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domingo, 28 de mayo de 2023

2. 10. Comment, & vers quel temps l' ordre des douze Pairs de France fut institué,

Comment, & vers quel temps l' ordre des douze Pairs de France fut institué, pour lesquels on appelle le Parlement, Cour des Pairs, dont vient qu' on requiert leur presence aux sacres, couronnemens de nos Roys.

CHAPITRE X. 

Si la vray-semblance doit quelque fois tenir lieu de verité, és anciennetez où les livres nous defaillent, il y a grande apparence d' estimer, que sous le Roy Hugues Capet, ceste police des douze Pairs eust pris son commencement, lors que tous les Ducs & Comtes avoient commué en fiefs perpetuels, les dignitez qu' ils tenoient auparavant sous le bon plaisir de nos Roys. Toutesfois en ceste opinion je me sens infiniement combatu d' une objection à laquelle il semble de prime-face n' y avoir aucune responce: Parce qu' entre les Pairs Laiz, nous y mettons pour sixiesme, le Comte de Champagne: Et neantmoins c' est une chose tres-certaine, que ny sous Hugues Capet, ny sous le Roy Robert son fils, ny bien avant sous le regne de Henry I. nous ne recognoissions ces Comtes de Champagne, tels que les ans porterent depuis, pour faire part de ce grand College. Thibault le vieil auquel commence le tige de ceste race, gendre de Heribert Comte de Vermandois, estoit seulement Comte de Blois, Tours, & Chartres: Ny luy, ny Eude premier son fils ne dilaterent ailleurs leurs limites. Vray que Eude second, se fit nommer Comte de Meaux & de Troyes, sous le regne du Roy Robert par la mort d' Estienne fils de Heribert qui tenoit le dessus de Germain sur luy, & est luy qui commença de prendre pied en Brye & Champagne, & pour ceste cause est appellé par Sigebert le Croniqueur, Odo Campaniensis.

Cestui eut pour fils Thibault deuxiesme, lequel pour les inimitiez qu' il exerçoit encontre le Roy Henry premier, se mit sous la protection d' un autre Henry Empereur d' Alemagne, qui l' honora du tiltre de Palatin de l' Empire. (Ainsi appelloient les Empereurs ceux qui estoient leurs Conseillers ordinaires.) Qualité qui ne tomba depuis de la famille des Comtes de Champagne, en tous leurs tiltres & enseignemens: laquelle toutesfois repugnoit à celle des Pairs de France, qui sont les premiers Conseillers de nostre Couronne: Voire qu' entre le Roy Louys le Gros, & le mesme Thibault, vous trouverez une guerre continuelle, & encores y en eut plusieurs autres apres leur decés, tellement que vous ne pouvez presque cotter temps auquel les Comtes de Champagne peussent être mis en ce rang de Pairs. Tant s' en faut que nous les y puissions agreger sous le temps de Hugues Capet. Et neantmoins nous tenons tous de main en main par une ancienne caballe qu' il y a eu de tout temps & ancienneté en ceste France douze Pairs, six Ecclesiastics & six Laiz. Tradition non seulement authentique, ains sacrosaincte, contre laquelle de vouloir faire le sçavant, c' est une vraye ignorance. J' adjousteray, que si ceste police est veritable, je vous supplie dites moy d' où vient qu' entre tant de grands Seigneurs qui lors estoient, l' on en tria quatre aux pays de deça, les Ducs de Bourgongne & de Normandie, les Comtes de Flandres & Champagne, & que de là, faisant un grand sault jusques aux extremitez du Royaume, on y adjousta le Duc d' Aquitaine, & le Comte de Thoulouse, laissant en arriere plusieurs Comtes qui estoient entre-deux, non moins grands terriens que les autres: Dont vient encores qu' entre tant de Prelats de France, qui portent tiltres d' Archevesques, & les aucuns de Primats, on en ait seulement choisi six, dont il n' y en ait qu' un Archevesque: mesmes qu' on les ait seulement pris des Provinces de Picardie, Bourgongne & Champagne? Car si tous les Archevesques & Evesques avant que d' entrer en leurs charges doivent la foy & homage à nos Roys à cause de leur Couronne, pourquoy n' en a l' on apparié quelques-uns à ces six autres, ou pourquoy avons nous borné ce grand & souverain fief de France, seulement de trois Provinces de la part des Ecclesiastics? Je le vous diray au moins mal qu' il me sera possible, & peut-être que ces deux dernieres objections, non seulement ne destruiront l' opinion que j' apporte de Hugues Capet, mais au contraire en tout & par tout la confirmeront, non pas pour vous dire que cest ordre des douze Pairs eust esté par luy jecté en moule, mais à mon jugement c' est luy qui fit les premiers fondements de ceste grande architecture. Chose que je ne vous puis descouvrir sans vous representer comme sur un petit tableau, les troubles, partialitez, & divisions qui advindrent en ceste France depuis la mort de Louys le Begue, qui fut en l' an 878. jusques au couronnement de Hugues Capet.

Louys le Begue mourant, delaissa sa femme enceinte d' un posthume qui fut appellé Charles le Simple, auquel par son testament il ordonna pour tuteur Eude fils de Robert Comte d' Angers. Les Normands affligeoient lors par diverses courses nostre France, dont ils s' estoient trop long temps apprivoisez à nos despens. Il falloit un Roy guerrier pour leur faire teste. Une Royne-Mere, Princesse estrangere n' estoit suffisante pour ce faire. 

Veu que noz plus grands Capitaines ne s' y trouvoient que trop empeschez. C' estoit un pretexte fort beau, pour supplanter un petit Prince de ses droicts. Louys & Carloman ses freres bastards se trouvent propres à cét effect, & se font couronner Roys de France. Mourans ils laissent un autre Louys fils de Carloman pour leur successeur, qui mourut quelque temps apres sans hoirs procedez de son corps. Tout cest entreregne (ainsi le veux-je appeller) dura sept ou huict ans pour le plus. Grande pitié, & digne d' être icy ramentue. Ceste grande famille de Charlemaigne, qui avoit faict trembler l' Europe, estoit lors aboutie en deux Charles, l' un surnommé le Gras, l' autre le Simple. Dieu veut que Charles le Gras deuiéne (devienne) mal ordonné de son cerveau. De façon qu' en un mesme temps ces deux Princes eurent deux curateurs: l' un pour la foiblesse de son sens, Arnoul Bastard son nepueu, l' autre pour la foiblesse de ses ans, Eude. Voire qu' en cestuy-cy noz ancestres remarquerent encores une imbecillité de sens, estant faict majeur, par le surnom qu' ils luy baillerent du Simple. Or ces deux curateurs, violans le droict de leurs charges se feirent proclamer Roys, celuy là de la Germanie, & cestuy de nostre France, vray que pour y apporter quelque masque, ce fut par l' election tant de leur Clergé que Noblesse. Je laisse ce qui est de l' Histoire de la Germanie, pour m' arrester à celle de France. 

