à luy seul appartenoit la cognoissance de ses confreres, veu qu' il n' y vouloit admettre les quatre premieres dignitez de la France, & mesmement le Chancelier que depuis nous avons recogneu pour chef general de la Justice. Et neantmoins ce different fut jugé par le Parlement: D' autant que ce n' estoit pas la raison que le College des Pairs eust esté juge en sa propre cause. Depuis on n' a point faict de doute que le corps des Pairs & du Parlement n' estoit qu' un.

Voila quant à la Cour des Pairs, je viens maintenant aux Sacres & Couronnemens de noz Roys, où l' on desire la presence des Pairs. Et combien que cela semble avoir pris son premier traict, de l' élection de Hugues Capet, si ne se continua-il d' un tel fil, que l' autre: Parce que depuis son couronnement jusques à la venuë de Philippes second, dit le Conquerant, on ne trouve point que ces Pairs ayent faict profession d' assister aux Sacres, quelque chose que l' on s' imagine du sacre de Louys le Jeune son pere. Et à vray dire c' est une histoire où il y a autant de tenebres qu' en pas une des nostres. Pour l' esclaircissement de laquelle faut noter que tant & si longuement que les Troubles durerent entre les deux familles, on proceda par élection au couronnement de noz Roys, ainsi que je vous ay cy-dessus touché. Ceste mesme procedure fut practiquee en Hugues Capet, nouveau Roy.

Mais luy Prince tres-advisé, cognoissant que de remettre à la mercy d' une élection, la Couronne nouvellement transferee en sa famille, c' estoit chose de perilleuse consequence, rechercha tous les moyens qu' il peut pour en suprimer l' usage: Et ne trouvant expedient plus prompt que d' agreger avecq' soy Robert son fils, il le fit sacrer & Couronner Roy dés son vivant. Coustume qui fut depuis observee en quatre ou cinq generations successives de noz Roys: Parce que le mesme Robert en fit autant à Henry premier, son fils: & luy à Philippes premier. Lequel n' ayant voulu faire le semblable à l' endroict de Louys le Gros, ce jeune Prince se trouva aucunement empesché apres la mort du Roy son pere. D' autant que l' Archevesque de Rheims, & quelques Prelats & Barons voulurent s' opposer à sa reception. Chose dont Yves Evesque de Chartres adverty, prevint leur dessein par un sage conseil, qui fut de le faire promptement sacrer Roy dedans la ville d' Orleans. Et comme apres coup, ils s' en plaignissent, ce Prelat plein d' entendement, & homme d' Estat, fit une Apologie, qui est la septantiesme entre ses Epistres, par laquelle il monstre qu' il luy avoit esté loisible de ce faire, & que les Sacres de noz Roys n' estoient non plus affectez à l' Eglise de Rheims, qu' aux autres Cathedrales ou Metropolitaines du Royaume. Joinct qu' outre la plume de cest Evesque, Louys le Gros estoit un rude ioueur, auquel il ne se failloit pas aisément heurter. Et neantmoins luy s' estant faict sage, par soy-mesmes, & à ses propres despens, il se donna bien garde de faire la faute qu' avoit faict son pere. Parce que quelques ans avant que de mourir, il fit sacrer Roy, Louys le Jeune son fils. Ce que pareillement fit Louys envers Philippes second, dir Auguste. Ces sages resignations admises dés le vivant des peres, firent oublier les elections qui estoient nees dedans les Troubles de la France. De maniere que vous ne voyez en tous ces Sacres & couronnemens être faicte mention des Pairs, horsmis en celuy de Philippes Auguste, où l' on remarque que Henry le jeune Roy d' Angleterre s' y trouva comme Pair & vassal de France. Mais c' estoit une honneste submission qu' il faisoit au Roy, pour monstrer qu' il ne se pretendoit souverain des seigneuries qu' il possedoit dedans le Royaume. Bien veux-je croire (& n' est en cecy vaine ma creance) que tout ainsi que ce Roy Philippes second eust tant qu' il regna la fortune en pouppe, pour laquelle il fut surnommé tantost Philippes le Conquerant, tantost Philippes Auguste, comme s' il eust esté un autre Empereur Auguste entre nous, aussi voulut-il magnifier sa Cour de ce beau tiltre de Pair. Pour le moins le voyez vous dés & depuis son regne plus en usage que devant. Guillaume de Nangy nous raconte que vers l' an 1259. en paix faisant entre S. Louys, petit fils d' Auguste, & Henry Roy d' Angleterre, il fut accordé que la Normandie, Poictou, Anjou, Maine, & Touraine demeureroient aux François, & la Gascongne, Lymosin & Perigord aux Anglois, à la charge que le Roy d' Angleterre recognoistroit les tenir de noz Roys, en foy & hommage, & s' appelleroit Duc d' Aquitaine & Pair de France. Et neantmoins repassez en quatre ou cinq lignees subsequutives: En Louys huict & neufiesme, Philippes troisiesme, Philippes quatriesme dit le Bel, & en ses trois enfans, vous ne voyez les Sacres de noz Roys être honorez de ceste parade de Pairs. Parquoy je dirois volontiers, s' il m' estoit permis, que lors qu' ils commencerent de n' être, ils commencerent de renaistre, c' est à sçavoir, apres que tous les anciens Duchez & Comtez furent reüniz à la Couronne, fors & excepté celuy de Flandres. Car voyans noz Roys leur Royaume n' être plus eschantillonné: ils voulurent representer par image ces anciennes Pairries: vray qu' avecq' un discours grandement eslongné: Car au lieu qu' autresfois on avoit erigé les grandes Provinces en Royaumes, pour lotir un enfant de France, & luy mort sans enfans on les reduisoit en Duchez & Pairries, nous erigeames depuis en Duchez & Pairries les simples Baronnies: & lors on ne douta de tirer en ceremonie, aux Sacres de noz Roys, ce qui avoit esté faict par necessité à l' advenement de Hugues Capet à la Couronne. De maniere que les Prelats demourerent en leur ancienne prerogative de Pairs & les nouveaux Pairs Laiz representerent les anciens, comme estant ceste representation sans danger.