Charles le Simple cependant arrivé au douziesme an de son aage, Herué (Hervé) Archevesque de Rheims qui ne couvoit pas moins d' ambition dedans sa poictrine, que Eude, sacre & couronne ce jeune Prince, & tout d' une main se faict confanonnier de ses armes. Vous pouvez juger quelles guerres civiles apporta lors ce contraste de deux Roys en un mesme Royaume. Eude va de vie à trespas, & avant que de mourir il adjure son frere Robert Comte & Gouverneur de Paris, & tous les autres grands Seigneurs de la France, de recognoistre Charles le Simple pour leur Roy: Aquoy ils acquiescerent, & sembloit que par ce moyen la France fut reduitte en son ancien repos. Le malheur du temps ne le voulut permettre. Le Roy avoit peu voir en son bas aage quatre Roys esbransler sa Couronne, d' avantage il se voyoit depourveu de tout Prince de son sang qui le secondast, au contraire il estoit assiegé de plusieurs Seigneurs accoustumez pendant le regne d' Eude de ne le recognoistre. Tout cela mis en consideration luy devoit servir de bride, pour se contenir dans les bornes de son devoir, mais son aage de dixhuict à dix neuf ans y resistoit: Joinct le peu de conseil dont il accompaigna toutes les actions. Flodoart qui vivoit de ce temps là, duquel l' use en tout ce discours, comme d' un fanal pour me servir de conduitte dans les obscuritez de ceste Histoire, nous raconte, que soudain que ce jeune Prince pensa être au dessus du vent, il embrassa esperduement l' amitié d' un jeune Gentil-homme nommé Aganon, vilipendant tous les grands Seigneurs, chose qui les indigna de telle façon qu' ils se banderent encontre luy dans Soissons, le reduisant en tel desespoir, qu' il fut contrainct avecques son favory de se re retirer chez l' Archevesque de Rheims aux despens duquel il vesquit l' espace de sept mois entiers. Comme la Majesté d' un Roy ne se peut oublier tout à coup, ains apres un premier choc de fortune, ne laisse de se ramentevoir à ses subjects, aussi advint-il le semblable à Charles. Mais luy opiniastre en son malheur continua ceste mal fondee bien-vueillance, mesmes fut si mal advisé de s' aheurter à la famille de Robert, ostant une Abbaye à Rotilde belle mere de Hugues le Grand pour en gratifier Aganon: Hugues fils de Robert se transporte expressement dans Laon par devers le Roy, pour en tirer quelque raison: mais voyant qu' il luy prestoit sourde aureille, il delibera d' obtenir par la voye des armes, ce qu' il n' avoit peu par justice. Maladie qui prit son cours dans la France l' espace de soixante dix ans, je veux dire depuis l' an 919. jusques en l' an 987. que Hugues Capet fut couronné Roy.

Charles le Simple estoit assisté de la Justice de sa cause (par ce que le subject qui prend les armes contre son Prince n' est jamais excusé envers Dieu) mais il estoit sans experience, sans conseil, sans aucun Prince de son sang. Le plus grand support qu' il avoit, estoit de l' Archevesque de Rheims. La partie est aussi mal faicte, quand un Prestre endosse le harnois, pour combattre un Capitaine, comme si un capitaine se revestoit d' une chasuble pour contrefaire le Prestre. Au contraire la faction de Robert estoit tres-forte & tres-puissante: car elle n' estoit point fondee sur une volonté esvolee du commun peuple, lequel on peut dire être un monstre, qui pour avoir trop de testes, est sans teste. Moins encores faisoit-elle estat d' un secours estranger qu' il faut fuyr comme un escueil, lors d' une guerre civile: par ce que ce Prince estranger faisant semblant de favoriser le party pour lequel il vient, n' a autre but que de demourer maistre du tapis par la ruyne des deux. Robert avoit esté faict Comte & Lieutenant general de Paris par le Roy Eude son frere, il estoit pere de Hugues que depuis la posterité surnomma le Grand, beaupere de Raoul Duc de Bourgongne, & de Heribert qui iouïssoit des villes de S. Quentin, Peronne, & autres forteresses des environs, & en outre de Meaux & Troyes. D' avantage ils attirerent à leur cordelle Thibault le Vieil Comte de Chartres, & de Blois, brave guerrier, dont j' ay parlé cy dessus, qui se fist gendre de Heribert. Il leur falloit encores un Roy au moyen dequoy Robert en prent le tiltre comme par un droict successif d' Eude son frere. Vray que pour y apporter plus de fueille, on y proceda par election: & apres son decez fut aussi éleu Roy de France Raoul de Bourgongne son gendre. Coustume qui s' insinua, non seulement pour ses Roys extraordinaires, mais qui plus est pour ceux qui estoient les vrays & legitimes, pour Louys d' Outremer, Lothaire son arrierefils. Qui a causé une heresie à quelques uns de penser que tous noz Roys fussent anciennement electifs. Je ne me suis icy proposé de vous estaler par le menu tous les accidents qui advindrent lors. Je vous diray seulement que depuis ce temps là vous ne voyez qu' un chaos, meslange & confusion de toutes affaires dans la France, tantost tous ces Princes uniz ensemble, tantost divisez selon les mescontentemens qu' ils avoient les uns des autres.

Et neantmoins, ainsi que je recueille de Flodoart, dont je faits grand fonds, l' air general de tous ces troubles fut tel. Hugues, depuis surnommé le Grand, devint chef de part, faiseur & defaiseur des Roys selon les occasions: (tout ainsi qu' autres fois Charles Martel) entre ses partizans. Heribert & Thibault beaupere & gendre à face ouverte donnerent les coups orbes: celuy là ayant fait deux fois Charles le Simple son prisonnier, lequel en fin il fit mourir en prison: Et cestuy, Louys d' Outremer son fils, qu' il eut en sa garde un an entier dedans Laon, vray que c' estoit par les menees de Hugues le Grand. Les Duc de Normandie & Comte de Flandres estoient arbitres de la querelle, tantost d' un party, tantost d' autre, selon que la commodité de leurs affaires les y convioit. Quant au Duc d' Aquitaine & Comte de Languedoc, (depuis appellé Comte de Thoulouze) ils servoient de fois à autres de retraicte à nos Roys, en cas de malheureux succez: le theatre où se joüiot la tragedie, c' estoit la Picardie, Bourgongne, Champaigne. La demeure de Hugues, dans Paris, dont il estoit Comte, celle des Roys dans Laon, Rheims, & Compieigne: mais sur tout, les chefs tant d' un que d' autre party affectionnoient la ville de Laon, comme un fort boulevert pour se maintenir contre toutes les advenuës. Au regard des Duchez & Comtez, encores que les Roys pretendissent en pouvoir dispofer, vacquation d' iceux advenant par mort, si est-ce qu' on ne les croyoit, sinon de tant qu' ils estoient assistez de la force: ils eurent en fin un Hugues lequel, ayant perdu tous ses corrivaux (hormis Thibault qui le seconda en toutes ses entreprises) s' estoit fait Controleur general de leurs actions: Heribert estant decedé, ses enfans occirent un Raoul que Louys d' Outremer avoit envoyé exprez pour remettre entre ses mains les villes & terres dont leur pere estoit mort vestu: Le mesme Roy voulant r'entrer dans la Normandie par la mort de Guillaume Duc qui n' avoit laissé qu' un bastard, en fut empesché par Hugues, qui eut un trop puissant adversaire pres de soy, si ceste reünion eust sorty effect. Et neantmoins il se fit donner puis apres le Duché de Bourgongne par le Roy, & sous ce tiltre, luy & ses enfans en jouyrent. Le pretexte estoit par devers nos Roys, la force par devers luy: & à peu dire ils avoient le nom & tiltre de Roys sans effect, cestuy l' effect sans le nom: toutesfois il fit en fin la foy & hommage au Roy Lothaire du Duché general de la France, & apres luy Hugues Capet son fils à Louys dernier Roy de la race de Martels, estans au lieu de Comtes de Paris, appellez Ducs de la France, qui n' estoit pas une qualité grandement eslongnee de celle de Roy: jusques à ce qu' en fin apres plusieurs & diverses disputes, Lothaire regnant, Charles son frere par une ambiton sotte & precipitee se fit vassal de l' Empereur Othon second, qui erigea en Duché, la Lorraine, & l' en investit, luy faisant don d' un pays qu' il ne pouvoit bonnement garder. Ce qui aliena tant Charles, du cœur des François, qu' apres la mort de Louys son nepueu, il fut aisé à Hugues Capet de se faire couronner Roy par le commun vœu & suffrage des Prelats & Seigneurs de la France: Car mesmes Charles froid & lent luy donna le loisir de reprendre haleine quatre ans entiers, apres qu' il fut monté à ce haut degré. Et toutesfois Charles s' estant depuis mis en armes eut deux heureux succez contre luy : car il le vainquir premierement en bataille rangee, & en apres le chassa de la ville de Laon, en laquelle il deliberoit d' establir sa demeure, tout ainsi que ses devanciers: mais par les menees de Hugues Capet, il fut trahy par l' Evesque, lequel le meit avecq' sa femme entre les mains de son ennemy. Qui fut l' accomplissement de son malheur: d' autant que deslors il fut envoyé prisonnier en la ville d' Orleans, où luy & sa femme paracheverent leurs jours.

Par ce dernier chef d' œuvre, vous pouvez recognoistre qu' il y eut moins de vaillance & plus de prudence en Hugues, pour laquelle aussi il emporta à mon jugement le surnom de Capet. Mon opinion doncques est, que luy se voulant rendre paisible de l' Estat, suivit toutes les mesmes traces qui luy avoient esté enseignees par son pere: Aussi que quand il y eust voulu proceder autrement, la Noblesse ne l' eust permis: Et comme ainsi fust que Eude, Robert, & Raoul, Roys adoptez & non naturels, fussent venus à la Couronne par election, voire que ceste mesme procedure eust esté tenuë en Louys d' Outremer, Lothaire, & l' autre Louys, aussi luy convint-il faire le semblable, & par une grande sagesse qui luy faisoit perpetuelle compagnie, il choisit, & les Prelats & les Princes qui avoient eu la meilleure part en la querelle, c' est à sçavoir entre tous les Prelats de la France, six qui estoient des Provinces où l' on avoit joüé des mains: dont il feit le chef, l' Archevesque de Rheims, chef non seulement pour sa qualité, mais aussi que d' ancienneté il consacroit les Roys: au dessous duquel il meit pour second, l' Evesque de Laon, pour l' obligation qu' il avoit en luy, & ainsi des autres selon le plus ou le moins de respect, qu' il leur portoit. Comme aussi entre les Princes & Seigneurs Laiz, il choisit ceux qui avoient esté principalement employez pour l' un & l' autre party: Les Ducs de Bourgongne, Normandie & Guienne, les Comtes de Flandre, & Languedoc: & par special le Duc de Bourgongne, qui fut le Doyen de tous ces Seigneurs: non que ce Duché fust de plus grande recommandation que les autres, ains par ce qu' Othon son frere en estoit Duc, & par consequent meritoit lieu de primauté. Avec lesquels il adjousta Thibaut Comte de Chartres, Blois & Tours, qui n' estoit si grand terrien, mais par ce qu' il avoit esté l' un des premiers & plus obstinez entremetteurs, à la conduitte des troubles: 

Et sa posterité ayant acquis tant par droict successif, que de bien seance, les pays de Champaigne & de Brie, l' on meit puis apres au rang des autres, les Comtes de Champaigne. Voila ce qu' il me semble du premier establissement de nos douze pairs.

Or tout ainsi que ceux-cy tindrent les premiers lieux lors que Hugues Capet fut esleu Roy, aussi ne fay-je aucune doute qu' aux Parlemens & Assemblees generales esquelles on vuidoit toutes causes, tant d' Estat, que de Justice, ils y tinsent les premiers rangs: Et comme on est bien aise de n' oublier les noms des ancienes dignitez, ores que la forma en soit perdue, aussi remeit-on lors l' ancienne dignité de Patrice ou Pairrie en avant, qui estoit tant respectee premierement par les Empereurs, & en apres par nos Roys de la premiere, & seconde lignee. De là vint, que s' il y avoit quelque question entre le Roy & eux pour leurs Pairries & teneures feodales, ou entr' eux mesmes, qu' ils ne decidassent par les armes, ils en remettoient la decision au Conseil general d' eux tous: Et d' autant que d' ordinaire cela se vuidoit en un parlement, on l' appella Cour des Pairs: & à l' exemple de cecy, les Ducs & Comtes voulurent aussi (comme j' ay dict) avoir leurs Pairs en leurs Conseils, Eschiquiers & Grands jours, & au dessous d' eux les Barons voulurent faire le semblable: comme naturellement les petits se rendent Singes des grands. Je trouve dans les Memoriaux de nostre Chambre des Comptes unes procedures qui furent faites l' an 1224. entre la Comtesse de Flandres & le sire de Nesles qui merite d' être icy transcripte, encores que le langage ne soit si vieux, comme estoit celuy de ce temps là. Sur un different qui estoit en Parlement entre Jeanne Comtesse de Flandres & Jean de Nestes: la Comtesse comparant au jour proposé, disoit qu' elle n' avoit pas esté suffisamment semonce par deux Chevaliers, fut jugé qu' elle avoit esté suffisamment semonce: Elle demanda depuis le renvoy de sa cause par devant ses Pairs, qui estoient en Flandres. Jean de Nesles disoit qu' elle avoit failly de droict par ses Pairs, dont il avoit appellé ladicte Comtesse, où il estoit prest de la convaincre de defaut de droict, fut jugé par le Roy, que Jean de Nesles ne retourneroit en Flandres. Lors comparurent le Chancelier, le Bouteiller, le Chambrier, & le Connestable qui sont Officiers de l' hostel du Roy. Les Pairs soustenoient qu' ils ne devoient assister au jugement des Pairs de France: soustenans lesdits Officiers le contraire. Par Arrest fut dict que lesdicts Officiers y assisteroient & jugeroient. Ancienneté, dont vous pouvez recueillir que dés pieça l' ordre & police des Pairs estoit lors instituee tant au chef que membres de la Couronne. Au demourant si ce placard est veritable, il semble que lors le College des Pairs pretendoit qu' à luy seul appartenoit la cognoissance de ses confreres, veu qu' il n' y vouloit admettre les quatre premieres dignitez de la France, & mesmement le Chancelier que depuis nous avons recogneu pour chef general de la Justice. Et neantmoins ce different fut jugé par le Parlement: D' autant que ce n' estoit pas la raison que le College des Pairs eust esté juge en sa propre cause. Depuis on n' a point faict de doute que le corps des Pairs & du Parlement n' estoit qu' un.

Voila quant à la Cour des Pairs, je viens maintenant aux Sacres & Couronnemens de noz Roys, où l' on desire la presence des Pairs. Et combien que cela semble avoir pris son premier traict, de l' élection de Hugues Capet, si ne se continua-il d' un tel fil, que l' autre: Parce que depuis son couronnement jusques à la venuë de Philippes second, dit le Conquerant, on ne trouve point que ces Pairs ayent faict profession d' assister aux Sacres, quelque chose que l' on s' imagine du sacre de Louys le Jeune son pere. Et à vray dire c' est une histoire où il y a autant de tenebres qu' en pas une des nostres. Pour l' esclaircissement de laquelle faut noter que tant & si longuement que les Troubles durerent entre les deux familles, on proceda par élection au couronnement de noz Roys, ainsi que je vous ay cy-dessus touché. Ceste mesme procedure fut practiquee en Hugues Capet, nouveau Roy.

Mais luy Prince tres-advisé, cognoissant que de remettre à la mercy d' une élection, la Couronne nouvellement transferee en sa famille, c' estoit chose de perilleuse consequence, rechercha tous les moyens qu' il peut pour en suprimer l' usage: Et ne trouvant expedient plus prompt que d' agreger avecq' soy Robert son fils, il le fit sacrer & Couronner Roy dés son vivant. Coustume qui fut depuis observee en quatre ou cinq generations successives de noz Roys: Parce que le mesme Robert en fit autant à Henry premier, son fils: & luy à Philippes premier. Lequel n' ayant voulu faire le semblable à l' endroict de Louys le Gros, ce jeune Prince se trouva aucunement empesché apres la mort du Roy son pere. D' autant que l' Archevesque de Rheims, & quelques Prelats & Barons voulurent s' opposer à sa reception. Chose dont Yves Evesque de Chartres adverty, prevint leur dessein par un sage conseil, qui fut de le faire promptement sacrer Roy dedans la ville d' Orleans. Et comme apres coup, ils s' en plaignissent, ce Prelat plein d' entendement, & homme d' Estat, fit une Apologie, qui est la septantiesme entre ses Epistres, par laquelle il monstre qu' il luy avoit esté loisible de ce faire, & que les Sacres de noz Roys n' estoient non plus affectez à l' Eglise de Rheims, qu' aux autres Cathedrales ou Metropolitaines du Royaume. Joinct qu' outre la plume de cest Evesque, Louys le Gros estoit un rude ioueur, auquel il ne se failloit pas aisément heurter. Et neantmoins luy s' estant faict sage, par soy-mesmes, & à ses propres despens, il se donna bien garde de faire la faute qu' avoit faict son pere. Parce que quelques ans avant que de mourir, il fit sacrer Roy, Louys le Jeune son fils. Ce que pareillement fit Louys envers Philippes second, dir Auguste. Ces sages resignations admises dés le vivant des peres, firent oublier les elections qui estoient nees dedans les Troubles de la France. De maniere que vous ne voyez en tous ces Sacres & couronnemens être faicte mention des Pairs, horsmis en celuy de Philippes Auguste, où l' on remarque que Henry le jeune Roy d' Angleterre s' y trouva comme Pair & vassal de France. Mais c' estoit une honneste submission qu' il faisoit au Roy, pour monstrer qu' il ne se pretendoit souverain des seigneuries qu' il possedoit dedans le Royaume. Bien veux-je croire (& n' est en cecy vaine ma creance) que tout ainsi que ce Roy Philippes second eust tant qu' il regna la fortune en pouppe, pour laquelle il fut surnommé tantost Philippes le Conquerant, tantost Philippes Auguste, comme s' il eust esté un autre Empereur Auguste entre nous, aussi voulut-il magnifier sa Cour de ce beau tiltre de Pair. Pour le moins le voyez vous dés & depuis son regne plus en usage que devant. Guillaume de Nangy nous raconte que vers l' an 1259. en paix faisant entre S. Louys, petit fils d' Auguste, & Henry Roy d' Angleterre, il fut accordé que la Normandie, Poictou, Anjou, Maine, & Touraine demeureroient aux François, & la Gascongne, Lymosin & Perigord aux Anglois, à la charge que le Roy d' Angleterre recognoistroit les tenir de noz Roys, en foy & hommage, & s' appelleroit Duc d' Aquitaine & Pair de France. Et neantmoins repassez en quatre ou cinq lignees subsequutives: En Louys huict & neufiesme, Philippes troisiesme, Philippes quatriesme dit le Bel, & en ses trois enfans, vous ne voyez les Sacres de noz Roys être honorez de ceste parade de Pairs. Parquoy je dirois volontiers, s' il m' estoit permis, que lors qu' ils commencerent de n' être, ils commencerent de renaistre, c' est à sçavoir, apres que tous les anciens Duchez & Comtez furent reüniz à la Couronne, fors & excepté celuy de Flandres. Car voyans noz Roys leur Royaume n' être plus eschantillonné: ils voulurent representer par image ces anciennes Pairries: vray qu' avecq' un discours grandement eslongné: Car au lieu qu' autresfois on avoit erigé les grandes Provinces en Royaumes, pour lotir un enfant de France, & luy mort sans enfans on les reduisoit en Duchez & Pairries, nous erigeames depuis en Duchez & Pairries les simples Baronnies: & lors on ne douta de tirer en ceremonie, aux Sacres de noz Roys, ce qui avoit esté faict par necessité à l' advenement de Hugues Capet à la Couronne. De maniere que les Prelats demourerent en leur ancienne prerogative de Pairs & les nouveaux Pairs Laiz representerent les anciens, comme estant ceste representation sans danger.

2. 9. De l' Ordre des douze Pairs de France

De l' Ordre des douze Pairs de France, & s' ils furent institués par Charlemagne, comme la commune de nos Annalistes estime. 

CHAPITRE IX.

Comme l' on voit les nageurs être souvent emportez bien loing au fil de l' eauë, avant qu' à force & rames de bras, ils puissent gagner le bord, aussi me suis-je laissé emporter au fil des ans, & d' une longue ancienneté des Parlements Ambulatoires, par une liaison de discours de l' un à l' autre, je suis en fin venu fondre dedans nostre siecle. Parquoy il est meshuy temps que je retourne au port dont je suis sorty, & revienne à la premiere & seconde lignee de nos Roys, pour vous discourir de nos Pairs de France, qui sera le subject du present chapitre.

La plus grande partie du peuple tient pour histoire tres-certaine, que l' Empereur Charlemagne pour asseurer son Estat, & gagner le cœur des siens, donna presque semblable authorité qu' à soy, à douze de ses principaux, à la charge toutesfois de se retenir la principale voix en chapitre. De ceux-cy on en nomme six Laiz, & autant d' Ecclesiastiques: & encore divise le peuple, ceste generale police en Ducs & Comtes: 

C' est à sçavoir les Ducs & Prelats de Rheims, de Laon, & Langres: les Comtes & Evesques de Beauvais: Chaalons & Noyon: les Ducs de Bourgongne, Normandie, & Guyenne: les Comtes de Flandres, Champagne, & Tholose. Veritablement quiconque ait esté inventeur de ceste police (si telle a esté reellement & de fait introduite & observee) il deust être bien grand personnage. Et croy que les premiers qui s' induisirent d' en *attribuer la premiere invention à Charlemagne, furent semonds à ceste opinion, tant à l' occasion de son bon sens, qu' aussi qu' il esperoit par ce moyen se fortifier contre l' ancienne famille de nos Roys de France, sur lesquels Pepin son pere s ' estoit emparé du Royaume. Toutesfois il me semble que ceux qui ont esté de cest advis ne digererent oncques bien la puissance de Charlemagne, ny comment les affaires de France se demenoient de son temps: Car de ma part je ne presteray jamais consentement à ceux-cy. Et croy à bien dire que ce discours ait esté plustost emprunté de l' ignorance fabuleuse de nos Romans, que de quelque histoire authentique. Qu' ainsi ne soit, il est certain que Charlemagne gouvernoit ses pays de l' authorité de luy seul, & non de la necessité des Ducs & Comtes: lesquels pour lors n' estoient que simples Gouverneurs, & tels qu' il les deposoit à sa volonté. Je sçay bien que lors que Charles Martel son ayeul commença de rapporter à sa famille sous le nom de Maire du Palais toute la Majesté de France, plusieurs Ducs se mirent de mesme façon en devoir de faire tomber en leurs maisons les Provinces desquelles ils avoient le gouvernement. Toutesfois ils furent successivement rangez par Martel, puis par Pepin: Tellement que toutes rebellions *effacees, les Duchez furent reduicts selon leur ancienne forme, & donnez & ostez au bon plaisir des Roys de France. Ainsi ce seroit abus de pense que Charlemagne eust voulu avoir pour Pairs ou semblables à soy, ceux qui totalement despendoient de son authorité & puissance. Ce neantmoins pour verifier cecy par pieces, en quel lieu je vous supply trouverez-vous mention de ce temps-là, d' un Duc de Guyenne separé d' avec le Comte de Tholose? certes il ne s' en trouve chose aucune: mais est la verité, que sous le nom d' un Duché d' Aquitaine estoit compris, & ce que nous appellons maintenant Guyenne, & la ville mesme de Tholose. Voire que les Comtes alors & mesmement ceux de Tholose, n' estoient que simples Juges & administrateurs de Justice en chaque ville, comme nous deduirons plus amplement au chapitre destiné pour tel sujet. Davantage, qui est celuy qui ne sçache que l' on ne parloit point adonc de Normandie, ains fut un nom qui depuis sous Charles le Simple commença d' entrer en credit avec l' erection de Duché qui en fut faite en faveur des Normans: Et aussi que la Flandre lors à demy inhabitee & deserte estoit gouvernee seulement par un simple grand forestier. Afin que je n' adjouste à cecy que la police de ce temps-là estoit telle, que ce qui estoit maintenant dit Duché (quand il estoit és mains de quelque Prince gouverneur d' une contree au nom du Roy) en moins de rien prenoit le nom de Royaume, lors qu' il tomboit au partage d' un fils de France. Estant ce Royaume de telle qualité qu' il ne recognoissoit de là en avant autre seigneur que Dieu, & son Roy. En ceste façon voyons nous que le pays d' Aquitaine fut pour un temps appellé Duché sous Charlemagne, puis Royaume quand il en investit Louys Debonnaire son fils, lequel deslors commença de tenir ses Estats à part. Et depuis, cestuy Debonnaire faisant partage general à ses enfans, donna l' Italie à Lothaire son fils aisné, le faisant sacrer Empereur. A Louys son second fils, le Royaume de Bauieres & de la Germanie: & à Pepin celuy d' Aquitaine. Verité est que Pepin estant decedé du vivant de son pere, ceste Aquitaine se trouvant reünie à la Couronne, fut donnee en partage à Charles le Chauve son dernier fils, avec la plus grande partie de ce que nous nommons la France. Semblablement apres la mort de Louys Debonnaire, Lothaire Empereur partageant ses Royaumes à trois autres siens enfans, à l' aisné qui estoit Louys, il donna l' Empire avec le Royaume de Lombardie, à Lothaire qui estoit le second, le Royaume de la Lorraine: & pour Charles son puisné, il fit un Royaume de la Provence, & de partie de la Bourgongne: Et à peu dire, depuis la venuë de Charlemagne jusques sous deux ou trois lignees successivement la Majesté de la maison de France estoit telle, que les enfans de nos Rois s' entrepartageoient les Provinces par forme d' Empire ou de Royaumes, & non par forme de Duchez. Et ne lit-on point de la lignee de Charlemagne aucun enfant masle qui se soit contenté d' un simple nom de Duc ou de Comte, ains de Prince souverain & Roy. Voire que Charles le Chauve, sous lequel toute la grandeur de ceste noble famille n' estoit pas encor' amortie, mais commençoit beaucoup à s' estaindre, donnant le pays de Provence & partie de la Bourgongne qui luy estoient retournez par le decés de ses neveux, à Bosson duquel il avoit espousé la sœur, erigea de rechef ces pays en Royaume. Et le premier & le dernier d' entr' eux tous, si je ne m' abuse, qui prit la qualité de Duc, fut celuy Charles que Hugues Capet desherita du Royaume: Mais les affaires de la France avoient desia pris toute autre forme qu' au precedant, ainsi que je discourray cy apres. De sorte que pour retourner à mon but, c' eust esté une police frustratoire, si Charlemagne eust voulu faire douze Pairs de ceste marque, pour en anichiler la coustume à un instant, & à un simple partage qu' il eut fait entre ses enfans. Et qui m' induit encores à ceste opinion, c' est que combien que dans Theodulphe, qui fut du temps de Charlemagne, & dans Aimoïn, soit faite frequente mention des Parlements qui estoient adonc tenus, si n' ay-je jamais leu que les Ducs y assistassent en ceste qualité de Pairs, comme nous en usons aujourd'huy.

Toutes lesquelles conjectures m' ont tousjours semonds de pense qu' à tort s' estoit le peuple imprimé ceste fole persuasion de rapporter l' introduction de cecy en la personne de Charlemagne. Laquelle chose tout ainsi que je la tiens pour asseuree, aussi est-il fort difficile de pouvoir remarquer le temps sous lequel ceste police de douze Pairs, fut introduitte. Tellement qu' il nous faut en cecy proceder à l' Academique, je veux dire monstrer par bonnes & vallables raisons ce qui n' est pas, & timidement asseurer ce qui peut estre. Parquoy, pour descouvrir ce que j' en pense, mon opinion est que le mot de Pair s' est insinué entre nous de l' ancienne dignité de Patrice qui fut à Constantinople. Pour laquelle chose deduire tout au long, il faut entendre que sur le declin de l' Empire de Rome, Constantin le Grand voulut introduire, & mettre en honneur la dignité du Patritiat, tout d' une autre façon qu' elle n' avoit esté mise en usage par les premiers peres de Rome, tellement qu' elle ne se donna de là en avant par les Empereurs qu' à leurs favoris & autres personnes qu' ils avoient en grande recommandation. Et de fait, le plus grand honneur dont ils pouvoient caresser un Prince estranger, estoit de luy envoyer l' ordre de Patrice en signe de confederation & alliance. Ainsi lisons nous que l' Empereur Anastaise l' envoya au grand Roy Clovis: Et quand Adalgise fils de Didier Roy des Lombards se fut retiré vers Constantin Empereur de Constantinople, il ne le peut mieux honorer que de l' aranger au nombre de ses Patrices. Et envoyoient cest Estat avec un grand appareil de langage, dont le formulaire est inseré au sixiesme des Epistres de Cassiodore. Je ne puis presque mieux comparer cet Estat qu' à l' ordre de S. Michel, que donnent aujourd'huy nos Roys à ceux ausquels ils veulent gratifier, ou pour la faveur qu' ils leur portent, ou pour la vertu qui est en eux. Car tout ainsi que les Chevaliers de S. Michel n' ont en consideration de leur Ordre autre commandement sur le peuple, (ainsi en estoit-il quand je mis premierement ce livre en lumiere) sinon que par là ils se ressentent en quelque chose de la Majesté de nostre Prince, aussi ces Patrices n' avoient autre prerogative sur le *commun, sinon qu' ils attouchoient de bien pres la personne d' un Empereur. Et outre plus, entrans en ceste dignité, par la teneur de leur privilege, ils estoient absous & affranchis de la puissance de leurs peres. Or ny plus ny moins que ces Patrices aprochoient de pres la lumiere & splendeur des grands Empereurs, aussi leur estoient les grandes charges commises. Non vrayement à cause de l' estat de Patrice, ains pource que le Patritiat ne se donnoit gueres qu' à ceux qui estoient les mieux aimez & cheris. En sorte que petit à petit pour-autant que d' ordinaire on ne donnoit les Provinces en maniement qu' à tels Patrices, il escheut par succession de temps que les Gouverneurs des Provinces furent de quelques-uns appellez de ce nom de Patrice. Ainsi appelle-l' on ce grand AEtius qui combatit Atille aux champs Catalauniens, le dernier Patrice des Gaules: Voire que ceux mesmes qui pendant les troubles de la Republique occuperent le Gouvernement d' Italie, & qui à nom ouvert ne s' osoient nommer Empereurs, s' appellerent Patrices de Rome. De telle marque sont Auite (Avite), Maiorian, & autres, jusques à Augustule, qui fut chassé par Odoacre Roy des Hetuliens. Et certes tout de la mesme forme que ces Empereurs userent du Patritiat, aussi nos vieux Roys François voulurent practiquer le semblable pour recompenser les Courtizans qui estoient à leur suitte. Et en ceste façon Gregoire de Tours au quatriesme livre de ses histoires, dit, que Gontran Roy d' Orleans degrada un personnage nommé Agrecula, de l' honneur de Patritiat, & donna ceste dignité à Celsus: & qu' un Gentil-homme nommé Mommole fut orné de ce mesme Ordre par le mesme Roy. Sainct Gregoire au douziesme de ses Epistres escrit à Aschelpiodate, Patrice des Gaules, qui tenoit le premier rang pres du Roy de France son maistre. Voire qu' à l' imitation des Romains, commencerent nos Roys à donner les grands gouvernements aux Patrices. Dont vint qu' on usa puis apres des mots de Patrices, & Ducs indifferemment, pour Gouverneurs de Provinces. Pour laquelle cause Aimoïn au 3. livre est autheur, que le mesme Gontran au vingt-septiesme an de son regne fit Landegisile Patrice de la Provence: Et au quatriesme il dit qu' apres que Clotaire II. eust regné trente ans, il fit Garnier, par le moyen duquel il estoit parvenu au Royaume d' Austrasie, Maire de ce pays-là, & donna semblable estat à Rhadon en la Bourgongne. Et au pays Ultrajurain, c' est à dire, qui est outre la montagne de Jura, il institua Herpon Patrice. Et au mesme livre il fait mention d' un autre Patrice Ultrajurain, nommé Guillebaud. Ausquels trois passages Patrice se prend pour Duc & Gouverneur: Et au mesme livre, je trouve qu' il appelle Hunold Patrice d' Aquitaine, lequel peu apres il nomme Duc du mesme pays. Vrayement je ne fais aucune doute qu' aux generaux Parlements que tenoient Pepin, Charlemagne, & ses successeurs, tels Ducs & Patrices ne tinssent l' un des premiers degrez, comme ceux ausquels estoient commises les grandes Provinces en charge. Et qu' au lieu de Patrices ne les ayons appellez en nostre vulgaire Ducs & Peres, comme j' ay leu dans une vieille histoire Françoise, & depuis par abreviation Ducs & Pairs de France (ainsi que nous voyons d' un Magister Palatij, avoir esté fait un Maistre, & depuis Maire du Palais.) A l' imitation desquels quand les Ducs & Comtes se firent perpetuels, ils commencerent semblablement (pour authoriser d' avantage leurs Cours) d' appeller leurs grands Barons Pairs, & leur donner voix & assistance en leurs jugemens: comme nous voyons avoir esté anciennement practiqué au Duché de Normandie, Comtez de Champagne & de Flandres. Et est chose digne d' être icy remarquee en passant, que le Comte de Champagne eut sept Comtes pour Pairs qui estoient obligez de se trouver toutes & quantesfois qu' il vouloit tenir ses Grands jours dans sa ville de Troye: les Comtes de Joigny, Retel, Portian, Brienne, Bresne, Grandpré, Roussy, desquels le Comte de Joigny estoit le Doyen. Et en cas semblable les mediocres Seigneurs, qui veulent ordinairement se composer à l' exemple des plus grands, establirent en plusieurs endroicts semblables formes de Pairries, que nos ancestres, au long aller & par corruption de langage appelloient Pares curiae, desquels est fait frequent recit dans les anciennes loix des Lombards, qui ont esté en partie mendiees des nostres: & encores en voyons nous pour le jourd'huy quelques observances en plusieurs particulieres coustumes de ce Royaume, comme en celles du Bailliage d' Amiens, & Seneschaussé de Pontieu. Qui a esté cause que quelquesuns ont voulu tirer en conjecture que l' invention de douze Pairs de France fut apportee du pays de la Germanie, par les François, Lombards, & autres peuples Germaniques. Estimans que tout ainsi qu' és fiefs, les anciens François eurent leurs Pairs, aussi les Duchez & Comtez s' estans renduës patrimoniales, nos Roys sur le modelle ancien des fiefs voulurent faire sous leur Couronne, un establissement de Pairries, telles que nous les voyons aujourd'huy. Toutesfois j' ay quelque raison qui me semble corrompre vray semblablement ceste opinion, d' autant que je ne voy point ces Pairs être venus en usage, en matiere feodale, sinon lors que les fiefs commencerent à se perpetuer aux familles, qui est depuis la venuë de Capet. Aussi n' est il pas à presumer, si ceste police eust esté entre les François quand ils arriverent és Gaules, que nous n' en eussions eu quelques enseignements & addresses, par nos anciennes Histoires aussi bien que du Patrice & Patritiat, ce que toutesfois je ne trouve point: Bien sçay-je qu' au troisiesme livre des Ordonnances de Charlemagne, article soixante-cinquiesme, il semble y avoit un passage respondant à ceste opinion. Quicunque ex eis qui beneficium Principis habent, Parem suum contra hosteis communes in exercitu pergentem dimiserit, & cum eo ire vel stare noluerit, honorem suum perdat. Tout homme ( dit-il) ayant un fief du Prince, qui aura delaissé en la guerre son Pair, s' acheminant contre l' ennemy, & qui ne voudra aller ou demourer avecques luy, qu' il foit desapointé de son Estat & honneur. Lequel lieu quelques uns veulent rapporter aux Pairries que l' on pratique aux fiefs, toutesfois, selon mon jugement, jamais l' intention de Charlemagne ne fut telle. Et de fait, entre toutes les Loix & Edicts de cest Empereur, & du Debonnaire son fils, posé qu' il foit fait infinie mention des benefices ou fiefs, & semblablement des vassaux & beneficiers, ce neantmoins ce passage est le seul & unique auquel l' on trouve ce nom de Pair, és endroicts qui traittent de ces benefices. Tellement que je ne me puis persuader aisément si les Pairries eussent esté deslors en vogue és matieres feodales, que nous n' en eussions plusieurs autres sentimens par les mesmes loix. Parquoy mon advis est que ce que l' Empereur Charlemagne defend au vassal de ne laisser son Pair en la guerre, c' est une police militaire, par laquelle il commande à ses vassaux qui estoient tenus quand la necessité se presentoit de porter les armes (comme encores ils sont aujourd'huy) ne laisser leurs compagnons & convassaux à la guerre, sur peine de privation de leurs fiefs. Prenant ce mot Pair, selon sa vraye & naïue signification, sans qu' il pensast oncques de le retirer à l' ordre & police des Pairs. Et en ceste mesme façon est prise ceste diction au quatriesme livre des mesmes Ordonnances, article soixante & dixseptiesme, lequel livre est destiné pour les loix de Louys le Debonnaire. Ut in hoste nemo Parem suum vel quemlibet alium hominem bibere cogat. Nous deffendons (dit-il) à tous estans au camp d' inviter de boire leurs Pairs, ny aucuns autres quels qu' ils soient. Vrayement je croy que tout homme de bon cerveau me passera condemnation, que l' Empereur le Debonnaire ne voulut point lors deffendre à ses vassaux de boire d' autant à leurs Pairs, ainsi que nous le prenons aujourd'huy, ains que son intention fut pour bannir l' yurongnerie de son Camp, de prohiber à tous soldats de n' inviter à boire tant leurs Pairs & compagnons, que tous autres, jaçoit qu' ils ne fissent profession des armes. Et en la suite de l' histoire de Aimoïn, quiconques ait esté celuy qui ait voulu accommoder son labeur sous le nom de cest Historiographe, au chapitre trente-huictiesme du cinquiesme livre, couchant de mot à mot les articles de la tresue qui fut juree entre le Roy Louys le Begue, & Louys Roy d' Allemaigne son cousin, l' on trouve ces deux grands Roys qui ne dependoient en rien l' un de l' autre, en avoir usé de mesme façon. Ut autem, quia firmitas amicitiae & coniunctionis nostrae quibusdam causis praepedientibus esse non potuit, usque ad illud Placitum, quo simul ut conveniamus statutum habemus: talis amicitia inter nos maneat, Domino auxiliante de corde puro, & conscientia bona & fide non ficta, ut nemo suo Pari vitam, regnum aut fideles suos, vel aliquid quod ad salutem seu prosperitatem ac honorem regni pertinet, discupiat aut male conciliet. Ut si in alterutrius nostrum regnum pagani seu pseudochristiani insurrexint, uterque veraciter suum Parem, ubicunque necessitas fuerit, si ipse rationabiliter potuerit, aut per semetipsum aut per fideles suos, & consilio & auxilio, ut optimè possit, adiuvet.

Qui est à dire, Et pour-autant que nous ne pouvons pour le present jurer une amitié ferme & stable à jamais (pour quelques raisons qui l' empeschent) jusques à ce que nous nous soyons trouvez au pour-parler que nous avons conclud ensemble: Ce temps pendant toutesfois demeurera entre nous, Dieu aidant, la presente confederation de bon cœur, sincere conscience, & sans hypocrisie. Sçavoir est que nul de nous ne s' estudiera d' oster la vie à son Pair, son Royaume, ou ses fideles & vassaux, ou attenter chose aucune qui se peut tourner à son deshonneur ou dommage: & si peut-être les Payens ou faux Chrestiens couroient sur les marches de l' un ou l' autre de nous, en ce cas chacun d' entre nous sera tenu sans dissimulation ou feintise porter conseil & aide à son Pair, si le peut bonnement faire, ou par luy ou par l' entremise de ses subjects feaux, le tout au moins mal qu' il pourra.

En tous lesquels passages l' on voit que le mot de Pair est pris pour compagnon seulement. Et à tant il me semble le semblable avoit esté fait en ce soixante-cinquiesme article des Ordonnances de Charlemagne: Ne me pouvant faire accroire (comme j' ay deduict cy dessus) si la police des Pairs eust lors esté en essence és Benefices & Fiefs, que nous n' en eussions eu plusieurs autres instructions & memoires du mesme Empereur, les Ordonnances duquel sont presque la plus grand part du temps voüees à traitter de ces Benefices & Fiefs.

Toutes lesquelles choses j' ay voulu deduire en passant: Parce que je voy quelques doctes personnages contrevenir à mon opinion: estimans que non des Patrices, ains des Pairs qui se trouvent observez és Fiefs ayent esté introduicts nos douze Pairs de France: Parquoy pour reprendre mon premier but, que la necessité du present discours m' a fait eslongner de l' œil, je ne fais aucune doute que du temps de Charlemagne, & de toute sa lignee, ces Ducs & Patrices de France que j' appelle Pairs ne fussent en tres-grand credit, & que pour ceste cause ils ne tinssent les premieres seances aux Parlements & generales Assemblees qui se tenoient par nos Roys: toutesfois il ne me peut entrer en la teste que ceste generale police des douze Pairs, tant celebree par la bouche de tous, fut ny du temps de Charlemagne, ny long temps apres en usage. Reservant au chapitre suivant de discourir comment, & en quel temps je pense qu' ils prindrent leur origine.